Intervention de Isabelle Derrendinger

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 2 septembre 2020 à 14h30
Table ronde avec des ordres des professions de santé

Isabelle Derrendinger, secrétaire générale du Conseil national de l'ordre des sages-femmes :

Les maisons de naissance sont-elles une solution face à la situation de crise ? Je ne souhaite pas que cette épidémie soit l'occasion d'une approche réductrice des maisons de naissance. Il s'agit de structures expérimentées et évaluées dont nous attendons la généralisation. Pour répondre à votre question sur le fond, ce sont aussi des espaces de proximité, fondés sur le choix des femmes en termes d'orientation.

Les plus grands clusters ayant été les hôpitaux et les maternités se trouvant la plupart du temps dans les hôpitaux, nous avons eu de nombreuses inquiétudes concernant les freins de la population à venir. Pour être moi-même une hospitalière, j'ai vu les locaux de l'hôpital de la maternité désaffectés par les femmes, à la suite des publications officielles mentionnant qu'il ne fallait se déplacer que lorsque l'on était très malade.

Sur la justification des déplacements et la pertinence des modalités mises en place, je ne suis pas en mesure de répondre.

Au-delà d'invisibiliser les sages-femmes, les publications parfois contradictoires ont aussi invisibilisé les femmes et leur santé. Certes, un certain nombre de sages-femmes ont connu des difficultés dans leurs déplacements professionnels, mais les femmes aussi, qui voyaient leurs déplacements interrompus, et pas seulement en raison de barrières linguistiques ou logistiques ! Pour les pouvoirs publics en effet, il n'était par exemple pas justifié de se déplacer pour une demande contraceptive. Or, sans contraception, c'est une grossesse non désirée.

Quid de la situation sanitaire catastrophique des sages-femmes dans votre hôpital et de la communication de l'ordre ? En plus d'être des élus ordinaux, nous sommes des professionnels de santé ; nous sommes donc très au fait des conditions que vous avez évoquées, car directement concernés. Je rappelle que nos communications ont été nombreuses, aussi bien vers les pouvoirs publics que les médias. Nous avons joué un rôle d'alerte, dans la phase épidémique. Nous avons composé un rôle différent de celui qui nous était préalablement attribué. De surcroît, notre communication a été inédite : je pense à notre tribune du 30 avril. C'est un fait sans précédent, puisque tous les ordres se sont rassemblés pour communiquer et alerter sur les masques de protection.

Sur la situation, la préparation à l'après, la communication des ordres et ce que les ordres réclament pour la suite, il me semble avoir été claire dans mon propos liminaire : j'ai alerté sur la situation de la périnatalité et de la santé des femmes en France. Il y a des actions à mener. Pour ma profession, cela signifie obtenir enfin des masques FFP2. Je le dis publiquement : aujourd'hui, les sages-femmes continuent à exercer avec des patientes covid+ sans masque de protection adapté. Par ailleurs, il est absolument important de se focaliser sur des éléments tels que la télémédecine.

La question qui a été soulevée est partagée. Nous avons eu une approche consensuelle interordinale sur les actions de santé à mener collectivement.

M. Mourgues a évoqué la difficulté pour les citoyens en mauvaise santé à réfléchir à la pertinence de leur déplacement vers un cabinet médical. De surcroît et je le rappelle, une femme enceinte n'est pas malade, une femme qui souhaite une contraception ou qui souhaite avoir accès à sa gynécologie de prévention ne l'est pas non plus. Nous considérons donc que les femmes ont été relativement invisibilisées dans la dimension pandémique qu'a connue la France.

Dr Serge Fournier. - Sur le problème des masques, pour essayer d'être clair, il est évident que, à la fin de l'histoire, on a l'impression que les services de l'État ont essayé de cacher le plus longtemps possible, y compris aux professionnels de santé et aux corps intermédiaires, l'absence de moyens de protection, notamment de masques FFP2 ou de masques chirurgicaux.

J'entends que l'on me reproche d'avoir fait fermer les cabinets. J'ai fait fermer les cabinets lundi 16 mars, à 17 heures, soit trois heures avant l'intervention du Président de la République qui a confiné - pour les mêmes raisons ! - les Français. Qui plus est, je venais de découvrir que l'on n'avait pas un masque en réserve en France.

Quelques heures après, le ministère nous octroie 100 000 masques FFP2 ; or, la consommation par semaine pour l'ensemble des chirurgiens-dentistes est de 800 000 masques. Cela aura permis de faire fonctionner pendant un mois les cabinets de garde judicieusement répartis par département sur l'ensemble du territoire, même si je pense que, pour nous les donner, l'État a raclé les tiroirs.

Sur le moment, on n'en a pas fait la publicité, car nous savions que, dans les hôpitaux, dans les cabinets libéraux, les médecins, les pharmaciens, les infirmiers et tous les autres professionnels de santé n'en avaient pas. Certes, nous sommes les plus exposés.

Je découvre à la fin de l'histoire que n'avons pas de stock ! Dans les cabinets dentaires, les masques chirurgicaux que nous avons ne sont pas adaptés à l'état de crise. Or nous ne pouvons travailler qu'avec des masques FFP2, qu'il nous faut renouveler deux fois par jour. Nous ne disposons pas de ces masques.

Sur l'allongement des délais, nous sommes dans un processus totalement mécanique. Un cabinet moyen reçoit vingt patients par jour ; aujourd'hui, il n'en reçoit plus qu'un par heure. En travaillant dix heures par jour, son activité se voit mécaniquement réduite de 50 %. Par conséquent, selon les régions, les délais d'attente vont être multipliés par deux.

On m'a demandé de diminuer le caractère coercitif des recommandations que nous avons émises. Nous en sommes à la troisième version. Certes, ces recommandations sont allégées, tout en maintenant la sécurité du patient, du personnel des cabinets dentaires et du praticien. Nous ne pourrons pas aller en deçà. En revanche, j'ai vivement demandé à mes 46 000 confrères de bien vouloir augmenter leur temps de travail, afin de diminuer le délai de prise de rendez-vous. Il me semble que c'est possible, notamment chez les jeunes générations qui n'ont pas forcément l'habitude de travailler six jours par semaine.

L'ordre national a une position très claire sur le forfait covid : il ne peut y avoir de dépassement sauvage pour des soins conventionnés. Ces dépassements peuvent exister pour des soins à honoraires libres, à condition qu'ils soient affichés, mis sur le site et soumis à un devis préalable. Nous l'acceptons, car c'est la réalité du terrain, mais comment appliquer un forfait covid à un patient bénéficiaire de la CMU ? Aujourd'hui, dans un cabinet dentaire, les fournitures de protection représentent un budget considérable, qui, à terme, sans aide de l'assurance maladie comme cela devait être le cas puisqu'il était question d'avoir un forfait négocié avec les syndicats - ce forfait a disparu des négociations - posera problème.

Il n'est pas question d'appliquer un dépassement aux plus défavorisés ou pour des soins simples, bien que le matériel de protection soit le même. Nous sommes là sur la bande blanche et je suis en train de jouer un numéro d'équilibriste un peu compliqué.

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