Intervention de Catherine Conconne

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 13 juin 2020 : 1ère réunion
Entretien avec m. claude lise président de l'assemblée de la collectivité territoriale de martinique

Photo de Catherine ConconneCatherine Conconne :

Je vous remercie de cette audition qui nous permet d'aller au fond des sujets. Je partage l'essentiel de ce qui a été dit.

J'ai aujourd'hui une petite vingtaine d'années de pratique politique, à la mairie, au conseil général et au conseil régional. Aujourd'hui sénatrice, j'appréhende de nombreuses questions beaucoup mieux qu'il y a trois ou cinq ans. Je partage totalement l'avis du président Lise sur le texte de 2011. En tant que parlementaire, forte de ce que j'apprends au quotidien en matière de construction législative et en tant que praticienne également, dès 2016, je dénonçais déjà un certain nombre d'errements. J'ai symboliquement boycotté les commissions parce que je n'y trouvais aucun sens, tant elles fonctionnaient à l'opposé de ce qui avait été prévu. J'ai organisé un an après, en 2017, une conférence autour du professeur Daniel Justin qui a réuni trois cent cinquante personnes. Le texte de 2011 est un texte bâclé, mal rédigé et on a fait un bond en arrière immense en matière de démocratie. Les plénières de la CTM sont en réalité l'occasion pour moi d'apprendre sur ce qui ne devrait plus exister. Depuis une semaine, j'ai réimprimé la loi de 2011 que je ré-analyse. Nous avons à tout le moins pu observer les errements du texte, à toute chose malheur est bon.

Pour votre information, Maurice Antiste et moi avons décidé de mener un travail d'enquête, d'auditions, pour tenter d'amener à une réforme de cette loi. Nous avons auditionné le président Lise et un professeur de droit public qui accepte de travailler avec nous et avait travaillé sur la loi de 2011. Le présent entretien est une pierre supplémentaire apportée à l'édifice de cette refondation, via les travaux de la délégation.

J'aurai deux recommandations. Je partage quasiment tous vos propos, s'agissant des compétences, du problème de l'environnement, des lois sur l'eau qui sont aujourd'hui mises en oeuvre par la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) qui demande des dossiers et des autorisations à n'en plus finir. Pour un captage ou un tuyau à passer. Il faut des enquêtes interminables conduites par des fonctionnaires qui ne restent dans le territoire que deux ans, ce qui oblige à recommencer à leur exposer la situation locale ! Récemment, j'ai dû recevoir un écologiste de la première heure, un des pionniers de l'aquaculture qui élève des écrevisses en bassin à la suite de la visite d'un fonctionnaire de la DEAL venu lui indiquer que l'espèce qu'il élève est invasive - alors qu'il fait de l'élevage en bassin ! Les normes sont imposées. Je suis d'accord pour des transferts de compétences. Nous devrions pouvoir gérer localement la ligne budgétaire unique (LBU), la répartition et définir le type de logements. Il y des avancées mais elles sont insuffisantes. Il faut réfléchir par blocs de compétences, pas un petit bout de ceci ou de cela, il faut l'ensemble du bloc afin que l'on puisse de manière transversale voyager au milieu de ces politiques publiques et pouvoir actionner les leviers pertinents.

Je souhaite préciser que toute évolution, toute réforme, doit veiller à l'égalité des droits. Que l'on ne nous dise pas que nous sommes Français, que les outre-mer participent à la biodiversité française, à la position géopolitique de la France, etc., alors que nous sommes dans le même temps dans l'obligation de réclamer l'application de certains dispositifs. L'égalité des droits doit être toujours préservée. Toute notre histoire est maculée de l'absence d'égalité des droits. Il faut donc toujours que l'égalité des droits soit garantie.

Concernant la démocratie, nous devons cesser de balayer la poussière sous le tapis. Nos urnes sont de plus en plus désertées, la défiance envers la classe politique est réelle. Aux dernières élections municipales - le Covid-19 n'explique pas tout - nous avons enregistré le plus faible taux de participation des outre-mer. Tous les jours, je rencontre des gens qui me disent qu'ils ne vont plus voter. Et lorsque je les écoute, il m'arrive de les comprendre, de comprendre ce fossé qui a été installé entre le politique aux commandes d'un certain nombre de compétences et d'éléments de gouvernance quotidienne et le citoyen. On n'arrive même plus à rendre le service public. Je prépare un document que j'ai intitulé : « Et si le service allait au public ? ». Le service public ne parvient plus à avoir des horaires qui permettent de satisfaire la population. A Paris, il est possible d'obtenir un rendez-vous à 20 heures pour l'établissement d'un passeport par exemple. En Martinique, il faut systématiquement s'absenter de son travail. C'est le citoyen qui doit s'adapter au service public et pas le contraire. La défiance du politique s'est institutionnalisée et ça ira de mal en pis. L'abstention sera toujours et de plus en plus la grande gagnante des élections, tout comme le vote blanc. Dès lors, tout ce qui peut apporter de la démocratie participative est à promouvoir - les conseils de quartier sont en effet un échec - en permettant davantage de consultations citoyennes et la multiplication des référendums locaux sur des questions qui relèvent du quotidien. Il faut que l'on puisse avoir des budgets participatifs. Il faut ré-impliquer le citoyen dans la vie du citoyen. Sinon, nous nous dirigerons vers des élections avec des taux de participation s'établissant à 20 ou 25 %. C'est déjà le cas aux élections législatives dont le taux de participation est aux alentours de 27 %. Nous parviendrons aussi à une forme de violence envers les maires dont il existe déjà quelques cas dans l'Hexagone. La situation de l'eau est caricaturale. Des gens ont été privés d'eau parfois durant deux mois dans un pays qui en regorge. La montagne Pelée nous fournit de l'eau et une biodiversité extraordinaire !

Je vous remercie donc de nouveau de cet entretien qui nous conforte dans le travail que nous avons commencé et pour ce dossier de la différenciation territoriale qui est important et qui fait notre quotidien.

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