Intervention de Angèle Préville

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 2 septembre 2020 à 14h30
Table ronde avec des ordres des professions de santé

Photo de Angèle PrévilleAngèle Préville :

Je souhaite revenir sur la question de la pénurie. Apparemment, c'est en février qu'en tant que président de votre ordre vous avez pris conscience, pour chacune de vos professions, qu'il y avait pénurie sur les protections individuelles. Quand tous les praticiens en ont-ils pris conscience ? Comment ont-ils vécu les protocoles qui ont été élaborés, notamment le fait que, pendant un certain laps de temps, le port du masque n'était pas obligatoire, alors que la plupart d'entre vous avaient conscience qu'il fallait des protections individuelles ?

On peut s'intéresser à titre individuel aux zoonoses, mais y a-t-il une formation sur ces questions ? Les professionnels de santé sont-ils tous à même de comprendre ce que c'est ? Selon vous, cela doit-il être enseigné et cette connaissance devrait-elle être plus largement partagée pour mieux envisager l'avenir ?

Dr Jean-Marcel Mourgues. - La question des violences intrafamiliales nous concerne tous, tous ordres réunis, et nous émeut. Manifestement, ces violences ont augmenté, en grande partie en raison du confinement, tant et si bien qu'un comité national des violences intrafamiliales a été mis en place avec plusieurs partenaires. Il est présidé par l'une des vice-présidentes du Conseil national de l'ordre des médecins.

Avons-nous le sentiment que le confinement a heurté l'éthique du métier ? C'est une question très complexe. Nous l'avons vu cet après-midi, différentes questions se sont posées à nous, notamment le fait improbable que les capacités d'accueil des services d'urgences réanimation puissent être dépassées. Heureusement, cela n'a pas été le cas. Souvenez-vous que, lorsque le confinement généralisé a été déployé le 17 mars, trois régions se trouvaient déjà en forte tension : le Grand Est, l'Île-de-France et les Hauts-de-France. Il s'agissait de savoir si le confinement généralisé allait permettre d'éviter la généralisation de cette déferlante sur l'ensemble du territoire national.

C'était l'époque des grandes incertitudes et des questions sur l'accès aux soins. On a d'emblée compris, notamment avec l'application du Plan blanc et l'annulation en masse des soins et des consultations, que nos concitoyens souffriraient d'un retard dans l'accès aux soins pour tout ce qui ne concernait pas les soins liés à la pandémie covid. Il s'agit là de questions encore récurrentes, puisque l'on ne peut pas dire que la situation soit pleinement satisfaisante.

Sur le dépistage, on est à peu près tous d'accord pour dire qu'il faut tester. En l'état actuel des choses, on en est à peu près à 900 000 tests par semaine, l'objectif étant au moins un million. Plusieurs problèmes se posent, en particulier pour les tests dits virologiques par prélèvement nasopharyngé : on se heurte aux capacités intrinsèques des laboratoires à absorber la demande, avec des délais de rendez-vous les plus courts possible et la communication des résultats le plus vite possible. En effet, si les délais sont très longs, quelqu'un qui est encore positif peut basculer dans une négativité ou être à la limite, et les retards de dépistage sont préjudiciables, notamment pour les personnes asymptomatiques qui n'auront pas forcément l'idée de s'isoler tant qu'elles n'auront pas leurs résultats.

Un confrère corse conseiller national m'a confié la semaine dernière qu'il recevait un millier d'appels par jour pour des demandes de dépistage. Vous comprenez aisément qu'il n'existe aucune plateforme téléphonique adaptée et opérationnelle capable d'absorber un tel afflux. La question connexe, c'est celle de la hiérarchisation des demandes de tests selon des critères médicaux. On va du cas fortement suspect, cas contact lui-même malade d'un cas index, à une personne anxieuse, qui n'a aucun symptôme, qui ne s'est pas rendue par exemple dans des réunions festives où le risque est important, mais qui a besoin d'être rassurée.

Ce collègue et moi en convenions : il serait pertinent de pouvoir hiérarchiser dans le temps, selon des critères médicaux, pour traiter les cas les plus urgents. Cependant, cela pose un problème, parce qu'il n'est pas question de mobiliser le personnel des laboratoires qui est déjà en tension, pour réaliser un screening, c'est-à-dire une différenciation. Si l'on revient à la prescription médicale, on neutralisera ceux qui vont au laboratoire sans prescription et il sera alors très difficile d'atteindre les objectifs d'un million de personnes testées.

