Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies

Réunion du 3 septembre 2020 à 9h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec une audition consacrée aux fédérations hospitalières. Je vous prie d'excuser l'absence du président Alan Milon, qui est retenu dans son département.

Nous entendons ce matin Mme Sophie Beaupère, déléguée générale d'Unicancer, M. Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), M. Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap) et M. Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF).

Les sujets que nous souhaitons aborder avec nos intervenants sont nombreux, qu'il s'agisse de la préparation de la crise, de sa gestion concrète, des équipements de protection, de la coopération public/privé en lien avec la question du transfert des patients, de la relation entre la ville et l'hôpital ou encore de la mise en oeuvre du plan blanc et de l'accès aux soins des patients non-covid. Sur l'ensemble de ces sujets, nous avons entendu beaucoup d'affirmations, souvent contradictoires et souvent peu étayées.

Les situations ont évidemment varié en fonction des territoires, selon l'ampleur de la vague épidémique qui les a touchés, la qualité de la relation entre les différents acteurs, mais aussi la capacité des autorités à prendre des décisions adaptées à la situation.

Sommes-nous dans la situation que nous aurions pu vivre si notre pays avait été correctement équipé en masques et en tests ? Risquons-nous de nouvelles tensions ? Si oui, sommes-nous prêts à y faire face ?

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je vous informe qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434 -13 à 434 -15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Sophie Beaupère et MM. Lamine Gharbi, Antoine Perrin et Frédéric Valletoux prêtent serment.

Debut de section - Permalien
Sophie Beaupère, déléguée générale d'Unicancer

La crise sanitaire a pu mettre en évidence les valeurs essentielles des acteurs de notre système de soins, notamment le dévouement et l'humanité de nos soignants, ainsi que leur extraordinaire capacité d'organisation et de coopération.

Les centres de lutte contre le cancer (CLCC) ont dû poursuivre le traitement des patients et assurer leur sécurité, ainsi que celle des personnels. C'est toujours le cas aujourd'hui. Depuis le début, le travail de coordination de l'offre de soins et de gestion de la crise a été remarquable, tant à l'échelon national que de la part des agences régionales de santé (ARS). La situation était très complexe, et les délais contraints. Il fallait au maximum anticiper les tensions sur les capacités d'hospitalisation et favoriser la gradation des soins. Les difficultés d'approvisionnement en masques et en équipements de protection individuelle (EPI) pendant plusieurs semaines pour le personnel et les patients, alors qu'ils sont vraiment à risque dans le cadre du covid, ont été la principale problématique pour les CLCC.

La crise a révélé au grand jour la nécessité d'une réforme profonde du système hospitalier. Les propositions formulées lors du Ségur de la santé, comme celles sur la valorisation des professionnels, apporteront sans doute des améliorations, notamment sur l'exercice des missions de service public et la préparation à la crise sanitaire. Les mesures de financement permettront de sortir du tout tarification à l'activité (T2A), de piloter l'Objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) de manière pluriannuelle et de revaloriser les financements liés à la recherche et l'innovation, qui sont essentielles face à une crise sanitaire. Il nous semble impératif de lever les freins à l'innovation, afin de contribuer au rayonnement de la Nation et de se préparer face aux crises, en poursuivant l'adaptation des procédures actuelles, qui ont pu être allégées durant cette période.

Alors que la crise se poursuit, l'enjeu majeur est celui de la continuité des prises en charge, notamment en cancérologie. Selon une étude menée pour l'ensemble des CLCC, il y a eu 7 % de nouveaux patients en moins durant les quatre mois de crise. Cela montre les conséquences qu'il a pu y avoir sur la prise en charge de maladies chroniques.

Debut de section - Permalien
Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap)

La crise a montré la qualité de notre société et de notre système de santé. Globalement, nous, les Français en général, y avons répondu dans un esprit solidaire. La mobilisation a été sans précédent sur le système de santé : public comme privé, ambulatoire comme hospitalier, sanitaire comme médico-social et social. Je salue l'engagement des associations, des mairies, voire des individus. Je songe aussi aux volontariats multiples dans les quartiers, à la fabrication de masques par des associations auto-créées ou déjà existantes, aux cagnottes, aux applaudissements, aux dons et aux renforts. Je porte donc un regard positif sur notre société.

Le secteur privé solidaire a été très mobilisé du fait de sa mission hospitalière, en santé et de service public. Mais nous avons peiné à être reconnus à notre juste place, à la hauteur de notre engagement. En particulier, en début de crise, dans le Grand Est, nous avons libéré des lits qui sont restés inoccupés pendant plusieurs jours alors que le secteur public était débordé, que l'on armait un hôpital militaire et que les transferts vers d'autres régions commençaient. Lors du Ségur, les personnels médicaux n'ont pas été pris en compte.

Le médico-social n'a été considéré que dans un deuxième temps, quand on s'est aperçu que lui aussi était débordé. Le secteur du domicile et du social, pourtant le plus à même d'aider les personnes en situation vulnérable et précaire, ont été l'oublié de la crise.

Le pilotage par les autorités a été important et volontariste, mais parfois inégal et difficile. Au début, il y a eu un retard à l'allumage. On pouvait le comprendre, puisque la crise a surpris. Les contradictions entre les directions générales du ministère ont vite été réglées. Le pilotage régional par les ARS est à saluer. Toutes ont été parfaitement présentes sur le territoire. Nous avons pu dire ce que nous avions à dire et être entendus.

Les avis du Conseil scientifique et d'autres instances nous sont parfois parus contradictoires, évolutifs et difficiles à comprendre. Certains dépendaient des capacités en EPI, et non de considérations uniquement scientifiques.

Il y a aussi eu des contradictions entre le ministère du travail et le ministère de la santé sur la protection des salariés et l'absentéisme en cas de test positif ou de crainte de covid. D'ailleurs, cela a conduit à un jugement à Lille. Je vous en parlerai.

On a regretté et craint la responsabilité des employeurs vis-à-vis des salariés et des malades face aux difficultés à assurer la permanence des soins et de l'accompagnement, avec des agents parfois absents, car contaminés ou craignant de l'être.

Nous avons salué le changement de méthode de l'État dans la gouvernance. Sur les réanimations, il s'est passé des procédures classiques - il n'avait pas le choix - pour augmenter les capacités en laissant la main aux acteurs. Quand il a fallu doubler, voire tripler les capacités de réanimation en Île-de-France en quelques jours, il n'y a pas eu besoin de toute la procédure des autorisations, des visites de conformité, etc. La confiance qui a été accordée aux acteurs est à saluer. Il faudra en tenir compte pour la suite.

La démocratie sanitaire a été en retrait. La place des usagers n'a pas pu être prise en compte. Les modalités de confinement des personnes âgées n'ont pas pu être discutées et ont parfois été très mal vécues. Et le décret du 1er avril sur les conditions de mise en bière a également été considéré comme très brutal par les personnes et leur famille.

Debut de section - Permalien
Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF)

Pour rappel, la Fédération hospitalière de France représente les 1 000 hôpitaux publics et près de 4 000 établissements médico-sociaux. La crise est arrivée alors qu'il y avait eu 9,4 milliards d'euros d'économies sur les hôpitaux dans les quinze dernières années.

À l'instar des précédents orateurs, je souligne l'adaptabilité et la capacité à faire face en urgence à la crise des hôpitaux, qui ont tenu dans des conditions parfois très difficiles. Dans la perspective d'un éventuel rebond des cas de covid, regardons ce qui a marché et ce qu'il faudrait en urgence corriger.

Ce qui a bien fonctionné, c'est la mobilisation et la capacité d'adaptation des hospitaliers. C'est la coopération entre le public et le privé, ainsi qu'entre les régions. C'est la chaîne de service public, comme les gardes d'enfants pour les hospitaliers et les médico-sociaux. C'est le modèle des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), même s'il y aurait beaucoup à dire sur les protections. C'est le déploiement fortement accéléré de la télémédecine. C'est la mobilisation forte des hôpitaux psychiatriques, avec, même si c'est moins visible, un soutien psychologique à la population et aux soignants.

Mais des améliorations à très court terme s'imposent. Je pense à la mise en place dans les territoires des politiques claires de prévention et de santé publique pour éviter de contaminer les plus fragiles. Les ARS doivent faire le point sur l'offre de soins et le rôle que doivent tenir les acteurs pour conforter l'offre de premier recours. Il faut aussi fixer une doctrine pour permettre de limiter le renoncement aux soins. Une grande vigilance sur les EPI est de mise. Passons aussi la vitesse supérieure dans le médico-social et recrutons rapidement, peut-être via une campagne de communication, pour résoudre le problème des sous-effectifs.

Il faut clairement repenser l'organisation nationale en temps de crise. Nous attendons beaucoup de commissions comme la vôtre. La multiplication selon les sujets des cellules dans la chaîne de pilotage n'a pas toujours été source de clarté et d'efficacité.

Il faut sans doute aussi mieux anticiper les processus de mobilisation et de recrutement de renfort de professionnels tels qu'ils ont été mis en oeuvre dans le Grand Est et en l'Île-de-France, afin d'être plus réactifs.

Dès le mois d'avril, notre fédération avait plaidé pour un new deal de la santé. Nous avons été partiellement entendus lors du Ségur de la santé, qui a permis d'avancer au moins sur le financement du système et de l'investissement défaillant, d'une part, et les carrières et la revalorisation salariale dans les établissements, d'autre part. Mais des questions sont demeurées sans réponse sur trois sujets qui nous semblent urgents : la remise à plat de la gouvernance, tant nationale que dans les territoires, du système de santé, l'articulation entre préfets et délégués départementaux des ARS n'ayant pas fonctionné comme elle aurait dû ; le grand âge et l'autonomie ; enfin, l'organisation de notre système de santé dans les territoires.

Debut de section - Permalien
Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP)

Nous le savons, le péril pandémique est loin d'être écarté. Tirer les enseignements des mois écoulés relève donc d'une impérieuse nécessité.

La crise sanitaire a révélé les ressources inouïes de mobilisation et d'engagement des acteurs de santé, plus que les failles du système. Dans un dialogue permanent entre l'État, le ministère de la santé, les ARS, les acteurs de santé, les parlementaires et élus des territoires et les patients, nous sommes parvenus à faire face à la vague épidémique qui déferlait.

Pour autant, ne faisons pas preuve d'angélisme. Il y a eu au début des replis sur soi et des réticences à la coopération. Mais, face à l'urgence et aux besoins impérieux, il a bien fallu sortir des cadres convenus. Des innovations se sont alors déployées. Des délais de réponse ont été réduits. Des organisations qui se regardaient en chiens de faïence ont collaboré, dans un remarquable partage de ressources humaines et matérielles. En Île-de-France, 26 % des malades en réanimation ont été soignés dans des établissements privés. L'ARS a su mettre tout le monde autour de la table.

