Intervention de Isabelle Derrendinger

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 2 septembre 2020 à 14h30
Table ronde avec des ordres des professions de santé

Isabelle Derrendinger, secrétaire générale du Conseil national de l'ordre des sages-femmes :

Je remercie tout d'abord mes collègues de me permettre de représenter les 24 000 sages-femmes de France.

La France a traversé et traverse la plus grande crise sanitaire qu'elle ait connue depuis plus d'un siècle. Pour lutter contre la covid-19, des mesures exceptionnelles ont été prises. Le monde s'est confiné, le système de santé s'est réorganisé et l'industrie s'est réorientée. Pendant cette période hors du commun, les sages-femmes ont continué leur activité. À la question « Ont-elles fermé leur cabinet ? », je peux répondre d'ores et déjà « non », malgré des conditions particulièrement complexes. Alors que la crise a imposé une interruption de l'activité médicale non urgente dans son ensemble, soulignons que l'obstétrique ne se déprogramme pas et, de facto, ne se reporte pas.

Je veux profiter de l'occasion qui m'est donnée pour remercier mes consoeurs les sages-femmes et saluer leur professionnalisme sans faille. Il est indispensable d'exposer les conditions complexes dans lesquelles elles ont été amenées à exercer. Il s'agit de répondre aux conditions de la crise actuelle, ainsi que des prochaines crises sanitaires, et d'améliorer la prise en charge de la santé des femmes.

Tout d'abord, l'accès aux équipements de protection individuelle a été chaotique et cacophonique pour l'ensemble des professionnels de santé, encore plus pour les sages-femmes. Le 28 février dernier, le Conseil national de l'ordre a alerté les autorités de santé sur les problématiques d'accès au matériel de protection pour les sages-femmes et a reçu une réponse rassurante.

Le 14 mars a été publié un arrêté permettant aux sages-femmes de bénéficier des stocks nationaux, au même titre que les autres professionnels de santé. Mais, quarante-huit heures plus tard, un nouvel arrêté est venu contredire le premier, puisqu'il ne mentionnait pas les sages-femmes. Le Conseil national a alors saisi en urgence le cabinet du ministre et la Direction générale de la santé (DGS) pour rectification. Le soir même, un message urgent de la DGS était publié. Néanmoins, la dotation était symbolique, puisque, à ce moment-là, n'étaient octroyés que six masques par semaine aux sages-femmes exerçant dans les zones à risque.

Pour rappel, le Haut Conseil de la santé publique avait classé les femmes ayant atteint le troisième trimestre de la grossesse comme patients vulnérables, et ce dès le 14 mars. Pour rappel encore, les sages-femmes n'ont pas interrompu leur activité. Elles ont été amenées à prendre en charge des patients atteints du covid.

Cette dotation de six masques par semaine ne s'est étendue à l'ensemble des sages-femmes du territoire français que le 25 mars. Elle est passée à dix-huit masques le 20 avril, puis à vingt-quatre masques au moment du déconfinement.

Ainsi, au plus fort de la crise, les sages-femmes n'ont eu accès qu'à un nombre plus que restreint de masques, ce qui a marginalisé la profession et, par extension, la santé des femmes. Ajoutons qu'aujourd'hui encore les sages-femmes ne bénéficient toujours pas de masques FFP2 pour prendre en charge les femmes covid+.

Par ailleurs, la prise en compte de la périnatalité par les pouvoirs publics a été tardive. En conséquence, les sages-femmes et les maternités se sont organisées difficilement, avec des protocoles aléatoires. La question de la place de l'accompagnant pendant l'accouchement a crispé les débats et stressé les femmes et les couples. Les réponses concernant la périnatalité ont été publiées tardivement, à savoir le 1er avril, et n'ont pas été actualisées au moment capital du déconfinement, en raison d'un blocage lié à la stratégie de dotation en masques FFP2 pour les sages-femmes.

Par ailleurs, si l'exercice de communication du ministère des solidarités et de la santé était difficile, du fait de la progression rapide de l'épidémie et de l'évolution quotidienne des connaissances, il est devenu quasiment impossible. La confusion de la communication politique et scientifique a conduit à la cacophonie, à la perte de repères et à la décrédibilisation de la parole publique.

Dans ce contexte, l'ordre des sages-femmes, à l'échelon tant national que local, s'est organisé pour soutenir les sages-femmes dans leur pratique, afin de garantir une prise en charge sécurisée et de qualité des femmes et des nouveau-nés et de défendre les droits des femmes. L'ordre a participé à la régulation des pratiques. Dès le 15 mars, nous avons adopté des consignes gouvernementales en recommandant aux sages-femmes de maintenir leur activité, tout en reportant certains soins non urgents. Nous avons publié un guide de bonnes pratiques, toujours en vigueur, dans le cadre du déconfinement.

Dès le début de la crise, la principale préoccupation de l'ordre a été la communication. Devant des informations évolutives et parfois contradictoires, afin de limiter la confusion, le Conseil a choisi de temporiser, en recoupant et centralisant les informations provenant de différentes sources. Nous avons ainsi mis en place une communication multimodale, pour informer directement l'ensemble des sages-femmes. Dans l'enquête flash du Collège national des sages-femmes de juillet 2020, les newsletters de l'ordre et les communiqués « DGS-Urgent » ont été les principales sources d'information des sages-femmes. L'ordre a joué un rôle de veille et d'alerte à destination des autorités, en relayant les demandes, les craintes, les questions des sages-femmes. Ainsi, nous sommes intervenus pour obtenir le remboursement de la télémédecine ou des dotations d'équipement de protection.

Historiquement engagé pour défendre les droits des femmes, l'ordre s'est mobilisé pour augmenter les délais légaux d'accès à l'IVG pendant la crise. Les droits des femmes ne doivent pas reculer. Les sages-femmes ont contribué à maintenir l'accès à la contraception et à l'IVG, afin de garantir aux femmes la possibilité disposer de leur corps.

Durant la phase aiguë de la crise, les sages-femmes ont oeuvré sans ménagement, dans des conditions complexes quotidiennes. Elles ont ainsi accompagné près de 120 000 naissances pendant ces deux mois de confinement. L'activité obstétricale ne se déprogramme pas.

Fatiguées par la crise sanitaire et leur marginalisation dans la gestion de cette crise, la lassitude des sages-femmes est aujourd'hui renforcée par les conclusions du Ségur de la santé. Elles se sentent plus que jamais oubliées et méprisées par les pouvoirs publics.

Dr Serge Fournier, président du Conseil national de l'ordre des dentistes. - Pour nous, cette crise a pris un aspect particulier, pour deux raisons : d'une part, nous étions et nous sommes toujours la profession la plus exposée aux risques de contamination ; d'autre part, notre exercice est à 95 % de nature libérale.

J'ai été l'un des présidents qui, le 16 mars dernier, ont demandé à l'ensemble de la profession de fermer les cabinets, pour des raisons de sécurité. Parallèlement, l'ordre national et les ordres régionaux et départementaux ont instauré un service de garde sur le territoire métropolitain et outre-mer. Nous avons également mis en place un numéro d'appel de service de garde national. Au cours de cette période, nous avons parfaitement ressenti que tout a reposé sur les ordres, qui ont assuré la gestion de la crise en totale autonomie.

Nous avons beaucoup à dire, notamment sur la gestion de la crise par les pouvoirs publics. Si nous n'avons pas de diaporama à présenter, nous avons transmis un lien donnant accès à la dernière revue dans laquelle les secrétaires généraux et moi-même retraçons toute l'histoire de la crise.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion