Intervention de Denis Palluel

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 9 juillet 2020 à 9h30
Table ronde sur les îles métropolitaines

Denis Palluel, président de l'association Les îles du Ponant, maire de l'île d'Ouessant :

Je vous remercie de bien vouloir nous consulter dans le cadre de la préparation du projet de loi dit « 3D », pour décentralisation, différenciation, déconcentration.

Je me suis réjoui de l'invitation du président Larcher au mois de novembre, même si une certaine appréhension a pu poindre à la suite de nos échanges. Qu'en restera-t-il ? Ce sentiment s'est vite dissipé, puisque j'ai pu constater que le président Larcher, dans la lettre de mission qu'il vous a envoyée, a tenu sa promesse de nous associer à votre réflexion collective.

Vous avez l'habitude de recevoir beaucoup d'élus locaux qui ont de la terre sous leurs semelles. Nous, on a aussi les pieds sur terre, mais c'est la mer qui nous porte, et cela change beaucoup de choses.

Pendant longtemps, les 15 îles du Ponant ont été un angle mort des politiques publiques françaises. Nous n'étions ni la métropole ni l'outre-mer. C'est vrai qu'avec 16 000 habitants et quelques communes éparpillées, nous ne sommes pas grand-chose démographiquement. C'est difficile de se faire entendre, mais je compte sur un dialogue constructif pour faire avancer notre cause.

Pour être honnête, nous ne partons pas de rien. Il y a d'abord eu la modification des critères de charges dans la dotation globale de fonctionnement sur la voirie, un peu à l'image de ce qui se fait pour les communes de montagne. Surtout, vous le savez, nous avons obtenu la dotation de solidarité insulaire, qui a été une avancée majeure. Au-delà de l'aspect financier, j'insiste, ce fut véritablement la reconnaissance de notre spécificité insulaire au niveau national.

Je pense aussi à la loi Pélissard, qui a exempté les îles monocommunales de l'obligation de s'inscrire dans une intercommunalité. C'est un choix qui leur est laissé. C'est à mon sens un très bon exemple du pragmatisme qui devrait toujours guider le législateur. Il faut sortir de la verticalité du pouvoir pour aller vers plus d'horizontalité. Faisons fi de la doctrine au profit d'une adaptation intelligente.

Le meilleur exemple est pour moi le collège des îles du Ponant. Il s'agit d'un établissement rattaché à Brest, avec des antennes sur les îles bretonnes du Finistère et du Morbihan. C'est déjà une incongruité pour l'Éducation nationale, puisqu'il est à cheval sur deux départements. Par ailleurs, il y a des classes qui comptent deux ou trois élèves. Cela peut être vu comme une hérésie, mais c'est indispensable pour maintenir des familles sur place. Cet exemple, qui date d'une cinquantaine d'années, illustre ce pragmatisme intelligent que nous souhaitons voir appliquer à d'autres sujets.

Nous ne voulons pas d'une décentralisation venue d'en haut et qui soit la même pour tout le monde. Il faut faire confiance au local. Nous ne voulons pas non plus d'une forme de recentralisation autour des métropoles. Nous sommes dans le rural profond, c'est-à-dire que nous sommes déconnectés des grands ensembles urbains, mais les îles sont des centralités à elles seules : elles ont une vie propre. Une île n'est pas un territoire avec un lotissement qui accueille des gens qui y dorment et puis vont travailler sur le continent. Les îles sont des bassins de vie avec de l'emploi, du logement et des services. C'est essentiel à comprendre.

La question que nous nous posons est la suivante : est-ce qu'il y aura toujours des habitants permanents sur les îles dans quelques années ?

Sur le plan démographique, la situation est moyenne. Certaines îles gagnent des habitants quand d'autres en perdent. La pyramide des âges est très rétrécie à la base et le nombre d'enfants au collège est en baisse. C'est donc globalement une logique de déclin.

Pour l'enrayer, au-delà des évolutions législatives ou administratives, nous avons besoin que l'État et la région nous aident encore plus à maintenir les services de base à travers une contractualisation renforcée. La dotation de solidarité insulaire est importante, mais il faut aller plus loin. Faisons attention, car il y a un risque sérieux de disparition des habitants à l'année dans certaines îles. C'est déjà le cas à Chausey, donc ce n'est pas une vue de l'esprit.

La deuxième question, c'est la possession du territoire et, au-delà, de l'identité. Aujourd'hui, il n'y a plus de transmission familiale. Certains néo-habitants viennent s'installer à l'année mais, il faut le dire, la puissance de l'argent fait exploser le prix du foncier. Dans certaines îles, plus de 70 % des habitations sont des résidences secondaires, et ce sont des gens qui, souvent, choisissent d'y voter après deux années de propriété. Cela me pose un problème que l'on puisse devenir citoyen électeur par démarche capitalistique.

Évidemment, nous sommes bien contents d'avoir ces résidences secondaires, mais nous devons prendre garde à une forme de déstabilisation sociale qui peut se produire quand elles deviennent majoritaires. Par ailleurs, se pose un problème fiscal dans le cadre de la réforme de la taxe d'habitation. Si elle est maintenue pour les résidences secondaires, nous ne pourrons pas y toucher pendant deux ans, et, ensuite, nous devrons la rattacher au foncier bâti, ce qui n'est pas très satisfaisant.

Enfin, je termine par les règles d'urbanisme, qui ne sont pas adaptées à la situation insulaire. Les projets agricoles sont très difficiles à mener, notamment à cause de la pression des propriétaires de résidences secondaires, et la notion d'espacement du rivage est une aberration pour nos petites îles.

Pour conclure, il est bon de rappeler que les îles doivent continuer à exister en tant que pôles centraux, et non pas comme des périphéries. Il faut leur conserver un pouvoir décisionnaire à l'heure de la métropolisation à outrance, même si elles doivent coopérer entre elles et avec le continent. Saint-Pierre-et-Miquelon est pour nous un exemple éclairant : 5 000 habitants et un sénateur. Il y a là des pistes à creuser.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion