Notre audition de cet après-midi est consacrée aux ordres des professions de santé.
Nous entendons cet après-midi M. Patrick Chamboredon, président du Conseil national de l'ordre des infirmiers, Mme Isabelle Derrendinger, secrétaire générale du Conseil national de l'ordre des sages-femmes, Dr Serge Fournier, président du Conseil national de l'ordre des dentistes, Mme Pascale Mathieu, présidente du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Conseil national de l'ordre des médecins, et Dr Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens.
Dans les premiers temps de la crise sanitaire, de nombreux professionnels de ville n'ont pas été en mesure de remplir leur rôle de premier recours, comme cela aurait dû être le cas s'agissant d'une épidémie pour laquelle les formes graves sont l'exception et ciblent des catégories de la population bien identifiées. Les causes en sont diverses : crainte des patients, défaut d'équipement et crainte des professionnels. Elles ont conduit les ordres à préconiser dans certains cas de fermer les cabinets.
Dans quelles conditions aurions-nous pu maintenir une activité à un meilleur niveau, comme cela a été le cas en Allemagne ? Quel retour d'expérience les ordres ont-ils tiré des premiers temps de la crise sanitaire ? Nous réserverons une place particulière aux pharmaciens, pour lesquels la problématique des équipements de protection est très spécifique. Qui est responsable de ces approvisionnements pour les professionnels ? À quel niveau doit-on stocker ces équipements ? Qui doit les financer ?
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Chamboredon, Mme Isabelle Derrendinger, M. Serge Fournier, Mme Pascale Mathieu, M. Jean-Marcel Mourgues, Mme Carine Wolf-Thal prêtent serment.
Alors que le nombre d'infirmiers est de 700 000, seulement 350 000 professionnels sont inscrits à l'ordre. Nous possédons toutefois une vraie représentativité, d'autant que nous avons réalisé un grand nombre d'enquêtes durant la crise sanitaire.
Autre particularité, un tiers des infirmiers exercent en libéral et deux tiers sont salariés du public ou du privé.
Durant la période de confinement, les professionnels ont continué à se rendre au domicile des patients, pour assurer la continuité des soins. Ils ont pris en charge les patients atteints du covid. Pour ce qui concerne le secteur hospitalier, ils se sont mobilisés, comme en ont témoigné les images transmises à la télévision, pour renforcer les services de réanimation.
Je remercie tout d'abord mes collègues de me permettre de représenter les 24 000 sages-femmes de France.
La France a traversé et traverse la plus grande crise sanitaire qu'elle ait connue depuis plus d'un siècle. Pour lutter contre la covid-19, des mesures exceptionnelles ont été prises. Le monde s'est confiné, le système de santé s'est réorganisé et l'industrie s'est réorientée. Pendant cette période hors du commun, les sages-femmes ont continué leur activité. À la question « Ont-elles fermé leur cabinet ? », je peux répondre d'ores et déjà « non », malgré des conditions particulièrement complexes. Alors que la crise a imposé une interruption de l'activité médicale non urgente dans son ensemble, soulignons que l'obstétrique ne se déprogramme pas et, de facto, ne se reporte pas.
Je veux profiter de l'occasion qui m'est donnée pour remercier mes consoeurs les sages-femmes et saluer leur professionnalisme sans faille. Il est indispensable d'exposer les conditions complexes dans lesquelles elles ont été amenées à exercer. Il s'agit de répondre aux conditions de la crise actuelle, ainsi que des prochaines crises sanitaires, et d'améliorer la prise en charge de la santé des femmes.
Tout d'abord, l'accès aux équipements de protection individuelle a été chaotique et cacophonique pour l'ensemble des professionnels de santé, encore plus pour les sages-femmes. Le 28 février dernier, le Conseil national de l'ordre a alerté les autorités de santé sur les problématiques d'accès au matériel de protection pour les sages-femmes et a reçu une réponse rassurante.
Le 14 mars a été publié un arrêté permettant aux sages-femmes de bénéficier des stocks nationaux, au même titre que les autres professionnels de santé. Mais, quarante-huit heures plus tard, un nouvel arrêté est venu contredire le premier, puisqu'il ne mentionnait pas les sages-femmes. Le Conseil national a alors saisi en urgence le cabinet du ministre et la Direction générale de la santé (DGS) pour rectification. Le soir même, un message urgent de la DGS était publié. Néanmoins, la dotation était symbolique, puisque, à ce moment-là, n'étaient octroyés que six masques par semaine aux sages-femmes exerçant dans les zones à risque.
Pour rappel, le Haut Conseil de la santé publique avait classé les femmes ayant atteint le troisième trimestre de la grossesse comme patients vulnérables, et ce dès le 14 mars. Pour rappel encore, les sages-femmes n'ont pas interrompu leur activité. Elles ont été amenées à prendre en charge des patients atteints du covid.
Cette dotation de six masques par semaine ne s'est étendue à l'ensemble des sages-femmes du territoire français que le 25 mars. Elle est passée à dix-huit masques le 20 avril, puis à vingt-quatre masques au moment du déconfinement.
Ainsi, au plus fort de la crise, les sages-femmes n'ont eu accès qu'à un nombre plus que restreint de masques, ce qui a marginalisé la profession et, par extension, la santé des femmes. Ajoutons qu'aujourd'hui encore les sages-femmes ne bénéficient toujours pas de masques FFP2 pour prendre en charge les femmes covid+.
Par ailleurs, la prise en compte de la périnatalité par les pouvoirs publics a été tardive. En conséquence, les sages-femmes et les maternités se sont organisées difficilement, avec des protocoles aléatoires. La question de la place de l'accompagnant pendant l'accouchement a crispé les débats et stressé les femmes et les couples. Les réponses concernant la périnatalité ont été publiées tardivement, à savoir le 1er avril, et n'ont pas été actualisées au moment capital du déconfinement, en raison d'un blocage lié à la stratégie de dotation en masques FFP2 pour les sages-femmes.
Par ailleurs, si l'exercice de communication du ministère des solidarités et de la santé était difficile, du fait de la progression rapide de l'épidémie et de l'évolution quotidienne des connaissances, il est devenu quasiment impossible. La confusion de la communication politique et scientifique a conduit à la cacophonie, à la perte de repères et à la décrédibilisation de la parole publique.
Dans ce contexte, l'ordre des sages-femmes, à l'échelon tant national que local, s'est organisé pour soutenir les sages-femmes dans leur pratique, afin de garantir une prise en charge sécurisée et de qualité des femmes et des nouveau-nés et de défendre les droits des femmes. L'ordre a participé à la régulation des pratiques. Dès le 15 mars, nous avons adopté des consignes gouvernementales en recommandant aux sages-femmes de maintenir leur activité, tout en reportant certains soins non urgents. Nous avons publié un guide de bonnes pratiques, toujours en vigueur, dans le cadre du déconfinement.
Dès le début de la crise, la principale préoccupation de l'ordre a été la communication. Devant des informations évolutives et parfois contradictoires, afin de limiter la confusion, le Conseil a choisi de temporiser, en recoupant et centralisant les informations provenant de différentes sources. Nous avons ainsi mis en place une communication multimodale, pour informer directement l'ensemble des sages-femmes. Dans l'enquête flash du Collège national des sages-femmes de juillet 2020, les newsletters de l'ordre et les communiqués « DGS-Urgent » ont été les principales sources d'information des sages-femmes. L'ordre a joué un rôle de veille et d'alerte à destination des autorités, en relayant les demandes, les craintes, les questions des sages-femmes. Ainsi, nous sommes intervenus pour obtenir le remboursement de la télémédecine ou des dotations d'équipement de protection.
Historiquement engagé pour défendre les droits des femmes, l'ordre s'est mobilisé pour augmenter les délais légaux d'accès à l'IVG pendant la crise. Les droits des femmes ne doivent pas reculer. Les sages-femmes ont contribué à maintenir l'accès à la contraception et à l'IVG, afin de garantir aux femmes la possibilité disposer de leur corps.
Durant la phase aiguë de la crise, les sages-femmes ont oeuvré sans ménagement, dans des conditions complexes quotidiennes. Elles ont ainsi accompagné près de 120 000 naissances pendant ces deux mois de confinement. L'activité obstétricale ne se déprogramme pas.
Fatiguées par la crise sanitaire et leur marginalisation dans la gestion de cette crise, la lassitude des sages-femmes est aujourd'hui renforcée par les conclusions du Ségur de la santé. Elles se sentent plus que jamais oubliées et méprisées par les pouvoirs publics.
Dr Serge Fournier, président du Conseil national de l'ordre des dentistes. - Pour nous, cette crise a pris un aspect particulier, pour deux raisons : d'une part, nous étions et nous sommes toujours la profession la plus exposée aux risques de contamination ; d'autre part, notre exercice est à 95 % de nature libérale.
J'ai été l'un des présidents qui, le 16 mars dernier, ont demandé à l'ensemble de la profession de fermer les cabinets, pour des raisons de sécurité. Parallèlement, l'ordre national et les ordres régionaux et départementaux ont instauré un service de garde sur le territoire métropolitain et outre-mer. Nous avons également mis en place un numéro d'appel de service de garde national. Au cours de cette période, nous avons parfaitement ressenti que tout a reposé sur les ordres, qui ont assuré la gestion de la crise en totale autonomie.
Nous avons beaucoup à dire, notamment sur la gestion de la crise par les pouvoirs publics. Si nous n'avons pas de diaporama à présenter, nous avons transmis un lien donnant accès à la dernière revue dans laquelle les secrétaires généraux et moi-même retraçons toute l'histoire de la crise.
Tous les documents sont les bienvenus ; ils enrichissent notre réflexion.
Je suis très honorée d'être auditionnée dans le cadre de cette commission d'enquête. Il me semble en effet fondamental de faire part à la représentation nationale de ce que nous avons traversé en tant qu'organisateurs de nos professions respectives. Nous nous sommes à certains moments sentis bien seuls, notamment au début de la crise.
Si l'on peut comprendre que la crise était évolutive et qu'il fallait s'adapter jour après jour, ce qu'a par exemple dû faire le ministère des solidarités et de la santé, force est de constater que, très souvent, nous avons dû être les relais vers nos membres, faute d'informations. J'en veux pour preuve l'hygiène dans les cabinets : tout au début de la crise, bien avant que la Direction générale de la santé (DGS) nous donne des renseignements, il a fallu que nous nous débrouillions seuls pour délivrer des consignes claires à nos membres, puisqu'aucune n'était disponible. Moi-même, je m'étais rapprochée de la Société française d'hygiène hospitalière (SF2H), parce que je ne trouvais pas de ressources.
Les ordres ont donc vu leur rôle renforcé et réaffirmé vis-à-vis de leurs membres : ils ont en quelque sorte été les boussoles dans la crise. L'ordre des masseurs-kinésithérapeutes a envoyé des newsletters plurihebdomadaires, des flash actu ; chaque fois que nous avions des renseignements, nous mettions nos sites à jour ; nous avons dû traiter des milliers de questions écrites par internet ; nous avons organisé des Facebook Live. Nous avons dû communiquer énormément, parce que les professionnels étaient perdus.
Notre ordre compte 93 700 professionnels, dont 79 800 libéraux. Nous avons pris la décision, au moins dans les deux premières semaines du confinement, de demander la fermeture des cabinets. Cela n'était en aucun cas l'arrêt des soins, puisque nous avons recommandé à nos membres de poursuivre les soins à domicile non reportables et les soins urgents. Nous leur avons demandé de décider par eux-mêmes des soins qu'ils devaient mettre en oeuvre : si une entorse de cheville n'est pas une urgence, elle peut l'être chez un patient porteur d'un Parkinson en perte d'autonomie.
Si les 79 800 libéraux n'accomplissaient ne serait-ce que dix actes par jour, cela revenait à faire se déplacer quasi 800 000 personnes. Nous considérions que ce n'était pas raisonnable en période de confinement. Il nous a donc paru nécessaire d'adapter nos consignes. Nous les avons assouplies au bout de deux semaines, car il n'est pas toujours possible de reporter certains actes plus longtemps.
Cette crise a mis en exergue plusieurs éléments que je dénonce depuis des années, notamment le manque de kinésithérapeutes dans les établissements de santé. J'ai d'ailleurs pris l'initiative d'écrire à la commission des affaires sociales du Sénat tout au début de la crise pour l'alerter sur le fait que la prise en charge des patients serait compromise. D'ailleurs, je pense qu'elle l'a été, non pas en réanimation parce que l'on y trouve des kinésithérapeutes, mais dans les autres services vers lesquels les patients des services de réanimation ont été envoyés quand il y avait trop de bousculade, en raison du manque de kinésithérapeutes.
Nous avons été exclus des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) très tôt, dès le mois de janvier. J'ai alerté les pouvoirs publics et les fédérations d'Ehpad. Je suis très inquiète, car, pour sauver des vies, on a compromis l'autonomie de nombreux patients, ce qui ne se voit pas. Je suis sûre que des patients sont morts, non pas de la covid, mais des conséquences de la sédentarité et de l'absence de kinésithérapie dans les services.
Cette semaine, j'ai dû intervenir, car l'agence régionale de santé (ARS) Occitanie avait donné la consigne d'empêcher les kinésithérapeutes d'accéder aux Ehpad. Alors même que certains médecins coordonnateurs demandaient aux kinésithérapeutes de venir, ceux-ci se voyaient refuser l'entrée de ces établissements par les directeurs d'Ehpad. Cela s'est produit tout au long de la crise et cela recommence encore maintenant. J'ai contacté le ministère des solidarités et de la santé, qui a réagi tout de suite, et l'ARS Occitanie, qui a parlé de surinterprétation des consignes du ministère. Nous sommes là face à une réelle difficulté.
Sur la question des masques, ma collègue sage-femme a fait une présentation exhaustive. Nous étions soumis aux mêmes conditions, c'est-à-dire six masques par semaine, ce qui était ingérable. Nous nous sommes appuyés sur les acteurs locaux - les maires, les présidents de département - plus que sur les ARS, sauf lorsque nous avions des relations privilégiées avec elles et qu'on les connaissait par exemple personnellement.
Nous nous sommes heurtés à d'autres difficultés. Par exemple, des écoles ont refusé les enfants de kinésithérapeutes, parce que la liste des professionnels prioritaires ne précisait pas spécifiquement tous les professionnels de santé.
Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Conseil national de l'ordre des médecins. - L'ordre des médecins représente 307 000 médecins, dont un peu plus de 198 000 en activité régulière et 18 000 en cumul emploi-retraite, à peu près à parts égales entre ceux qui exercent une activité salariée, notamment hospitalière, et ceux qui ont une activité libérale, ce que l'on appelle communément médecine de ville, avec à présent une parité entre nos consoeurs et nos confrères.
