Intervention de Jean Rottner

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 8 juillet 2020 à 18h45
Audition de M. Jean Rottner président de la région grand-est

Jean Rottner, président de la région Grand Est :

Je vous remercie d'avoir évoqué la notion de « respiration », qui m'est chère. Quand on est médecin urgentiste de formation, on ne se désespère pas face à un arrêt cardiaque ! Arrêter une réanimation est toujours une décision grave.

La respiration a été possible grâce à la solidarité. Les soignants se sont serré les coudes, malgré les difficultés hospitalières. La solidarité citoyenne a été exceptionnelle, et la solidarité territoriale et internationale s'est également manifestée.

Je le dis honnêtement, quand le chef de l'État ou le président du Sénat m'ont appelé pour m'annoncer le renfort de l'État, ce fut une respiration. Les soignants souriaient largement en disant : « On nous a enfin entendus ! » Cela a permis de faire repartir la machine.

L'arrivée de l'hôpital militaire, l'A330, le renfort des collègues de la région, ont apporté des espaces de respiration, non pas à moi, mais aux soignants. Je suis allé leur donner un coup de main, mais on ne peut pas être et avoir été. En tant qu'élu à la tête d'un exécutif, j'ai un devoir d'alerte, d'action, et de réaction. J'avais la possibilité d'agir à côté de l'État. C'est cette souplesse qu'on peut regretter ou discuter.

Emmanuel Galiero, journaliste du Figaro, m'avait appelé pour connaître ma position sur un éventuel report des élections. Je lui avais répondu que le sujet n'était pas là.

En voyant les images des Buttes-Chaumont, des quais de Seine, on s'aperçoit que les Parisiens ignorent ce qui est en train de se passer dans leur pays, alors que leurs compatriotes meurent chaque jour. On a le sentiment que personne ne comprend ce qui est en train de se passer. Quand le Gouvernement prend la bonne décision de venir en soutien, c'est le premier espace de respiration pour l'ensemble des équipes hospitalières. Pour avoir fait régulièrement le tour des directeurs de centres hospitaliers universitaires (CHU) et des chefs de service, je peux vous dire que certains jours, ils n'en pouvaient plus. Ils avaient épuisé leurs stocks NRBC - nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques - et ne savaient plus comment protéger leurs collègues. Or, quand on est patron d'un service, on se sent éminemment responsable de ses collaborateurs : infirmières, aide-soignantes, agents d'entretien, hôtesses d'accueil, secrétaires...

Sur les relations avec l'État, je me suis prononcé, et j'ai eu des paroles assez sévères sur l'ARS, considérant que c'était avant tout une agence de gestion budgétaire, et pas d'organisation et de gestion de crise. Je maintiens ces propos. Je sais que l'ARS compte des gens extrêmement compétents, qui ont fait leur maximum. Mais l'anticipation nécessite aussi de voir comment les choses se passent sur le terrain : un hélicoptère EC-135 ne peut pas atterrir dans les mêmes conditions qu'un Caïman. Cela, un médecin urgentiste le sait. Mais s'il doit passer par une régulation nationale et obtenir l'accord d'un médecin dans le cadre d'une régulation zonale par l'ARS, au lieu que les choses se fassent de médecin à médecin, il a l'impression de recevoir de l'énergie négative, là où il devrait y avoir une énergie positive.

Sur cette fameuse bataille des masques, je peux vous donner des explications. Nous avons mis dix jours à nous organiser, et sélectionné trois importateurs, pour parer tout risque de défaillance. Nous avons commandé 5 millions de masques, et en avons finalement reçu 6,6 millions. Il se trouve que nous partagions un importateur avec l'État. Je respecte éminemment le rôle de l'ARS, tout comme les décisions administratives, que je ne conteste pas. Dans le premier avion, il y avait moins de masques que prévu. L'État en prend une part, j'en prends une autre, et Mme Dufay, la présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté, s'aperçoit qu'il ne lui reste plus rien. Je lui propose de passer mon tour, mais - c'était un dimanche matin, je m'en souviens - mon téléphone sonne à sept heures moins le quart et mes équipes me disent qu'elles n'ont pas accès à l'avion, que celui-ci est entouré de militaires, et que le stock est réquisitionné. J'essaie de joindre le préfet de région, le préfet de département, je n'y arrive pas ; je finis par joindre la préfète, qui me fait part de la décision prise, compte tenu des incertitudes vis-à-vis de l'importateur, qui ne tenait pas toujours ses promesses en termes de nombre par cargaison. Dont acte. L'importateur avait deux avions, nous avons donc attendu deux ou trois jours de plus. Mais cette décision n'avait pas été prise le dimanche matin à sept heures moins le quart... On aurait pu nous le dire ! Ce genre de détail complique les relations entre les uns et les autres.

Oui, la téléconsultation a fait un bond. Si vous avez quelque influence sur l'assurance maladie, dites-lui que nous ne devons pas revenir en arrière ! Notre région a offert à tous ses lycéens, dans les établissements volontaires, un ordinateur, et nous connecterons tous les foyers de la région au très haut débit d'ici à 2023. Sur les données, c'est très compliqué. Grâce à l'intelligence artificielle, nous avons la capacité de détecter la réactivation d'une épidémie. Voilà des semaines que nous bataillons pour obtenir un outil adéquat, malgré les garanties d'anonymisation et de partage des informations. Pour progresser dans la connaissance et le suivi des épidémies dans notre pays, c'est indispensable.

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