Chirurgien orthopédiste libéral depuis 31 ans, j'exerce dans une clinique de moyenne importance située dans un territoire d'environ 100 000 habitants. Toutes les cliniques de ce type sont en grande difficulté financière. Nous ne sommes pas labélisés « urgences » et nous n'avons pas de service de réanimation, mais nous faisons beaucoup de chirurgie - nous avons cinq salles d'opération - et nous disposons d'une salle de surveillance post-interventionnelle (SSPI) qui permet d'installer huit postes de respirateur adaptés. Même si notre clinique n'a pas de service de réanimation, nous assurons 55 % de l'activité chirurgicale de notre territoire.
Je suis président de la commission médicale d'établissement et nous sommes en train de constituer une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Je suis par ailleurs vice-président du Bloc, syndicat qui représente les chirurgiens, les anesthésistes et les obstétriciens, président du syndicat des orthopédistes et vice-président de l'union régionale des professionnels de santé libéraux du Grand-Est.
Afin que nous soyons d'accord sur les termes que nous employons, je préciserai que, pour moi, un hôpital est public et une clinique est privée à but lucratif - ce terme est peut-être dépassé, mais il est consacré. Je mets à part les établissements de santé privés d'intérêt collectif (Espic), qui se rapprochent davantage d'un hôpital du fait de leur mode de financement.
Pour nous, la crise a commencé dès février, d'autant que deux de nos médecins anesthésistes sont italiens, l'un étant originaire de Bergame. Le 2 mars, nous avons tenu une réunion de la CPTS en phase de constitution, qui a rassemblé 104 personnes ; un médecin généraliste présent a eu le covid, mais aucun autre participant à cette réunion n'a contracté le virus. Au sein de l'URPS, nous avons eu des réunions régulières sur le covid dès le mois de février. Le Conseil national de l'Ordre des médecins nous a adressé une alerte le 3 mars.
Le 16 mars, nous avons arrêté toute activité chirurgicale au bloc opératoire, ce qui a été un séisme pour un établissement comme le nôtre qui ne fait quasiment que de la chirurgie. Du coup, nous nous sommes retrouvés avec des stocks colossaux de masques, d'équipements de protection individuels et de solution hydroalcoolique, alors que tout le monde criait à la pénurie. Nous avions aussi du personnel dévoué, ainsi que des lits et des chambres libres. Bref, tout pour recevoir des patients ! Mais personne ne nous a été adressé les deux premières semaines.
Nous avons donc été choqués, pendant cette crise, par le manque de coopération entre les hôpitaux et les cliniques, ces dernières n'ayant pas été sollicitées durant les deux premières semaines. Ce choc a été accentué lorsque nous avons appris les transferts de patients organisés à grand renfort de moyens de transport et de médiatisation, à un moment où des lits étaient vacants dans les cliniques... Nous avons également été mis à l'écart lors de la reprise d'activité, puisque celle-ci a été organisée dans le cadre des groupements hospitaliers de territoire (GHT), dont nous sommes exclus.
Nous avons aussi été choqués par certaines « petites phrases », dont celle-ci, de la part d'un directeur de CHU : « Il est injuste que les cliniques poursuivent une activité chirurgicale programmée, alors que l'hôpital public n'est plus en mesure de le faire. C'est une forme de concurrence déloyale. »
En conclusion, les cliniques et les praticiens qui y exercent ont le sentiment que les hôpitaux ont souhaité mener seuls la guerre contre le covid.