Je découperai cette pandémie en trois phases, avec des observations, des constats et des griefs qui parfois se recoupent, parfois sont propres à chaque période.
Avant le confinement - c'est la première phase -, et c'est un constat commun, on note une impréparation de la France à ce risque sanitaire de pandémie, malgré des rapports qui ont été peu lus quant à la forte augmentation ces quarante dernières années des zoonoses, c'est-à-dire des pathologies transmissibles de l'animal à l'homme. Faut-il rappeler pendant cette décennie la diminution par dix des moyens de protection que sont les masques, une dépendance accrue vis-à-vis de ces moyens de protection et aussi des médicaments essentiels, notamment dans la sphère de la réanimation, très fortement fabriqués à l'étranger ? Et que dire des tests très notablement insuffisants, qui ont été ciblés pour le seul traçage des clusters, comme si les clusters et leur surveillance n'étaient pas appelés à devenir incontrôlés ? Tout cela a largement contribué à ce que la France, dans les pays qui ont des registres de mortalité fiables, soit hélas parmi les pays en tête au début de cette pandémie.
Pendant le confinement - c'est la deuxième phase -, on a parlé de résilience du système de santé. On devrait plutôt parler de formidable adaptation, dans l'urgence, des professionnels de santé, qui ont su casser les barrières, sur le plan tant de l'organisation que de leurs pratiques ou de leurs horaires pour absorber le surcroît de patients atteints. Cependant, le système a aussi montré ses faiblesses, en particulier pour des raisons d'organisation, mais aussi à cause de l'insuffisance d'implication, hélas, des établissements de santé privés et de la médecine de ville.
Cette période a aussi montré une désorganisation profonde du système de santé hors covid. Faut-il rappeler l'annulation massive de consultations et de soins programmés, les difficultés aggravées dans l'accès aux soins ? Ainsi, début juillet, 80 % des consultations ayant été annulées n'avaient toujours pas été refixées. C'est ainsi que l'on peut parler d'une perte de chance dans le suivi des pathologies graves ou chroniques et pour les personnes âgées, comme l'a évoqué Mme Mathieu.
Pendant ce confinement, l'information a été confuse. Sur ce point, les responsabilités sont partagées. Certes, la parole des scientifiques, dont celle des médecins dans les médias, a parfois été inaudible et contradictoire, mais il en est de même pour les agences régionales de santé vis-à-vis des professionnels de santé, lesquels étaient parfois mieux informés par la presse générale que par ces agences.
Le déconfinement - c'est la troisième période - montre des difficultés à retrouver un fonctionnement antérieur du système de santé, des incertitudes dans l'anticipation opérationnelle, s'il y avait une deuxième vague d'importance, ce qui est toujours craint, notamment cet automne. Il met aussi en lumière de façon particulièrement crue des insuffisances du système de santé avec toutes les incertitudes relatives aux mesures du Ségur de la santé dont chacun s'accorde à dire qu'elles sont insuffisantes, même si elles sont encore récentes. On note également un manque de transversalité dans le système de santé et de coordination : les agences régionales de santé ont été des agences de déconcentration, plutôt que des agences de décentralisation.
Je n'oublie pas la protection des soignants, qui a été insuffisante et qui a probablement largement expliqué les messages de santé publique sur le faible intérêt du port du masque, diamétralement opposés à ceux qui, heureusement, sont tenus aujourd'hui.
Je parlerai aussi de l'insuffisante concertation dans une prétendue démocratie sanitaire. Ainsi, les ordres ont été absents des comités scientifiques, alors que nous étions face à des questions éthiques, notamment vis-à-vis de la prise en charge des personnes âgées en Ehpad.
In globo, la prise en charge nous a semblé beaucoup trop administrative, pas suffisamment inclusive au regard de ce que les ordres des professionnels de santé, celui des médecins notamment, par leur engagement, leur représentativité de l'ensemble des professionnels inscrits au tableau auraient pu apporter, notamment sur les questions éthiques.
Dr Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens. - Dès le début de la crise sanitaire, au même titre que l'ensemble des professionnels de santé, les pharmaciens de tous les métiers se sont activement mobilisés pour répondre aux enjeux de santé publique. Les pharmaciens ont été en première ligne aux côtés de la population, malgré le confinement. Après la fermeture de la plupart des commerces le 15 mars et le confinement de la population le 17 mars, les officines de pharmacie et les laboratoires de biologie médicale sont toujours restés ouverts : ils étaient parfois les seuls professionnels de santé accessibles pour répondre aux questions d'une population inquiète et angoissée par le climat de pandémie ; tous les pharmaciens ont rempli leur mission de santé publique sans surenchère, sans céder à la cacophonie ou au doute qui a parfois prévalu sur certains sujets.
Les pharmaciens ont contribué à surmonter cette crise sanitaire, quelle que soit l'activité exercée, dans le seul but de garantir la continuité des soins. Fabricants, distributeurs en gros, pharmaciens exerçant en officine ou dans les établissements de santé, pharmaciens biologistes, pharmaciens réservistes : tous ont oeuvré pour la santé publique.
Le contexte était difficile et inédit. Chaque conseiller ordinal était présent pour soutenir ses confrères qui devaient faire face non seulement à une situation exceptionnelle, mais aussi à des violences verbales et physiques. Je tiens à votre disposition le nombre d'agressions déclarées par les pharmaciens officinaux, mais aussi d'escroqueries, notamment sur la vente de masques, et de sollicitations d'escrocs.
Bien sûr, les pharmaciens d'officine ont également dû s'adapter quotidiennement à de nouveaux modes d'organisation. Ils ont ainsi fait face à des équipes réduites, car ils n'avaient pas plus de masques que les autres professionnels de santé. Il a fallu mettre en place l'accueil du public dans les officines, sous l'égide de l'ordre qui a élaboré des guides et formulé des recommandations.
Par ailleurs, il a fallu adapter les règles de dispensation tout au long de la crise, avec des mesures exceptionnelles pour garantir la continuité des soins ou le bon usage des médicaments - on pourra revenir sur l'épisode de l'hydroxychloroquine -, mais aussi faire face au risque de pénurie. Sur tous ces sujets, l'ordre a été partenaire des pouvoirs publics afin de garantir l'accès aux soins.
Je n'oublie pas le rôle qui a été confié aux officinaux, sur la demande du ministère, de l'intérieur de recueillir les témoignages de violences conjugales. Dans ce temps où de nombreux lieux étaient fermés, les officines ont servi de lieu de relais et d'accueil aux personnes victimes de violences familiales, puisque ces agressions ont malheureusement beaucoup augmenté pendant cette période.
Nous aurons l'occasion de revenir sur la distribution des masques du stock État. C'est l'ordre des pharmaciens qui s'est porté volontaire auprès du ministère pour aider les autorités à acheminer ces masques vers les professionnels de santé de ville. Les pharmaciens ont accepté cette mission et l'ont relevée vaillamment, ce qui n'a pas été simple.
Je souhaite parler des pharmaciens de pharmacies à usage intérieur dont on a peu parlé. On a beaucoup parlé des lits de réanimation qui étaient ouverts, mais ceux-ci n'auraient pas été armés sans la présence des pharmaciens dans les hôpitaux, qui ont dû eux aussi faire des prouesses.
Les pharmaciens biologistes ont très rapidement été concernés pour mettre en place les solutions de dépistage et de diagnostic.
Au coeur de la crise sanitaire, en plein confinement, les pouvoirs publics ont dû gérer en urgence la pénurie des masques et les pharmaciens ont relevé cette mission difficile.
Très tôt, l'ordre a souhaité collaborer avec les ministères sur les autres sujets, notamment sur la mise en place de mesures pour préserver l'accès aux soins. Je ne les rappelle pas, mais tiens cette liste à votre disposition : le renouvellement des ordonnances, le circuit ville-hôpital de distribution des médicaments rétrocédés, la préparation des solutions et des gels hydroalcooliques, les restrictions sur les prescriptions d'hydroxychloroquine et de paracétamol, lequel a été limité pour éviter les ruptures, les mesures exceptionnelles de l'accès aux médicaments de l'IVG médicamenteuse, les médicaments de réanimation qui a nécessité la mise en place d'un circuit adapté. Les missions ont donc été nombreuses.
Ma principale préoccupation, c'est la préservation de la santé publique, tout faire pour la santé des soignants et celle des patients qui venaient tous les jours à l'officine. Les pharmaciens ont toujours été en première ligne et ont toujours répondu présent, quelles que soient les circonstances. Je suis extrêmement fière du comportement de tous les pharmaciens et je tiens à les remercier : durant cette crise, ils ont été à la hauteur des enjeux et des responsabilités que l'on attendait d'eux et qui, très souvent, dépassaient largement le cadre habituel de leur activité. Je veux souligner l'investissement très important des conseillers ordinaux dans l'accompagnement de leurs confrères dans l'exercice de leur activité.
Je souhaite que ces commissions d'enquête parlementaires soient l'opportunité de formuler des propositions constructives, tant sur l'évolution de nos exercices professionnels que sur nos relations avec les pouvoirs publics, afin que, si nous devions faire face à une nouvelle crise sanitaire, les choses soient plus claires sur le rôle de l'ordre et ce qu'il peut apporter aux pouvoirs publics. Ce sera peut-être l'occasion de mettre en place de nouvelles mesures dans de prochains textes de loi.
À la suite de notre audition de ce matin, nous avons été les destinataires d'un mail émanant de l'ordre des médecins du Vaucluse, datant du 20 mars dernier et ayant pour objet une information covid-19 à diffuser à tous les confrères du département. L'introduction indique que « le poste médical avancé va être monté sur l'hôpital, permettant de faire le tri adapté des patients avant d'entrer dans l'enceinte de celui-ci ». Un peu plus loin, un paragraphe précise que, « malheureusement, au vu des dernières recommandations, les patients des maisons de retraite et Ehpad présentant des comorbidités et en détresse respiratoire ne seront bientôt plus admissibles à l'hôpital. Il devra être envisagé pour eux des soins de confort. Nous avons conscience que ces choix éthiques à venir seront douloureux, mais inévitables. Nous réaborderons bien entendu ce sujet prochainement. »
Monsieur Mourgues, avez-vous eu connaissance de ce mail ? Y avez-vous réagi au titre de votre ordre ? À votre connaissance, d'autres départements ont-ils adopté la même position ? Le Conseil national de l'ordre des médecins a-t-il validé cette disposition prévoyant que les patients des maisons de retraite et des Ehpad ne seraient plus admissibles à l'hôpital ? Dois-je comprendre, par ce mail en tout cas, que le Conseil national de l'ordre des médecins aurait cautionné cette disposition ?
Dr Jean-Marcel Mourgues. - Je vous remercie très sincèrement de cette question.
L'ordre national des médecins a eu connaissance de ce mail et, autant dire les choses très clairement, c'était une crainte de l'ensemble de la communauté des soignants que la situation française ne devienne identique à celle de l'Italie. Fort heureusement, même si on a tangenté les capacités maximales de réanimation, celles-ci n'ont pas tout à fait été atteintes et, grâce à la formidable résilience de femmes et d'hommes professionnels de santé qui ont su ouvrir des lits supplémentaires et organiser des transferts sanitaires, on a évité cette situation qui aurait été catastrophique sur un plan éthique.
Le Conseil national s'est exprimé tout à fait clairement par communiqué de presse pour condamner tout éventuel tri. Fort heureusement - et il n'y a aucune ambiguïté là-dessus -, cela a été évité.
En revanche, hors de la pandémie, conformément à ce qu'il est communément admis par les collèges et sociétés savantes d'anesthésistes et de réanimateurs, la réanimation a été opérée sur des personnes en fonction de leur état de santé et de leur vulnérabilité sans que les soignants soient accusés d'acharnement thérapeutique déraisonnable. Je peux vous garantir que la situation où des personnes âgées notamment vivant en Ehpad n'auraient pas eu les soins auxquels ils avaient naturellement droit a pu être évitée et j'en remercie très sincèrement l'ensemble des soignants.
Je m'adresse à vous tous. Avant l'acmé de l'épidémie, qui est survenue vers la mi-avril, avez-vous été associés à l'élaboration de référentiels de prise en charge des patients ? Avez-vous eu des contacts avec les membres du cabinet ou de la DGS pour parler de l'épidémie ?
Ce matin, lors de notre réflexion sur l'éthique médicale, nous nous sommes interrogés sur la parole des médecins pendant cette crise et ses aspects contradictoires. Certes, il est bien normal qu'elle soit variée s'agissant d'une profession qui est elle-même diverse et qui a une pluralité d'expression. L'ordre des médecins estime-t-il qu'il y a eu dans cette séquence des infractions à la déontologie ou à l'éthique médicale ou que l'on est resté dans la controverse scientifique, laquelle est un élément normal du débat ? Des procédures sont-elles en cours ?
Monsieur Fournier, regrettez-vous d'avoir décidé la fermeture des cabinets dentaires ?
Dr Jean-Marcel Mourgues. - En ce qui concerne les référentiels de prise en charge, en particulier les référentiels médicaux, autant que je sache, il n'y a pas eu de contact direct avec le Conseil national de l'ordre.
Pour autant, je veux nuancer la critique que j'ai formulée à l'endroit des agences régionales de santé. Certaines ont accompli un travail remarquable. Ainsi, la gestion par l'ARS Île-de-France pour éviter une submersion des moyens a été louée à sa juste mesure. Une critique en règle n'est pas de mise.
Pour ce qui concerne la parole des médecins, la situation est complexe et complètement inédite. Lors de la grippe dite espagnole qui est survenue voilà un siècle et qui est la dernière référence de pandémie, il n'y avait pas d'autres médias que la presse écrite et cette effervescence médiatique n'existait pas.
Le temps scientifique n'est ni le temps humain ni le temps de la communication. La science est par nature évolutive ; elle est faite de doutes, avant confirmation ou infirmation. Il faut respecter l'expression de chacun, sans pour autant faire la promotion de thérapeutiques déraisonnables non éprouvées ou qui exposeraient les patients à une dangerosité particulière. Je ne suis pas là pour faire la publicité de tel ou tel médecin ou de telle ou telle procédure en cours. Les choses suivent leur rythme : l'audition de certains médecins par des conseils départementaux de l'ordre des médecins pourra entraîner, le cas échéant, au cas par cas, des traductions en chambre disciplinaire de première instance.
Dr Serge Fournier. - Dès le début de l'épidémie, l'ordre des chirurgiens-dentistes a été à l'initiative et à la réalisation de la création de la commission scientifique en médecine bucco-dentaire, dont il a assuré le total pilotage. Aujourd'hui, nous en sommes à la troisième version des recommandations, qui est un petit peu plus allégée. Il a été compliqué de réunir la totalité de la communauté scientifique.
