Intervention de François Toujas

Commission des affaires sociales — Réunion du 28 juillet 2020 à 18h00
Audition de M. François Toujas en application de l'article l. 1451-1 du code de la santé publique candidat à son renouvellement à la présidence du conseil d'administration de l'établissement français du sang

François Toujas, candidat à son renouvellement à la présidence du conseil d'administration de l'Établissement français du sang :

En ce qui concerne la sécurité transfusionnelle liée au covid-19, nous avons été extrêmement précautionneux et nous avons travaillé avec les autorités sanitaires sur les connaissances scientifiques relatives à ce sujet. Nous avons aussi procédé à un certain nombre de tests et expériences et il n'existe aujourd'hui aucun cas connu de transmission du covid-19 par transfusion sanguine.

En ce qui concerne le LFB, je dois d'abord dire que je n'en suis pas le président et que je ne peux m'exprimer qu'au nom de l'EFS. Olivier Véran a effectivement écrit un rapport en 2013 sur ce sujet qui reste, pour partie, d'actualité. Nous devons faire des efforts sur ce dossier. Les produits fabriqués par le LFB sont des médicaments et ont donc un cadre juridique différent de celui des produits sanguins labiles qui font partie de notre monopole.

Les médicaments dérivés du plasma connaissent une croissance très importante, en partie liée au niveau de vie des pays - pour le dire crûment, ce sont des médicaments de pays riches. Il existe donc un enjeu mondial extrêmement important quant à l'accès à la matière première et nous connaissons une période très tendue de ce point de vue. Nous sommes aujourd'hui dépendants de la collecte nord-américaine, ce qui constitue, au-delà des enjeux éthiques, un risque. Nous devons donc accroître notre effort national et européen.

En 2012, l'EFS cédait 650 000 litres de plasma au LFB ; nous en sommes à 900 000 litres. Les deux tiers de cette collecte correspondent à du plasma issu du don de sang - nous séparons ensuite les globules rouges, les plaquettes et le plasma. Le tiers restant est collecté par plasmaphérèse, c'est-à-dire par circulation extracorporelle. Aujourd'hui, cette plasmaphérèse représente 300 000 litres contre 50 000 litres il y a encore quelques années. Cette progression est évidemment positive, mais elle n'est pas suffisante.

L'opération de plasmaphérèse est beaucoup plus coûteuse que la collecte totale de sang, ce qui crée un déficit pour l'EFS. En outre, les besoins en médicaments dérivés du plasma ne vont que croître à l'avenir. Nous sommes donc clairement devant de grandes difficultés. Il est nécessaire de moderniser l'appareil de production du LFB. La construction de l'usine d'Arras permettra à l'horizon de 2024 d'accroître sa capacité de fractionnement, ce qui est une bonne nouvelle. Pour autant, les besoins continueront d'augmenter très fortement. De ce fait, toutes les solutions permettant d'accroître la collecte doivent être recherchées, à condition cependant que le modèle économique soit équilibré.

Monsieur Jomier, j'ai tendance à dire que tout ce qui permet d'améliorer l'incitation des jeunes à donner leur sang est bon à prendre. Nous voyons d'ailleurs beaucoup de jeunes aujourd'hui lors des collectes. Pour autant, devons-nous élargir la collecte aux mineurs ? C'est évidemment intéressant, mais je suis réservé pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le don du sang doit continuer de correspondre à une volonté et il nécessite de s'interroger sur ses pratiques, notamment sexuelles ; or un mineur a besoin de l'autorisation de ses parents. Ensuite, les médecins de l'EFS disent que le nombre des malaises vagaux s'accroît quand les donneurs sont jeunes - des alertes d'immunovigilance vont dans ce sens. Outre le problème que cela pose en termes de santé pour les personnes concernées, nous savons bien qu'un donneur qui fait un malaise a moins tendance à revenir qu'un autre. Dernier point, le don de sang pourrait entraîner des carences en fer pour les personnes de cet âge ; nous allons lancer une étude sur ce sujet.

S'agissant des homosexuels, toute mesure qui s'apparente à une dénonciation de la façon de vivre ou à une discrimination est évidemment condamnable. Il faut aussi savoir que les femmes homosexuelles ne se sont jamais vu interdire de donner leur sang. Du fait de la prévalence du sida dans la population des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, le don du sang était interdit, mais des évolutions importantes ont eu lieu, puisque depuis la décision prise par Marisol Touraine en juillet 2016 le don est interdit pour les hommes ayant eu une relation sexuelle avec un homme dans les douze mois précédents - ce délai est récemment passé à quatre mois. Une autre décision a aligné les conditions sur celles en vigueur pour les hétérosexuels en ce qui concerne le don de plasma sécurisé.

