Monsieur le président, je vous remercie d'avoir accepté cet échange que j'ai sollicité en vue d'une restitution de l'état des volontés des territoires d'outre-mer en ce qui concerne l'organisation et les modalités de l'exercice de la démocratie locale. Je vous suis reconnaissant du temps précieux dégagé à cet effet.
Le président du Sénat, Gérard Larcher, a initié un groupe de travail sur la décentralisation avec l'ambition - selon ses termes - de « repenser en profondeur l'organisation des pouvoirs locaux » et de formuler des propositions en ce sens. Il m'a fait l'honneur de me charger du volet outre-mer en ma qualité de président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer et c'est pour mener à bien cette mission que j'ai choisi d'entendre par visioconférence les exécutifs et présidents des assemblées territoriales. J'ai à coeur de pouvoir restituer fidèlement les préoccupations que vous m'exprimerez, étant entendu que nos collectivités sont extrêmement diverses et que les visions institutionnelles sont tout aussi variées.
Ces échanges auraient dû se tenir en mai à Paris sous la forme d'un colloque en partenariat avec l'association des juristes d'outre-mer (AJDOM) que devait organiser la délégation, mais la situation sanitaire en a décidé autrement. Ces échanges croisés eurent été aussi bienvenus car nos collectivités se connaissent statutairement et institutionnellement finalement assez mal entre elles. Ils auraient permis un opportun partage d'expériences.
Ma conviction est en outre que les outre-mer sont à la fois le laboratoire institutionnel de la République et la preuve qu'un surcroît de démocratie locale ne porte pas atteinte à son intégrité. Je pense en particulier aux collectivités d'outre-mer (COM). La différenciation peut à mon sens s'articuler autour du triptyque unité/différenciation/participation que j'ai eu l'occasion de dégager il y a quelques années.
Il est temps que chaque territoire trouve l'organisation qui lui ressemble et qui, sans être une panacée, constitue un levier de développement grâce à la définition et au déploiement de politiques publiques en concordance avec les réalités locales.
Je vous précise également que j'ai naturellement souhaité associer mes collègues sénateurs de la Martinique à cet entretien et je remercie Catherine Conconne et Maurice Antiste de nous avoir rejoints.
Pour le bon déroulement de notre échange, je vous propose que nous suivions la trame de questions je vous ai adressée, si vous en êtes d'accord.
Je vous remercie de m'avoir associé à ces entretiens en ma qualité de président de l'assemblée de la collectivité territoriale de Martinique (CTM), ce qui n'était pas évident compte tenu de notre organisation que j'ai coutume de qualifier « d'hybride institutionnel ». J'avais d'ailleurs exprimé de vives craintes au Sénat à cette perspective, elles se vérifient malheureusement. Je considère que le texte de juillet 2011 qui régit la CTM a été mal conçu, mal rédigé, mal débattu, dans l'urgence et dans des conditions déplorables. Il est de plus mal appliqué. S'il ne formule pas de prescriptions, il permet une application qui pose des difficultés, notamment à cause de l'imprécision de la loi sur certains points. C'est le cas par exemple des règles de fixation de l'ordre du jour. Le texte mériterait donc d'être clarifié. Autre élément, sur un budget d'un million, le président de l'assemblée ne dispose que d'une enveloppe de 120 000 euros dont l'usage n'est du reste pas précisé. De même, le président du conseil exécutif a la possibilité de désigner des élus de l'assemblée pour le représenter au mépris du principe de séparation des pouvoirs exécutif et législatif qui régit la CTM. Tout procède de l'exécutif et il est à craindre que l'on ne puisse sortir de cette situation que par une crise politique. C'est un aspect concret, mais que j'ai tenu à vous exposer à titre liminaire car cela pourra éclairer d'éventuels amendements de précision et de cohérence à un texte sur la décentralisation afin, à tout le moins, d'améliorer l'existant.
Le tableau que vous avez dressé contribue à illustrer et éclairer la situation de la CTM. On voit bien de l'extérieur certaines difficultés de fonctionnement.
