Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si la conclusion du parcours parlementaire de ce texte paraît réglée, je veux toutefois réaffirmer, au nom du groupe socialiste et républicain, notre incompréhension face au mélange des genres dans ce projet de loi, notre opposition au transfert de 136 milliards d’euros de dette vers la Cades et notre attente très forte relative à la création de la cinquième branche de la sécurité sociale pour l’autonomie.
Le déficit de la sécurité sociale pour 2020 – plus de 50 milliards d’euros – échappe à toute référence historique. Il est accentué, rappelons-le, par l’absence de compensation, par l’État, des différentes mesures d’allégement de cotisations, consécutives, par exemple, à la crise des « gilets jaunes ». Oui, il était nécessaire d’alléger l’Acoss de la dette autorisée de 90 milliards d’euros, portant sur une courte échéance, mais l’urgence n’obligeait pas à de mauvais choix, dont les conséquences négatives durables pèseront sur les assurés sociaux, sur les actifs, sur les retraités.
La dette de 2020 procède de décisions de l’État, prises à l’occasion d’une crise exceptionnelle, mais dont le bien-fondé n’est pas mis en cause. Toutefois, elle devait être traitée à cet échelon, dans le cadre de la globalisation des déficits dus à la crise. En effet, l’État emprunte à des conditions plus favorables que les agences, il gère la dette à long terme, ne supporte que les intérêts et il réemprunte continûment le principal.
L’argument de la spécificité de la dette sociale n’est pas décisif, eu égard aux masses concernées, 136 milliards d’euros, à rapporter aux 2 650 milliards d’euros de dette générale. Des économistes, les organisations syndicales et le Haut Conseil du financement de la protection sociale ont argumenté en faveur d’une autre solution ; ce n’était pas une solution miracle, mais elle aurait libéré une dizaine de milliards d’euros de recettes sociales par an, permettant de construire un nouvel équilibre financier durable de la sécurité sociale, face aux défis nouveaux, dont ceux de l’autonomie, de l’hôpital et des nouvelles thérapies.
Au regard de cette occasion manquée, la prise en charge incongrue, par la Cades, de l’amortissement d’un tiers de la dette hospitalière, pour un coût de 13 milliards d’euros, paraît presque anecdotique.
Mes chers collègues, je représentais l’Assemblée des départements de France auprès de Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) quand celle-ci publia, en juillet 2009, son rapport annuel intitulé Droit universel d ’ aide à l ’ autonomie : un socle, une nouvelle étape, qui s’ouvrait sur la proposition d’une « mise en place d’un “5e risque” de protection sociale consacré à l’autonomie, afin de mieux répondre aux difficultés concrètes rencontrées par les personnes […] et par leur famille ». Était également recommandée la transformation des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) en maisons départementales de l’autonomie, assurant le même service aux personnes ayant besoin d’une aide, quels que soient l’âge et la cause de la perte d’autonomie.
Aujourd’hui, en cohérence, les membres du groupe socialiste et républicain – je veux en particulier associer mes collègues Michelle Meunier, qui travaille sur le sujet, et Victoire Jasmin, qui est présente ce soir – sont favorables à la création d’une cinquième branche de la sécurité sociale et saluent votre nomination, madame la ministre, comme ministre déléguée chargée de l’autonomie.
Le rapport Laroque, en 1962, marquait la naissance de la politique de la vieillesse ; il appelait à appréhender les problématiques de façon globale. Soixante ans plus tard, la réalité démographique impose un autre défi. L’année 2030 sera porteuse d’un symbole fort : pour la première fois, les plus de 65 ans seront plus nombreux que les moins de 20 ans.
Madame la ministre, après les effets d’annonce sur ce moment historique de la sécurité sociale, la cinquième branche reste à construire. Cette branche renvoie à la place que notre société accorde aux personnes âgées ou en situation de handicap. Un financement pérenne et sanctuarisé, des prestations homogènes à l’échelle nationale, une coordination des acteurs sociaux, sanitaires et médico-sociaux sont à définir, en parallèle d’un investissement dans la prévention, du renforcement de l’attractivité des métiers du grand âge, de l’accompagnement pour les proches aidants et de moindres restes à charge dans les établissements. Le rendez-vous est donc pris.
En conclusion, quelques mots de contexte : la crise sanitaire, économique et sociale sans précédent a réhabilité, si c’était nécessaire, le rôle de l’État et la place déterminante de notre protection sociale. Elle a montré que tous ceux qui tiennent le pays à bout de bras en période de graves difficultés – les infirmières, les aides-soignants et les aides à domiciles, mais aussi les caissières, le personnel de manutention, les éboueurs et j’en oublie – sont les moins reconnus et les plus précarisés en temps ordinaire.
Les décisions prises sont-elles à la hauteur du rôle de ces personnes dans la société, d’une justice sociale plus affirmée ? Je ne méprise certes pas les résultats du Ségur de la santé, mais il est tout de même permis d’en douter, quand on constate qu’aucun effort nouveau, ne serait-ce que temporaire, n’est demandé au capital ni aux catégories sociales les plus aisées. Pourtant, 83 millionnaires, plutôt américains, c’est vrai, déclarent que « l’humanité est plus importante que [leur] argent » et, à l’opposé de cette volonté, un récent rapport de l’Observatoire des inégalités pourrait se résumer ainsi : « heureux comme un riche en France »…
Mes chers collègues, c’est la dernière fois que je me présente à cette tribune ; je veux, à cette occasion, citer Victor Hugo : « La fraternité n’est qu’une idée humaine, la solidarité est une idée universelle. »