Intervention de Olivier Paccaud

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 9 septembre 2020 à 14h35
Audition du colonel bruno cunat ancien commandant de la base aérienne 110 de creil

Photo de Olivier PaccaudOlivier Paccaud :

Je suis très heureux que nous puissions vous entendre aujourd'hui. L'Oise est le premier département à avoir été touché par la crise, le premier où une personne est décédée. Aujourd'hui, le bilan y est d'environ 420 morts. Au coeur de ce département, la BA 110 de Creil est un théâtre particulier.

Vous nous avez apporté des éléments relatifs à la situation postérieure au 26 février. Pour ma part, c'est la période du 31 janvier au 26 février qui m'intéresse.

Je dois vous dire que beaucoup d'habitants ou d'élus de l'Oise sont devant leur écran, parce qu'ils se posent beaucoup de questions. Il y a eu des rumeurs. Peut-être faut-il les déconstruire, mais il est également nécessaire d'apporter quelques réponses très précises, très factuelles, certains faits demeurant aujourd'hui dans le flou.

Nous avons reçu en fin de matinée le rapport provisoire consécutif aux investigations sollicitées par la direction générale de la santé sur le cluster de l'Oise. Ce rapport est riche d'enseignements, mais aussi de lacunes. Vous nous permettrez peut-être d'y voir un peu plus clair.

Premièrement, je veux revenir sur le rapatriement des Français de Wuhan. Le 31 janvier, un Airbus militaire A340 rapatrie 193 Français de Wuhan. 18 militaires de l'escadron Estérel, dont les installations sont situées sur la base aérienne de Creil, les accompagnent. Les militaires sont accueillis à Istres par Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Les 193 passagers sont placés en quatorzaine dans un centre de vacances, à côté de Carry-le-Rouet. Les mesures sont strictes : ils sont tous testés, à plusieurs reprises. Les militaires sont quant à eux invités à retourner chez eux, dans des conditions qui méritent d'être précisées. Ils ne sont pas placés à l'isolement. Dans l'édition du 28 février d'Aujourd'hui en France, une source militaire déclarait qu'« aucun n'a été placé en quarantaine, seulement en permission - c'est le mot utilisé - de 14 jours à leur domicile, mais sans contrôle de leurs allées et venues, pas plus que de celles de leur famille ». Peut-être aurait-il été plus prudent de prendre à leur endroit les mêmes précautions que pour les rapatriés.

Les militaires de la mission et leur famille ont-ils été testés ? La ministre a affirmé qu'ils l'avaient été. D'autres sources, dont vous, ont affirmé l'inverse. Dans l'édition du 2 mars du même journal, vous avez ainsi déclaré : « ils n'ont pas eu de test biologique mais ont suivi des contrôles réguliers durant la période d'incubation et n'ont depuis développé aucun symptôme. » Toutes les sources et tous les témoins que j'ai pu consulter - ils sont nombreux - me laissent penser que c'est vous qui avez raison.

Deuxièmement, on nous a dit que les militaires qui étaient allés à Wuhan n'étaient pas repassés par la base. Le confirmez-vous ? Combien d'entre eux ont un conjoint qui travaille sur la base et qui a continué à y travailler ? Combien avaient leur logement sur la base ? Il semble qu'il y en ait. Avaient-ils reçu des consignes particulières, comme de ne pas manger au mess ?

Il existe une relation physique évidente entre les militaires de Wuhan et la BA 110. Vous avez évoqué les 16 cas positifs qui se sont déclarés entre le 26 février et le 3 mars, mais l'enquête épidémiologique n'a pas pu établir ce lien. Elle conclut de façon très floue que l'hypothèse ne peut pas être totalement démontrée. Il y a une raison très simple à ce flou : ce ne sont pas les épidémiologues de l'ARS ou du ministère de la santé qui ont mené l'enquête, mais le SSA. Vous évoquez un contact quotidien. Dans le document, on nous parle de deux réunions téléphoniques en un mois.

On ne peut qu'avoir des suspicions sur la présence du virus sur la base, mais il importe de savoir si c'est à partir de celle-ci qu'il s'est répandu ailleurs, notamment dans le deuxième cluster de l'Oise, Crépy-en-Valois - il y a eu 21 cas au lycée Jean-Monnet. Or il y a un lien direct entre ce lycée et la base aérienne de Creil : des matelots du bâtiment de commandement et de ravitaillement (BCR) Somme avaient un partenariat citoyen avec une classe du lycée. Ces 8 matelots sont venus dans le lycée les 5 et 6 février. Ils y ont déjeuné les deux jours. Le 5 février au soir, ils sont allés dîner dans un restaurant de la ville. Ils ont été accueillis par des professeurs. Me confirmez-vous que ces 8 matelots sont bien allés au lycée Jean-Monnet et qu'ils avaient dormi sur la base aérienne de Creil les 4 et 5 février ? Il est stupéfiant que cela ne figure en aucun cas dans le document émanant de l'ARS, qui a mobilisé six épidémiologistes.

Dans les questions qui ont pu être posées à certains malades, on a bien cherché qui avait pu être au contact des cas positifs en aval, mais pas en amont. On n'évoque jamais ce lien entre la base aérienne et le lycée. Or, dans l'Oise, notamment à Crépy-en-Valois, beaucoup le connaissaient... Y a-t-il eu transmission par l'intermédiaire de ces matelots ? On ne peut que se poser la question. Aviez-vous transmis des consignes de sécurité aux matelots ?

Troisièmement, après le rapatriement de Wuhan, avez-vous reçu des consignes particulières de la part de votre hiérarchie ? La ministre des armées, qui twitte régulièrement, n'a pas twitté sur le coronavirus avant le 28 février. Elle évoque les préconisations qui vous ont été transmises. Avez-vous vraiment reçu des instructions précises ?

Quoi qu'il en soit, avez-vous pris des initiatives particulières entre le 31 janvier et le 28 février ? Pensez-vous avoir pris toutes les précautions nécessaires pour éviter une diffusion du virus ? Cette problématique ne vous est pas étrangère, les membres de l'escadron Estérel pouvant y être confrontés sur certains théâtres d'opérations.

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