Cette leçon d'espoir doit irriguer nos pratiques pour l'avenir. N'attendons pas demain que l'épidémie parvienne à un stade critique pour faire appel à toutes et à tous : les retours d'expérience sont toujours préférables aux règlements de comptes. Nous devons adresser un message positif aux Français, qui sont légitimement inquiets. Nous sommes prêts à travailler ensemble, sous l'égide d'ARS garantes d'une régulation équilibrée et équitable.

Face à l'adversité, il y eu une capacité collective à surmonter des obstacles. Vous êtes conscients de la complexité dans laquelle s'ouvre le débat. La crise sanitaire a allégé certaines pesanteurs administratives sur les autorisations ou les créations de lits pour y substituer davantage de réactivité et de pragmatisme. Malheureusement, il en a été autrement s'agissant des EPI, qui nous ont tant préoccupés pour la sécurité de professionnels et de nos patients. Il faut clarifier drastiquement les chaînes de décision. Empruntons résolument le chemin de la simplification et de la clarification tracé par l'expérience. Il profitera à tous : puissance publique, acteurs de la santé et patients.

Je tiens à exprimer ma fierté et ma gratitude envers de l'action des hôpitaux et cliniques privés. Je remercie aussi l'État protecteur, qui a donné aux établissements de santé de tous statuts les garanties de financement indispensables pour travailler de manière pérenne et qui a choisi de privilégier l'équité de traitement dans les revalorisations aux professionnels.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Les chiffres de la Ligue contre le cancer sur le différentiel de cancers diagnostiqués par rapport à l'année précédente sont plus importants que ceux qui viennent d'être indiqués. Où en est-on en matière de renoncement aux soins ? On nous a parlé de patients ne souhaitant pas revenir en hospitalisation et de personnels en récupération...

Selon certaines personnes auditionnées, cela a pris du temps pour que les lits libérés dans les établissements privés soient occupés. Qu'en a-t-il été dans vos différents établissements ? Comment avez-vous vécu, notamment dans le secteur privé, les transferts de patients alors que des lits étaient disponibles dans vos services ?

Avez-vous une idée du tribut payé par vos personnels à la maladie ?

Dans beaucoup de départements, la distribution des équipements relevait des groupements hospitaliers de territoire, qui sont publics. Comment le privé les recevait-il ?

Comment les établissements publics qui hébergent des SAMU ont-ils vécu les consignes initiales, consistant à inciter à ne pas surtout pas aller chez son médecin traitant et à appeler le SAMU ? Quid des liens entre SAMU et pompiers ?

Debut de section - Permalien
Sophie Beaupère, déléguée générale d'Unicancer

En cancérologie, le renoncement aux soins est un sujet majeur. Le chiffre de 7 % correspond aux nouveaux patients accueillis dans les CLCC. Ceux de la Ligue contre le cancer concernent sans doute le dépistage. Entre mars et mai, le nombre de patients dépistés au sein des centres a baissé de 50 %, voire, dans certaines spécialités, comme les coloscopies, de 80 %. Selon les estimations des centres, 30 000 malades n'auraient pas été diagnostiqués pendant cette période. Des cas plus graves arrivent. Il y a un véritable effet de cliquet.

L'activité et l'accueil des nouveaux patients ne sont pas revenus à la normale. Nous observons toujours une baisse des nouveaux patients par rapport à l'année dernière. La crise continue. Les conditions de sécurité - je pense notamment au bloc opératoire - complexifient la prise en charge et les parcours des patients. Elles ralentissent également et augmentent les délais de prise en charge.

La problématique est donc double : diminution du nombre de patients dépistés et complexité de l'organisation. Une étude en cours de publication montre une surmortalité, avec un taux de mortalité de près de 30 % à trente jours pour des patients covid et cancer avec RT-PCR, contre 4 % normalement.

Dans la plupart des régions, la coopération entre les établissements publics et les autres a été excellente. Nous avons pu accueillir des transferts de patients de cancérologie des hôpitaux publics dont les réanimations étaient saturées vers les CLCC en prenant les mesures d'organisation nécessaires. Parfois, mais plus rarement, la coopération était plus complexe, mais nous avons pu échanger avec les établissements concernés et les ARS.

À ce jour, nous n'avons plus de difficultés d'approvisionnement en masques et en EPI. Nous avons pu refaire des commandes. La situation est revenue à la normale. Cela nous permet de protéger l'ensemble des professionnels et des patients.

Debut de section - Permalien
Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap)

Le retard à l'allumage sur la mobilisation des établissements n'a été qu'au début de la crise et il n'a concerné que la région Grand Est. Il a d'ailleurs servi de leçon. Dans les autres régions, tout s'est bien passé, voire de manière exemplaire, comme en Île-de-France, deuxième grande région très mobilisée.

Entre le 15 mars et le 19 mars, les hôpitaux publics du Grand Est, principalement Strasbourg, Mulhouse et Colmar, ont tout de suite été submergés du fait de la brutalité de la crise. On nous a demandé dès le 15 mars de libérer nos lits. Nous l'avons fait. Pendant plusieurs jours, alors qu'on annonçait des évacuations sanitaires, dès le 18 mars à Toulouse, et la mise en place de l'hôpital militaire, nos établissements étaient vides. Il s'est probablement moins agi d'une volonté de ne pas nous mobiliser que d'une habitude : le SAMU arrivait directement aux hôpitaux publics, car c'était son habitude. Les directeurs du public et du privé se sont contactés, et le problème a été réglé le 19 mars.

Nous n'avons plus aujourd'hui de problèmes de protections dans le sanitaire. Il reste des difficultés, en particulier sur les surblouses et les gants, dans le médico-social.

Debut de section - Permalien
Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP)

Dans le Grand Est, nous avions le 15 mars 70 lits de réanimation vides, et nous sommes montés à 110 lits occupés sur la période. Je ne serai peut-être pas aussi angélique que M. Perrin sur les raisons pour lesquelles on ne pensait pas à nous. Je pense qu'il y a eu une volonté délibérée de gérer les patients concernés dans les hôpitaux. Mais ils n'ont pas vu la vague arriver, et ils ont été submergés. Les établissements privés ont proposé bien avant le 15 mars leurs services et leurs lits de réanimation aux ARS. Ces lits n'ont pas pu être armés dès le 15 mars. C'est à cette date que cela a commencé à « flamber », faute de masques, de protections et de surblouses. Ces équipements sont parvenus dans les hôpitaux publics à Strasbourg le mercredi 18 mars.

Les collaborateurs qui ont eu à prendre en charge des patients covid dans le Grand Est, en Île-de-France et dans les Hauts-de-France sont effectivement épuisés. Dans les autres régions, il n'y a pas eu de saturation. Il y a bien eu des patients en réanimation, mais le public et le privé ont parfaitement pu les gérer. Mais, pour les 7 000 patients en réanimation, il y a bien eu épuisement moral, humain, psychologique et matériel.

Avant le déconfinement, nous avons, avec nos collègues d'autres fédérations, notamment Unicancer, alerté sur les retards de prise en charge, qui étaient préoccupants : on ne peut pas laisser se développer des tumeurs pendant deux mois sans surveillance, dépistage ou traitement. Dès le mois d'avril, nous avons appelé à la reprise des blocs opératoires. Nous n'avons pas été entendus par la population, qui était encore effrayée, confinée à domicile.

Lors du confinement, c'est-à-dire à partir du 12 mai, nous avons eu un problème majeur de drogues - c'est le terme, même s'il n'est pas très élégant - ou de produits d'anesthésie : les « curares. » Nous étions contingentés. Nous ne pouvions pas avoir une activité opératoire normale. Nous avons reçu des menaces ou, du moins, des mises en garde dans des termes quelquefois violents de la part des ARS : la reprise devait se faire uniquement sur les « soins urgents. » Comment définit-on un soin urgent ? Hormis une fracture ouverte ou une tumeur visible au premier examen, l'urgence est toujours relative...

Nous sommes toujours confrontés au problème. Pour pouvoir opérer un patient, nous devons réaliser le test covid. Nous devons encore mettre nos patients dans des chambres individuelles. Toutes les chambres doubles ne peuvent pas être armées, ce qui réduit la capacité de nos établissements et la reprise d'activité. Nous ne sommes donc pas revenus au rythme normal de prise en charge des patients. C'est inquiétant : nous sentons des retards.

Il y a eu aux alentours d'une cinquantaine de décès parmi nos personnels. Ce drame est dû, je le pense, au manque de protections et à la méconnaissance de ce virus en raison d'une observation insuffisante de ce que nos voisins avaient vécu dans d'autres pays, notamment en Italie. Nous avons donc un peu de rancoeur.

Nous serons prêts. D'ailleurs, nous le sommes. N'étant pas épidémiologiste, je ne sais pas à quelles difficultés les établissements de santé seront confrontés demain. Mais nous sommes prêts. Aujourd'hui, nous n'avons pas beaucoup de patients dans nos lits de médecine en hospitalisation classique, et nous avons très peu de patients en réanimation. Tant mieux.

Debut de section - Permalien
Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF)

Les cas de renoncements aux soins sont parfois lourds, en raison des retards de prise en charge. Mais nous estimons globalement être revenus à des niveaux d'activité à l'hôpital ne permettant pas de pointer la durabilité du phénomène, qui a été très fort au printemps et qui s'est progressivement atténué au début de l'été. Cela étant, il y a effectivement eu beaucoup de cas plus lourds, de témoignages et de chiffres avérés. C'est pourquoi j'évoquais la nécessité de faire passer les bons messages ou d'organiser les filières pour que ce phénomène massif ne se reproduise pas.

Il faudra interroger les régulateurs qui ont mobilisé les acteurs de terrain pour savoir s'il y a eu ou non des retards. Moi non plus, je ne suis pas angélique : nous avons des témoignages très précis. À Mulhouse et à Colmar, des médecins privés sont venus tout de suite et spontanément donner un coup de main à leurs collègues du public. Des établissements ont hésité au démarrage à participer à la prise en charge : eux-mêmes ne comprenaient pas très bien les mesures qui devaient accompagner l'accueil de patients covid. Cela a été l'affaire de quelques jours. Il n'y a pas d'un côté ceux qui voudraient s'accaparer les patients et de l'autre ceux qui auraient été privés d'en traiter. Il y avait des incompréhensions. Les régulations n'étaient peut-être pas automatiques. La régulation par le 15 est orientée par le public, pas forcément par choix, mais parce que les filières de prise en charge fonctionnent ainsi. Si le concept d'urgence était partagé par tous les établissements quel que soit leur statut, la prise en charge au quotidien, c'est-à-dire hors des périodes de crise, serait sans doute meilleure. En période de crise, on reproduit ce qui se passe le reste du temps.