Pour revenir à la question que vous m'avez posée, je vais moi-même poser une question : est-ce que le don du sang est un droit ? Je pense que non. Il existe uniquement un droit pour les malades de recevoir les produits sanguins les plus sécurisés possible, ce qui fait écho au scandale du sang contaminé et aux conditions de création de l'EFS - je l'ai évoqué en introduction. Le sujet principal qui a justifié cette création est la sécurité transfusionnelle et - cela fait partie de l'originalité du modèle français - ce n'est pas l'EFS qui fait les règles.

Peut-on aller plus loin dans l'ouverture du don du sang pour les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes ? Je pense que oui, à condition de démontrer que d'un point de vue épidémiologique le risque ne s'accroît pas. C'est d'ailleurs l'objet d'une étude qui est menée par Santé publique France et qui s'appelle Complidon. Aujourd'hui, le risque théorique de transmission du VIH au moment d'une transfusion est extrêmement faible, de l'ordre de 1 sur 6 millions de cas, et nous n'avons pas eu de cas avéré depuis 2005.

En tout cas, nous ne devons pas tant juger de l'ouverture du don sur des choix sexuels que sur des comportements à risques. Nous devons donc améliorer la détermination de ces comportements et la prise en charge individuelle. Donner son sang est un acte de solidarité et de générosité destiné à une ou plusieurs personnes ; il faut donc, en donnant son sang, que chacun s'interroge sur sa vie et sur les risques qu'il fait courir à ces personnes. Cela passe par la sexualité, mais aussi par les voyages. Chacun doit par exemple se demander, si ses voyages l'ont amené dans un pays qui connaît le paludisme, le zika ou une autre maladie de ce type.

Monsieur Savary, l'EFS ne produit pas de médicaments dérivés du plasma, mais il existe effectivement des projets pour collecter du plasma de personnes convalescentes du covid-19 pour fabriquer des immunoglobulines qui seraient le cas échéant efficaces contre le virus.

Madame Jasmin, aucun territoire de la République ne doit être exclu du don du sang, mais nous devons absolument vérifier les conditions épidémiologiques pour ne pas remettre en cause la sécurité des receveurs. Nous avons interrompu la collecte en Guyane en 2005 en raison de la progression de l'épidémie de Chagas en provenance du Brésil. Mayotte est dans la même situation que la Guyane. Fin janvier dernier, le directeur général de la santé a écrit à Santé publique France pour lui demander une étude sur la réalité épidémiologique de ces deux départements.

En ce qui concerne les personnes atteintes de drépanocytose, il faut savoir que l'Île-de-France a le nombre de malades le plus important de France. La République doit améliorer la collecte pour disposer de phénotypes qui correspondent à ces malades. Le conseil transfusionnel que peut donner l'EFS aux cliniciens est d'autant plus important qu'un drépanocytaire n'a souvent comme seule solution que de recourir à des transfusions pour continuer à vivre dans de bonnes conditions.

Au sujet des comités d'entreprise, nous développons déjà des actions de communication envers ces structures. J'ajoute, madame Cabaret, que certaines entreprises permettent à leurs salariés de s'absenter pour donner leur sang.

La situation financière de l'EFS est effectivement préoccupante, car nous avons découvert il y a deux ans que le régime de TVA que nous appliquions depuis vingt ans était contraire à la réglementation européenne, ce qui a entraîné un coût de 80 millions d'euros pour l'EFS. Nous avons travaillé avec les ministères concernés pour trouver des solutions, mais celles-ci ne permettent de couvrir que la moitié de cette somme et on nous a demandé de trouver le reste par nous-mêmes... Une subvention exceptionnelle de 40 millions nous a quand même été versée, mais elle est censée diminuer de 10 millions d'euros chaque année - cette diminution n'a cependant pas eu lieu en 2020.

Je disais précédemment que l'efficience fait partie de l'éthique et je comprends que nous devions faire des économies - le plan actuel prévoit d'ailleurs un montant de 50 millions d'euros sur cinq ans -, mais nous ne pourrons pas rééquilibrer nos comptes sans une revalorisation des tarifs. J'ajoute que la période que nous venons de vivre a naturellement occasionné des coûts supplémentaires liés aux mesures que nous devons prendre pour lutter contre le covid-19.

Un dernier mot : l'engagement citoyen est absolument essentiel et j'ai été très touché de voir la mobilisation des donneurs de sang après les attentats, que ce soit à Paris, Nice ou Strasbourg. Le don est anonyme, mais c'est aussi un geste politique d'appartenance à une communauté nationale.

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