Intervention de Isabelle Derrendinger

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 2 septembre 2020 à 14h30
Table ronde avec des ordres des professions de santé

Isabelle Derrendinger, secrétaire générale du Conseil national de l'ordre des sages-femmes :

Ai-je été heurtée dans mon éthique professionnelle ? Oui. Comment ne pas être heurté dans son éthique professionnelle et ordinale quand on encourage ses collègues à préserver l'activité sans avoir les mesures de protection pour soi et pour les autres ?

Je vous rappelle que c'est le 28 février que le Conseil national de l'ordre des sages-femmes a alerté la DGS sur les remontées du terrain des sages-femmes qui s'inquiétaient de l'absence de dotation. Nous sommes élus, mais nous sommes aussi professionnels, et nous connaissions le même déficit de fourniture.

Comment ne pas être heurté dans son éthique professionnelle quand la Haute Autorité de santé envisage de publier des réponses rapides en sortie de confinement pour les femmes et les enfants, que le Conseil national de l'ordre répond au cabinet du ministère qui l'a interrogé le 5 mai sur les préconisations ordinales pour la sortie du confinement qu'il faut doter les sages-femmes de masques FFP2, que, le 11 mai, l'ordre relit les réponses rapides de la Haute Autorité de santé et que celles-ci ne seront publiées que le 23 juin ? Ce qui diffère entre les réponses rapides du 11 mai et celles du 23 juin ? C'est la disparition des masques FFP2 pour les professionnels de santé périnatale. Suis-je heurtée dans mon éthique professionnelle ? À 100 %. Mes collègues sont-elles heurtées ? Oui.

Nous avons parlé des difficultés financières relatives à l'obligation de se doter d'équipements de protection et des variabilités d'activité pour les professionnels de santé libéraux. Je rappelle que les sages-femmes libérales ont les revenus les plus faibles des professionnels de santé libéraux en France. Qu'est-ce à dire quand elles doivent s'équiper de matériel, maintenir une activité et ne pas avoir eu une activité deçà de 50 % qui leur aurait permis de bénéficier des aides d'État ?

Comment le vivent-elles ? Je vous rappelle que l'ordre a interrogé les 24 000 sages-femmes, 11 000 ont répondu. Le collège a aussi interrogé les sages-femmes. Le burn out existe. À la sortie du confinement, une sage-femme sur deux veut renoncer à sa profession. J'ose à peine faire des hypothèses statistiques après les conclusions du Ségur de la santé.

Y a-t-il des axes d'amélioration ? Oui.

Avons-nous été conviées pour une date de retour d'expérience ? Non.

Dr Serge Fournier. - Vous demandez si la situation a pu aller à l'encontre de l'éthique des professionnels. La question est très intéressante et, pour les chirurgiens-dentistes, la réponse est oui. En effet, nous n'avons pu assurer les soins que par le biais de cabinets de garde : cinq lieux d'exercice pour un département important comme celui de la Haute-Garonne, d'où je viens. Par conséquent, un tri important a dû être fait par les régulateurs. À peu près un patient sur cinq était reçu dans les cabinets de garde, car ceux-ci ne pouvaient recevoir que dix patients en une journée.

Dans ces conditions, l'éthique du professionnel de santé a été fortement touchée et je n'ose pas imaginer ce qui devait se passer dans les hôpitaux de Paris, où des tris concernant l'urgence ont peut-être été faits. Or je peux dire aujourd'hui qu'au CHU de Toulouse les lits étaient vides et qu'on attendait avec impatience que les malades viennent. Je passe sur les cliniques privées qui n'ont pas vu un seul patient par un manque d'accord entre l'hôpital public et les cliniques privées.

Concernant les tests de dépistage, je m'étonne également que les chirurgiens-dentistes ne figurent pas sur la liste. Nous avons le droit d'opérer, d'aller dans un sinus, mais pas celui de mettre un coton au fond de la gorge : nous ne comprenons pas cette incohérence. Cependant, nous attendons avec impatience l'éclosion des tests salivaires qui, s'ils étaient amenés à être fiables, nous permettraient de dépister dans nos cabinets un maximum de population.

Concernant le nombre de chirurgiens-dentistes contaminés durant la période hard, la réponse est zéro, puisque j'ai demandé à ce que l'on ferme les cabinets. Un ou deux praticiens se sont retrouvés en réanimation, mais ils n'ont pas forcément été contaminés dans l'exercice de leur métier. En revanche, depuis le 11 mai, le nombre de chirurgiens-dentistes et d'assistantes dentaires qui travaillent au fauteuil croît, même si je ne dispose pas de statistiques officielles sur tout le territoire. Cela vient peut-être du fait que l'on a baissé un petit peu la garde en matière de mesures de protection.

Nous n'avons plus aucun contact avec le ministère depuis le 11 mai. Cela étant, il y a un peu plus d'un mois, j'ai fait une demande d'audience auprès du ministre pour évoquer le retex covid, mais aussi d'autres sujets en cours. À ce jour, je n'ai pas de réponse. Je n'ai pas de proposition de date, bien que je comprenne que la situation soit un petit peu tendue.

Sur la remise en route, nous n'avons pas effectué de soins pendant deux mois et nous effectuons des soins à moitié vitesse au moins jusqu'à la fin de l'année. On peut donc penser que, sur les 12 milliards d'euros qui sont alloués aux soins prothèses dentaires et traitements d'orthodontie, on devrait retrouver 6 milliards d'euros de positif dans le budget de la sécurité sociale.

Je donnerai en passant un petit coup de patte aux organismes dont on n'a pas parlé : les assureurs complémentaires ont brillé par leur absence durant la totalité de la période covid, alors que les soins dentaires, c'est un tiers l'assurance maladie, un tiers les assurances complémentaires et un tiers la poche du patient. Concernant le tiers économisé par les assureurs, nous espérions qu'il pourrait y avoir un retour dans ce domaine, mais ils sont pour le moment extrêmement discrets.

Comment les praticiens voient-ils l'avenir ? Bien et mal. Pour l'instant, ils sont contents de pouvoir exercer leur métier, de distribuer des soins, mais ils aimeraient bien que l'on baisse le niveau des recommandations, ce qui ne va pas être possible.

Je conclus en disant que je suis évidemment extrêmement fier d'eux, de ce qu'ils ont fait en toute autonomie, sans rien demander à personne, et avec efficacité, mais avec des larmes. N'étant pas reconnus par les pouvoirs publics, il a fallu qu'ils se déshabillent sur les réseaux sociaux pour qu'enfin les médias et l'État veuillent bien leur accorder leur attention. L'opération #dentistesàpoil a permis de réveiller les médias.

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