Vous avez évoqué les pompiers. La régulation du SAMU est une régulation médicale, ce qui n'est pas le cas du 18. Face à une crise sanitaire, la régulation devait être médicale : c'est un médecin qui devait décrocher. Or les plateaux d'appels des pompiers sont moins fournis en médecins et en régulation médicale que le 15. Bien entendu, tout cela est sur fond de vieilles tensions, de vieilles batailles. J'accorde donc peu d'importance aux propos qui avaient été repris, et d'ailleurs vite oubliés, dans un rapport malencontreux.

Nous n'avons pas de chiffres sur le tribut payé par les soignants. Je sais que la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) est en train de faire remonter un certain nombre de données. Dans l'offre publique, de nombreux décès ont effectivement été déplorés, des médecins jusqu'aux agents administratifs.

Dans certaines régions, en particulier en Île-de-France, les groupements hospitaliers de territoire ont servi effectivement de maille, notamment pour organiser les répartitions d'équipements. À mon sens, dans la perspective de la réflexion territoriale qu'il faudra avoir dans les prochains mois ou dans les prochaines années, cette maille mérite d'exister. Elle doit mieux agréger l'ensemble des partenaires sur les territoires de santé.

Les territoires qui ont le mieux répondu en matière de coopération sont aussi ceux où la médecine libérale était la mieux organisée, notamment via les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Nous avons vu l'intérêt de telles structures, qui permettent une coordination de la médecine libérale. Or cette coordination, quand elle existait, a été un vrai appui et a véritablement bénéficié à la réponse sanitaire globale.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Vermeillet

Madame Beaupère, quel regard portez-vous sur la priorisation des malades atteints du covid ? Quelle a été la perte de chances pour les malades atteints du cancer ? Y a-t-il eu des dysfonctionnements majeurs ?

Quels ont été les bienfaits de la téléconsultation ?

Avez-vous des assurances, notamment de l'ARS, pour que le fonctionnement public-privé soit pleinement opérationnel en cas de nouvelle vague ? La synergie s'est effectivement bien passée en Île-de-France. Dans le Grand Est, cela a été plus problématique.

Debut de section - Permalien
Sophie Beaupère, déléguée générale d'Unicancer

Dans les CLCC, la mobilisation a été très forte et très rapide, car nos médecins des centres étaient très en contact avec leurs collègues, par exemple italiens, et ont ainsi disposé, plus tôt que d'autres sans doute, d'informations sur les conséquences du covid en matière de prise en charge des cancers. Les centres se sont mobilisés courant mars. Dès la troisième semaine de mars, ils se sont organisés pour la continuité de la prise en charge, en veillant aux urgences et aux cas qui devaient être traités, en décalant ce qui pouvait l'être, en mettant en place la téléconsultation - il y a eu une information spécifique sur les sites internet au sein de la fédération -, en transmettant des recommandations à l'Académie de médecine et en travaillant à la fois sur l'organisation et sur les modalités de prise en charge, afin d'éviter au maximum les pertes de chances.

Comme je l'ai souligné, le principal risque était lié à l'absence de masques pour permettre à l'ensemble des professionnels d'être protégés et de protéger les patients. Les masques pouvaient être disponibles pour les services d'hématologie, où il y avait les patients les plus immunodéprimés, mais pas pour l'ensemble des professionnels. Cela a été le gros point de tension. Pour les CLCC, notamment avec le retour d'expérience des centres italiens de cancérologie, il fallait impérativement que l'ensemble des professionnels puissent bénéficier de masques et que l'on puisse mettre des points de filtrage à l'entrée. C'est ce que nous avons indiqué à ce moment-là. Cela a duré trois semaines. Ensuite, nous avons pu nous débrouiller pour équiper l'ensemble des professionnels et des patients.

Vous m'interrogez sur les difficultés de prise en charge des patients en cancérologie, plus particulièrement dans le Grand Est. Le CLCC de Nancy avait mis du personnel à disposition pour le CHU. Des anesthésistes ont aidé le CHU, qui manquait de personnel. Beaucoup de structures privées ont fait de même, en coopération avec les structures publiques. Le CLCC de Nancy s'était mis en ordre de marche pour pouvoir accueillir des patients de cancérologie de la région, afin de soulager les structures de niveau 1. Tout n'a pas été complètement fluide à ce moment-là. Il a fallu une discussion au niveau de l'ARS pour que les patients puissent venir dans les CLCC susceptibles de les accueillir, comme cela avait été prévu, et qu'il n'y ait pas de retard de prise en charge.

La télémédecine a été bénéfique à l'organisation des soins. En cancérologie, comme pour d'autres pathologies, elle a permis la continuité des soins en toute sécurité pour des patients qu'il n'était pas nécessaire de faire venir sur place. Dans les CLCC, nous sommes passés de quelques dizaines de téléconsultations en 2019 à 45 000 entre mars 2020 et avril 2020. C'est devenu le mode opératoire principal pour les consultations moins urgentes, parce que les règles ont été assouplies. Cela a conduit à des changements accélérés dans les centres, où tout le monde a dû se mettre à la téléconsultation, en mobilisant les outils adaptés et en procédant à des réorganisations entre professionnels.

Debut de section - Permalien
Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap)

La crise a été très instructive sur les modalités du processus de décision. La DGOS, qui nous avait habitués à des consignes très précises et très cadrées, avec peu de marges de manoeuvre pour les ARS, a compris pendant la crise qu'elle ne pouvait donner des instructions qu'à grosses mailles. Elle a donc chargé les ARS de préciser les petites mailles, l'intensité et la temporalité de la crise variant selon les régions. Cela a été une très bonne chose, et il y a eu un véritable dialogue : lorsque nous n'étions pas d'accord, nous avons pu le dire et être entendus.

C'est lorsque les ARS ont laissé les établissements s'entendre entre eux que tout a le mieux marché. Dans le Grand Est, les directeurs se sont directement appelés le 19 mars et ont réglé la question de la répartition des malades sans passer par l'ARS.

Dans l'éventualité d'un retour de la crise, tirons les leçons et profitons des contacts qui ont été établis - honnêtement, ce n'était pas forcément les plus solides auparavant - entre les directeurs et entre les structures. Cette culture du dialogue direct entre les acteurs doit perdurer. Je songe notamment aux liens avec la médecine de ville. Il faut que les acteurs s'organisent eux-mêmes, sous l'autorité et le contrôle des ARS, si la deuxième vague a lieu. Mais je suis positif : je pense qu'en tirant les leçons de l'expérience, nous éviterons certains écueils que nous avons connus.

Sur la télémédecine, nous sommes passés d'une culture craintive à une culture engagée. Auparavant, tout avançait doucement : les tarifs venaient d'être donnés, de manière très limitée, et l'on craignait clairement les abus, c'est-à-dire des consultations non-contrôlables et mal faites. La crise a montré que la télémédecine était au contraire très utile, et qu'il fallait en voir non les éventuels abus, mais l'intérêt pour les patients, qui pouvaient ainsi consulter sans crainte de contaminer autrui ou d'être eux-mêmes contaminés, et les professionnels. Nous allons, je le crois, voir la télémédecine totalement différemment à l'avenir, dans le lien direct des patients avec les médecins et d'autres types de soignants, comme les infirmiers ou les kinésithérapeutes, ainsi qu'avec les établissements.

Debut de section - Permalien
Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF)

À mon sens, la clé réside dans la médecine de ville.

Si la coopération entre les établissements a pu patiner en Alsace entre le 16 mars et le 18 mars, elle s'est globalement bien faite. Et ce sera d'autant plus le cas : les quelques errements constatés au printemps n'ont plus de raison d'être. Que M. Gharbi soit donc pleinement rassuré s'il est un peu marri de s'être senti oublié. Nous n'avons pas tourné la page de l'épidémie. Tous les acteurs doivent continuer à prendre en charge l'ensemble des patients et à montrer que l'effort est bien collectif, et pas simplement en période de crise aiguë.

À la décharge des médecins de ville, l'impréparation et le manque de matériel, qui n'étaient pas de leur fait, ont conduit les cabinets à se vider : les patients autres que covid ne venaient plus, et les praticiens, qui n'étaient pas protégés, avaient des difficultés à accueillir des patients covid. D'ailleurs, eux aussi ont payé un lourd tribut.

La mobilisation de la médecine de ville se met en place dans les territoires. Il y a des expériences. À Annecy ou en Bretagne, des centres covid qui fonctionnent aujourd'hui s'appuient sur les centres hospitaliers et sur des médecins volontaires, en lien avec les CPTS et les unions régionales de professionnels de santé (URPS). Cela permet de soulager les urgences et d'assurer une prise en charge plus rapide et spécifique de patients covid.

Debut de section - Permalien
Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP)

Cela fait quelques années qu'avec mon homologue de la FHF, nous sommes associés sur l'ensemble des problématiques de notre branche. Nous avons déjà montré que nous étions unis et complémentaires. Et cela se passe bien. Mais j'ai été surpris du décalage qui pouvait exister entre notre volonté partagée, avec la FHF, la Fehap et Unicancer, de porter des messages communs, et l'action sur le terrain de certaines équipes qui n'avaient peut-être pas forcément entendu la bonne parole centrale. Certes, c'était surtout au début. Mais ne nous voilons pas la face : sur le terrain, des équipes de médecins ne jouaient pas forcément la complémentarité entre le public et le privé. J'espère que c'est un souvenir, d'autant que nous n'avons pas le choix : il faut faire différemment, et tout de suite.

Au demeurant, cela ne concerne pas seulement la crise liée au covid. Nous devons aussi prendre en charge des patients chroniques en urgence. Soyons donc forces de propositions sur la prévention. Il faut que nous opérions immédiatement.

J'ai trouvé que c'était un non-sens absolu de confier aux GHT la distribution de masques pour l'ensemble de la profession hospitalière ; ce n'est pas leur rôle. Les pharmacies sont livrées sur l'ensemble du territoire en trois heures ; un Doliprane arrive au fin fond de tous les départements en quelques heures. Je pense que nous aurions pu avoir une distribution nominative, établissement par établissement. Il y a 22 000 pharmacies et 1 000 hôpitaux privés. Il était facile, me semble-t-il, de confier à un distributeur la régulation des masques. Certes, les GHT ont joué le jeu de la transparence et de la répartition équitable en fonction de ce qui avait été ordonné par les ARS ou la DGOS. Mais ce n'était absolument pas leur rôle d'effectuer cette distribution en temps de crise. Vous le savez, je suis un élu, mais aussi un opérateur sur le terrain : une partie des stocks de masques étaient sous clé à mon domicile, car nos pharmacies et nos établissements avaient été cambriolés. Une partie de la population a profité de la situation de crise pour revendre des masques à des prix effroyables. C'était devenu le produit le plus recherché avec les solutions hydroalcooliques. Nombre d'établissements ont été cambriolés, pour certains à plusieurs reprises.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

La décision avait été prise par Santé publique France. Avez-vous eu des remontées de contacts ?

