Intervention de Pascale Mathieu

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 2 septembre 2020 à 14h30
Table ronde avec des ordres des professions de santé

Pascale Mathieu, présidente du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes :

Y participaient des virologues, des membres de l'Institut Pasteur, ce que la France compte de plus hautes autorités scientifiques en matière de virologie et d'épidémie. Il s'agit de réunions très intéressantes, mais plus informatives.

Madame la sénatrice Guillemot, je vous remercie d'avoir évoqué la souffrance des personnels. On ne nous a pas entendus à ce propos, dites-vous. C'est vrai. Nous avons l'impression d'être un peu loin de cette phase aiguë, alors que nous en sommes très proches, même si le quotidien a repris un petit peu le dessus.

Les professionnels ont été très angoissés, comme la population. On recevait des informations contradictoires, parce que l'on ne savait rien. On avait peur, car on avait tous des proches âgés. Il y avait aussi l'angoisse de l'avenir ; l'angoisse financière a parfois généré beaucoup d'agressivité, avec des comportements difficiles à gérer, notamment sur les réseaux sociaux. J'ai indiqué en creux le nombre de mails auxquels nous avons dû répondre en permanence. Très souvent, je demandais aux professionnels de me donner leur numéro et j'ai parfois passé quatre à cinq heures par jour au téléphone !

C'était la même chose dans les départements. Nous avons été au plus près des professionnels, mais il y avait beaucoup de questions et d'angoisse chez une profession qui est déjà en souffrance. Vous l'avez souligné, elle souffre d'un manque de reconnaissance.

D'ailleurs, je vois avec grand plaisir la plupart des professions autour de moi évoluer parce que la santé et la prise en charge de la population évoluent. Je me réjouis de voir de nouvelles compétences pour les pharmaciens, pour les infirmiers, pour les sages-femmes, mais je déplore que toutes les demandes que je formule pour ma profession ne soient jamais entendues. Je ne me l'explique pas et les kinésithérapeutes ne se l'expliquent pas non plus : ils voient leurs compétences distribuées à d'autres professions et ne savent plus du tout sur quel pied danser et ce que l'avenir leur réserve. C'est une véritable préoccupation. J'écris partout, à vous, aux députés, au ministre, et je n'ai pas de réponse.

On a parlé des médecins coordonnateurs dans les Ehpad. Pour ma part, je déplore que, dans ces établissements, les administratifs prennent le pas sur les médecins et les professionnels de santé. Je reçois de nombreux mails à ce propos. Quand le médecin coordonnateur demande à ce qu'il y ait un kinésithérapeute, rédige la prescription, appelle lui-même le kinésithérapeute, je ne comprends pas que le directeur de l'Ehpad lui refuse l'entrée. C'était peut-être illusoire, mais j'avais même demandé au ministère si l'on ne pouvait pas envisager l'absence de responsabilité pénale des directeurs d'Ehpad, car leur crainte en faisant entrer des gens dans leur établissement, c'est d'être accusés de mise en danger d'autrui.

Au mois de janvier, bien avant le confinement, quand les Ehpad ont commencé à refuser les kinésithérapeutes, j'ai alerté le ministère et les fédérations d'Ehpad : le ministère m'a répondu que ce n'était pas du tout leurs consignes, mais que les Ehpad avaient peur que le système de santé ne puisse pas tenir s'il y avait un afflux trop important de patients. Le ministère m'a dit : s'il y a trop de patients dans les hôpitaux, on sera peut-être amené à devoir trier et, dans les Ehpad, on ne pourra pas forcément mettre les personnes en réanimation, parce que la durée en réanimation, c'est au moins trois semaines, quelques fois jusqu'à six semaines ; avoir des personnes âgées polypathologiques susceptibles d'« encombrer » des lits d'hôpitaux et ne pas pouvoir intégrer des jeunes les inquiétait. Je ne dis pas qu'il y a eu du tri, mais c'est pour cette raison qu'on a très tôt limité l'accès aux Ehpad, y compris pour des soins qui sont pour moi essentiels. Les personnes âgées n'ont pas fini d'en payer les conséquences, d'autant que ce genre de situation se reproduira et se reproduit déjà maintenant.

S'agissant des kinésithérapeutes dans les Ehpad, on en revient aussi à la qualité des soins. Le maintien de l'autonomie d'une personne âgée en Ehpad est coté 12,60 euros bruts ; on est à 48 % de charges avant impôts, il reste donc 6,10 euros au kinésithérapeute. Ce n'est pas rentable, surtout s'il veut passer trois quarts d'heure pour faire un bon travail. La question de la rémunération devra donc se poser.

Vous avez raison, madame la sénatrice, sur les consignes diverses, je l'ai moi-même déploré et je m'en suis moi-même expliquée. L'ordre a donné des consignes en responsabilité, parce que nous n'avions pas d'équipement et que les conditions d'hygiène dans les cabinets sont très difficiles : on n'est pas dans la situation des infirmiers libéraux, qui accomplissent la majorité de leurs soins à domicile et très peu à leur cabinet, ou dans celle des médecins. Les cabinets sont pour la plupart pluriprofessionnels avec beaucoup de praticiens. C'est d'ailleurs ce que veulent le Gouvernement et peut-être la représentation nationale, on nous demande de nous regrouper. La ministre avait dit : plus d'exercice individuel.

Dans un cabinet qui regroupe quatre kinésithérapeutes, si l'on ajoute les patients et les accompagnants - la plupart des patients ne peuvent se déplacer seuls à cause de leur pathologie -, cela fait un monde considérable dans les salles d'attente et dans les salles de soins, qui, si elles sont individuelles, n'en sont pas moins communes ! Nous n'avons donc pas eu d'autre choix en début de crise. Actuellement, les consignes d'hygiène sont très strictes, mais je ne vois pas comment on pourrait faire autrement. De ce fait, cela limite le nombre de patients accueillis et limite aussi les rémunérations. C'est pourquoi nous sommes également inquiets pour la santé économique de nos confrères.

Il y a eu de grosses difficultés d'approvisionnement en masques. Les pharmaciens ont été en première ligne et cela n'a pas été facile pour eux. En Sud Gironde où j'exerce, pendant trois semaines consécutives, en début de crise, je n'ai pas eu de masques : je n'avais pas ma dotation tout simplement parce que le pharmacien n'en avait pas ! Comme tous les autres professionnels de santé, j'ai râlé. Cela a été très compliqué pour les pharmaciens comme pour les professionnels. C'est pour cela que l'ordre a commandé des visières très solides et de qualité, qui ne se substituent bien évidemment pas au masque. Cela évite aussi de toucher le masque et permet d'avoir un peu plus de sécurité dans nos soins.

À la suite de cette crise, on nous a dit que ce ne serait plus jamais comme avant : il va y avoir le Ségur et ce sera le grand soir... Finalement, je n'ai qu'un regret, c'est que, pour la kinésithérapie et la rééducation en général, il n'y ait rien eu. Je n'ai pas du tout été entendue.

La rééducation est la grande absente des politiques publiques dans ce pays où on parle peu de prévention et jamais de rééducation et de réadaptation. C'est parce que l'on est dans le soin que nous sommes souvent les grands oubliés : nous sommes invisibles. Certes, un chirurgien orthopédiste sait très bien que, sans kinésithérapie, il n'obtiendra pas de bons résultats, les médecins avec lesquels nous travaillons le savent, mais les pouvoirs publics n'en sont pas conscients.

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