Monsieur Jomier, en tant que médecin et politique, vous avez certainement la réponse à la question que vous avez posée.
Concernant la démocratie sanitaire, la loi du 4 mars 2002 est une conquête des années sida, qu'on le veuille ou non. Elle a pris naissance dans le cadre d'un débat démocratique et d'initiatives qui ont permis de redéfinir les légitimités. Si j'avais une suggestion à vous faire, ce serait d'actualiser cette loi en fonction de ce qui s'est passé, notamment pour reconnaître des droits aux personnes représentatives dans le contexte d'une pandémie ou d'une crise sanitaire. J'actualiserais également la loi du 2 février 2016 sur la fin de vie, dont on connaît les écueils et les carences.
J'attends également beaucoup de l'évolution législative s'agissant des Ehpad et des personnes en situation de perte d'autonomie. N'oublions pas l'esprit de fraternité et d'engagement démocratique de malades qui disaient « il y a plus malade que moi ».
Par ailleurs, le triage a fait l'objet d'évolutions intéressantes, puisque, progressivement, dans les régulations du SAMU, on a intégré la compétence de gériatres.
En outre, certains Ehpad se sont autocensurés et n'ont pas fait appel aux services d'urgence. À ce titre, la pandémie a été révélatrice de l'image que la société se fait de ses vulnérabilités, pour ne pas dire de ses marginalités.
Selon moi, les décideurs politiques ont plutôt bien agi, dans la mesure où leurs marges de manoeuvre étaient très limitées. Les discours politiques étaient empreints d'une valeur morale tout à fait exemplaire. Sans doute des positions éthiques ont-elles éclairé nos politiques, leur permettant d'ajuster certaines décisions initiales. Le clair-obscur ne peut déboucher que sur des controverses, comme cela a été le cas pour le masque.
Ne l'oublions pas, certaines décisions ont une plus grande valeur symbolique que d'autres. Par exemple, pour ce qui concerne les transferts, il ne s'agissait pas uniquement d'un problème de santé publique, mais aussi de communication : nous avions besoin de voir que l'État agissait et faisait preuve d'une certaine inventivité.
Malheureusement, la pandémie intervient après les gilets jaunes, c'est-à-dire dans un contexte de crise de légitimité, de défiance, de suspicion, de crainte de manipulation voire d'instrumentalisation de la crise.
Mon sentiment personnel, c'est que les décideurs politiques, les responsables de l'État, ont assumé trop directement un certain nombre de décisions. Ils auraient pu se reposer sur d'autres autorités. Décider du détail de tout, d'une manière évolutive, n'est pas propre à rassurer.
En termes de visibilité de la décision politique, les arguments ont manqué, même si nous avons assisté à de très belles prises de position d'Édouard Philippe, qui a fait preuve de pédagogie. Il reste aujourd'hui crédible, ne serait-ce que parce qu'il a donné le sentiment de respecter le public dans sa capacité de comprendre et de s'approprier un certain nombre de questions.
La vraie question est la suivante : sommes-nous, en tant que citoyens, vraiment acteurs de la lutte ? Avons-nous compris les enjeux en termes d'intérêt général et d'intérêt supérieur ? De ce point de vue, l'échec me paraît total. Si les choses évoluent mal, nous vivrons une crise de délitement de la cohésion de notre société. D'ailleurs, un certain nombre de personnes sont prêtes à sortir du bois pour utiliser une telle situation .
Par conséquent, comment responsabiliser les acteurs et reconnaître la multiplicité des compétences et l'esprit d'initiative du terrain ? Notre Premier ministre semble avancer dans cette direction. Je comprends mal pourquoi on n'a pas pris en compte cette intelligence du réel détenue par les gens qui sont sur le terrain. Pourquoi ne pas avoir lancé des états généraux ou des consultations sur internet ? À ma profonde stupéfaction, cela n'a pas été fait.
Pour finir, je dirai que j'ai confiance dans l'État, dans nos responsables, non pas par conviction, mais par nécessité. Ce qui manque aujourd'hui, c'est un projet.
L'application StopCovid fait partie de vos préoccupations. Je suis membre du comité pilote d'éthique du numérique. Lorsque j'observe la défiance à l'égard de cet outil, je me dis que cette construction théoriquement intéressante par des gens de très grande qualité a aujourd'hui toutes les chances d'aboutir à un flop. Quand on est dans une situation d'urgence et d'intérêt national, les susceptibilités concernant des données confidentielles qui sont partagées toute la journée sur internet pourraient être revues. Malheureusement, il n'existe pas de parole publique pour étayer cette position, dérogatoire à des valeurs transcendantes. Si j'admire les politiques qui sont aux commandes, je les admirerais davantage s'ils s'employaient à discuter et à tenir compte de l'expertise de la société.