Debut de section - Permalien
Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF)

Les contacts étaient directement avec les ARS.

Les hospitaliers, à travers les GHT, n'étaient pas demandeurs sur la distribution des masques. Mais nécessité fait loi : la décision prise dans l'urgence devait s'appliquer. Comme maire, j'ai été en contact avec un important réseau de pharmaciens dans le sud de la Seine-et-Marne. C'est pour moi un doux rêve d'imaginer les pharmaciens stocker chez eux les cartons pour des dizaines d'équipements, qu'il s'agisse de gants, de masques, de blouses ou de charlottes. Ils avaient déjà parfois du mal à stocker ce qui correspondait à leurs propres besoins ou à ceux de leurs clients. Il y aurait eu des risques de cambriolages. Quoi qu'il en soit, la décision de s'appuyer sur les GHT a fonctionné.

Debut de section - Permalien
Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF)

Ce qui a été long, c'est non pas la distribution et la constitution des stocks de masse restés dans les lieux de stockage des GHT, mais l'approvisionnement sur le terrain et l'arrivée des équipements de protection, bref la logistique. D'ailleurs, les ARS ont fait montre de défaillances à cet égard. Les collectivités locales, notamment dans le Grand Est et en Île-de-France, mais aussi dans d'autres régions, ont prouvé qu'elles savaient acheter mieux et plus vite. Elles ont été meilleures logisticiennes que les ARS, voire parfois que l'appareil d'État, en obtenant des masques plus rapidement. Certaines entreprises, par exemple dans le luxe, ont aussi pu faire venir des masques beaucoup plus rapidement que les circuits administratifs étatiques.

L'autre question est celle de l'articulation sur le territoire. Les agences régionales de santé sont des structures très concentrées. Dans les grandes régions, l'éloignement est encore plus important. Classiquement, et en période de crise, l'État est plus implanté à l'échelon départemental, autour du préfet. Il y a eu des décalages importants dans les réponses : le lien avec les maires, les collectivités locales et les acteurs de terrain était plus difficile pour les ARS. Dans la perspective de futures crises, cela doit nous interpeler.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Il nous a été indiqué, notamment à propos du Grand Est, que les ARS avaient bien conscience de n'être pas faites pour la logistique, ce qui soulève la question du pilotage par le ministère de la santé : en « temps de guerre », cela aurait pu relever des préfets des zones de défense.

Les masques que les GHT étaient chargés de distribuer étaient exclusivement réservés aux hôpitaux ; la médecine de ville et les soins à domicile n'avaient rien. Et les pharmaciens étaient catastrophés de devoir en refuser à des patients ayant quitté l'hôpital et devant rester en convalescence chez eux.

Le problème tient à la pénurie. Les soignants et les personnels des hôpitaux, des urgences ou des services de réanimation ont été jugés prioritaires, ce qui peut s'entendre. Mais, face à l'inefficacité de l'État, les collectivités locales ont pris le relais.

À l'issue de la crise, il faudra revoir la gouvernance. Si les choses se sont bien passées dans les grandes régions, le lien entre les directions départementales de l'ARS et les préfets, avec parfois des conflits entre ces deux instances, s'est fait en proximité. Les lourdeurs administratives ont été des freins inutiles, avec des conséquences non négligeables.

Debut de section - Permalien
Sophie Beaupère, déléguée générale d'Unicancer

Nous avions été plusieurs fédérations à demander que la distribution relève non des GHT, mais plutôt, par exemple, des grossistes répartiteurs ; ils ont l'habitude de répartir les dispositifs médicaux et sont bien implantés dans les territoires. Les GHT ont pleinement joué leur rôle, mais cela a représenté une pression, une charge de travail et une responsabilité supplémentaires pour eux.

Les fédérations avaient aussi demandé que l'on puisse voir les dotations attribuées aux établissements. Il y a toujours des erreurs ; c'est assez technique. En outre, dans le cas d'un calcul basé sur le nombre de professionnels, il y a toujours des éléments à mettre à jour. Les centres ont été confrontés à des sous-dotations pendant dix jours. Nous avons dû faire jouer la solidarité. Certains centres avaient un peu plus de stocks. On envoyait des masques à nos adhérents, ainsi qu'aux préfets, aux collectivités locales et aux entreprises. La médecine de ville a été en grande difficulté. Nous avons essayé de fournir des masques aux infirmières libérales qui travaillent avec nous.

Debut de section - Permalien
Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap)

Je n'ai aucune inquiétude sur la capacité du système sanitaire et de la médecine de ville à être prêts en cas de retour de la crise. Nous serons prêts. Certes, nous l'avons vu, il peut y avoir des obstacles. Mais, si c'est le cas, ils seront franchis. Toutefois, il y a deux points sur lequel je pense que nous ne sommes pas prêts.

D'abord, la démocratie sanitaire a été totalement mise sous le chapeau pendant la crise. Les décisions étaient prises - certes, on peut comprendre la nécessité d'agir vite - sans que les représentants des usagers et des familles soient consultés et puissent donner leur avis. En cas de reprise de la crise, il faudra absolument y remédier. Attention à un éventuel reconfinement dans les Ehpad ! Le confinement y est parfois vécu comme une grande violence par les personnes et les familles, qui en connaissent les conséquences. En matière de démocratie sanitaire, les processus de prise en compte des représentants des usagers et des familles ne sont pas encore au point.

J'ai également des craintes sur la prise en compte des acteurs vis-à-vis des plus vulnérables. Je pense aux personnes âgées à domicile qui ne sont pas dans des institutions et qui ne sont donc pas accompagnées au plus près, ainsi qu'aux personnes handicapées ou socialement précaires. Les acteurs du domicile ont été totalement absents. Ils n'ont pas suffisamment de protection. Il est question d'aborder le sujet dans le texte relatif au grand âge. Pour le moment, rien n'a été fait pour eux lors du Ségur. Pourtant, en cas de reprise de l'épidémie, ces professionnels de l'accompagnement au quotidien, du lever, du laver, de l'habillage, de l'alimentation et de l'activité simple seront en première ligne. Nous ne sommes pas prêts vis-à-vis de l'accompagnement social, en particulier dans les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et les maisons d'enfants à caractère social, avec l'aide sociale à l'enfance (ASE). La seule solution a été le confinement. Or, confiner des personnes socialement précaires, enfants ou adultes, c'est les mettre dans une cocotte-minute sans aucune perspective d'activité. Cela a fait de gros dégâts. Et, faute de réflexion sur le sujet, c'est la seule solution qu'on leur proposera en cas de reprise.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

En début de crise, le stock national de masques était clairement insuffisant, contrairement à ce qui avait été prévu pour les pandémies grippales. Apparemment, pendant le quinquennat précédent, il avait été décidé de renvoyer cette responsabilité au terrain, c'est-à-dire aux établissements, voire aux entreprises. Avez-vous eu des consignes précises pour entretenir ces stocks ? Peut-on penser les stocks de masques sans penser aussi les stocks d'EPI, qui se sont révélés nécessaires ? Sur qui reposait vraiment la responsabilité des stocks avant la crise ? Nous avons bien compris que la protection du public hors personnels spécialisés ne pouvait pas relever de vos établissements.

L'hospitalisation privée considère-t-elle la capacité réduite d'un malade par chambre comme un critère totalement scientifique et incontournable ? La prise en compte des risques de contentieux entrait-elle, au moins pour partie, dans la décision ?

Le président de la FHF a indiqué attendre la mise en place de politiques de territoire, de prévention et de santé publique en cas de nouvelle vague. Peut-il être un peu plus précis ? Qu'est-ce qui lui paraît manquer dans ce qui a été annoncé par le Gouvernement ? Dans quel agenda des actions envisagées pourraient-elles être menées ?

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

La coopération entre l'hôpital public et le privé passera-t-elle plus par la constitution de CPTS que par le truchement de l'ARS ?

Face à ce que tout le monde a appelé une crise de l'hôpital, plusieurs solutions ont été préconisées, dont une diminution du personnel administratif au profit d'une augmentation du personnel soignant. Partagez-vous cette position ?

Le ratio entre personnel administratif et personnel soignant est-il le même dans le secteur privé que dans le public ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Les nombreuses contradictions dans les communications du Gouvernement, mais également sur les territoires, que M. Perrin a montrées ont été sources de confusion pour les Français et les personnels, parfois aussi de stress, voire de souffrance. Pouvez-vous nous en dire plus sur le service d'écoute psychologique et le dispositif de soutien éthique pour les professionnels et les directions que la Fehap avait mis en place ? Un bilan a-t-il été réalisé ?

Monsieur Valletoux, pouvez-vous revenir sur la notion de « doctrine » que vous avez évoquée à propos des renoncements aux soins ?

Debut de section - Permalien
Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF)

Il y a effectivement eu un changement de doctrine sur les stocks de masques en 2013. Il est demandé aux établissements de constituer des stocks pour une utilisation courante et pour faire face à une crise de quelques jours. Cela ne concernait pas la perspective d'une épidémie dont l'intensité n'avait jamais été atteinte dans notre pays. Là, ce sont des stocks stratégiques de l'État qui devaient venir en complément. Les stocks qui sont demandés aux établissements sont ceux qui doivent permettent de faire face à l'activité courante ou à une crise dont on pensait - on avait en tête les attentats terroristes ou des crises environnementales - que l'intensité serait de quelques jours.

Nous avions interrogé les fournisseurs habituels des hôpitaux en EPI sur les masques. Le 28 février, le réseau des acheteurs hospitaliers (Resah), qui est une centrale d'achat publique, nous répondait ceci : « À ce jour, les titulaires des marchés Resah ne livrent plus, sur ordre du ministère de la santé, qui va prioriser les commandes. Les établissements auront un retour du ministère et de l'ARS. » De son côté, l'Union des groupements d'achats (UGAP) indiquait : « En ce qui concerne les masques, et tous types de masques, l'UGAP n'est plus en mesure d'approvisionner aux conditions de ses marchés la sphère publique, et notamment les hôpitaux. Santé publique France a directement pris en charge à l'échelle nationale, en lien avec l'État et ses services, cette typologie de fournitures. »

Debut de section - Permalien
Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF)

Bien entendu.

Dès la fin du mois de février, nos établissements ne pouvaient plus compter que sur leur stock propre, c'est-à-dire le stock courant, celui qui devait permettre de faire face à une crise de quelques jours. Le constat du 28 février était déjà entré en ligne de compte depuis plusieurs jours. La pénurie touchait aussi les établissements eux-mêmes. La tension a été maximale dans le courant du mois de mars.

