Dans le Grand Est, nous avions le 15 mars 70 lits de réanimation vides, et nous sommes montés à 110 lits occupés sur la période. Je ne serai peut-être pas aussi angélique que M. Perrin sur les raisons pour lesquelles on ne pensait pas à nous. Je pense qu'il y a eu une volonté délibérée de gérer les patients concernés dans les hôpitaux. Mais ils n'ont pas vu la vague arriver, et ils ont été submergés. Les établissements privés ont proposé bien avant le 15 mars leurs services et leurs lits de réanimation aux ARS. Ces lits n'ont pas pu être armés dès le 15 mars. C'est à cette date que cela a commencé à « flamber », faute de masques, de protections et de surblouses. Ces équipements sont parvenus dans les hôpitaux publics à Strasbourg le mercredi 18 mars.
Les collaborateurs qui ont eu à prendre en charge des patients covid dans le Grand Est, en Île-de-France et dans les Hauts-de-France sont effectivement épuisés. Dans les autres régions, il n'y a pas eu de saturation. Il y a bien eu des patients en réanimation, mais le public et le privé ont parfaitement pu les gérer. Mais, pour les 7 000 patients en réanimation, il y a bien eu épuisement moral, humain, psychologique et matériel.
Avant le déconfinement, nous avons, avec nos collègues d'autres fédérations, notamment Unicancer, alerté sur les retards de prise en charge, qui étaient préoccupants : on ne peut pas laisser se développer des tumeurs pendant deux mois sans surveillance, dépistage ou traitement. Dès le mois d'avril, nous avons appelé à la reprise des blocs opératoires. Nous n'avons pas été entendus par la population, qui était encore effrayée, confinée à domicile.
Lors du confinement, c'est-à-dire à partir du 12 mai, nous avons eu un problème majeur de drogues - c'est le terme, même s'il n'est pas très élégant - ou de produits d'anesthésie : les « curares. » Nous étions contingentés. Nous ne pouvions pas avoir une activité opératoire normale. Nous avons reçu des menaces ou, du moins, des mises en garde dans des termes quelquefois violents de la part des ARS : la reprise devait se faire uniquement sur les « soins urgents. » Comment définit-on un soin urgent ? Hormis une fracture ouverte ou une tumeur visible au premier examen, l'urgence est toujours relative...
Nous sommes toujours confrontés au problème. Pour pouvoir opérer un patient, nous devons réaliser le test covid. Nous devons encore mettre nos patients dans des chambres individuelles. Toutes les chambres doubles ne peuvent pas être armées, ce qui réduit la capacité de nos établissements et la reprise d'activité. Nous ne sommes donc pas revenus au rythme normal de prise en charge des patients. C'est inquiétant : nous sentons des retards.
Il y a eu aux alentours d'une cinquantaine de décès parmi nos personnels. Ce drame est dû, je le pense, au manque de protections et à la méconnaissance de ce virus en raison d'une observation insuffisante de ce que nos voisins avaient vécu dans d'autres pays, notamment en Italie. Nous avons donc un peu de rancoeur.
Nous serons prêts. D'ailleurs, nous le sommes. N'étant pas épidémiologiste, je ne sais pas à quelles difficultés les établissements de santé seront confrontés demain. Mais nous sommes prêts. Aujourd'hui, nous n'avons pas beaucoup de patients dans nos lits de médecine en hospitalisation classique, et nous avons très peu de patients en réanimation. Tant mieux.