Je vous remercie pour toutes ces questions. Concernant la communication sur les équipements de protection individuelle, elle pose la question éthique de la désobéissance à des ordres absurdes. C'est une question qui n'est pas nouvelle. On se la pose régulièrement dans nos pratiques soignantes. J'espère que cette crise va nous conduire à être en capacité d'interroger des consignes absurdes. Si on avait un doute sur la contagiosité du virus alors il fallait se protéger. Les Italiens ont vite réagi en disant qu'il fallait se protéger le visage, même avec un bout de tissu. Début mars, il n'y avait pas de consigne de port du masque pour les soignants dans mon service. C'est à ce moment-là que des soignants ont été contaminés. La question est aussi de savoir si les responsables politiques ne se sont pas défaussés sur des médecins pour prendre des décisions et les médecins n'ont pas toujours émis des recommandations basées sur le principe de précaution.
Sur les questions de logement et d'hébergement, je n'ai pas de compétence mais cela pose évidemment des questions éthiques. Ce sujet me fait penser à la question de la priorisation des équipements de protection. Ils ont été donnés d'abord à l'hôpital mais au sein même de l'hôpital, on nous culpabilisait de les utiliser. On se disait que certains services en avaient plus besoin que nous. On a donc mal fait, en réutilisant les masques par exemple, car nous avions intégré le fait qu'il y avait une pénurie.
Sur le système hospitalier, les problèmes qui se posent aujourd'hui dépassent la crise sanitaire. C'est le moment de revoir ce système, de revoir l'accès aux soins. La gouvernance du système hospitalier est une question essentielle sur laquelle il va vraiment falloir avancer.
La concurrence entre les pompiers et le Samu est un problème politique, même s'il peut poser des questions éthiques. Sur les éventuelles pertes de chances liées aux transferts de patients, il faudra évidemment savoir ce qu'il en a été. Par ailleurs, toute la dimension psychologique de la crise devra être étudiée.
La question du traçage des patients a émergé dans un climat de méfiance et de défiance, ce qui peut expliquer que très peu de personnes ont adhéré à ce dispositif. Il y a là une question de communication et de verticalité de la décision.
Sur la définition de l'expert, on pourrait y passer des heures. S'agissant de la communication de crise en général et de l'attribution du qualificatif d'expert, il y a une responsabilité des médecins et il faudra absolument qu'on s'interroge pour ne pas reproduire ces discours contradictoires.
La parole publique a effectivement eu un effet sur le renoncement aux soins. Si cette crise peut apporter des améliorations dans les échanges entre la médecine de ville et l'hôpital ce sera très bénéfique. Une autre source du renoncement aux soins vient du fait que les patients ne voulaient pas déranger les médecins en pleine crise. Il y a donc eu une part d'autocensure.