Sur les territoires de santé, la question est celle de la coordination. La grande promesse de Ma santé 2022, réitérée à l'occasion du Ségur de la santé, était que l'ensemble des acteurs, dans un système historiquement en tuyaux d'orgue, arrivent à se parler et à créer ensemble des filières de prise en charge, en fonction de l'état les forces dans chacun des bassins de vie ou des territoires. Cela varie évidemment entre monde urbain et monde rural, entre littoraux attractifs et zones moins attractives, etc. La clé se trouve dans la qualité et la réalité de la coordination, que les CPTS doivent d'ailleurs permettre d'améliorer pour le monde libéral. Il y a des expérimentations très intéressantes à Brest, Saint-Brieuc ou Annecy : le public et le privé travaillent main dans la main.

Encore une fois, là où les CPTS existaient déjà - mais celles-ci n'existent pas partout et ne sont pas obligatoires pour le monde libéral -, la réponse a été plus efficace, plus élaborée, en prenant en compte l'ensemble des acteurs. Le jour où la réalité de ce qui marche bien dans certains territoires sera constatée partout en France, on passera peut-être d'une approche beaucoup trop jacobine et centralisée à une approche plus en dentelles.

M. Bazin m'interroge sur l'agenda. Je souhaite que les réponses viennent le plus rapidement possible. Mais cela repose aussi sur la compréhension des enjeux par les acteurs.

Pour moi, les coopérations entre le public et le privé passent plus par les acteurs de terrain que par des oukases de l'ARS. Avec une approche trop administrative ou bureaucratique, on rate sa cible une fois sur deux. Faisons confiance aux acteurs de terrain pour proposer des modes d'organisation qui dépendent de l'état des forces dans les territoires.

Si l'objectif est d'avoir le ratio entre personnels soignants et personnels administratifs le moins élevé possible, je sais déjà qui, du privé ou du public, va gagner. Un directeur d'établissement reçoit à peu près 150 instructions ou directives par an des ARS. La pesanteur bureaucratique est beaucoup plus lourde dans le public. Nous avons vu émerger des nouveaux métiers liés à cette pesanteur, qui n'a eu de cesse s'accentuer au cours de ces dernières années ; leur seule utilité est de gérer des plannings compliqués, alors que des effectifs importants font défaut. La question de l'attractivité des carrières est majeure. Nous recrutons des personnels administratifs non pas pour nous faire plaisir, mais pour répondre à un contexte réglementaire qui s'est profondément alourdi ces quinze dernières années. Les acteurs médicaux et administratifs ont de moins en moins de marges de manoeuvre, et l'administration s'est considérablement étoffée. Il serait peut-être intéressant de comparer la courbe des effectifs au ministère de la santé avec celle des effectifs dans les ARS. Même si je n'ai pas fait d'étude experte, je n'ai pas le sentiment que la création de ces dernières ait permis d'alléger la tutelle nationale sur les politiques de santé. Je pense que la bureaucratie s'est installée à tous les étages et que la déconcentration n'a pas empêché chaque étage de gonfler ses effectifs. Tout cela pèse sur les hôpitaux.

Par « doctrine » sur le renoncement aux soins - le terme était peut-être un peu fort -, je faisais simplement référence au fait d'adresser des messages clairs aux Français. La crise n'exclut pas qu'il faille continuer à se faire soigner, à fréquenter son médecin. Rassurons nos concitoyens et donnons aux praticiens les moyens de les prendre en charge.

Debut de section - Permalien
Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP)

Un malade par chambre, c'est uniquement lié au risque d'infectiologie ; pas au risque contentieux. Nous vivons en permanence avec le risque contentieux, dès qu'un malade franchit le seuil de l'établissement ou du cabinet médical. Ce n'est pas ce qui nous motive à progresser, tant s'en faut. En l'occurrence, il s'agit simplement de ne pas mettre un patient covid avec un patient non infecté. De même, les patients atteints de maladies bactériennes style staphylocoque ou bactérie multirésistante sont toujours en chambre d'isolement. Là, comme il y en a plus, nous sommes obligés de les séparer.

La coopération avec l'hôpital public a été largement commentée. Nous ne sommes pas membres de droit dans les CPTS, et toutes ne fonctionnent pas de manière équivalente. Cela n'apporte donc pas une réflexion pertinente à l'échelon national. Nous demandons que l'ARS soit le garant de la répartition des autorisations de réanimation, des patients et des prises en charge et que des contrôles soient effectués.

Au sein de l'hospitalisation privée, nous avons 12,8 % d'agents administratifs. Je suppose que le taux est supérieur dans les hôpitaux publics. Nous avons évidemment aussi des secrétaires médicales. Tous nos praticiens ne sont pas dotés en secrétariat médical.

Debut de section - Permalien
Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap)

On a beaucoup d'espoir dans les CPTS, mais je rappelle - le chiffre nous a été donné par le directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) en début de semaine - qu'il y en a actuellement 20 en France. Certes, il y en a 200 à venir. Pour le moment, c'est une institution en devenir.

À la Fehap, il y avait trois espaces différents. Le premier, mis en place par le ministère, était pour tout le monde et concernait les professionnels de santé ; il a été très sollicité. Le deuxième était spécifiquement pour les directeurs et les responsables de soins ; il a été peu sollicité. Le troisième, l'espace éthique dont vous parlez, était très intéressant. Je n'ai pas de bilan à vous présenter pour le moment, mais il y en aura un. Des professionnels en responsabilité confrontés à des questions éthiques douloureuses pouvaient demander à être entendus en débat avec un éthicien, un philosophe ou autre. Il y a eu des débats très intéressants. Des acteurs devant prendre à des décisions difficiles ont pu vider leur sac.

L'état psychique des professionnels est contrasté. Globalement, ils sont très fiers de ce qu'ils ont fait. Une infirmière me disait encore hier : « On l'a fait, et on a gagné. » Ils gardent la mémoire de leurs collègues qui ont subi la maladie et en sont morts ; il y en a eu dans tous les secteurs, y compris le nôtre. Cela reste très douloureux. Les vacances ont été utiles ; ils repartent motivés. Je pense qu'ils seront prêts en cas de nouvelle crise. Il y a tout de même une amertume, car nos médecins n'ont été ni reconnus dans le cadre du Ségur et ni revalorisés comme dans le public ; pour le moment, nous n'avons rien à leur proposer.

Les problèmes de doctrine s'agissant de l'éviction des professionnels touchés par la maladie se sont posés dès le 20 février. Nous avions des questions. Que fait-on d'un professionnel touché par la maladie ? À l'époque, il n'y avait pas beaucoup de tests. Que fait-on quand on a des suspicions ? Les réponses orales de la DGOS étaient très hésitantes.

S'il était moins difficile de compenser les absents dans le sanitaire, car l'activité de certains services avait été arrêtée - cela restait tout de même difficile -, les insuffisances en termes d'encadrement pour les personnes âgées et les personnes handicapées dans le médico-social avaient déjà été dénoncées avant la crise. Dès lors, quand des professionnels étaient malades ou invoquaient un droit de retrait, avéré ou non, on se trouvait en difficulté. Les doctrines qui nous ont été données en l'absence de connaissance du virus et de tests ont été très variables. Une fois, on nous avait dit que les professionnels asymptomatiques pouvaient continuer à travailler avec des protections. Or il est tout de même difficile d'être efficaces dans une telle situation, protections ou pas. Surtout, cela posait un problème de la responsabilité pour nos employeurs, qui craignaient d'être impliqués au pénal en cas d'infection avec des conséquences graves d'un malade, d'une personne accompagnée ou d'un autre professionnel. Faute de réponse claire, j'avais interrogé la DGOS le 12 mai ; je rappelle que nous n'avions alors pas suffisamment de protections dans le médico-social. Il a fallu attendre le 23 mai pour que le Haut Conseil de la santé publique donne un avis écrit et que nous disposions des directives claires sur l'éviction des professionnels. Cela a été très long. L'hésitation était liée à la mauvaise connaissance de la maladie et de ses implications possibles vis-à-vis des activités et des malades.

Une ordonnance du tribunal judiciaire de Lille du 3 avril 2020 montre les difficultés qu'il a pu y avoir entre le ministère du travail et nous. Suite à une saisine de l'inspection du travail et de la CGT, un établissement de services à domicile s'est trouvé condamné, certes de manière très symbolique, pour ne pas avoir mis en place les mesures de protection de ses salariés alors même qu'il n'en disposait pas, puisque l'État était incapable de les fournir. Nous avons ainsi fait l'objet d'injonctions contradictoires.

Debut de section - Permalien
Sophie Beaupère, déléguée générale d'Unicancer

Notre centrale d'achat a constaté dès la fin du mois de février qu'il n'était plus possible de commander des masques et des EPI.

Debut de section - Permalien
Sophie Beaupère, déléguée générale d'Unicancer

Nous disposions de stocks pour un fonctionnement courant et un risque normal, mais pas de réserves pour une crise sanitaire.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Il n'y avait pas de tension sur les approvisionnements ?

Debut de section - Permalien
Sophie Beaupère, déléguée générale d'Unicancer

Pas en février.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Mais tout a été bloqué dès le 28 février, puisque l'État était prioritaire.

Debut de section - Permalien
Sophie Beaupère, déléguée générale d'Unicancer

Exactement. D'ailleurs, c'est normal. Mais l'enjeu était ensuite la redistribution. Cela soulève la question de la préparation de l'ensemble des établissements à de telles crises sanitaires. Nous participions tous à des exercices relatifs aux risques terroristes ou aux risques nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques (NRBC), mais pas à ce type de risques.

Comme cela a été souligné, nous ne sommes pas membres de droit des CPTS. Tous les CLCC ne sont pas dans l'ensemble de CPTS, même si c'est un dispositif qui permet la concertation. Pour nous, le décloisonnement ville/hôpital passe à la fois par des outils informatiques permettant de partager les informations entre professionnels libéraux et établissements pour faire des parcours de soins coordonnés et par des financements incitatifs.

Je ne dispose pas du taux des personnels administratifs des CLCC. L'important à nos yeux est d'avoir un mode de gouvernance permettant de faire confiance aux professionnels et d'être coopératifs. Les centres essayent de promouvoir ce type de modèle managérial. Pour nous, le sujet principal est l'attractivité de nos établissements face aux difficultés à recruter un certain nombre de médecins, notamment spécialistes.

Il y a effectivement une véritable fierté de la part des professionnels d'avoir pu assurer la continuité de la prise en charge dans un tel contexte, mais un certain essoufflement, notamment du corps médical. Nos professionnels non-médicaux ont bénéficié des mêmes mesures de revalorisation que dans l'hôpital public. Mais ce n'est pas le cas de nos professionnels médicaux. Nous souhaitons l'équité de traitement. Les médecins des centres de cancérologie vivent mal la situation alors qu'ils éprouvent des difficultés à exercer normalement leur métier du fait des contraintes liées au covid.

