Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les sénatrices et les sénateurs, je voudrais tout d'abord vous signaler que je ferai cette intervention en ma double qualité de président du conseil régional et de président du congrès des élus de la Guadeloupe, qui a adopté, à l'unanimité, un certain nombre de résolutions sur l'évolution de la gouvernance locale le 20 décembre 2019. Avant ce congrès, il a été procédé à une large consultation de la population. C'est ainsi qu'un forum d'expression des forces vives de la Guadeloupe a été organisé autour des deux conseils consultatifs régionaux assistés de quelques grands témoins. Un portail internet a été également mis en place pour élargir et diversifier les contributions, notamment en direction de la jeunesse.
Les réflexions et les débats ont été enrichis par l'analyse des expériences de la Guyane et de la Martinique, qui ont fait le choix de disposer d'une assemblée unique, dans le cadre de l'article 73, et de celles des collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, relevant de l'article 74. Les résolutions prises à l'issue du congrès invitaient à se saisir des opportunités exprimées par le pouvoir central : « une réforme de la Constitution entreprise par le Gouvernement visant à introduire la différenciation territoriale dans la Constitution », ainsi que l'invitation à réfléchir sur une éventuelle fusion des articles 73 et 74, susceptible de permettre à chaque territoire des outre-mer d'élaborer sa propre loi organique, c'est-à-dire son propre statut.
Mais les élus n'ont pas manqué de rappeler que le débat sur l'évolution institutionnelle est ouvert depuis 1946. Nos travaux ne devaient pas se limiter à répondre à l'invitation du Gouvernement, d'autant plus qu'elle s'inscrit dans le cadre d'une révision constitutionnelle dont nous ne maîtrisons pas le calendrier. Ils ont également rappelé, à titre préalable, que les interrogations concernant le juste rapport à établir avec l'État et l'accroissement des responsabilités des collectivités locales n'étaient pas une spécificité guadeloupéenne, ni même ultramarine. En élu ayant une certaine expérience des relations avec le pouvoir central, expérience nourrie par les lois de décentralisation successives qui n'ont pas été accompagnées de moyens financiers suffisants, j'ajouterai que nous devons avoir la garantie que cette invitation à plus d'autonomie sera accompagnée de moyens permettant d'exercer ces compétences.
Par ailleurs, que ce processus aboutisse à un statu quo, ou à une différenciation plus marquée, rien ne devra être décidé sans la prise en compte de l'expression démocratique, et le consentement du peuple guadeloupéen. Les résolutions du congrès nous ont invités à organiser notre réflexion sur l'évolution institutionnelle autour de deux préoccupations qui, avant toute chose, m'ont toujours paru primordiales.
Tout d'abord, sur quel levier devrons-nous agir pour être pleinement efficace dans la mise en oeuvre des politiques publiques, qu'il s'agisse de la gouvernance du sport, de la culture, du développement des productions locales pour diminuer la dépendance aux importations, de l'aménagement raisonné et durable de notre archipel ? Comment mettre en oeuvre une autonomie qui n'accentue pas la pression fiscale, sur une population globalement en difficulté ?
Si les réponses à ces préoccupations nous conduisaient à sortir du droit commun, ou de la simple adaptation, et à demander un statut particulier, organisé juridiquement par une loi organique, notre peuple, lorsqu'il sera consulté, et je souhaite qu'il le soit, saura pourquoi nous sommes amenés à lui demander son accord sur cette évolution de la gouvernance.
En attendant, les élus du congrès nous invitent à revisiter la répartition des compétences entre nos collectivités territoriales pour une meilleure efficacité. En faisant cela, ils pointent ce qui me semble être un élément de modernité, en nous invitant à mettre en oeuvre bien davantage le principe de subsidiarité, pourtant inscrit au coeur du traité fondateur de l'Union européenne. Cela signifie que l'État, ou un niveau de collectivité donné, ne doit intervenir que lorsque les autorités situées hiérarchiquement en deçà ne sont pas en mesure d'agir pour l'objet concerné. Ce principe conduit à se pencher sur la suppression des chevauchements ou des attributions émiettées : les routes ; les établissements scolaires (lycées et collèges) ; le sport, la culture...
Mais ce consensus ne suffira pas à lui seul à organiser rapidement ces transferts, qui supposeront des négociations sur les ressources humaines, les aspects financiers et patrimoniaux. Les élus du congrès ont proposé de confier, sans délai, à la Conférence territoriale de l'action publique (CTAP) la tâche de répartir de manière plus optimale les compétences exercées par les quatre niveaux de collectivités locales. Notre réflexion portera sur la simplification de la carte administrative, et notamment sur la pertinence de communautés d'agglomérations, dotées des mêmes compétences, mais disposant de ressources inégales et insuffisantes au regard des politiques publiques qu'elles doivent mener.
Je voudrais terminer mon propos sur le renforcement des responsabilités locales en outre-mer, en insistant sur trois points, à commencer par l'application du principe de subsidiarité définie dans le traité fondateur de l'Union européenne, qui devrait s'imposer à l'organisation nationale en application de l'article 55 de la Constitution. Ce principe doit inspirer la réforme constitutionnelle, et devrait jouer un rôle majeur dans l'amélioration de la gouvernance des outre-mer.
Nous avons déjà un statut particulier garanti par l'article 349, dernier alinéa, du traité de fonctionnement de l'Union européenne, celui de région ultrapériphérique (RUP). Il oblige l'Union à adopter des mesures spécifiques, y compris dérogatoires aux politiques communes. Nous devons rappeler que ce statut doit être préservé.
Le principe de subsidiarité de l'Union européenne qui s'impose à l'organisation nationale en application de l'article 55 de la constitution française a un pendant : l'aspiration des peuples à une démocratie plus directe. La vraie modernité serait de s'inspirer de la démocratie directe telle qu'elle est pratiquée en Suisse. Un tel système pourrait permettre aux Guadeloupéens de se prononcer sur un certain nombre de décisions, ou de formuler des propositions. Ces éléments, que je tire de nos résolutions, je tenais, Monsieur le président, à les porter à votre connaissance pour nourrir vos réflexions.