À partir de quand cette commission s'est-elle exprimée ?
Dr Serge Fournier. - Dès le début, entre le 20 et le 30 mars, avec la première version des recommandations, laquelle a ensuite été avalisée par la Haute Autorité de santé (HAS), mais c'est arrivé en tout dernier.
Non, je ne regrette pas d'avoir recommandé la fermeture des cabinets, et ce pour une raison essentielle : nous nous étions aperçus depuis la mi-février, dans les échanges de courriers avec M. Jérôme Salomon, que l'État ne disposait pas de matériels de protection, notamment les masques FFP2, spécifiques pour les chirurgiens-dentistes. À partir du moment où nous avons eu cette conviction, il était hors de question de laisser mes confrères et mes consoeurs chirurgiens-dentistes exercer : cela aurait été une véritable boucherie.
J'ai donc pris cette décision et ce sera vraisemblablement la seule fois, car je n'ai pas l'intention, quoi qu'il arrive, de redemander la fermeture des cabinets. C'est historique dans la profession : jamais un président d'ordre n'a demandé à une profession libérale de cesser son activité, d'autant plus que j'avais demandé à plusieurs reprises la couverture des pouvoirs publics, du ministre des solidarités et de la santé et du Premier ministre pour appuyer cette recommandation, qui était à la limite de la légalité, puisqu'elle ne s'appuyait sur aucun fondement juridique.
Si vous aviez eu des masques FFP2, vous auriez pu maintenir cette activité ?
Dr Serge Fournier. - Si nous avions disposé de tels masques et de surblouses de protection, vraisemblablement.
C'est à la mi-février que vous avez échangé avec le directeur général de la santé pour demander des moyens de protection ?
Dr Serge Fournier. - J'ai eu des échanges par mail entre mi-février et fin février.
Pourrez-vous nous transmettre ces échanges ?
Dr Serge Fournier. - Bien entendu.
Pour notre part, nous avons été sollicités par la HAS le 25 mars pour élaborer avec des personnes de la profession que nous avons désignées des réponses rapides sur la prise en charge des patients covid+, puis post-covid. Quand nous avons eu à faire valider les recommandations en matière d'hygiène et d'accueil dans les cabinets que nous avions instaurées nous-mêmes avec une grande fluidité, nous avons eu des relations permanentes avec la HAS.
S'agissant des relations avec le cabinet du ministère, nous avons pu solliciter en tant que de besoin un conseiller, qui nous a toujours répondu instantanément, même si ce qu'il nous répondait ne nous satisfaisait pas forcément.
Nous avons été convoqués à la DGS, à la demande de Jérôme Salomon pour des réunions de crise, les 29 janvier et 6 février.
Le Conseil national de l'ordre des sages-femmes n'a pas été associé à la rédaction du guide de préparation du 16 mars. Nous l'avons regretté, car nous aurions pu anticiper l'organisation des soins périnataux, qui ont été maintenus.
Nous avons nous aussi été associés aux travaux de la Haute Autorité de santé dans le cadre des réponses rapides ; celles-ci sont intervenues un peu plus tardivement en périnatalité, ce qui se comprend au regard des priorités sanitaires au cours du mois d'avril.
Pour notre part, nous avons été associés aux réunions des 29 janvier et 6 février sous l'égide de la DGS, présentant le développement de l'épidémie, mais nous n'avons pas été associés à quelque démarche que ce soit.
Nous avons continué notre activité au fil de l'eau. Ma profession est très habituée à prendre en charge des patients qui ont des bactéries multirésistantes ou toute autre pathologie transmissible et assez virulente. Nous n'avons pas émis de consigne particulière et aucun cabinet n'a fermé. Des mesures de précaution ont été prises dans les cabinets libéraux, ils ont reçu moins de patients à chaque fois. Toutefois, nous n'avons ni formulé de recommandations particulières ni demandé la fermeture des cabinets ou l'arrêt des soins.
Pour les moyens de protection, c'est toujours le même nombre, à savoir dix-huit masques hebdomadaires, dont six FFP2, ce qui était largement insuffisant pour assurer la continuité des soins. La question porte aussi sur les surblouses : quand on fait dix à vingt domiciles par jour, le FFP2 est indispensable, mais d'autres équipements aussi.
Dr Carine Wolf-Thal. - L'ordre des pharmaciens a été associé au démarrage aux réunions qui ont eu lieu à la DGS, tant que celles-ci ont été possibles, c'est-à-dire jusqu'au 18 février. La mise en place des diverses mesures que j'ai évoquées tout à l'heure s'est ensuite faite au coup par coup, au fil des événements. Nous avons également eu des contacts avec le cabinet en tant que de besoin ; la réactivité a été certaine. Il en est de même avec les cellules de crise, notamment la cellule de crise masques pour la distribution des masques. Tout cela s'est fait avec plus ou moins de succès.
Dr Jean-Marcel Mourgues. - Je confirme les réunions auprès de la DGS et, en pointillé, sans rythme systématique et régulier, des contacts avec le cabinet ministériel, voire, ponctuellement, avec le ministre.
La chronologie est pour nous majeure. Vous nous annoncez des réunions qui auraient eu lieu fin janvier et début février et des mesures qui, pour certaines, ont été prises le 27 mars, alors que le gros de l'épidémie dans le Grand Est était début mars. Lors de ces premières réunions, le stock des protections a-t-il été évoqué ?
Nous avons évoqué les relations avec la DGS et les ministères, mais comment les relations locales se sont-elles passées ? Qui était votre interlocuteur privilégié, le directeur de l'ARS ou le directeur de la délégation départementale ?
Il a été question de la rupture de soins. Comment se fait la reprise, notamment chez les dentistes ? Sur le terrain, on a l'impression que les délais sont très longs, car le nombre de patients reçus est très réduit.
Comment les dispositifs de télémédecine ont-ils été élaborés pendant cette période ? Que souhaitez-vous voir pérenniser ?
Monsieur Mourgues, vous avez parlé de sanctions disciplinaires, ce qui a choqué de nombreux praticiens. Il s'agit là d'une atteinte à la liberté de prescription qui a été cautionnée par le Conseil national de l'ordre.
Dr Jean-Marcel Mourgues. - La liberté de prescription doit être assortie d'un cadre qui est généralement celui de thérapeutiques validées ne mettant pas en danger la vie d'autrui, tout en sachant que les patients, que l'on appelle communément les usagers de la santé, confient en quelque sorte au médecin le choix éclairé d'une thérapeutique, les patients n'ayant bien évidemment pas la connaissance pour faire le tri entre telle ou telle thérapeutique. C'est inscrit dans le code de santé publique et n'est nullement nouveau. En revanche, ce qui est nouveau, c'est la situation inédite de cette pandémie brutale, pour laquelle nous n'avions pas de thérapeutique éprouvée.
Pour autant, cela n'est pas suffisant que les médecins s'affranchissent des garanties de sécurité qu'ils doivent apporter aux patients.
Il n'y a pas de sanction disciplinaire systématique sur des signalements. Des auditions sont organisées au cas par cas. Il peut y avoir des plaintes et, en fonction des explications qui seront apportées et de la gravité potentielle des fautes qui ont été commises, certains médecins pourront être traduits en chambre disciplinaire de première instance. Les chambres disciplinaires, toutes présidées par un magistrat, seules jugeront. Nous sommes dans un État de droit, avec une première instance, un niveau d'appel et un pourvoi en Conseil d'État.
La question est plus précise. Quand nous interrogeons individuellement des médecins, certains déclarent qu'ils prendraient de la chloroquine, s'ils avaient la maladie. Et il n'y a pas eu que la chloroquine !
Dr Jean-Marcel Mourgues. - La situation est complexe. Le temps scientifique est plus long que les attentes de nos concitoyens. Faut-il pour autant s'affranchir des règles de sécurité en matière de prescription du médicament ? Certainement pas. Reste que la question que vous posez demeure tout à fait licite. Je pense que l'on ne peut pas s'exonérer de règles qui garantissent fondamentalement la sécurité du patient dans les thérapeutiques qui lui sont proposées.
La question porte aussi sur le sentiment de confiance de nos concitoyens. Ce qui n'est peut-être pas entièrement justifié médicalement peut être psychologiquement volontiers accepté dans une société.
Je ne voudrais pas que le débat soit pour ou compte l'hydroxychloroquine ; ce n'était pas ma question. Certains médecins ont été convoqués par le conseil départemental de l'ordre parce qu'ils avaient prescrit des antibiotiques ou fait des associations d'antibiotiques. Reconnaissez que, pour une profession médicale, toucher à la liberté de prescrire lorsqu'un médecin est face à un patient atteint d'une pneumopathie et essaie d'agir avec ce qu'il y a dans l'arsenal thérapeutique pose question.
Dr Jean-Marcel Mourgues. - Il convient d'être très précis : convocation ne vaut pas condamnation, mais vaut explication. Le cas échéant, cela peut conduire à une traduction devant une chambre disciplinaire. Dans un État de droit, et nous y sommes très attachés, tout médecin ayant fait l'objet d'une plainte a la possibilité d'être défendu, de faire appel de cette condamnation, voire, en phase ultime, de se pourvoir en cassation auprès du Conseil d'État.
Quantité de confrères ne comprennent pas non plus que la liberté de prescription puisse s'assortir des règles qui, jusqu'à présent, ont garanti la sécurité des patients. La brutalité de cette pandémie nous a plongés dans une situation inédite : force est de constater que, sur le plan thérapeutique, nous avons été désarmés. Cela introduit des réflexions fondamentales qui doivent être davantage approfondies.
Il n'est absolument pas dans notre intention de fracturer tant la communauté française que celle des médecins ; il s'agit bien plus d'édicter des principes garantissant la sécurité à laquelle nos patients ont le droit le plus absolu.
Sur la reprise des soins, je souhaite insister sur la perte de chance, qui est une évidence pour moi, même si je n'ai pas de chiffres à avancer.
Dans les établissements de santé, y compris dans les services de soins de suite et de réadaptation (SSR), très souvent, il n'y a pas de kinésithérapeutes et on confie des patients à d'autres professionnels en imaginant que c'est de la rééducation. On recrute par exemple des éducateurs sportifs, diplômés de la fac de sport. Certains ont une licence de sport, c'est-à-dire une formation de trois ans, et parfois font trente heures dédiées à la médecine ; ce qui s'appelle sport-santé. Certes, ils ont un rôle à jouer dans le système de santé, mais je crains que, sous couvert de sport-santé, ces établissements, au lieu de prendre les choses en main, c'est-à-dire de recruter les kinésithérapeutes et de les payer convenablement, mettent des succédanés qui ne sont ni des rééducateurs ni des professionnels de santé. Pour moi, c'est un véritable scandale sanitaire.
La perte de chance ne se mesure pas. Les neuromyopathies consécutives à la réanimation impliquent des lésions musculaires ou des lésions articulaires, qui appellent une rééducation très spécifique et particulière. Si ces patients ont par exemple une capacité de récupération à 80 %, mais ne récupèrent que de 60 %, qui va le dire et qui va le savoir ? C'est cela, la réelle perte de chance. Il faut donc que le système change.
À un moment, j'ai arrêté le recrutement d'un ostéopathe en réanimation en région parisienne- j'ai tous les mails -, alors que de nombreux kinésithérapeutes étaient inscrits et dans la réserve sanitaire et sur la plateforme #Renforts-Covid. Comme cela s'est ébruité sur les réseaux sociaux via Twitter, Nicolas Péju, le directeur général adjoint de l'ARS Île-de-France, m'a indiqué que l'AP-HP ne savait pas que des kinésithérapeutes étaient inscrits sur cette plateforme. Personne n'y a pensé ! On est face à des dysfonctionnements de cet ordre.
La télémédecine a également été pour nous un véritable scandale. Dès le début du confinement, j'ai écrit au ministre pour lui demander le télésoin, qui était absolument fondamental pour nous et qui permettait de maintenir des soins de rééducation à distance tout en préservant la santé de nos concitoyens et des kinésithérapeutes. Des textes ont été publiés pour les orthophonistes, pour les ergothérapeutes, pour les psychomotriciens, mais jamais pour nous !
Il a fallu encore une fois que j'interpelle Nicolas Revel via Twitter pour dire que les kinésithérapeutes étaient les paillassons. Pourquoi ? Qu'est-ce qui bloquait ? Pour les kinésithérapeutes, on proposait un acte dégradé, c'est-à-dire inférieur au tarif habituel, alors que, ni pour les sages-femmes, ni pour les infirmiers, ni pour les médecins, le montant de l'acte n'avait été abaissé. C'était pour la traçabilité, m'a-t-on indiqué. J'ai répondu qu'il suffisait d'augmenter l'AMK de 1,1 point. À la suite de mon intervention très vigoureuse, tout s'est débloqué en deux jours, mais les textes ne sont parus que le 16 avril, alors que nous avions formulé cette demande dès le début du confinement, que j'avais écrit partout, à Bruno Le Maire, à Cédric O, à Olivier Véran, en ayant l'impression de ne pas être entendue.
Non, nous avons maintenu l'activité, mais les kinésithérapeutes ont reçu l'aide de 1 500 euros, même si cela ne couvrait pas tout. Et il y avait les soins à domicile.
Pourquoi les kinésithérapeutes ne font-ils plus de domicile ? J'ai mis ce sujet à l'ordre du jour du prochain conseil national dans quinze jours, car je suis sollicitée à outrance par des patients qui ne trouvent plus de kinés se rendant à domicile. C'est aussi une question de tarifs : c'est du travail à perte ! Je ne suis pas là pour parler des rémunérations, mais la qualité des soins et des patients est une préoccupation pour moi. Or je n'ai pas les moyens de contraindre les kinésithérapeutes à aller à domicile.
Dr Serge Fournier. - Pour notre part, nous attendons toujours l'arrêté concernant les téléconsultations et ce n'est pas faute d'avoir fait le siège de l'ensemble des instances !
Si une téléconsultation avait été mise en place au moins de façon provisoire durant la crise, un nombre important de patients auraient pu être soignés. En chirurgie dentaire, il y a les actes techniques, mais il y a aussi l'acte intellectuel. Un certain nombre de cas aurait pu être temporisés par ces téléconsultations.
Pour les chirurgiens-dentistes, le déconfinement a été réussi et c'est grâce à l'État : le ministère nous a fourni 150 000 masques FFP2 cash, que nous avons distribués par l'intermédiaire des conseils de l'ordre. Je pense également aux dotations d'État, et je voudrais remercier les pharmaciens qui ont une fois de plus accepté de participer à la distribution hebdomadaire, qui a permis aux chirurgiens-dentistes de redémarrer leur activité.
Cela étant, nous sommes maintenant assez inquiets face aux investissements importants qui incombent aux cabinets dentaires et face au nombre de patients que nous pouvons voir chaque jour, à savoir un par heure, malgré des recommandations allégées. Celles-ci ne vont pas manquer d'entraîner, à moyen terme, des problèmes économiques et des problèmes de santé publique. Certains patients cherchent en vain à être reçus, ce qui pose un gros problème déontologique et d'éthique de la santé.
Les relations avec les ARS ont sans doute été moins marquées pour nous, puisque les échanges se faisaient à l'échelon national. Nous avons toutefois interrogé nos collègues élues départementales et régionales et l'ensemble de la communauté des sages-femmes concernant ces relations. Nous avons noté des variabilités. Certaines ARS ont associé des sages-femmes - de surcroît, quand une sage-femme exerce dans une ARS, l'habitude veut qu'on oublie moins la santé périnatale et la place des sages-femmes - pour discuter notamment des liens ville-hôpitaux. A contrario, d'autres ont complètement omis de convier les sages-femmes à une information aux professionnels de santé sur les risques liés au virus.
Dans le cadre de l'enquête que nous avons menée auprès des 24 000 sages-femmes, quasi 11 000 ont répondu, ce qui montre la proactivité de la profession dans cette pandémie : 42 % des sages-femmes ont annoncé avoir des relations avec leur ARS, ce qui signifie que 58 % restent sur le côté.
L'ordre national a saisi le ministère le 14 mars pour demander le remboursement des actes de télémédecine pour les sages-femmes ; cela a été acté cinq jours plus tard. La réactivité a donc été réelle et nous en remercions le ministère. Cependant, ce dispositif est soumis à échéance et, à ce jour, doit s'éteindre le 31 octobre prochain. La profession en demande la pérennisation.
N'ayant pas interrompu leur activité pendant le confinement, les sages-femmes l'ont bien évidemment préservée au moment du déconfinement. Moi aussi, je tiens à remercier mes collègues pharmaciens de leur réactivité. Vous le savez, nous avons été très modulés par les notes de la DGS concernant la dotation de masques, cela a demandé aux professionnels des officines de s'adapter de façon extrêmement rapide aux demandes des sages-femmes qui veillaient jour et nuit aux publications de la DGS.
Les infirmiers ont des relations avec un conseiller particulier du cabinet du ministère de la santé. Nous avions des réponses par SMS ou par téléphone, qui ne nous satisfaisaient pas toujours.
Je me suis toujours demandé pourquoi les infirmiers n'étaient pas présents dans les conférences régionales de santé et d'autonomie (CRSA) : il n'y a que des médecins. Nous sommes les seuls professionnels de santé à être répartis H24 sur le territoire ; pourtant, nous ne sommes pas conviés à ces conférences et à ces informations. C'est une situation que je souhaite voir très largement évoluer.
Nous n'avons pas pu faire de télésoin, même si le texte est paru assez rapidement, parce qu'il fallait une prescription médicale pour le déclencher. Or c'était une façon d'avoir une présence de professionnels de santé, à un moment où les consultations médicales ont fortement évolué en télémédecine et où les infirmiers étaient quasiment les derniers professionnels de santé à se rendre au domicile des patients. Sur le forum de questions en ligne que nous avons créé sur notre site internet, des infirmiers nous ont signalé que des patients leur refusaient l'accès au domicile : il y a eu des abandons de soin parce que les patients pensaient que les infirmiers étaient des vecteurs potentiels de la pathologie.
À ce jour, le texte sur le télésoin n'est pas pérennisé et n'est pas rédigé de la même façon que pour les kinés par exemple : si ces derniers déclenchent l'acte de télésoin sur leurs compétences propres, les infirmiers ne le peuvent pas. Pourtant, ils font autant d'études ; ils pourraient donc avoir aussi cette liberté.
Nous avons plutôt des relations avec les représentants de proximité, c'est-à-dire les maires et les délégations territoriales de l'agence régionale de santé (DTARS).
Dr Carine Wolf-Thal. - Je souhaite revenir sur la pénurie de matériels de protection. Oui, nous étions au courant, notamment depuis la dernière réunion à la DGS, le 18 février. Nous savions qu'il y avait une difficulté notamment sur l'acheminement des masques du stock État, qui se situait à Santé publique France, vers les professionnels de santé, notamment ceux de premier recours. C'est lors de cette réunion que j'ai proposé d'utiliser le réseau des pharmaciens pour la distribution aux professionnels locaux, puisque, par leur maillage, leur présence sur tout le territoire et surtout le fait que les officines restaient ouvertes et accessibles en cette période, c'était une solution. Cela a aussi été permis par le système de distribution en gros, à la fois les dépositaires et les grossistes répartiteurs, qui étaient en capacité, pour la partie logistique, d'aller chercher ces masques chez Santé publique France et de les acheminer en toute sécurité dans les officines.
Si nous étions au courant, nous ne savions pas trop et nous n'avons d'ailleurs jamais trop bien su pas trop quel était réellement le stock disponible et combien de masques nous allions pouvoir distribuer aux professionnels de santé dans les premières semaines et dans la suite du confinement.
Votre interlocuteur était Santé publique France ou les ARS ?
Dr Carine Wolf-Thal. - Ce n'étaient pas les ARS ; c'était la cellule de crise masques, mais cela concernait les opérationnels, c'est-à-dire les dépositaires et les grossistes répartiteurs, pour la partie logistique. En tant qu'ordre, nous n'étions pas du tout dans les discussions relatives aux dotations. On recevait simplement du DGS-Urgent le nombre de masques à donner aux médecins : dix-huit, douze, six...
Concernant les relations avec les ARS, je ferai la même réponse que les autres intervenants : cela variait d'une région à une autre en fonction de la situation sanitaire dans la région - les relations étaient différentes dans le Grand Est et en Normandie, par exemple, où j'exerce. Cela dépendait aussi des interlocuteurs : c'étaient souvent les unions régionales de professionnels de santé (URPS), qui sont les interlocuteurs privilégiés des ARS. Localement, il y a bien évidemment eu des contacts et des organisations.
Sur la télémédecine, même si les pharmaciens sont moins directement concernés, je profite de cette tribune pour dire que nous appelons depuis très longtemps de nos voeux la e-prescription. La téléconsultation donne lieu à une prescription. Or vous savez qu'il existe énormément de fraudes et de fausses ordonnances liées aux ordonnances dématérialisées. Rien n'est plus difficile au comptoir que de déterminer, à partir d'un smartphone, si une ordonnance est bonne ou fausse, si elle a déjà été délivrée dans une autre pharmacie ou pas. Tenter d'authentifier autant que faire se peut la validité de la prescription a constitué une véritable difficulté pour nous. La solution, c'est la e-prescription, qui est en travaux depuis bien longtemps. La France est très en retard sur ce sujet.
Sans ranimer le débat sur la liberté de prescription, je précise, en tant que pharmacien au comptoir, qu'il importe, quand il y a une prescription hors autorisation de mise sur le marché (AMM), que ce soit indiqué sur la prescription. Souvent, ce n'est pas le cas. Je pense qu'il faut que le médecin l'indique sur l'ordonnance, l'explique au patient et que le pharmacien puisse éclairer le patient en lui indiquant que ce produit est hors AMM et n'est pas remboursé. La liberté de prescription hors AMM doit se faire dans un cadre réglementaire. D'ailleurs, l'ordre des médecins et l'ordre des pharmaciens vont conjointement publier dans les jours qui viennent un guide sur la prescription et la délivrance hors AMM : que faut-il faire ? Quelles sont les responsabilités engagées ?
Dr Jean-Marcel Mourgues. - Sur la liberté de prescription, les règles et la loi indiquent qu'il faut prescrire selon les règles d'autorisation de mise sur le marché. Dans le cas contraire, le prescripteur est obligé de donner toute l'information en précisant les raisons pour lesquelles il passe hors AMM.
Faut-il rappeler les dommages sériels considérables des prescriptions de médicaments hors AMM ? Les victimes et associations de victimes auraient du mal à entendre que l'on puisse prescrire sans ces contraintes, car elles-mêmes ou les membres de leur famille l'ont parfois payé de leur vie.
Les relations avec les agences régionales de santé ont très largement varié d'une région à l'autre : certaines - l'Île-de-France, la Nouvelle Aquitaine ou d'autres - ont su nouer des relations particulièrement bienveillantes et de qualité avec les professionnels et les ordres, non seulement les conseils départementaux, mais aussi en relais les conseils régionaux, en ce qui nous concerne.
En ce qui concerne la télémédecine, on peut dire que rien ne sera comme avant, mais il faut séparer l'ivraie du bon grain. Que faudra-t-il retenir de la télémédecine ? C'est tout le chantier. Il faudra veiller à ce que l'essor de la télémédecine ne se fasse pas sans perte de qualité des soins et veiller aussi - on a pu le voir notamment avec les téléconsultations covid - au problème de la fracture sociale, numérique et territoriale. La télémédecine ne peut pas résoudre cela : des barrages à l'accès aux soins existent selon les catégories sociales, les tranches d'âge, les territoires, les dessertes numériques. Il faut veiller à l'équité dans l'accès aux soins pour tous.
Monsieur Mourgues, vous avez indiqué qu'il existait de nombreux rapports sur l'accroissement des zoonoses depuis quelques dizaines d'années. Qui établit ces rapports ? De quelle façon ont-ils pu être transcrits et transmis aux pouvoirs publics ?
Vous avez tous indiqué avoir eu des réunions avec le ministère, la Direction générale de la santé au cours desquelles les pénuries d'équipements de protection individuelle (EPI) avaient été actées, quoique les chiffres n'en soient pas connus, si j'ai bien compris. La possibilité d'un confinement général a-t-elle été évoquée à un moment ou à un autre comme une réponse à cette pénurie ?
Madame Wolf-Thal, vous avez indiqué quel avait été votre rôle dans le recueil des propos des femmes pour les violences conjugales. La pharmacie s'est-elle révélé un lieu approprié ? Avez-vous pu exercer ce rôle et quelle a été l'importance des propos des femmes que vous avez pu recueillir ?
Monsieur Chamboredon, dans les conférences régionales de santé et d'autonomie, il n'y a pas que des médecins ! Chaque organisation propose ses candidats : il y a des représentants d'élus, mais aussi les URPS, les médecins. Si vous voulez y participer, il suffit qu'avec vos syndicats vous en fassiez la demande.
Madame Derrendinger, quel est votre avis sur les maisons de naissance ? En pareille circonstance, ces structures pourraient-elles apporter une plus-value, en complémentarité avec les structures conventionnelles ?
Pendant cette période, pour diverses raisons, il y a eu des freins vers les différentes structures, en particulier vers certains professionnels de santé. Ces freins étaient notamment liés à l'obligation de justifier les déplacements : de nombreuses personnes étaient contraintes d'écrire pour dire où elles allaient ; certaines personnes avaient des rendez-vous et les professionnels étaient disponibles, mais elles n'avaient pas forcément la capacité d'écrire ou n'avaient pas accès au numérique. Et que dire des victimes de l'illettrisme ? Ces différentes dispositions n'ont pas favorisé les personnes qui avaient besoin de soins.
Selon moi, il y a eu une hiérarchisation des différents professionnels, en particulier de certains paramédicaux : les orthoptistes, les orthophonistes et un certain nombre de professionnels ont été écartés des dispositions qui ont été prises, ce qui a lésé des adultes, mais aussi des enfants.
Les professionnels, par exemple les infirmières en pratique avancée (IPA), ont-ils été suffisamment pris en compte sur leur territoire, dans la mesure où les dispositions qui avaient été prises ont été pendant une période principalement focalisées sur le tout hospitalier, en négligeant les professionnels libéraux qui étaient disponibles et qui attendaient vainement que leurs difficultés soient prises en compte - je pense en particulier à leur dotation ? C'était parfois difficile en fonction de l'aménagement du territoire.
Je souhaite revenir sur les difficultés rencontrées sur le terrain pendant le confinement par l'ensemble des professions.
J'ai souvenir de pharmaciens se faisant engueuler toute la journée pour des masques, j'en ai vu pleurer. Quand il s'est agi de distribuer ces masques à certaines professions de santé, les aides à domicile, les Ehpad, les maisons d'accueil pour personnes âgées, ils n'en avaient pas.
Les cabinets dentaires ont fermé. Pour eux, la reprise se fait difficilement et c'est aussi un problème de santé.
Certaines sages-femmes se protégeaient avec des sacs poubelle et ne savaient même pas si celles qu'elles accouchaient avaient le covid.
Les citoyens ne comprennent pas certains débats, notamment sur la prescription de la chloroquine. À quoi servent les ordres si l'on convoque les médecins qui en ont prescrit ? Et que dire de la cacophonie sur toutes les chaînes, avec des médecins qui disaient tout et son contraire, alors que l'ordre ne s'est jamais exprimé ? Cette cacophonie explique peut-être la défiance des concitoyens vis-à-vis des consignes.
Tous les services d'aide à domicile, infirmiers, kinésithérapeutes sont absolument indispensables. Vous avez parlé de perte de chance et je pense que c'est vrai.
Madame Mathieu, vous avez parlé de paillasson. Pour avoir beaucoup travaillé sur cette question et être souvent intervenue en questions écrites ou orales, je pense qu'il y a un vrai problème de reconnaissance : les kinésithérapeutes n'ont pas obtenu la revalorisation tarifaire, le congé maternité - les femmes médecins l'ont eu -, l'inclusion des études dans le cursus universitaire alors qu'ils sont obligés d'avoir le concours de médecine.
Pour ma part, je m'inquiète que, dans certains Ehpad, on recommence aujourd'hui à ne pas vouloir de kiné. C'est comme pour les infirmiers ou les soins à domicile ! J'ai été maire pendant dix-sept ans, les gens m'appelaient parce qu'ils ne trouvaient pas de kiné avant quatre ou cinq mois : aujourd'hui, ils ne marchent plus alors qu'avant ils marchaient !
Aujourd'hui, on favorise l'hospitalisation à domicile et c'est tant mieux, mais comment faire s'il n'y a pas d'infirmiers et de kinés ?
Les kinés ont reçu de nombreuses consignes contraires : on leur a d'abord demandé de laisser leur cabinet ouvert, ensuite de les fermer, ensuite de les rouvrir, ensuite de les fermer de nouveau. J'aimerais que vous nous disiez un peu comment cela s'est passé.
J'en viens au forfait surcoût. Pour les kinés, mais c'est pareil pour les dentistes, des consignes ont été données et le protocole est extrêmement lourd : il faut mettre toutes ses affaires dans un sac, ensuite il faut tout désinfecter. Rien de tel quand on va sur une plage privée ! Quand les kinés parleront-ils du forfait surcoût et obtiendront-ils une compensation ?
J'insiste également sur le manque de produits. Nombre de professionnels n'arrivent plus à trouver des produits désinfectants qui respectent les normes. C'est un grave problème.
Monsieur Mourgues, les médecins de mon territoire que j'ai reçus n'ont pas compris que le Gouvernement ait demandé aux patients de ne pas se déplacer dans les cabinets. Résultat, les médecins n'ont pas vu leurs patients, alors que certains avaient des suivis réguliers pour des pathologies bien spécifiques et très graves. Certains sont même décédés, non de la covid, mais de leur propre pathologie. Si une deuxième vague survient, pensez-vous réagir de la même façon ?
Dr Jean-Marcel Mourgues. - Je ne m'attendais pas une question sur les zoonoses et le risque sanitaire accru de pandémie. Je n'ai pas les références, mais je pourrai vous communiquer ces rapports par mail. L'un des tweets que j'ai par ailleurs envoyés il y a quelques semaines contient notamment les références de l'un de ces rapports. En revanche, je ne sais pas comment ces rapports sont transmis aux pouvoirs publics.
Ces rapports indiquent que l'augmentation des zoonoses est réelle depuis plusieurs décennies et est liée à de multiples critères : le réchauffement climatique, la perte de la biodiversité, l'urbanisation, les modifications des modes de pratiques agricoles, etc. On peut parler de risques sanitaires au pluriel puisque, dans le même temps, dans le cadre d'une véritable politique de prévention de santé publique, il va falloir que nous absorbions les défis liés au réchauffement climatique, la canicule de 2003, les maladies vectorielles - dans le Sud-Ouest où j'exerce, les moustiques sont maintenant présents quasiment toute l'année avec des cas autochtones de dengue -, les perturbateurs endocriniens, les insecticides, etc.
Il faut une réflexion fondamentale pour que cela devienne une priorité de politique de santé publique et de prévention. Sinon, nous paierons au centuple l'insuffisance de ces politiques.
Dans tous les pays, le confinement s'est imposé. Là où ce ne fut pas le cas, par exemple dans des régimes populistes, la population a hélas payé un lourd tribut, avec une mortalité particulièrement forte, notamment outre-Atlantique.
Sur le confinement, je souhaite savoir si, dans les rapports réguliers que vous avez eus fin janvier et en février avec le ministère, la Direction générale de la santé, le confinement général a été évoqué comme pouvant être une solution en raison de la pénurie d'équipements de protection.
Dr Jean-Marcel Mourgues. - En janvier, autant que je sache, non ; début mars, oui, puisque des rumeurs circulaient sur un confinement pour les régions les plus atteintes. Et puis se sont invités dans le débat politique des rendez-vous électoraux.
On savait que le confinement serait très probable début mars. Autant que je sache, en janvier et en février, le confinement généralisé n'était pas prononcé. Cela n'était pas stipulé pas dans les rapports que nous avions. Début mars, cela a été clairement édicté. Dans la mesure où l'on n'avait plus de maîtrise sur les clusters, la question était de savoir quand ce confinement aurait lieu.
En ce qui concerne la cacophonie dans l'expression médiatique, je ne peux que vous donner raison. Je m'exprime maintenant en tant que médecin généraliste en exercice dans le Lot-et-Garonne : tous les jours, j'entends des patients le déplorer. Je suis donc extrêmement sensibilisé à ce sujet.
Cela pose à mon sens deux questions fondamentales et il faudra que nous le rappelions à l'ensemble des médecins, un travail est d'ailleurs en cours sur ce point. A-t-on légitimité à s'exprimer sur un sujet que l'on ne connaît pas ? On ne peut pas être expert de tout. Avant de s'exprimer, a-t-on au préalable fait une expertise et a-t-on une pleine connaissance du sujet à débattre pour que l'expression soit robuste ? Manifestement, ce n'est pas le cas. Il faudra bien remettre de l'ordre dans tout cela. Reconnaissez cependant que la situation était inédite.
Le Premier ministre a incité les Français à n'aller dans les cabinets médicaux que s'ils étaient « convoqués ». Ce terme a été utilisé sans aucune intention malveillante, mais il était absolument inhabituel et pas du tout approprié. Dans les faits, les patients ne sont pas venus : soit ils ont eu peur d'être infectés dans les cabinets de soins, soit ils ont pris cela comme une injonction à ne surtout pas se déplacer, soit certains parcours de soins ont été chaotiques avec des rendez-vous annulés. Tout cela, pêle-mêle, a entraîné des retards dans les parcours, avec des pertes de chance.
Un reconfinement généralisé semble excessivement peu probable, mais, si on se trouvait face à une tension forte du système de santé nécessitant des mesures assez strictes selon les territoires, il faut espérer qu'avec les acteurs locaux et les agences régionales de santé des réunions soient organisées à l'échelon des bassins de vie et des départements pour éviter, en pratique, de trop nombreuses ruptures de soins.
Les problèmes dans les Ehpad existent en dehors même de la pandémie covid. Au fil du temps, les médecins traitants sont de moins en moins dans ces établissements, parce qu'il y a des difficultés d'accès aux soins et de coordination de soins. Il faut espérer que, dans le cadre des mesures qui suivront le Ségur, un véritable effort soit déployé en faveur des Ehpad. C'est peut-être un voeu pieux.
Je rappelle que tous les Ehpad n'ont pas de médecins coordonnateurs, et ce n'est pas la fonction de ces derniers. Améliorer l'accès aux soins et la coordination des soins dans ces établissements est un chantier considérable.
Nous avions demandé à ce que les médecins coordinateurs puissent prescrire !
Dr Jean-Marcel Mourgues. - La sous-préfecture dans laquelle j'exerce compte deux Ehpad privés : aucun des deux n'a de médecin coordinateur, parce qu'ils n'en trouvent pas !
Quand bien même un médecin coordinateur est présent, chaque patient a le choix de conserver son médecin traitant qu'il connaît depuis vingt ou trente ans. Par ailleurs, le médecin coordinateur est souvent à temps partiel et non pas H24. Je pense qu'il y a une complémentarité des fonctions : il ne faut pas le vivre comme une superposition. On a besoin des uns et des autres, et pas des uns à la place des autres.
Dr Carine Wolf-Thal. - Si le confinement était prévisible dès janvier et février, ce n'était pas dû au manque d'EPI, puisque, à cette époque, le port du masque n'était ni obligatoire, ni recommandé, ni nécessaire. Il suffit de se référer aux communications publiées fin février.
Ce n'était pas nécessaire, parce qu'il n'y en avait pas !
Dr Carine Wolf-Thal. - Oui, mais nous l'avons su après. Si la question du confinement a été évoquée, elle ne nous a pas été exposée comme étant liée au manque d'EPI.
Je partage l'analyse du vice-président : si les masques n'ont pas été obligatoires, c'est parce que nous n'en avions pas. Nous avons été ensuite en grande difficulté pour répondre positivement à cette prescription.
Dr Carine Wolf-Thal. - Après la réunion du 18 février, nous n'avons plus été en contact.
Vous n'avez donc pas été associés à cette décision.
Dr Carine Wolf-Thal. - Non.
Si je comprends bien, dans les réunions de fin janvier jusqu'à mi-février, le confinement n'a pas été évoqué.
Vous a-t-on dit qu'il y aurait une pénurie ou une tension sur les équipements ?
Sans que ce soit lié à un manque de masques, puisqu'à l'époque on nous disait qu'on n'en avait pas besoin, le confinement a-t-il été évoqué, lors de ces premières réunions, hormis le fait peut-être d'isoler dans le cadre de clusters ?
Dr Carine Wolf-Thal. - Non.
Sur la question des violences intrafamiliales, qui ont aussi concerné les enfants et pas seulement les femmes, j'ai à l'époque été directement contactée par M. Castaner et, sans une seconde d'hésitation, j'ai proposé que les pharmaciens soient le relais de ces personnes en détresse. Cela a été annoncé le soir même par le ministre, ce qui m'a même un peu prise de cours. Le principe était lancé et les pharmaciens ont répondu à cette demande.
On ne nous a pas demandé de relevés statistiques, je n'ai donc pas le chiffre exact du nombre de personnes que les pharmaciens ont accueillies, mais nous avions mis à disposition sur le site Cespharm les documents que les pharmaciens pouvaient télécharger et la procédure à suivre. Il a été très consulté. Moi-même, dans le cadre de mon exercice, j'ai accueilli une femme qui était visiblement en fuite de son domicile. Quelques exemples ont été médiatisés, mais je dois dire que les pharmaciens accueillent les femmes même hors période covid : le pharmacien est souvent un confident, comme beaucoup d'autres professionnels de santé, il offre une aide et une écoute. Il est vrai que ce dispositif a permis de donner plus d'outils aux pharmaciens pour orienter vers les associations d'aide aux victimes, les avocats.
Cela a permis de construire d'autres réflexions associant d'autres ordres - sages-femmes, médecins, avocats, etc. - pour aller encore plus loin dans ce dispositif d'aide.
Vous pourriez sans doute avoir accès au compte rendu qui a été établi par la DGS. Il s'agissait surtout de réunions d'information, avec de nombreux slides, et je ne voudrais pas me mouiller en disant que c'était annoncé. La stratégie thérapeutique de confinement a été faite dans certaines contrées. A-t-on été trop bête pour comprendre ou est-ce que cela n'avait pas été dit clairement ? Mais il y avait forcément quelque chose.
On a découvert que, dans certains Ehpad, il n'y avait pas de médecins. Cela fait dix ans que l'on prône la présence d'infirmiers aussi la nuit. Nous avons de nouveau parlé de ce manque lors du Ségur.
Madame la sénatrice Jasmin, soixante infirmiers en pratique avancée (IPA) sont inscrits cette année au tableau de l'ordre ; nous sommes donc en phase de déploiement. Nous n'avons pas encore les effectifs nécessaires pour les déployer. Il est une spécialité qui n'existe pas encore, mais qui pourrait être promue dans le prochain projet de loi Grand âge de Mme Bourguignon : cette spécialité pourrait être utile dans les Ehpad.
Je considère que tous les ordres devraient être représentés dans les CRSA et nous voyons bien la complémentarité de chaque ordre ici présent. L'ordre des infirmiers ne figure pas dans le texte réglementaire qui fonde les CRSA.
C'est d'ailleurs bien en raison de cette complémentarité que l'on nous a fait venir aujourd'hui : chacun détient un bout de la vérité de la prise en charge des patients. Les infirmiers ont besoin de la prescription du médecin et ont besoin que le pharmacien leur délivre les médicaments pour faire des soins. Cette réalité ne se retrouve actuellement pas dans les instances de délibération de proximité régionale ou de DTARS pour permettre la prise en charge optimale des patients, d'autant qu'il s'agit d'une prise en charge de ville et l'on voit bien la confiance qui a été faite à la ville.
On parle beaucoup des prises en charge hospitalières, mais le plus gros des patients qui ont été soignés et sauvés l'ont été en ville. Il y a eu 30 000 décès, c'est très malheureux, mais beaucoup de gens s'en sont sortis et ont été pris en charge en ville.
Que fait l'ordre, demandez-vous ? Les textes sont très contraints, mais nous avons été là pour représenter les professionnels, pour les soutenir, pour agir pour eux, pour les aider, pour les écouter, pour remplir des missions que personne n'a remplies. Tous les professionnels de santé ont été en première ligne et ont réussi.
C'est un peu passé sous les radars, mais certains praticiens se sont demandé s'ils allaient exercer durant cette période. Certes, les EPI ont manqué pour la totalité des professionnels, mais, pour ceux qui sont obligés d'aller au combat, pour reprendre le terme du Président de la République, et de soigner les patients en proximité, il y a quelquefois eu des doutes et nous avons souvent été obligés de téléphoner ou de faire des écrits pour expliquer de nouveau la doctrine sur les épidémies et ce moment exceptionnel pour la France et le monde à l'occasion duquel les principes éthiques et déontologiques ont quelquefois pu tanguer.
Les maisons de naissance sont-elles une solution face à la situation de crise ? Je ne souhaite pas que cette épidémie soit l'occasion d'une approche réductrice des maisons de naissance. Il s'agit de structures expérimentées et évaluées dont nous attendons la généralisation. Pour répondre à votre question sur le fond, ce sont aussi des espaces de proximité, fondés sur le choix des femmes en termes d'orientation.
Les plus grands clusters ayant été les hôpitaux et les maternités se trouvant la plupart du temps dans les hôpitaux, nous avons eu de nombreuses inquiétudes concernant les freins de la population à venir. Pour être moi-même une hospitalière, j'ai vu les locaux de l'hôpital de la maternité désaffectés par les femmes, à la suite des publications officielles mentionnant qu'il ne fallait se déplacer que lorsque l'on était très malade.
Sur la justification des déplacements et la pertinence des modalités mises en place, je ne suis pas en mesure de répondre.
Au-delà d'invisibiliser les sages-femmes, les publications parfois contradictoires ont aussi invisibilisé les femmes et leur santé. Certes, un certain nombre de sages-femmes ont connu des difficultés dans leurs déplacements professionnels, mais les femmes aussi, qui voyaient leurs déplacements interrompus, et pas seulement en raison de barrières linguistiques ou logistiques ! Pour les pouvoirs publics en effet, il n'était par exemple pas justifié de se déplacer pour une demande contraceptive. Or, sans contraception, c'est une grossesse non désirée.
Quid de la situation sanitaire catastrophique des sages-femmes dans votre hôpital et de la communication de l'ordre ? En plus d'être des élus ordinaux, nous sommes des professionnels de santé ; nous sommes donc très au fait des conditions que vous avez évoquées, car directement concernés. Je rappelle que nos communications ont été nombreuses, aussi bien vers les pouvoirs publics que les médias. Nous avons joué un rôle d'alerte, dans la phase épidémique. Nous avons composé un rôle différent de celui qui nous était préalablement attribué. De surcroît, notre communication a été inédite : je pense à notre tribune du 30 avril. C'est un fait sans précédent, puisque tous les ordres se sont rassemblés pour communiquer et alerter sur les masques de protection.
Sur la situation, la préparation à l'après, la communication des ordres et ce que les ordres réclament pour la suite, il me semble avoir été claire dans mon propos liminaire : j'ai alerté sur la situation de la périnatalité et de la santé des femmes en France. Il y a des actions à mener. Pour ma profession, cela signifie obtenir enfin des masques FFP2. Je le dis publiquement : aujourd'hui, les sages-femmes continuent à exercer avec des patientes covid+ sans masque de protection adapté. Par ailleurs, il est absolument important de se focaliser sur des éléments tels que la télémédecine.
La question qui a été soulevée est partagée. Nous avons eu une approche consensuelle interordinale sur les actions de santé à mener collectivement.
M. Mourgues a évoqué la difficulté pour les citoyens en mauvaise santé à réfléchir à la pertinence de leur déplacement vers un cabinet médical. De surcroît et je le rappelle, une femme enceinte n'est pas malade, une femme qui souhaite une contraception ou qui souhaite avoir accès à sa gynécologie de prévention ne l'est pas non plus. Nous considérons donc que les femmes ont été relativement invisibilisées dans la dimension pandémique qu'a connue la France.
Dr Serge Fournier. - Sur le problème des masques, pour essayer d'être clair, il est évident que, à la fin de l'histoire, on a l'impression que les services de l'État ont essayé de cacher le plus longtemps possible, y compris aux professionnels de santé et aux corps intermédiaires, l'absence de moyens de protection, notamment de masques FFP2 ou de masques chirurgicaux.
J'entends que l'on me reproche d'avoir fait fermer les cabinets. J'ai fait fermer les cabinets lundi 16 mars, à 17 heures, soit trois heures avant l'intervention du Président de la République qui a confiné - pour les mêmes raisons ! - les Français. Qui plus est, je venais de découvrir que l'on n'avait pas un masque en réserve en France.
Quelques heures après, le ministère nous octroie 100 000 masques FFP2 ; or, la consommation par semaine pour l'ensemble des chirurgiens-dentistes est de 800 000 masques. Cela aura permis de faire fonctionner pendant un mois les cabinets de garde judicieusement répartis par département sur l'ensemble du territoire, même si je pense que, pour nous les donner, l'État a raclé les tiroirs.
Sur le moment, on n'en a pas fait la publicité, car nous savions que, dans les hôpitaux, dans les cabinets libéraux, les médecins, les pharmaciens, les infirmiers et tous les autres professionnels de santé n'en avaient pas. Certes, nous sommes les plus exposés.
Je découvre à la fin de l'histoire que n'avons pas de stock ! Dans les cabinets dentaires, les masques chirurgicaux que nous avons ne sont pas adaptés à l'état de crise. Or nous ne pouvons travailler qu'avec des masques FFP2, qu'il nous faut renouveler deux fois par jour. Nous ne disposons pas de ces masques.
Sur l'allongement des délais, nous sommes dans un processus totalement mécanique. Un cabinet moyen reçoit vingt patients par jour ; aujourd'hui, il n'en reçoit plus qu'un par heure. En travaillant dix heures par jour, son activité se voit mécaniquement réduite de 50 %. Par conséquent, selon les régions, les délais d'attente vont être multipliés par deux.
On m'a demandé de diminuer le caractère coercitif des recommandations que nous avons émises. Nous en sommes à la troisième version. Certes, ces recommandations sont allégées, tout en maintenant la sécurité du patient, du personnel des cabinets dentaires et du praticien. Nous ne pourrons pas aller en deçà. En revanche, j'ai vivement demandé à mes 46 000 confrères de bien vouloir augmenter leur temps de travail, afin de diminuer le délai de prise de rendez-vous. Il me semble que c'est possible, notamment chez les jeunes générations qui n'ont pas forcément l'habitude de travailler six jours par semaine.
L'ordre national a une position très claire sur le forfait covid : il ne peut y avoir de dépassement sauvage pour des soins conventionnés. Ces dépassements peuvent exister pour des soins à honoraires libres, à condition qu'ils soient affichés, mis sur le site et soumis à un devis préalable. Nous l'acceptons, car c'est la réalité du terrain, mais comment appliquer un forfait covid à un patient bénéficiaire de la CMU ? Aujourd'hui, dans un cabinet dentaire, les fournitures de protection représentent un budget considérable, qui, à terme, sans aide de l'assurance maladie comme cela devait être le cas puisqu'il était question d'avoir un forfait négocié avec les syndicats - ce forfait a disparu des négociations - posera problème.
Il n'est pas question d'appliquer un dépassement aux plus défavorisés ou pour des soins simples, bien que le matériel de protection soit le même. Nous sommes là sur la bande blanche et je suis en train de jouer un numéro d'équilibriste un peu compliqué.
Lors des réunions à la DGS au mois de janvier et après, on nous a remis des diaporamas. On a d'abord évoqué devant nous ce qui se passait en Chine, on nous a donné des chiffres, en nous disant, je pense en toute bonne foi, que c'était très contagieux, mais peu mortel. Peut-être avions-nous des chiffres qui ne correspondaient pas à la réalité, on l'a bien vu ensuite avec les incinérations en Chine. Nous sommes donc partis d'un postulat qui était faux. Je me souviens de cette première réunion où a été évoqué le fait de traiter d'abord les patients à l'hôpital, puis, quand le nombre de patients serait trop important, si on n'arrivait pas à juguler l'épidémie, de les traiter à domicile en confinement. En aucun cas, on ne nous a parlé de confinement généralisé.
J'ai gardé les diaporamas, je les ai revus récemment pour refaire l'historique : cela n'a pas du tout été évoqué. Peut-être d'ailleurs que cela nous aurait permis de mieux anticiper et de mieux nous organiser. Je pense que cela n'était tout simplement pas dans les tuyaux de l'administration.
Pourrez-vous nous faire venir ces diaporamas, avec leurs dates ? Cela nous permettra de reconstituer la chronologie.
Y participaient des virologues, des membres de l'Institut Pasteur, ce que la France compte de plus hautes autorités scientifiques en matière de virologie et d'épidémie. Il s'agit de réunions très intéressantes, mais plus informatives.
Madame la sénatrice Guillemot, je vous remercie d'avoir évoqué la souffrance des personnels. On ne nous a pas entendus à ce propos, dites-vous. C'est vrai. Nous avons l'impression d'être un peu loin de cette phase aiguë, alors que nous en sommes très proches, même si le quotidien a repris un petit peu le dessus.
Les professionnels ont été très angoissés, comme la population. On recevait des informations contradictoires, parce que l'on ne savait rien. On avait peur, car on avait tous des proches âgés. Il y avait aussi l'angoisse de l'avenir ; l'angoisse financière a parfois généré beaucoup d'agressivité, avec des comportements difficiles à gérer, notamment sur les réseaux sociaux. J'ai indiqué en creux le nombre de mails auxquels nous avons dû répondre en permanence. Très souvent, je demandais aux professionnels de me donner leur numéro et j'ai parfois passé quatre à cinq heures par jour au téléphone !
C'était la même chose dans les départements. Nous avons été au plus près des professionnels, mais il y avait beaucoup de questions et d'angoisse chez une profession qui est déjà en souffrance. Vous l'avez souligné, elle souffre d'un manque de reconnaissance.
D'ailleurs, je vois avec grand plaisir la plupart des professions autour de moi évoluer parce que la santé et la prise en charge de la population évoluent. Je me réjouis de voir de nouvelles compétences pour les pharmaciens, pour les infirmiers, pour les sages-femmes, mais je déplore que toutes les demandes que je formule pour ma profession ne soient jamais entendues. Je ne me l'explique pas et les kinésithérapeutes ne se l'expliquent pas non plus : ils voient leurs compétences distribuées à d'autres professions et ne savent plus du tout sur quel pied danser et ce que l'avenir leur réserve. C'est une véritable préoccupation. J'écris partout, à vous, aux députés, au ministre, et je n'ai pas de réponse.
On a parlé des médecins coordonnateurs dans les Ehpad. Pour ma part, je déplore que, dans ces établissements, les administratifs prennent le pas sur les médecins et les professionnels de santé. Je reçois de nombreux mails à ce propos. Quand le médecin coordonnateur demande à ce qu'il y ait un kinésithérapeute, rédige la prescription, appelle lui-même le kinésithérapeute, je ne comprends pas que le directeur de l'Ehpad lui refuse l'entrée. C'était peut-être illusoire, mais j'avais même demandé au ministère si l'on ne pouvait pas envisager l'absence de responsabilité pénale des directeurs d'Ehpad, car leur crainte en faisant entrer des gens dans leur établissement, c'est d'être accusés de mise en danger d'autrui.
Au mois de janvier, bien avant le confinement, quand les Ehpad ont commencé à refuser les kinésithérapeutes, j'ai alerté le ministère et les fédérations d'Ehpad : le ministère m'a répondu que ce n'était pas du tout leurs consignes, mais que les Ehpad avaient peur que le système de santé ne puisse pas tenir s'il y avait un afflux trop important de patients. Le ministère m'a dit : s'il y a trop de patients dans les hôpitaux, on sera peut-être amené à devoir trier et, dans les Ehpad, on ne pourra pas forcément mettre les personnes en réanimation, parce que la durée en réanimation, c'est au moins trois semaines, quelques fois jusqu'à six semaines ; avoir des personnes âgées polypathologiques susceptibles d'« encombrer » des lits d'hôpitaux et ne pas pouvoir intégrer des jeunes les inquiétait. Je ne dis pas qu'il y a eu du tri, mais c'est pour cette raison qu'on a très tôt limité l'accès aux Ehpad, y compris pour des soins qui sont pour moi essentiels. Les personnes âgées n'ont pas fini d'en payer les conséquences, d'autant que ce genre de situation se reproduira et se reproduit déjà maintenant.
S'agissant des kinésithérapeutes dans les Ehpad, on en revient aussi à la qualité des soins. Le maintien de l'autonomie d'une personne âgée en Ehpad est coté 12,60 euros bruts ; on est à 48 % de charges avant impôts, il reste donc 6,10 euros au kinésithérapeute. Ce n'est pas rentable, surtout s'il veut passer trois quarts d'heure pour faire un bon travail. La question de la rémunération devra donc se poser.
Vous avez raison, madame la sénatrice, sur les consignes diverses, je l'ai moi-même déploré et je m'en suis moi-même expliquée. L'ordre a donné des consignes en responsabilité, parce que nous n'avions pas d'équipement et que les conditions d'hygiène dans les cabinets sont très difficiles : on n'est pas dans la situation des infirmiers libéraux, qui accomplissent la majorité de leurs soins à domicile et très peu à leur cabinet, ou dans celle des médecins. Les cabinets sont pour la plupart pluriprofessionnels avec beaucoup de praticiens. C'est d'ailleurs ce que veulent le Gouvernement et peut-être la représentation nationale, on nous demande de nous regrouper. La ministre avait dit : plus d'exercice individuel.
Dans un cabinet qui regroupe quatre kinésithérapeutes, si l'on ajoute les patients et les accompagnants - la plupart des patients ne peuvent se déplacer seuls à cause de leur pathologie -, cela fait un monde considérable dans les salles d'attente et dans les salles de soins, qui, si elles sont individuelles, n'en sont pas moins communes ! Nous n'avons donc pas eu d'autre choix en début de crise. Actuellement, les consignes d'hygiène sont très strictes, mais je ne vois pas comment on pourrait faire autrement. De ce fait, cela limite le nombre de patients accueillis et limite aussi les rémunérations. C'est pourquoi nous sommes également inquiets pour la santé économique de nos confrères.
Il y a eu de grosses difficultés d'approvisionnement en masques. Les pharmaciens ont été en première ligne et cela n'a pas été facile pour eux. En Sud Gironde où j'exerce, pendant trois semaines consécutives, en début de crise, je n'ai pas eu de masques : je n'avais pas ma dotation tout simplement parce que le pharmacien n'en avait pas ! Comme tous les autres professionnels de santé, j'ai râlé. Cela a été très compliqué pour les pharmaciens comme pour les professionnels. C'est pour cela que l'ordre a commandé des visières très solides et de qualité, qui ne se substituent bien évidemment pas au masque. Cela évite aussi de toucher le masque et permet d'avoir un peu plus de sécurité dans nos soins.
À la suite de cette crise, on nous a dit que ce ne serait plus jamais comme avant : il va y avoir le Ségur et ce sera le grand soir... Finalement, je n'ai qu'un regret, c'est que, pour la kinésithérapie et la rééducation en général, il n'y ait rien eu. Je n'ai pas du tout été entendue.
La rééducation est la grande absente des politiques publiques dans ce pays où on parle peu de prévention et jamais de rééducation et de réadaptation. C'est parce que l'on est dans le soin que nous sommes souvent les grands oubliés : nous sommes invisibles. Certes, un chirurgien orthopédiste sait très bien que, sans kinésithérapie, il n'obtiendra pas de bons résultats, les médecins avec lesquels nous travaillons le savent, mais les pouvoirs publics n'en sont pas conscients.
Madame Derrendinger, sachez que je partage totalement votre colère et votre indignation : l'invisibilité sur la santé des femmes, notamment le périnatal, a été problématique. On l'a bien perçu au début du confinement sur la question de l'interruption volontaire de grossesse, mais aussi sur les suivis de grossesse et les accouchements.
Au cours du confinement, dans l'exercice de vos professions respectives, avez-vous eu le sentiment d'aller à l'encontre de l'éthique ? Les enquêtes que vous menez le corroborent peut-être. Les sages-femmes par exemple sont-elles allées plus vite, sans donner les bonnes pratiques ou les bons conseils ? Il est peut-être un peu tôt pour le savoir, mais quels sont les indicateurs en termes de déclenchements de naissance ou de recours aux césariennes ? Y a-t-il eu des heurts entre l'exercice de vos professions et le contexte tout à fait particulier du confinement ?
Lors des auditions précédentes, on a beaucoup entendu parler d'anticipation et vous-mêmes en avez parlé. En termes de dépistages et de tests, vous avez été plusieurs à faire des courriers ou des lettres ouvertes au Président de la République ou au ministre, avez-vous eu des réponses ? Je pense en particulier aux chirurgiens-dentistes.
Connaissez-vous le nombre de professionnels de santé qui ont été contaminés dans leur activité et qui n'ont pas pu continuer à exercer ?
Les professionnels de santé comme ceux du secteur médico-social sont particulièrement exposés. Sont-ils prioritaires pour les tests ? D'une manière générale, la mise en place des tests a été longue et les laboratoires ont un peu partout des difficultés à suivre le rythme.
Vous avez donné une chronologie de ce que vous avez vécu lors de cette pandémie : manque d'anticipation, manque d'équipements, etc. Avez-vous des dates pour travailler avec les différentes autorités, notamment le ministère des solidarités et de la santé, pour faire un retour d'expérience ? Ce que vous nous dites dans le cadre de cette commission d'enquête est extrêmement riche et intéressant. Ce retour d'expérience devrait pouvoir profiter à l'ensemble pour corriger le tir.
Madame Mathieu, vous avez parlé de l'invisibilité des kinésithérapeutes et des difficultés en matière de rééducation. Je pense que cette situation dépasse le cadre de cette pandémie et que la crise a exacerbé cette problématique : en réalité, c'est l'ensemble du système de santé sur les questions de rééducation qui est en souffrance.
Aujourd'hui, nous vous recevons parce que vous êtes des représentants d'ordres. Les orthophonistes ne participent pas à cette table ronde, parce qu'ils ne sont pas constitués en ordre. Pour avoir visité bon nombre d'hôpitaux, d'Ehpad et d'autres structures, lorsque j'ai demandé où étaient les orthophonistes, on m'a répondu : il n'y en a pas, mais on se débrouille. Quand un patient a des troubles neurologiques avec des séquelles au niveau du langage, on ne se débrouille pas, car c'est autant de perte de chance pour lui. Le constat est donc global et interroge l'ensemble de notre système de santé.
Je terminerai sur une inquiétude. Il y a ce manque d'équipements de protection - on parle des masques, mais c'est vrai des blouses, des surblouses, etc. En tant que parlementaires, nous avons beaucoup été alertés sur les sacs poubelle utilisés en guise de surblouses. J'ai bien entendu que les sages-femmes étaient toujours en déficit de masques FFP2. Comment corriger cette situation ? On ne tire pas d'enseignement de ce qui vient d'être vécu.
Dans le cadre des auditions menées par Catherine Deroche, nous avons eu l'occasion de vous recevoir le 14 mai dernier, monsieur Fournier, et vous nous avez donné des éléments extrêmement précis concernant les chirurgiens-dentistes. Pouvez-vous revenir sur le fait que la remise en route des cabinets pose problème en raison des conditions d'aération et de désinfection qui sont imposées ? Vous aviez alors mentionné l'aspect économique, qui n'affecte pas seulement les cabinets dentaires, et indiqué que les soins dentaires représentaient un budget de 12 milliards d'euros, soit 3 % du budget de la sécurité sociale. Cela aura donc un impact non seulement sur le volet des soins, mais aussi sur le volet économique.
Je souhaite revenir sur la question de la pénurie. Apparemment, c'est en février qu'en tant que président de votre ordre vous avez pris conscience, pour chacune de vos professions, qu'il y avait pénurie sur les protections individuelles. Quand tous les praticiens en ont-ils pris conscience ? Comment ont-ils vécu les protocoles qui ont été élaborés, notamment le fait que, pendant un certain laps de temps, le port du masque n'était pas obligatoire, alors que la plupart d'entre vous avaient conscience qu'il fallait des protections individuelles ?
On peut s'intéresser à titre individuel aux zoonoses, mais y a-t-il une formation sur ces questions ? Les professionnels de santé sont-ils tous à même de comprendre ce que c'est ? Selon vous, cela doit-il être enseigné et cette connaissance devrait-elle être plus largement partagée pour mieux envisager l'avenir ?
Dr Jean-Marcel Mourgues. - La question des violences intrafamiliales nous concerne tous, tous ordres réunis, et nous émeut. Manifestement, ces violences ont augmenté, en grande partie en raison du confinement, tant et si bien qu'un comité national des violences intrafamiliales a été mis en place avec plusieurs partenaires. Il est présidé par l'une des vice-présidentes du Conseil national de l'ordre des médecins.
Avons-nous le sentiment que le confinement a heurté l'éthique du métier ? C'est une question très complexe. Nous l'avons vu cet après-midi, différentes questions se sont posées à nous, notamment le fait improbable que les capacités d'accueil des services d'urgences réanimation puissent être dépassées. Heureusement, cela n'a pas été le cas. Souvenez-vous que, lorsque le confinement généralisé a été déployé le 17 mars, trois régions se trouvaient déjà en forte tension : le Grand Est, l'Île-de-France et les Hauts-de-France. Il s'agissait de savoir si le confinement généralisé allait permettre d'éviter la généralisation de cette déferlante sur l'ensemble du territoire national.
C'était l'époque des grandes incertitudes et des questions sur l'accès aux soins. On a d'emblée compris, notamment avec l'application du Plan blanc et l'annulation en masse des soins et des consultations, que nos concitoyens souffriraient d'un retard dans l'accès aux soins pour tout ce qui ne concernait pas les soins liés à la pandémie covid. Il s'agit là de questions encore récurrentes, puisque l'on ne peut pas dire que la situation soit pleinement satisfaisante.
Sur le dépistage, on est à peu près tous d'accord pour dire qu'il faut tester. En l'état actuel des choses, on en est à peu près à 900 000 tests par semaine, l'objectif étant au moins un million. Plusieurs problèmes se posent, en particulier pour les tests dits virologiques par prélèvement nasopharyngé : on se heurte aux capacités intrinsèques des laboratoires à absorber la demande, avec des délais de rendez-vous les plus courts possible et la communication des résultats le plus vite possible. En effet, si les délais sont très longs, quelqu'un qui est encore positif peut basculer dans une négativité ou être à la limite, et les retards de dépistage sont préjudiciables, notamment pour les personnes asymptomatiques qui n'auront pas forcément l'idée de s'isoler tant qu'elles n'auront pas leurs résultats.
Un confrère corse conseiller national m'a confié la semaine dernière qu'il recevait un millier d'appels par jour pour des demandes de dépistage. Vous comprenez aisément qu'il n'existe aucune plateforme téléphonique adaptée et opérationnelle capable d'absorber un tel afflux. La question connexe, c'est celle de la hiérarchisation des demandes de tests selon des critères médicaux. On va du cas fortement suspect, cas contact lui-même malade d'un cas index, à une personne anxieuse, qui n'a aucun symptôme, qui ne s'est pas rendue par exemple dans des réunions festives où le risque est important, mais qui a besoin d'être rassurée.
Ce collègue et moi en convenions : il serait pertinent de pouvoir hiérarchiser dans le temps, selon des critères médicaux, pour traiter les cas les plus urgents. Cependant, cela pose un problème, parce qu'il n'est pas question de mobiliser le personnel des laboratoires qui est déjà en tension, pour réaliser un screening, c'est-à-dire une différenciation. Si l'on revient à la prescription médicale, on neutralisera ceux qui vont au laboratoire sans prescription et il sera alors très difficile d'atteindre les objectifs d'un million de personnes testées.
Une autre question se pose, mais qui reste pour l'instant en suspens, et qui ne relève pas tout à fait de ma compétence, c'est celle des autres tests, dits salivaires. Pour le moment, mais les choses peuvent évoluer très vite, ils ont une sensibilité inférieure d'environ 20 % par rapport à celle des tests RT-PCR, laquelle est de 90 % à 95 % si les prélèvements sont bien réalisés, ce qui n'a pas toujours été le cas. Il s'agit donc d'améliorer le plus rapidement possible la sensibilité des tests salivaires, si cela est possible, et de les proposer alors à une population qui n'est pas symptomatique, qui n'est pas à fort risque et qui de toute façon ne se ferait pas prélever. En outre, le caractère désagréable du prélèvement nasopharyngé disparaît et, avec un matériel adéquat, les résultats pourraient être produits dans un délai d'une heure.
Je pense pouvoir dire que, dès le début du confinement, voire un peu avant, début mars, l'inquiétude vis-à-vis des masques de protection a été largement partagée par l'ensemble des professionnels de santé. J'ai acheté à l'officine à côté de mon cabinet des masques qui étaient anciens, mais que ce pharmacien avait en stock. J'ai dû ensuite m'approvisionner à la débrouille avec des fournisseurs de collectivités territoriales qui avaient des masques de protection et qui avaient communiqué de façon informelle, en réseau, leur numéro de mobile aux professionnels de santé pour qu'ils puissent s'approvisionner.
Faut-il rappeler le contexte de l'époque ? Il n'y avait pas de tests, sauf pour les cas graves et les professionnels de santé. Et encore ! On a connu des situations où même le 15 nous répondait qu'il n'y avait pas moyen de tester, qu'il fallait travailler protégé. Je prends cet exemple, mais il ne s'agit bien évidemment pas de stigmatiser le 15. Je rappelle que nous étions en fin de période de grippe, il n'y avait pas de tests rapides d'orientation diagnostique (TROD) dans les cabinets de ville et nous étions dans le brouillard complet sur le plan épidémiologique.
Je le répète : il y a vraiment un progrès à faire dans le lien entre les agences régionales de santé et les professionnels de santé de terrain sur un complément d'information sur la réalité épidémiologique par bassin de vie. Il n'est pas normal que les professionnels de santé ne reçoivent pas une information plus complète et différenciée que ceux qui regardent les médias généraux.
En ce qui concerne le prix payé par les professionnels de santé, c'est complexe parce qu'il n'y a pas de répertoire centralisé. Une cinquantaine de médecins seraient décédés. S'agissant du nombre de médecins malades, c'est la grande inconnue.
Le ministre Olivier Véran a annoncé le 23 avril devant l'Assemblée nationale la reconnaissance, avec une présomption d'imputabilité, d'une maladie professionnelle, lorsque les professionnels de santé étaient atteints de la covid. Il semble bien que le tableau de maladies professionnelles liées à ce virus ne reconnaîtra finalement ces critères qu'en cas de gravité particulière. En d'autres termes, le répertoire de maladies professionnelles que collectera l'assurance maladie sous-estimera de façon importante le nombre réel de professionnels de santé atteints.
S'agissant des décès, comme on pouvait s'y attendre, on note une surreprésentation des généralistes, qui sont au-delà de la représentation numérique dans la démographie médicale. On peut en effet s'interroger sur le lien direct avec l'insuffisance de protection ou d'informations sur la réalité de la situation dans les bassins de vie.
La remise en route des cabinets pose problème à plus d'un titre. Il y a toujours des protocoles de désinfection quand les patients passent les uns après les autres, dans les salles d'attente, etc. C'est très contraignant et il s'agit de ne pas baisser la garde.
La reprise des parcours de soins est une préoccupation très forte, car la situation est loin d'être satisfaisante. Quantité de patients n'ont pas repris lien parce que les structures ont appelé pour annuler des consultations, qui ont été reportées sine die, et qu'ils n'ont été recontactés : cela va emboliser les professionnels de santé pour remettre ces patients dans le parcours de soins, mais avec un effet de d'embouteillages.
Le département du Lot-et-Garonne a enregistré onze décès hospitaliers et deux en dehors de l'hôpital. Rapporté à la France entière, cela ferait 2 500 morts. On a donc été relativement épargné par la première vague. En revanche, si l'on avait la possibilité de mesurer la surmortalité liée à tout autre raison - retards de prise en charge, glissements dans les Ehpad -, même si, sur les courbes Insee, ce n'est pas très net, on aurait selon toute vraisemblance davantage de décès hors Covid. Je rejoins ce qu'a dit Pascale Mathieu : un patient atteint de Parkinson qui a une entorse peut voir compromises sa rééducation fonctionnelle et son autonomie, ce qui peut provoquer un alitement et... on connaît la suite, pour peu qu'il y ait de l'isolement.
Je conclus sur l'aspect économique. Il sera très intéressant d'étudier l'impact en termes de démographie médicale que cette crise aura sur les jeunes médecins dans leur projet d'exercice libéral. Il semblerait, mais je serai très prudent, que les incertitudes énumérées à juste titre par les praticiens libéraux sur la période passée risquent d'aggraver le déficit d'attractivité de l'exercice libéral. Début 2021, nous aurons un retour sur l'année passée.
Avez-vous été sollicité pour des dates de retour d'expérience ?
Dr Jean-Marcel Mourgues. - Non, sachant qu'il y a plusieurs types de retour d'expérience : un retour d'expérience de la pandémie qui doit être réalisé le plus rapidement possible pour savoir ce qu'il faut faire si une deuxième vague d'envergure survient, un retour d'expérience à plus long terme sur les risques sanitaires liés notamment aux pandémies virales, un retour d'expérience pour savoir en quoi cette situation a pu aggraver ou mettre en lumière les insuffisances de notre système de santé. On mesure bien à quel point c'est complexe.
J'imagine que vous avez des propositions à faire !
Dr Jean-Marcel Mourgues. - Bien sûr ! Nous en avons d'ailleurs formulé dans le Ségur de la santé et je partage l'avis collectif : nous sommes inquiets.
Vous n'avez pas répondu sur la formation des médecins, des infirmiers et autres sur les zoonoses.
Dr Jean-Marcel Mourgues. - Sur cette question, je serai très prudent : dans le milieu universitaire, les formations sur ces questions sont limitées. Ma formation initiale est très limitée, mais elle date. En ce qui concerne le développement professionnel continu et la formation des médecins durant toute leur carrière, je crois que c'est également très limité. Manifestement, dès la formation initiale, mais aussi dans le développement professionnel continu, il faudra intégrer un gros bloc de santé publique et de prévention des risques sanitaires, dont les zoonoses.
Dr Carine Wolf-Thal. - Dans l'exercice pharmaceutique, tous métiers confondus, il n'y a pas eu de pratiques allant à l'encontre de l'éthique. Bien au contraire, tout ce qui a été mis en place visait justement à assurer une continuité d'accès aux soins et à éviter des dérapages ou des ruptures dans les soins.
Sur le nombre de contaminés, je ferai le même constat : il est très difficile d'avoir des chiffres précis et d'avoir la certitude que ces cas sont bien liés à la covid. Il n'y a pas de surmortalité chez les pharmaciens au cours de la période. Pour autant, on sait maintenant que des pharmaciens sont décédés, mais cela reste dans l'épaisseur du trait, si j'ose dire.
Sur les arrêts maladie, notamment des pharmaciens salariés, là encore, il est difficile de faire la part entre les arrêts maladie covid et les arrêts maladie pour garde d'enfants ou pour d'autres raisons, puisque certains salariés n'étaient pas eux-mêmes contaminés. On sait par des enquêtes déclaratives qui ont été notamment menées par les syndicats que 40 % des arrêts maladie ont été dus à un collaborateur malade. Dans le cadre d'une enquête réalisée également par un syndicat, 10 % des pharmaciens titulaires d'officine ont répondu que, dans leur équipe, ils ont été contaminés. C'est très approximatif, mais c'est lié au fait que le recensement n'existe pas.
L'ordre des pharmaciens a mis en place une cellule d'écoute spéciale pour répondre aux angoisses des pharmaciens, laquelle a été largement sollicitée. Les conseillers ordinaux ont été très présents et ont appelé un à un chaque pharmacien d'officine, pour échanger, écouter et essayer de tenter d'apporter des solutions.
Je vous fournirai les chiffres, mais le nombre de fréquentations de notre site spécial covid est impressionnant : on a atteint des dizaines de milliers de vues et de consultations de nos foires aux questions (FAQ). Nous avons organisé des webconférences qui ont réuni plus de 5 000 participants. L'ordre a été visible auprès de ses ressortissants. Il l'a probablement été moins dans les médias, même si je me suis personnellement rendue sur des plateaux télé. Il est vrai que nous étions bien occupés et dans nos exercices et à informer et accompagner nos confrères ; nous avions peut-être moins le temps d'être dans la presse. Notre priorité était la visibilité pour nos confrères.
Je reprends à mon compte les propos de Jean-Marcel Mourgues sur les tests et sur l'importance de la priorisation. J'ajoute que de nombreuses personnes ont besoin de se faire dépister soit pour des voyages, soit pour des process administratifs : on leur demande ce test. Pour eux, c'est prioritaire, car ils ne peuvent faire sans. C'est donc toute la difficulté de la priorisation des tests.
Les pharmaciens sont formés aux zoonoses ; notamment outre-mer, certains pharmaciens sont particulièrement au fait des dengues, zika et autres. De plus en plus, nous proposons des formations, car, comme cela a été dit, dans certaines régions françaises commencent à se développer des pathologies transmises notamment par les moustiques. Il faut probablement renforcer certaines procédures à l'avenir.
Nous avons incité les professionnels à faire des tests et, dans les dernières mesures, nous avons obtenu que les infirmiers puissent prescrire des tests pour faciliter l'accès au test.
Concernant la contamination des professionnels, Santé publique France a mené une enquête. Nous ne sommes pas en capacité de le faire, car le tableau n'est pas totalement inscrit. En revanche, nous avons insisté auprès de l'Assemblée nationale pour que les enfants de tous les professionnels de santé puissent bénéficier d'un statut similaire à celui de pupille de la Nation : cela a été débattu en séance publique et c'est maintenant entre les mains du Gouvernement.
Les professionnels de santé ont été en grosse difficulté. On a créé une adresse mail d'écoute et le site a été très consulté. On a proposé des rendez-vous avec des psychologues cliniciens, au-delà de l'entraide confraternelle, de façon à ce que les professionnels soient suivis dans la continuité.
On n'a pas de calendrier des travaux. On est très inquiet pour la suite, au-delà de la formation que vous avez indiquée sur les zoonoses. Une enquête a été menée sur les étudiants infirmiers qui est parue la semaine dernière : certains vont abandonner. Les étudiants infirmiers de troisième année ont fait fonction d'infirmiers dans les services de réanimations et ailleurs pour pallier l'ouverture des lits et la nécessité de continuité des soins pour les infirmiers. Certains nous ont dit qu'ils allaient abandonner la profession parce qu'ils avaient été mis en difficulté pendant leur exercice professionnel jusqu'au dernier moment et des étudiants qui étaient en fin de formation disent que les conditions étaient tellement dures - sans compter les retards de diplomation - que cela pose un vrai sujet.
On n'a pas de date. Vers la mi-mars, nous avons remonté au Gouvernement qu'il y avait un problème concernant la prise en charge des patients hors covid. Dans le même temps, dans la même enquête, les infirmiers ont évoqué les problèmes d'EPI, et pas seulement les masques.
Pour ce qui est de l'anticipation, nous avons demandé que la possibilité que nous avions obtenue de la Caisse nationale d'assurance maladie que les remplaçants exercent en même temps que les titulaires soit pérennisée jusqu'à la fin de l'année, de façon à augmenter sur les territoires la quantité de professionnels disponibles, notamment en médecine de ville, pour assurer la prise en charge. En effet, on voit que cela reprend à bas bruit.
Ai-je été heurtée dans mon éthique professionnelle ? Oui. Comment ne pas être heurté dans son éthique professionnelle et ordinale quand on encourage ses collègues à préserver l'activité sans avoir les mesures de protection pour soi et pour les autres ?
Je vous rappelle que c'est le 28 février que le Conseil national de l'ordre des sages-femmes a alerté la DGS sur les remontées du terrain des sages-femmes qui s'inquiétaient de l'absence de dotation. Nous sommes élus, mais nous sommes aussi professionnels, et nous connaissions le même déficit de fourniture.
Comment ne pas être heurté dans son éthique professionnelle quand la Haute Autorité de santé envisage de publier des réponses rapides en sortie de confinement pour les femmes et les enfants, que le Conseil national de l'ordre répond au cabinet du ministère qui l'a interrogé le 5 mai sur les préconisations ordinales pour la sortie du confinement qu'il faut doter les sages-femmes de masques FFP2, que, le 11 mai, l'ordre relit les réponses rapides de la Haute Autorité de santé et que celles-ci ne seront publiées que le 23 juin ? Ce qui diffère entre les réponses rapides du 11 mai et celles du 23 juin ? C'est la disparition des masques FFP2 pour les professionnels de santé périnatale. Suis-je heurtée dans mon éthique professionnelle ? À 100 %. Mes collègues sont-elles heurtées ? Oui.
Nous avons parlé des difficultés financières relatives à l'obligation de se doter d'équipements de protection et des variabilités d'activité pour les professionnels de santé libéraux. Je rappelle que les sages-femmes libérales ont les revenus les plus faibles des professionnels de santé libéraux en France. Qu'est-ce à dire quand elles doivent s'équiper de matériel, maintenir une activité et ne pas avoir eu une activité deçà de 50 % qui leur aurait permis de bénéficier des aides d'État ?
Comment le vivent-elles ? Je vous rappelle que l'ordre a interrogé les 24 000 sages-femmes, 11 000 ont répondu. Le collège a aussi interrogé les sages-femmes. Le burn out existe. À la sortie du confinement, une sage-femme sur deux veut renoncer à sa profession. J'ose à peine faire des hypothèses statistiques après les conclusions du Ségur de la santé.
Y a-t-il des axes d'amélioration ? Oui.
Avons-nous été conviées pour une date de retour d'expérience ? Non.
Dr Serge Fournier. - Vous demandez si la situation a pu aller à l'encontre de l'éthique des professionnels. La question est très intéressante et, pour les chirurgiens-dentistes, la réponse est oui. En effet, nous n'avons pu assurer les soins que par le biais de cabinets de garde : cinq lieux d'exercice pour un département important comme celui de la Haute-Garonne, d'où je viens. Par conséquent, un tri important a dû être fait par les régulateurs. À peu près un patient sur cinq était reçu dans les cabinets de garde, car ceux-ci ne pouvaient recevoir que dix patients en une journée.
Dans ces conditions, l'éthique du professionnel de santé a été fortement touchée et je n'ose pas imaginer ce qui devait se passer dans les hôpitaux de Paris, où des tris concernant l'urgence ont peut-être été faits. Or je peux dire aujourd'hui qu'au CHU de Toulouse les lits étaient vides et qu'on attendait avec impatience que les malades viennent. Je passe sur les cliniques privées qui n'ont pas vu un seul patient par un manque d'accord entre l'hôpital public et les cliniques privées.
Concernant les tests de dépistage, je m'étonne également que les chirurgiens-dentistes ne figurent pas sur la liste. Nous avons le droit d'opérer, d'aller dans un sinus, mais pas celui de mettre un coton au fond de la gorge : nous ne comprenons pas cette incohérence. Cependant, nous attendons avec impatience l'éclosion des tests salivaires qui, s'ils étaient amenés à être fiables, nous permettraient de dépister dans nos cabinets un maximum de population.
Concernant le nombre de chirurgiens-dentistes contaminés durant la période hard, la réponse est zéro, puisque j'ai demandé à ce que l'on ferme les cabinets. Un ou deux praticiens se sont retrouvés en réanimation, mais ils n'ont pas forcément été contaminés dans l'exercice de leur métier. En revanche, depuis le 11 mai, le nombre de chirurgiens-dentistes et d'assistantes dentaires qui travaillent au fauteuil croît, même si je ne dispose pas de statistiques officielles sur tout le territoire. Cela vient peut-être du fait que l'on a baissé un petit peu la garde en matière de mesures de protection.
Nous n'avons plus aucun contact avec le ministère depuis le 11 mai. Cela étant, il y a un peu plus d'un mois, j'ai fait une demande d'audience auprès du ministre pour évoquer le retex covid, mais aussi d'autres sujets en cours. À ce jour, je n'ai pas de réponse. Je n'ai pas de proposition de date, bien que je comprenne que la situation soit un petit peu tendue.
Sur la remise en route, nous n'avons pas effectué de soins pendant deux mois et nous effectuons des soins à moitié vitesse au moins jusqu'à la fin de l'année. On peut donc penser que, sur les 12 milliards d'euros qui sont alloués aux soins prothèses dentaires et traitements d'orthodontie, on devrait retrouver 6 milliards d'euros de positif dans le budget de la sécurité sociale.
Je donnerai en passant un petit coup de patte aux organismes dont on n'a pas parlé : les assureurs complémentaires ont brillé par leur absence durant la totalité de la période covid, alors que les soins dentaires, c'est un tiers l'assurance maladie, un tiers les assurances complémentaires et un tiers la poche du patient. Concernant le tiers économisé par les assureurs, nous espérions qu'il pourrait y avoir un retour dans ce domaine, mais ils sont pour le moment extrêmement discrets.
Comment les praticiens voient-ils l'avenir ? Bien et mal. Pour l'instant, ils sont contents de pouvoir exercer leur métier, de distribuer des soins, mais ils aimeraient bien que l'on baisse le niveau des recommandations, ce qui ne va pas être possible.
Je conclus en disant que je suis évidemment extrêmement fier d'eux, de ce qu'ils ont fait en toute autonomie, sans rien demander à personne, et avec efficacité, mais avec des larmes. N'étant pas reconnus par les pouvoirs publics, il a fallu qu'ils se déshabillent sur les réseaux sociaux pour qu'enfin les médias et l'État veuillent bien leur accorder leur attention. L'opération #dentistesàpoil a permis de réveiller les médias.
Sur la question éthique, Mme Derrendinger a fort bien résumé la situation. Les kinésithérapeutes eux aussi ont souffert de ne pouvoir suivre certains patients. Concernant les Ehpad, j'ai saisi le Défenseur des droits au plus fort de la crise, et je rencontrerai ses représentants la semaine prochaine, pour les alerter sur cette atteinte au droit fondamental à être soigné.
D'autres patients, immunodéprimés, souffrant par exemple de sclérose en plaque, ont interrompu leurs traitements par peur. Ils étaient très angoissés et, au déconfinement, malgré la reprise d'une vie normale, certains n'ont pas repris les soins. Nombre de kinésithérapeutes s'interrogent : ils ont recontacté en vain les personnes. Ils ne savent que faire et expriment une véritable préoccupation éthique et morale.
Permettez-moi d'évoquer mon propre exemple au sujet des tests. La Direction générale de la santé a demandé aux professionnels de se faire tester si possible avant de reprendre leur activité. Rentrée de vacances samedi, j'ai cherché hier en vain un laboratoire pouvant me recevoir pour un test, je n'ai pu obtenir de rendez-vous avant... début octobre ! De retour dans ma province, j'aurai peut-être plus de facilité à faire le test. Il y a certes un drive spécialisé pour les professionnels dans le XVIIe arrondissement, mais il est réservé, logiquement, à ceux qui exercent à Paris.
J'ai été surprise de constater que les sapeurs-pompiers pouvaient apporter leur concours pour les tests... tandis que nous ne sommes pas dans la liste des professions concernées. Nous faisons pourtant des prélèvements, par exemple pour l'analyse des crachats dans la recherche des bronchites. Au cas présent, à notre offre de services, on a répondu qu'il serait fait appel à nous « si besoin »... J'espère que ce point pourra se débloquer, car plus nombreux sont les intervenants susceptibles de pratiquer des tests, plus élevé le nombre de personnes pouvant être testées.
Les problèmes touchant les équipements ont été fort mal vécus par les kinés.
J'ai été sollicitée par APF France handicap, autrement dit l'Association des paralysés de France, car beaucoup de ces patients ont arrêté leurs soins et rencontrent en conséquence de grosses difficultés physiques. Je les ai appelés, dans le cadre de l'émission Le Magazine de la santé, à retourner chez leurs kinés, affirmant que les professionnels pouvaient assurer les soins, avec des équipements et en appliquant les gestes barrières. J'ai reçu des torrents d'insultes, émanant de confrères qui m'accusaient de les envoyer à la mort, protestant qu'ils n'avaient même pas de masques. Les kinés ont fort mal vécu la période, ils avaient le sentiment d'abandonner leurs patients.
J'ai été également saisie par des associations de patients, par exemple ceux qui souffrent de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). J'ai expliqué que nous ne pouvions assurer les soins faute de masques FFP2. Cependant, grâce à certains réseaux, certains CHU - comme à Bordeaux -, nous avons reçu des masques et avons pu mettre en place des systèmes de garde pour les patients atteints de mucoviscidose et pour ceux qui avaient besoin de kinésithérapie respiratoire.
Sur les zoonoses, nous avons une formation de base, limitée, peut-être insuffisante. Il faudra sans doute revoir cela.
Les dotations de l'État pour l'achat d'équipements protecteurs prendront fin prochainement. J'ai demandé que nous bénéficiions au moins de prix planchers : nous avions l'habitude d'acheter des masques et d'en porter l'hiver, mais les prix ont flambé, c'est une charge devenue insupportable.
Les kinés m'ont alertée sur les directives contradictoires adressées par les caisses primaires d'assurance maladie. Certaines caisses estiment que le praticien qui serait un cas contact doit rester chez lui pendant quinze jours. Or, s'il soigne des patients atteints de covid, il est par définition cas contact ! J'ai donc écrit au directeur général de l'assurance maladie et au ministre pour les alerter et leur demander de mettre fin aux disparités.
Ce sont des cas contacts, mais qui appliquent des mesures de protection.
Merci à Mme Mathieu de soulever ce point, car nous rencontrons le même problème : depuis peu, on a tendance à mettre en quarantaine des équipes officinales entières. Va-t-on fermer toutes les officines ?
Pour finir, je signale qu'aucune concertation ne nous a été proposée sur les suites du covid, alors que les kinésithérapeutes, je les en remercie vivement, ont fait montre d'un bel engagement. Merci aussi aux conseillers ordinaux qui ont été à la hauteur de nos attentes.
Enfin, je remercie la commission d'enquête du Sénat, qui nous donne l'opportunité de faire connaître notre vécu au quotidien, durant cette crise... qui n'est pas terminée.
Merci à vous tous de la franchise avec laquelle vous vous êtes exprimés, et de l'attention profonde que vous portez à cette réflexion.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 35.