Nous avons dû nous organiser rapidement, dès le mois de mars, c'est-à-dire avant la parution des documents officiels. Celui du ministère de la santé et de l'Institut national du cancer (INCa) relatif à l'organisation de la prise en charge du cancer dans le contexte de l'épidémie de covid-19 est daté du 27 avril.

Debut de section - PermalienPhoto de Véronique Guillotin

En cas de deuxième vague, ou simplement de rebond, sachant que l'hiver va faire exploser les maladies infectieuses et respiratoires de tous ordres, on se demandera souvent si tel patient est atteint du covid ou non. Plusieurs d'entre vous se sont montrés optimistes, en indiquant que l'approche ne serait pas la même que lors de la première vague. Avez-vous eu des consignes claires, écrites, de la chaîne de commandement sur le renoncement aux soins, la distribution des masques, la coordination ville-hôpital ou privé-public ou l'organisation des soins en général ? Va-t-on encore compter sur les bonnes volontés de terrain et la capacité des acteurs à s'organiser selon les territoires ? Là où il n'y a pas de CPTS, c'est plus compliqué.

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

Nous savons très bien qu'il y a des déserts médicaux. Ce que vous avez vécu chez vous ne vaut pas nécessairement pour l'ensemble du territoire national. Les contrats locaux de santé (CLS) pourraient-ils permettre d'améliorer le vécu de certains patients et des professionnels ?

Aurait-il fallu qu'Unicancer puisse anticiper sur la prise en charge des personnes qui étaient déjà programmées lors du déclenchement du plan blanc ?

Les chefs d'établissement privé ou public ont des démarches d'accréditation ou de certification. Dans le cadre de l'amélioration continue de la qualité, avez-vous envisagé de revoir les dispositifs pour effectuer des réajustements en cas de nouvelle vague ?

M. Valletoux a fait part de sa satisfaction s'agissant des décisions prises lors du Ségur en matière de prise en charge financière pour certains professionnels. Mais envisagez-vous de tenir compte des difficultés et des psychotraumatismes de certaines personnes, en recrutant des médecins du travail et des psychologues ?

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Je le dis en toute sérénité, je n'apprécie que l'on déclare avoir « gagné » au printemps. Il y a eu 40 000 morts dans les hôpitaux, les Ehpad et à domicile. Cette commission d'enquête a pour objet de déterminer si tout ce qui a été fait a été bien fait ou si certains responsables publics ont failli. Car 40 000 morts, ce n'est pas rien. Et nous ne savons pas ce qui va se passer dans les mois à venir.

J'ai très mal vécu cette période. Le préfet des Hauts-de-Seine, département que M. Valletoux connaît bien, appelait les parlementaires pour leur demander s'ils savaient où trouver des masques. Des hôpitaux privés nous faisaient part de leur incompréhension : personne ne les appelait alors qu'ils avaient des places. Et les ARS nous disaient que tout était sous contrôle, ce qui n'était pas vrai. Je n'incrimine personne. Mais qu'on ne me dise pas que tout s'est bien passé. Ou alors, nous n'avons pas dû vivre dans le même pays.

On nous répète à chaque audition que les choses changent et que nous serons mieux préparés en cas de vraie deuxième vague. Mais il est un point sur lequel je ne vois toujours rien venir. En six mois, on s'est bien rendu compte que la centralisation ne marchait pas et que la multiplication des comités - je pense à Santé publique France, dont l'action se limite à faire des clips télévisés franchement nuls - ne servait pas à grand-chose. La responsabilité des acteurs de terrain n'est pas assez mise en avant. A-t-on envisagé une forte décentralisation pour leur rendre une réelle responsabilité et une capacité d'agir ? Comment améliorer le lien privé-public ? Faut-il avoir des ARS surdimensionnées, avec autant de fonctionnaires, de contrôles, de signatures ? En cas de deuxième vague, nous serons encore dans l'urgence. En temps de guerre, il ne faut pas multiplier les structures. Les acteurs de terrain doivent pouvoir mieux se coordonner et mener le combat.

Tout est-il en ordre aujourd'hui ? Les Français, dont on parle finalement bien peu, peuvent-ils se dire que le système mis en place les protège, les soigne et les aide ?

Debut de section - Permalien
Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP)

La réponse est oui. Aujourd'hui, nous sommes organisés. L'erreur qui a été commise, outre l'absence de masques et de respirateurs, a été de considérer - mais nous ne le savions pas ; il est facile de refaire le match - que la pandémie serait sur tout le territoire national. Or cela n'a pas été le cas. Tant mieux. L'erreur, que nous ne ferons pas une deuxième fois, a été de vouloir mobiliser le peu de moyens que nous avions. S'il y a demain un cluster sur un territoire, tous les autres sont prêts, en cas de surrégime ou de dépassement de capacité, à venir immédiatement en renfort, qu'il s'agisse du matériel ou des moyens humains. L'approche est totalement différente par rapport au mois de mars.

Nous avons tous fait des exercices de plan blanc, mais ce n'est pas la vraie vie. La vraie vie, c'était en mars, quand des patients étaient en détresse respiratoire et allaient mourir dans les prochaines heures si nous ne faisions rien ; c'était un flot continu de patients. Il faut avoir vécu cette situation pour en parler de manière réelle, et avec émotion.

Aujourd'hui, notre rôle est de rassurer nos concitoyens, dont nous sommes chargés de garantir la santé. Il y a tellement de faux messages qui circulent toute la journée, tellement d'inquiétudes. Je suis choqué que toutes les manifestations, professionnelles, amicales ou autres, soient annulées les unes après les autres. Cela devient très anxiogène. Je rends hommage au Mouvement des entreprises de France (Medef), qui a tenu son université d'été, avec 2 500 personnes ; nous étions tous masqués, et nous avons simplement pu continuer à vivre. On ne pourra pas continuer longtemps à annuler toutes les manifestations, notamment professionnelles ; l'activité doit reprendre.

Nous sommes prêts. L'ARS a continué sa veille et nous réunit quotidiennement, en fonction des clusters. Chez moi, dans l'Hérault, en Occitanie, où il y a eu des foyers infectieux importants liés au tourisme, l'ARS est mobilisée. Nous sommes en lien avec la médecine de ville, avec le monde hospitalier public, privé et associatif et, bien entendu, avec le médico-social. Nous sommes prêts. Les moyens sont arrivés. Surtout, nous avons le retour d'expérience. Ne parlons pas d'« erreurs » ayant été commises ; nous ne savions pas.

Mais si une telle situation - vous l'avez dit, il y a eu 40 000 morts ; c'est effroyable ; nous avons tous eu des drames humains à gérer - devait ressurgir aujourd'hui, je pense que nous serions prêts. C'est vraiment le message que je veux faire passer aujourd'hui. Nous devons rassurer nos concitoyens sur la solidité de notre système de santé. Certes, il y a eu des erreurs. Il vous appartiendra de déterminer lesquelles et d'en identifier les responsables. Notre rôle n'est absolument d'incriminer telle ou telle personne.

Toutefois, nous faisons un constat. Comme l'a souligné M. Valletoux, nous avons vécu une austérité budgétaire effroyable pendant dix ans, avec des baisses de tarifs de 2 % chaque année. Ne nous étonnons pas que la mariée soit un peu moins belle si les budgets de fonctionnement ont été amputés de 10 %, voire de 15 % pendant dix ans.

Debut de section - Permalien
Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF)

Monsieur Karoutchi, la certitude que nous avons aujourd'hui, c'est que tout serait en ordre en cas de retour d'une crise aussi forte que celle du printemps dernier. Le système tiendra. Il a déjà tenu. Certes, le prix a été élevé. S'il y a eu des erreurs, il vous appartiendra de les mettre en exergue. Mais le système a tenu.

Néanmoins, soyons réalistes, il y aura toujours des difficultés. Cela ira sans doute mieux sur les approvisionnements. Mais prenons la question des effectifs : les hôpitaux ont tenu parce que les hospitaliers se sont dépensés et mobilisés comme jamais, au prix d'un effort humain important. Il faut un an pour former une aide-soignante, trois ans pour former une infirmière, dix ans à quinze ans pour former un médecin, et il y a 30 % de postes vacants à l'hôpital. La réalité des effectifs n'a pas changé. La réalité de l'effort à fournir en cas d'épidémie d'une telle intensité ne changera pas non plus. La capacité humaine à faire face tiendra une fois de plus, grâce à un effort immense des professionnels de santé devant l'afflux.

Il est possible de mettre des respirateurs dans des salles hospitalières si on en achète. Il faut entre huit et dix professionnels autour d'un lit de réanimation pour un patient. On ne forme pas des infirmiers spécialisés en quelques semaines. On peut demander en urgence à des dermatologues ou à des médecins divers et variés de se plonger dans la vie d'un service de réanimation et de donner un coup de main. Cela a été le cas. Dans les services, les gens qui étaient autour de lits de réanimation n'étaient pas tous des infirmiers spécialisés, des réanimateurs. Tout le monde, moi le premier, connaît des médecins d'autres spécialités qui sont venus donner un coup de main et qui étaient sous les ordres d'infirmiers spécialisés. Cela n'a pas changé, et ne changera pas. Le système de santé est un paquebot, et les paquebots font des manoeuvres un peu lentes : entre le moment où on décide d'opérer un virage et son exécution, il se passe du temps. En l'espèce, cela se compte en nombre d'années.

À mon avis, il y a une prise de conscience ; elle s'est exprimée lors du Ségur. On a effectivement été trop loin dans les demandes d'économies et de rationalisation du système de santé. Aujourd'hui, cela ne peut plus passer. Il faut recoudre ce qui a été détricoté. Cela va prendre des années, à condition d'être à la hauteur des vrais enjeux.

Nous avons obtenu des réponses à peu près satisfaisantes sur les rémunérations. Le Gouvernement a mobilisé 7 milliards d'euros à 8 milliards d'euros. Il faut saluer cet effort, qui est sans précédent. Cela sera-t-il suffisant pour rendre les carrières hospitalières plus attractives et donner envie aux jeunes de s'engager dans ces métiers pénibles et pas toujours bien rémunérés ? C'est une vraie question, et elle n'est pas tranchée.

Dans notre système de santé, les écarts de rémunération entre public et privé sont abyssaux. Il faut regarder cette réalité en face. Comment demander à un hôpital public de tenir ses missions avec de tels écarts ? Il est compliqué de garder des médecins dans certaines spécialités. À cinquante ans, cinquante-cinq ans ou soixante ans, on peut n'avoir plus forcément envie de subir certaines contraintes de vie, comme celles qui sont liées aux gardes.

