professeur d'éthique médicale, faculté de médecine, président du Conseil pour l'éthique de la recherche et l'intégrité scientifique de l'université Paris-Saclay, directeur de l'Espace éthique de la région Île-de-France. - Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'associer à votre réflexion, dont nous attendons beaucoup. L'approche éthique est une approche démocratique, qui a été au rendez-vous. Le Président de la République a fait le choix courageux de prendre en compte les vulnérabilités, ce qui a suscité de nombreux débats sur l'impact économique et sociétal. Mais la concertation a fait défaut, et nous l'attendons.
Nous avons la chance de bénéficier d'un Conseil scientifique Covid-19 présidé par le président du Comité national consultatif d'éthique, Jean-François Delfraissy, qui rend des avis tout à fait importants. Le 27 juillet dernier, il a soulevé, dans son avis, trois questions éthiques de fond, à savoir la gouvernance opérationnelle - information, acceptabilité du débat, concertation -, l'actualisation de la concertation, toujours chaotique et décevante aujourd'hui, et la participation citoyenne. À cet égard, permettez-moi de faire référence aux années sida, avec la mobilisation du tissu social et associatif.
Je vous présenterai un court diaporama. En matière d'éthique, il n'est pas possible de parler de manière distancée, chacun ayant ses conceptions et ses valeurs. Celles de notre République ont été en grande partie défendues par l'État, les professionnels de santé, mais aussi l'ensemble de la société, on ne l'a pas assez souligné. Vous retrouverez le plan de mon intervention dans le diaporama.
S'agissant des principes, je conteste l'affirmation selon laquelle on ne pouvait pas se préparer. D'ailleurs, certains se sont préparés. La vraie question est de savoir s'ils ont été sollicités, notamment dans le champ éthique.
Un consensus sur des valeurs éthiques partagées sera indispensable pour préserver la cohésion de la société, dont certains indices peuvent aujourd'hui nous faire douter.
Dans son avis remarquable du 5 février 2009 intitulé Questions éthiques posées par une possible pandémie grippale, le CCNE affirme : « La préoccupation de l'Espace éthique de l'AP-HP rejoint celle des deux instances élaborant conjointement le plan pandémie grippale en France, qui soulignent l'importance de construire ce plan sur des valeurs éthiques partagées. » Qu'avons-nous mis en place à cet égard, tant aux niveaux sociétal que professionnel ?
Une situation aussi exceptionnelle pourrait conduire à remettre en question la hiérarchie des valeurs qui fondent les recommandations relatives à l'éthique, notamment dans le domaine de la santé. Faut-il aller jusqu'à considérer la remise en question de la hiérarchie de nos valeurs comme une exigence éthique ? C'est une question fondamentale : l'éthique doit être non pas distante de la réalité, mais incarnée et concrète, pour assumer des responsabilités.
À cet égard, je vous fais part de toute ma reconnaissance d'avoir associé mon intervention à celle de Sophie Crozier, qui est non seulement docteur en médecine, mais aussi docteur en éthique. Elle fait partie des personnes qui, sur le terrain, savent défendre des valeurs face à des choix souvent redoutables.
Comment hiérarchise-t-on des choix ? Au nom de quels principes et de quelles valeurs ? Quelle pédagogie sociale et quelle pédagogie professionnelle sont-elles nécessaires pour mobiliser ce type de discernement ?
« Le contexte, quel qu'il soit, ne peut modifier les principes éthiques, même si une situation inédite comme celle provoquée par la lutte contre l'épidémie peut contraindre seulement à les hiérarchiser provisoirement, mais de manière argumentée en toute transparence. »
Le discernement, c'est d'abord l'argumentation et la pluralité des points de vue. On parle d'ailleurs de collégialité dans la décision. Dès lors, pourquoi ne pas associer les représentants des malades, qui ont été totalement exclus, victimes d'un véritable déni de démocratie sanitaire, comme je l'ai montré dans un article publié dans Le Monde en juillet dernier ?
Dans le numéro de juin de la revue Espace éthique Île-de-France, nous proposions : « Face à l'imprévisible : prévoir s'adapter, inventer ». Mais où est le retour d'expérience ? Peut-être est-il confiné entre experts gouvernementaux ! Pourtant, certaines personnes ont été héroïsées, valorisées, par rapport à des engagements forts.
Depuis 2006, l'Espace éthique publie une revue scientifique, PandÉmiqueS, qui est en ligne sur notre site. Nous avons donc fait preuve d'anticipation, tout comme l'équipe de Roselyne Bachelot, qui avait une vraie appétence pour les questions éthiques. Quant à Xavier Bertrand, il avait créé un Comité d'initiative et de vigilance civiques sur une pandémie grippale et les autres crises sanitaires exceptionnelles. Malheureusement, cette structure n'a duré qu'un an.
Nous avons également publié un ouvrage collectif important en 2009, intitulé Pandémie grippale : l'ordre de mobilisation, que je vous invite à lire. À peu près tout ce qui s'est passé avait été anticipé dans une approche mêlant sciences humaines et sociales. Quelle a été la sollicitation des représentants des sciences humaines et sociales pour éclairer le discernement et les arbitrages politiques ?
J'ai également participé à un retour d'expérience sollicité par la Commission européenne, qui comportait des propositions concrètes, précises et consensuelles.
Dès février-mars, l'équipe de l'Espace éthique, soit sept personnes, qui s'appuient sur un réseau national de professionnels et d'associatifs, ont suivi au quotidien certains sujets concrets et urgents, avant de publier une première synthèse de leurs travaux. Permettez-moi d'en présenter le sommaire.
Avec la question des Ehpad, que nous avons suivie avec beaucoup d'attention, nous sommes au coeur de ce dispositif. Par ailleurs, les situations de handicap ont également constitué un sujet fondamental. Nous nous sommes aussi penchés sur la précarité, les personnes migrantes et les sans-abri, pour qui les valeurs de notre République ont été scandaleusement mises de côté. Autres questions importantes, l'aide à la décision en situation d'urgence ou de crise, ainsi que l'éthique et les décisions en réanimation.
Nous avons été sollicités pour la première fois par des instances gouvernementales le 16 mars, Grégory Émery, conseiller à l'époque du ministre de la santé, m'ayant demandé un certain nombre d'éléments d'argumentation. Nous avons composé un groupe de travail avec une trentaine de personnes très représentatives du milieu de la réanimation. Nous n'avons pas été dans l'improvisation, qu'il s'agisse de la fin de vie ou des décisions de limitation et d'arrêt de traitement. On ne peut pas dire aujourd'hui que les professionnels ont eu besoin d'inventer l'éthique ! Certes, certains ont été un peu surpris par les événements. Quoi qu'il en soit, les référentiels sont là, et les sociétés savantes se sont mobilisées avec beaucoup de véhémence et d'intelligence.
Attitudes, pratiques en fin de vie et après le décès : le docteur Crozier a évoqué tout à l'heure le midazolam, à propos duquel j'ai saisi le CCNE. Nous nous sommes aussi penchés sur la cérémonie funéraire, sur nos valeurs et nos symboles.
Autres points : communication et médiation en temps de crise et projet de recherche Covid-Ethics. Nous ne sommes pas dans l'éthique « d'en haut », mais dans l'éthique « d'en bas », de terrain, enracinée dans le sol. Nous avons eu énormément d'appels téléphoniques, mais nous ne faisons pas de la consultation en matière d'éthique. Quand une équipe est en difficulté, on identifie la question et on la met en contact avec d'autres équipes qui ont une expertise. Néanmoins, l'urgence éthique a parfois justifié des déplacements, et nous avons visité un certain nombre d'établissements. Ainsi, nous organisons avec le Conseil régional d'Île-de-France, les 7 et 8 octobre, un grand colloque de retour d'expérience.
Je tiens à le souligner, la seule instance publique qui m'ait sollicité en tant que directeur de l'Espace éthique est le Conseil régional d'Île-de-France. Je n'ai eu de contact qu'à trois reprises avec Valérie Pécresse, qui a monté un conseil stratégique Covid, auquel je participe et qui tient compte de manière évidente des questions éthiques et sociétales. Par ailleurs, Jean-François Delfraissy m'a demandé de participer à la réflexion dans le cadre de l'avis qu'il a rendu. En outre, nous avons publié, avec l'ARS Île-de-France et les associations, un document important.
Dans les semaines et les mois qui viennent, nous aurons des éléments encore plus tangibles à porter à votre connaissance, si vous le souhaitez. Dans la mesure où les instances publiques ne nous ont pas sollicités, nous avons publié 24 articles dans la presse grand public et nous avons été invités à un grand nombre de plateaux télé. Il y avait donc une audience pour les questions d'éthique, mais ce qui s'est passé dans la sphère des médias ne s'est pas reproduit avec les instances publiques.
Dans le diaporama, vous pouvez lire les titres des articles que nous avons publiés. Il ne s'agissait pas d'articles généraux sur l'éthique, mais d'articles s'intéressant à des sujets concrets, notamment aux renoncements en matière éthique et juridique.
L'Espace éthique a été saisi par le CCNE à propos des pratiques de sédation terminale dans le contexte du Covid-19. Je rends hommage au Comité consultatif national d'éthique pour ses avis transitoires et sa réactivité. Je suis fier de notre société, qui bénéficie d'instances aussi réactives. Nous avons également créé un site grand public, où l'on trouve environ 90 articles représentatifs de toutes les questions éthiques qui se sont posées dans le cadre de la pandémie.
Sera publié fin septembre un ouvrage collectif de 900 pages, intitulé Pandémie 2020 Ethique, société, politique, qui comporte 99 articles couvrant absolument tout le champ des enjeux éthiques sociétaux.
Concernant la gouvernance et les pratiques du soin, il est tout à fait déplorable d'entendre certains appeler à une invention de l'éthique, alors qu'il existe tout un ensemble de textes de référence, tout un ensemble de principes, qu'il suffit de mettre en oeuvre.
Je vous prie de m'excuser, j'ai un problème technique avec le diaporama.