Intervention de Emmanuel Hirsch

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 2 septembre 2020 à 9h35
Table ronde sur les aspects éthiques

Emmanuel Hirsch, président du Conseil pour l'éthique de la recherche et l'intégrité scientifique de l'université Paris-Saclay, directeur de l'Espace éthique de la région Île-de-France :

Si la partie introductive de mon propos a pu paraître un peu abrupte, je souhaitais la pondérer avec des textes de référence. J'ai beaucoup d'admiration pour les décideurs publics, auxquels je pose une question, sans les remettre en cause : pourquoi n'ont-ils pas adossé leur action sur des gens qui auraient pu leur donner des éléments d'arbitrage ? En effet, un certain nombre d'instances auraient pu apporter, dans le cadre d'une consultation, un peu plus ouverte, certaines analyses.

Pour nombre d'entre nous, la référence est celle des années sida, qui ont été vécues comme une aventure douloureuse, qui a donné lieu à une mobilisation de la société et à une inventivité médicale et scientifique sans précédent. Françoise Barré-Sinoussi et Jean-François Delfraissy étaient aux manettes dans différents domaines de l'expertise, ce qui témoigne à la fois d'une conscience éthique d'enjeux nationaux et planétaires et d'un sens de la relation à la personne malade et au milieu associatif.

J'avais ainsi proposé que le Conseil national du sida et des hépatites virales soit saisi, avec le Comité consultatif national d'éthique. Cette instance a une réputation et un savoir- faire qui auraient pu nous éclairer.

Dans les années sida, il y a eu une mobilisation associative. Rappelez-vous, en 1984, la création de l'association Aides par Daniel Deferre. Rappelez-vous aussi que les intellectuels et la société civile étaient présents au travers d'un certain nombre de représentants. Or, pendant le confinement, les intellectuels ont été peu présents, si ce n'est pour critiquer, de manière très contestable. Aujourd'hui, on a l'impression d'un chacun pour soi, alors qu'à l'époque la dimension politique de la pandémie était guidée par des intérêts supérieurs. Il y a aujourd'hui des associations de victimes du Covid-19, mais nous ne sommes qu'au début de la réalité du Covid et il n'y a pas encore de véritable projet.

Sans doute y a-t-il eu également des maladresses : était-ce à l'État d'intervenir aussi directement dans tous les domaines, de manière prescriptive et parfois paternaliste, avec toutes les contradictions qui ont émaillé, par exemple, les discussions sur le masque ?

S'agissant de la représentativité, les CRSA, les conférences régionales de la santé et de l'autonomie, étaient désespérées de ne pas pouvoir se concerter au moment où leur expertise et leur représentativité auraient permis d'apporter quelque chose. L'Espace éthique était le réceptacle au quotidien de ce que vivaient les professionnels et les personnes malades, qui était inaudible.

On a pris des décisions, sans toujours les suivre, en les pondérant parfois. Je pense notamment à ce qui s'est passé pour les personnes autistes. Comment expliquer cette inintelligence du réel, qui aurait pu être corrigée par des expertises ?

La démocratie sanitaire, avec la loi du 4 mars 2002, a permis de développer des savoirs expertaux, lesquels, fort heureusement, se sont exprimés. Qu'est-ce qu'un savoir utile dans le contexte d'une pandémie et de quelle manière le reconnaître et l'intégrer ? Si j'avais été Premier ministre, j'aurais organisé une concertation avec les acteurs de terrain, dont j'aurais tiré un travail de pédagogie. Aujourd'hui, les gens sont sans repères, ils ne se sont pas approprié les données de la crise. Je mets en cause un confinement intellectuel : pourquoi les propositions formulées notamment par Jean-François Delfraissy ont-elles été sans suite ?

Concernant l'expertise scientifique, l'enjeu est fondamental. Il y a des règles et des principes, et il est primordial de préserver un rapport de confiance entre la société et les scientifiques. Or on a créé une ambiance de désarticulation, dont nous aurons du mal à surmonter les conséquences dans les mois qui viennent.

Il aurait fallu réunir tous les comités d'éthique des organismes scientifiques, afin de rendre immédiatement une résolution. L'Office français de l'intégrité scientifique aurait pu aussi être saisi, et je ne vous parle pas du Conseil national de l'ordre des médecins concernant les aspects déontologiques.

Aujourd'hui, l'OMS et la déclaration d'Helsinki sur la recherche médicale admettent, dans les situations d'urgence, des approches compassionnelles argumentées, ce qui n'est pas contradictoire avec des approches expérimentales en vue d'une évaluation.

Nous avons également un interlocuteur marseillais, dont les compétences épistémologiques, mais aussi dialectiques sont grandes. Il s'agit non pas uniquement des décisions scientifiques qu'il prend, mais de toute la déstabilisation d'une société.

En conclusion, je rends hommage à tous les professionnels qui ont sauvé des vies humaines, dans le cadre de protocoles un peu discutables. L'éthique de la recherche, l'éthique de l'intégrité scientifique, renvoie vraiment aux valeurs de la République. Je le rappelle, lors du dernier G7, l'Académie nationale des sciences a rendu un avis sur l'intégrité scientifique et la démocratie.

On ne pourra pas se permettre de refaire ce qui a été fait. La décision du confinement a été assumée dans le cadre d'un arbitrage courageux. En matière d'éthique, il convient de toujours envisager les conséquences.

Dans une situation de crise, nous sommes tous vulnérables, non pas éthiquement, mais politiquement. La démocratie est directement en cause. Dans une situation de danger plus ou moins bien identifiée, c'est notre cohésion et notre cohérence qui sont menacées. J'attends donc des politiques qu'ils adossent leurs décisions sur des relais, afin que ces dernières soient mieux intégrées par la population.

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