En France, la santé est sans doute l'un des sujets qui a le plus fait l'objet de littérature administrative, parlementaire ou savante, mais qui a le moins fait l'objet de véritables réformes. On a laissé prospérer des situations qui ne peuvent plus durer. Le temps des vraies réformes est venu. Le Ségur est un début de réponse, mais un début seulement.

Je suis malheureusement un peu plus nuancé sur la réponse à apporter à Roger Karoutchi. J'aimerais pouvoir être enthousiaste et dire qu'il n'y a pas de problème. Nous sommes évidemment prêts à faire face, mais à prix qui restera élevé et douloureux.

Debut de section - Permalien
Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap)

Les écarts de rémunération qu'évoque Frédéric Valletoux ne sont pas entre le public et le privé solidaire. En fait, les écarts entre le public et le privé solidaire vont même être inverses, compte tenu ce que le public a gagné dans le Ségur.

Monsieur Karoutchi, je pense qu'aucun d'entre nous n'a dit que nous avions « gagné ». Nous avons dit que nous avions tenu.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Si ! Vous avez-vous-même employé le terme « gagné ».

Debut de section - Permalien
Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap)

Je ne me souviens plus à quelle occasion je l'ai employé. Face à la crise, nous avons tenu. Mon propos n'est nullement de dire que nous serions les gagnants et que le virus serait le perdant. Nous avons tenu dans une crise extrêmement difficile. Nous sommes prêts à y retourner, avec crainte. Je pense que nous tiendrons encore en cas de retour de la crise, mais il y a des conditions.

Des leçons ont été tirées sur le pilotage. Le national a compris qu'il ne pouvait pas faire descendre toutes ses décisions, notamment dans une crise qui touchait différemment les régions. Si nous voulons être à même de faire face à une nouvelle crise, il faut laisser des marges de manoeuvre pour que des réponses adaptées puissent être apportées à l'échelon régional. Bien entendu, il faut beaucoup de passerelles entre les régions s'il y a des besoins de transferts. Cela a été fait pendant la crise, mais cela peut être amélioré.

Debut de section - Permalien
Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap)

Je l'ai dit, c'est à améliorer. Il faut être plus réactifs.

Debut de section - Permalien
Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap)

Il y a eu des transferts entre régions, mais insuffisamment. Par exemple, les transferts vers les professionnels d'Occitanie, qui étaient inoccupés, n'ont pu être faits que début mai. Il faut mieux s'organiser.

Des améliorations s'imposent aussi à l'échelon infrarégional. Les ARS ont elles-mêmes reconnu que leurs délégations départementales n'étaient pas forcément armées pour accompagner au mieux nos attentes. Certaines décisions nationales mises en oeuvre par les ARS en région ont été sans effet dans les délégations départementales. Il y a là une faille à combler. Le lien avec les collectivités départementales a été très inégal, parfois inexistant, notamment sur l'action de proximité en faveur des personnes vulnérables ou en situation de handicap. Il faut absolument améliorer le lien entre les délégations départementales des ARS et les collectivités départementales.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Les situations étaient différentes selon les départements. Le secteur médico-social n'était pas touché là où le covid ne circulait pas.

Debut de section - Permalien
Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap)

Il n'était peut-être pas touché par le virus, mais il l'était par les mesures prises. Quand une personne autiste est isolée à domicile, sans activité, elle explose, de même que sa famille.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Les acteurs du domicile nous ont indiqué que la situation était effectivement très variable selon les départements. Sans tomber dans la délation, pouvez-vous nous préciser les départements dans lesquels le lien que vous évoquez a été bon et ceux où il a été moins bon ?

Debut de section - Permalien
Sophie Beaupère, déléguée générale d'Unicancer

Il est clair que nous sommes beaucoup mieux préparés aujourd'hui, et heureusement. Les équipements et les tests sont présents. Le contact tracing, qui permet de suivre les contacts des patients positifs, est très important pour mieux maîtriser l'évolution de l'épidémie.

Nous avons aussi progressé sur la flexibilité des capacités de réanimation. Nous avons pu ouvrir ou transformer des soins intensifs en réanimation. Pour l'instant, nous avons conservé ces autorisations, ce qui permet d'avoir une variable d'ajustement importante.

Notre connaissance de l'épidémie s'est également améliorée, du fait notamment des essais que nous effectuons. Il nous semble important que ceux-ci puissent répondre à des questions spécifiques, comme l'efficacité de molécules spécifiques pour traiter les symptômes de patients atteints de cancer. Nos études de taille moyenne permettent d'avancer sur la connaissance de l'épidémie et sur ses interactions avec l'ensemble des pathologies.

La capacité humaine à faire face à la crise est un point crucial. Je ne reviens pas sur les enjeux de formation et de valorisation des professionnels. Les difficultés de recrutement en anesthésistes, en chirurgiens et en radiothérapeutes que connaissent les CLCC deviennent évidemment encore plus aiguës dans un contexte de crise.

Le rôle des élus a été essentiel.

Debut de section - Permalien
Sophie Beaupère, déléguée générale d'Unicancer

Il nous paraît très important que les élus puissent avoir une vision et une capacité d'anticipation, notamment sur les investissements. L'investissement, c'est la clé de la préparation des établissements et de l'ensemble des acteurs. C'est ce qui permet de se projeter à plus long terme en matière de santé publique.

Nous connaissons bien le sujet des déserts médicaux en cancérologie. Les difficultés à avoir des médecins experts et spécialistes dans beaucoup de territoires créent des inégalités de prise en charge. En période de crise sanitaire, cela ne s'améliore évidemment pas. La téléconsultation est une réponse, mais elle a ses limites.

Debut de section - Permalien
Sophie Beaupère, déléguée générale d'Unicancer

En effet. La solidarité nationale doit pouvoir jouer. Je pense par exemple aux transferts de professionnels, comme cela a été demandé, pour la Guyane. Il faut pouvoir continuer à promouvoir les exercices partagés médicaux - cela peut évidemment être développé dans le cadre des GHT - entre des centres d'expertise et des territoires qui connaissent des difficultés de recrutement.

Les CLCC ont déclenché des plans blancs très tôt, dès que des premiers patients ont été testés positifs au covid, avec des réunions quotidiennes. Évidemment, cela peut sans doute s'améliorer, avec davantage d'exercices, nationalement comme régionalement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Sol

Selon M. Valletoux, malgré les 9,4 milliards d'euros d'économies réalisées ces quinze dernières années, les hôpitaux ont tenu. Certes, mais à quel prix ! Nos équipes soignantes, qui étaient déjà épuisées avant cette crise sanitaire sans précédent, le sont encore plus aujourd'hui. Je ne suis pas convaincu que le Ségur de la santé ait des résultats magiques. La pénurie en matière d'effectifs et de compétences spécifiques, notamment en réanimation, que nous dénonçons régulièrement avec mes collègues au Sénat, a-t-elle été un frein majeur à la gestion des prises en charge de nos patients ? Comment y avez-vous remédié ? Que préconisez-vous ?

Monsieur Gharbi, comment les menaces sur l'utilisation des curares dont vous avez fait l'objet se sont-elles traduites ? Verbalement ? Par écrit ? En avez-vous mesuré les conséquences de la prise en charge de vos patients, notamment en termes de pertes de chances ou de surmortalité ? Que sont devenus vos 110 lits de réanimation disponibles ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Le problème du déficit de démocratie sanitaire ne se pose pas seulement en période de crise, même s'il a été exacerbé à ce moment-là. D'une manière générale, il n'y a pas de réelle démocratie sanitaire. L'organisation ne permet pas de donner la parole et la possibilité d'agir aux acteurs et aux actrices de terrain. Je pense non seulement aux chefs de service et aux médecins, mais à l'ensemble des personnels - ce sont eux qui sont confrontés aux difficultés - et aux patients. Comment modifier totalement cela ?

Vous avez tous été rassurants sur les EPI. Mais il n'y a pas que les masques. Il y a aussi les surblouses, les charlottes, etc. Pendant la crise, nous avons vu des infirmières, des infirmiers et des sages-femmes utiliser des sacs poubelles. Lors de nos auditions, les acteurs du médico-social, singulièrement les aides à domicile, nous ont alertés sur le fait que l'État n'allait plus les approvisionner. Comment allez-vous prendre le relais ?

Tout le monde dit que le personnel a été exemplaire. Mais reconnaître leur exemplarité nécessite de prendre en compte leurs revendications. Le Gouvernement a mis en place des primes. Or ce que les concernés demandent, ce sont des revalorisations salariales et la reconnaissance de leurs différents métiers.

Suite aux récents propos du Président de la République indiquant vouloir accorder des primes à tous les personnels, il y a eu une certaine cacophonie : selon les départements, selon que l'établissement est privé ou public, les personnels n'auront pas les mêmes primes, ou pas au même niveau. Cela exacerbe les inégalités. Qu'en pensez-vous ?

En tant que parlementaires, nous avons été souvent alertés sur la souffrance des patients atteints de troubles psychiatriques. On nous a dit qu'ils étaient, pour beaucoup, laissés en errance, non pris en charge ou isolés. Nous aimerions avoir votre retour d'expérience.

Monsieur Gharbi, vous déclarez que vous serez prêts, parce que l'ARS a institué un dispositif de veille, avec des réunions quotidiennes et des retours d'expérience. Je suis agréablement surprise ; jusqu'à présent, toutes les personnes que nous avons auditionnées nous ont indiqué qu'il n'y avait aucun retour d'expérience. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Aujourd'hui, tout le monde dénonce l'austérité. Mais, en tant que parlementaires, nous avons une responsabilité. J'espère que le Sénat va cesser d'adopter majoritairement des budgets d'austérité, que moi et les membres de mon groupe avons toujours refusé de voter.

Debut de section - Permalien
Sophie Beaupère, déléguée générale d'Unicancer

La démocratie sanitaire a été un peu mise à mal pendant la crise. Cela renvoie au sujet, que nous avons soulevé dans le cadre du Ségur - nous n'étions pas les seuls -, de la place des patients, qui doivent pouvoir donner leur avis sur un certain nombre de décisions stratégiques des établissements, mais aussi sur l'amélioration concrète de l'organisation et le parcours des soins.

La revalorisation des professionnels est un vrai sujet ; nous l'avons évoqué à plusieurs reprises. Nous pensons par exemple qu'il faut beaucoup travailler sur la valorisation du personnel infirmier. Je pense notamment aux infirmières en pratique avancée. C'est à la fois bon pour le système de santé, car cela permet de développer des compétences, et motivant pour les professionnels, en leur offrant des perspectives intéressantes de carrière. Il faut développer les protocoles de coopération entre médecins et personnels paramédicaux. La question des primes a été complexe. Il y a eu beaucoup de discussions avant d'obtenir la certitude qu'elles pourraient être versées dans les CLCC.

Comme vous l'avez souligné, ce qui compte pour les professionnels, c'est la revalorisation financière pérenne, plus que les primes. Cette revalorisation a été effective pour le personnel paramédical nous concernant. Elle ne l'est pas pour le personnel médical. Cela reste un point de crispation majeur pour nos professionnels.

Debut de section - Permalien
Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap)

Il y a une culture de la démocratie sanitaire et de la place des usagers en santé. Ils sont intégrés au conseil d'administration. Ils ont des associations bien organisées. Ils ont fait le constat de ce défaut de démocratie sanitaire pendant la crise. Par exemple, les associations de patients ont pu dénoncer la suppression des collations pendant les dialyses ou l'absence de masques vis-à-vis des personnes dialysées.

Le pire, c'est dans le médico-social, où la culture de la démocratie sanitaire est beaucoup plus récente. Ainsi, les compétences ou les capacités à agir des conseils de vie sociale (CVS) dans les Ehpad ou les structures pour personnes handicapées sont très limitées. Encore une fois, attention au reconfinement dans certains Ehpad, où les décisions sont prises par le directeur, avec une légitimité que l'on peut parfaitement comprendre, mais sans aucun dialogue avec les familles, ce qui est catastrophique. Il faut absolument anticiper et éviter ces problèmes par l'établissement d'un dialogue, avec des partenaires parfois difficiles à saisir.

Nous n'avons pas abordé l'abandon des carrières. Beaucoup de professionnels en santé abandonnent, parce qu'ils sont épuisés. Nous devons agir sur l'attractivité des parcours. Une jeune femme qui s'engage dans la carrière d'aide-soignante doit savoir qu'elle aura des perspectives. Elle ne doit pas penser qu'elle fera seulement des toilettes, même si ce n'est pas dévalorisant, toute sa vie. Elle doit avoir un parcours permettant d'évoluer dans son métier, voire de changer de métier. Cela vaut pour tous les professionnels.

La question de la psychiatrie ne concerne pas que l'institution psychiatrique. Elle concerne l'abord de la santé mentale de toute la population. Cela a été très difficile pendant la crise. Nous n'avons pas encore fait le point des conséquences psychologiques, voire psychiatriques de la crise sur toute la population. Les professionnels, qui sont au plus près, peuvent être suivis, même si c'est difficile. Les populations pour lesquelles je crains le plus sont, encore une fois, les populations précaires. Dans la rue, 30 % des personnes présentent des problèmes psychiatriques et 30 % - peut-être les mêmes ? - présentent des addictions. C'est énorme. Or, pendant la crise, la situation psychiatrique de ces personnes a été beaucoup moins prise en compte. Nous devons être vigilants.

Debut de section - Permalien
Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap)

Non.

Debut de section - Permalien
Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF)

Les questions de pénurie constituent effectivement un point d'inquiétude et de vigilance. Pour le système de santé, c'est un point d'amélioration majeure. Il faut concentrer les efforts pour - M. Perrin l'a souligné - rendre les carrières beaucoup plus attractives. Je ne pense pas que cela ait été un frein à la prise en charge, car la mobilisation de tous les soignants à l'hôpital, quelle que soit leur spécialité, a permis de faire face à l'afflux de patients. Nous l'avons fait une fois. Nous pouvons imaginer le faire deux fois. En revanche, nous ne pouvons pas imaginer pérenniser un système reposant uniquement sur la mobilisation des femmes et des hommes qui servent l'institution.

La question des carrières et des rémunérations doit être posée. La Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) du ministère de la santé a accepté de mener une enquête sur les écarts de rémunération. C'est une nécessité. Aujourd'hui, nous avons énormément de mal à conserver des radiologues ou des anesthésistes réanimateurs du fait de ces écarts.

Il faut poser tous ces sujets en transparence. Le Gouvernement semble d'accord pour le faire, de même que nos fédérations. Il y va de l'attractivité et de la pérennité de l'attractivité de chacun de nos secteurs.

Je souhaite corriger ce qui a été indiqué à propos du Ségur. L'accord que nous avons cosigné à Matignon ne portait pas uniquement sur des primes. Il visait la réorganisation d'un certain nombre de grilles statutaires, donc de carrières, et sur des mesures relatives aux rémunérations. La prime de reconnaissance covid faisait suite à la mobilisation exceptionnelle. Le fait qu'elle n'ait pas été versée de la même manière à tous les personnels soignants ne me choque pas : tous les territoires n'ont pas été touchés de la même manière, et tous les professionnels de santé n'ont pas vécu le même printemps. On ne peut pas réclamer que notre système de santé évolue vers un peu moins d'uniformité et prenne mieux en compte les réalités des territoires et regretter dans le même temps que la prime ait plutôt servi à ceux qui avaient été en première ligne. D'ailleurs, un socle concernait l'ensemble des hospitaliers.

Debut de section - Permalien
Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP)

La restriction des drogues organisée par l'administration centrale n'a évidemment pas abouti à des pertes des chances. En revanche, nous disposons d'écrits des ARS - nous pourrons vous les communiquer - nous mettant en garde pour que nous prenions seulement en charge les patients urgents ; il pouvait y avoir des contrôles et des demandes de remboursement des actes si nous prenions en charge des patients non urgents.

Debut de section - Permalien
Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP)

Les 110 lits de réanimation du Grand Est, c'est 40 supplémentaires en plus des 70 lits autorisés. Ils ont été désarmés. Nous sommes revenus au niveau initial de 70 lits.

Debut de section - Permalien
Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP)

Ils ont été occupés en totalité, mais progressivement : un mois après le début de la crise.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Beaucoup d'établissements ont confié des respirateurs ou du personnel, se sont retrouvés dans le circuit et ont récupéré en provenance d'autres hôpitaux des malades en gériatrie, pour lesquels leurs spécialistes n'étaient pas formés. Cela a posé des difficultés.

Debut de section - Permalien
Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP)

Exactement.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Certains de vos professionnels ont-ils eu des prêts garantis par l'État ou droit à l'activité partielle ?

Debut de section - Permalien
Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP)

Dès le début de la crise, nous avons eu la garantie de compensation de nos charges. Nous avons pu - je n'ai eu de cesse de remercier le Gouvernement de son action - nous concentrer sur l'organisation des soins face à la pandémie sans souci de chiffre d'affaires. Comme nous sommes tarifés à l'activité, dès lors que le Gouvernement nous a demandé d'arrêter du jour au lendemain toute notre activité, c'est-à-dire 100 000 opérations sur la semaine à venir, nous n'avions plus de recettes. Mais nous avons eu une compensation totale.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Cette compensation a-t-elle été effectivement versée ?

Debut de section - Permalien
Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP)

Oui. Bien entendu, quelques points, comme la part complémentaire avec la part du ticket modérateur, restent à voir. Mais environ 85 % de nos charges ont été solvabilisées. Je remercie donc la solidarité nationale. C'est le seul secteur en France où le privé a été totalement pris en charge. D'ailleurs, c'est normal, puisqu'on nous avait demandé d'arrêter notre activité. En revanche, les médecins n'ont pas été compensés. Ils l'ont été à la fin sur une partie de leurs charges fiscales et sociales.

Les réanimations dans le Grand Est ont été renforcées. Dans le même temps, les ARS ont créé quatre-vingt-dix-neuf services de réanimation temporaires sur le territoire. En d'autres termes, là où il fallait dix ans pour avoir une autorisation de réanimation, en trois jours, nous avons eu l'autorisation d'armer des services de réanimation. Cela a été un révélateur de ce que l'administration peut faire rapidement.

C'est une bonne chose que les ARS soient renforcées par les élus.

Sur l'Ondam, vous avez été trompés pendant des années. Chaque année, vous avez voté une augmentation dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale en pensant nous aider pour que nous ayons plus de moyens pour faire fonctionner les hôpitaux et les cliniques. Mais, derrière cette augmentation de 2 % de l'Ondam, il y avait des baisses de tarifs, et vous n'avez pas été sollicités pour les approuver. Il y a donc eu tromperie.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Ce n'est pas une tromperie. Nous avons voté en toute connaissance de cause. Nous savions très bien que si nous augmentions l'Ondam de 4 milliards d'euros par ans alors qu'il aurait fallu 8 milliards d'euros, il manquerait encore 4 milliards d'euros.

Debut de section - Permalien
Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP)

Là où il y a tromperie, c'est que vous avez cru décider une augmentation alors qu'il y avait en fait une baisse.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Non. Nous le savions très bien. Nous avions passé des heures à analyser les budgets. Nous faisons notre travail de parlementaires.

Debut de section - Permalien
Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP)

Je suis d'accord avec M. Valletoux pour qu'il y ait une comparaison des salaires. Sur les personnels soignants non médicaux, infirmières, aides-soignantes, les salaires de la fonction publique sont supérieurs à ceux du privé, parce que nous avons un différentiel de charges en notre défaveur. Sur les médecins, il y a effectivement un écart que nous devons analyser, notamment en comparant avec le temps de travail. Mais, au-delà de cette comparaison, qui amènera toujours des commentaires, voire des tensions, il faudrait réfléchir à la possibilité pour les médecins d'un secteur d'intervenir dans l'autre, et réciproquement, ainsi qu'au fait de laisser à chacun la liberté de son appartenance professionnelle, salariat ou médecine libérale. Un exercice mixte me semblerait profitable pour l'ensemble des fédérations.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Nous partageons ce point de vue. Nous y avons déjà travaillé, et nous voyons bien les difficultés. Vous pourrez peut-être nous aider.

Debut de section - Permalien
Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP)

Il y a bien eu un retour d'expérience. Dans le cadre de mon activité professionnelle - j'ai des fonctions syndicales, mais mon « vrai » métier est la gestion d'établissements de santé -, j'ai participé la semaine dernière à des réunions sur l'organisation des soins au sein de l'ARS d'Occitanie. Il s'agissait pour les 138 cliniques privées et les 150 hôpitaux publics de la région de faire un point sur l'état actuel de la charge médicale dans nos établissements en médecine, en chirurgie et en réanimation, ainsi que sur une éventuelle dégradation du nombre d'hospitalisations et de réanimations. En Occitanie, il n'y a pas de cas de covid de manière importante. Il y a quelques cas en médecine, quelques hospitalisations et réanimations, mais pas plus. Aujourd'hui, la situation est stable. Évidemment, je ne sais pas ce qu'il en sera demain.

Sur les retours d'expérience, nous sommes vraiment, je peux vous l'assurer, au plus près de l'actualité épidémiologique et des risques sanitaires pour le pays.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Plusieurs questions se posent. A-t-on tiré les conséquences de la première vague ? Sommes-nous mieux préparés à une deuxième ? A-t-on réorganisé sur les territoires la coopération entre hôpital public et médecine de ville ou entre ARS et élus ? Il faut des retours d'expérience, pour voir ce qui n'a pas marché, sans animosité. Quoi qu'il en soit, je vous remercie de votre participation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 10.