Une autre question se pose, mais qui reste pour l'instant en suspens, et qui ne relève pas tout à fait de ma compétence, c'est celle des autres tests, dits salivaires. Pour le moment, mais les choses peuvent évoluer très vite, ils ont une sensibilité inférieure d'environ 20 % par rapport à celle des tests RT-PCR, laquelle est de 90 % à 95 % si les prélèvements sont bien réalisés, ce qui n'a pas toujours été le cas. Il s'agit donc d'améliorer le plus rapidement possible la sensibilité des tests salivaires, si cela est possible, et de les proposer alors à une population qui n'est pas symptomatique, qui n'est pas à fort risque et qui de toute façon ne se ferait pas prélever. En outre, le caractère désagréable du prélèvement nasopharyngé disparaît et, avec un matériel adéquat, les résultats pourraient être produits dans un délai d'une heure.

Je pense pouvoir dire que, dès le début du confinement, voire un peu avant, début mars, l'inquiétude vis-à-vis des masques de protection a été largement partagée par l'ensemble des professionnels de santé. J'ai acheté à l'officine à côté de mon cabinet des masques qui étaient anciens, mais que ce pharmacien avait en stock. J'ai dû ensuite m'approvisionner à la débrouille avec des fournisseurs de collectivités territoriales qui avaient des masques de protection et qui avaient communiqué de façon informelle, en réseau, leur numéro de mobile aux professionnels de santé pour qu'ils puissent s'approvisionner.

Faut-il rappeler le contexte de l'époque ? Il n'y avait pas de tests, sauf pour les cas graves et les professionnels de santé. Et encore ! On a connu des situations où même le 15 nous répondait qu'il n'y avait pas moyen de tester, qu'il fallait travailler protégé. Je prends cet exemple, mais il ne s'agit bien évidemment pas de stigmatiser le 15. Je rappelle que nous étions en fin de période de grippe, il n'y avait pas de tests rapides d'orientation diagnostique (TROD) dans les cabinets de ville et nous étions dans le brouillard complet sur le plan épidémiologique.

Je le répète : il y a vraiment un progrès à faire dans le lien entre les agences régionales de santé et les professionnels de santé de terrain sur un complément d'information sur la réalité épidémiologique par bassin de vie. Il n'est pas normal que les professionnels de santé ne reçoivent pas une information plus complète et différenciée que ceux qui regardent les médias généraux.

En ce qui concerne le prix payé par les professionnels de santé, c'est complexe parce qu'il n'y a pas de répertoire centralisé. Une cinquantaine de médecins seraient décédés. S'agissant du nombre de médecins malades, c'est la grande inconnue.

Le ministre Olivier Véran a annoncé le 23 avril devant l'Assemblée nationale la reconnaissance, avec une présomption d'imputabilité, d'une maladie professionnelle, lorsque les professionnels de santé étaient atteints de la covid. Il semble bien que le tableau de maladies professionnelles liées à ce virus ne reconnaîtra finalement ces critères qu'en cas de gravité particulière. En d'autres termes, le répertoire de maladies professionnelles que collectera l'assurance maladie sous-estimera de façon importante le nombre réel de professionnels de santé atteints.

S'agissant des décès, comme on pouvait s'y attendre, on note une surreprésentation des généralistes, qui sont au-delà de la représentation numérique dans la démographie médicale. On peut en effet s'interroger sur le lien direct avec l'insuffisance de protection ou d'informations sur la réalité de la situation dans les bassins de vie.

La remise en route des cabinets pose problème à plus d'un titre. Il y a toujours des protocoles de désinfection quand les patients passent les uns après les autres, dans les salles d'attente, etc. C'est très contraignant et il s'agit de ne pas baisser la garde.

La reprise des parcours de soins est une préoccupation très forte, car la situation est loin d'être satisfaisante. Quantité de patients n'ont pas repris lien parce que les structures ont appelé pour annuler des consultations, qui ont été reportées sine die, et qu'ils n'ont été recontactés : cela va emboliser les professionnels de santé pour remettre ces patients dans le parcours de soins, mais avec un effet de d'embouteillages.

Le département du Lot-et-Garonne a enregistré onze décès hospitaliers et deux en dehors de l'hôpital. Rapporté à la France entière, cela ferait 2 500 morts. On a donc été relativement épargné par la première vague. En revanche, si l'on avait la possibilité de mesurer la surmortalité liée à tout autre raison - retards de prise en charge, glissements dans les Ehpad -, même si, sur les courbes Insee, ce n'est pas très net, on aurait selon toute vraisemblance davantage de décès hors Covid. Je rejoins ce qu'a dit Pascale Mathieu : un patient atteint de Parkinson qui a une entorse peut voir compromises sa rééducation fonctionnelle et son autonomie, ce qui peut provoquer un alitement et... on connaît la suite, pour peu qu'il y ait de l'isolement.

Je conclus sur l'aspect économique. Il sera très intéressant d'étudier l'impact en termes de démographie médicale que cette crise aura sur les jeunes médecins dans leur projet d'exercice libéral. Il semblerait, mais je serai très prudent, que les incertitudes énumérées à juste titre par les praticiens libéraux sur la période passée risquent d'aggraver le déficit d'attractivité de l'exercice libéral. Début 2021, nous aurons un retour sur l'année passée.

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