Le projet de loi « 3D », (décentralisation différenciation, déconcentration), sera sans doute une occasion pour les parlementaires des outre-mer en général d'apporter des ajustements lorsqu'ils s'imposent. Pour faire un parallèle avec la Guyane, collectivité unique régie par l'article 73 de la Constitution comme la Martinique, j'ai auditionné M. Rodolphe Alexandre, président de la collectivité territoriale de la Guyane (CTG) qui m'a exposé le projet actuellement débattu par les élus. La CTG a été organisée différemment de la CTM, elle ne rencontre pas les difficultés que vous connaissez, la présidence étant unique, c'est-à-dire à la fois celle de l'exécutif et de l'assemblée. Selon lui, dans les cinq prochaines années, la Guyane devra avoir son statut dont les compétences sont en cours de définition notamment avec l'aide de juristes.
Si vous le voulez bien, passons maintenant au questionnaire sur la thématique de la décentralisation. La répartition actuelle des compétences entre l'État et la CTM vous semble-t-elle satisfaisante ? Y a-t-il des compétences qui vous semblerait mieux exercées par la CTM ou à l'inverse par l'État, voire partagées ?
À la première question, je réponds non. Il y a des domaines dans lesquels nous sommes demandeurs de plus responsabilités locales pour pouvoir répondre au mieux aux attentes de nos concitoyens. Inversement, je souhaiterais que l'État récupère le RSA que je ne considère pas comme une compétence mais une charge. Le manque à compenser depuis le transfert au début des années 2000 s'élève aujourd'hui à 700 millions d'euros.
Au rang des compétences qui me semblent qu'elles seraient mieux exercées localement, je citerai l'aménagement du territoire, l'environnement, le logement, le transport et la fiscalité locale, conscient que j'arrive ainsi à la frontière entre l'article 73 et l'article 74. Voilà les domaines dans lesquels je vois, en tant que praticien depuis vingt ans, d'abord comme président du conseil général et depuis cinq de l'assemblée de la CTM, que nous nous heurtons en permanence à des difficultés en raison des règles qui nous sont appliquées. Je prends les exemples de l'eau ou de l'assainissement qui pâtissent de procédures extrêmement longues pour obtenir certaines autorisations, même lorsque l'effort a été fait concevoir et de financer un équipement.
Je vous signale que toutes les collectivités régies par l'article 73 que j'ai auditionnées souhaitent également la recentralisation du RSA. La collectivité de Saint-Martin est quant à elle réservée parce qu'elle souhaiterait pouvoir adapter les critères à sa situation très particulière.
J'observe que vous n'avez pas cité l'énergie...
Effectivement, c'est un oubli. J'ai eu peu de temps pour préparer notre réunion. Je rajouterai volontiers l'énergie.
C'est une matière qui me semble importante parce qu'elle génère un important besoin d'adaptation des règles nationales notamment pour conserver le bénéfice de la péréquation. Saint-Barthélemy en a fait l'expérience. Elle a intégré à sa fiscalité la nouvelle Contribution au service public de l'électricité (CSPE) et est en train d'élaborer par convention avec EDF sa programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).
Vous m'interrogez sur le dispositif d'habilitation. Il n'est pas satisfaisant. J'étais parlementaire au moment de sa création et de la définition de ses modalités. J'avais eu recours à la formule : « Il promet plus qu'il ne permet ». Certains collèges ultramarins avaient été éblouis par la perspective de disposer d'habilitations mais oubliant qu'elles ne sont pas un transfert de compétences. Encore aujourd'hui du reste, j'entends la confusion chez certains parlementaires qui parlent d'acquisition de compétences par la voie d'habilitation. C'est un dispositif complexe, il a fallu dix ans pour que la Martinique obtienne une habilitation dans le domaine des transports - même si les raisons en sont multiples.
Surtout, je veux rappeler qu'en réalité existe depuis les décrets d'avril 1960 du général de Gaulle, un dispositif permettant aux départements - les régions n'existaient pas à l'époque - de procéder à des adaptations, même si nous n'avons jamais pu faire aboutir grand-chose par cette voie. Mais lors de l'examen du projet de loi d'orientation pour l'outre-mer du 13 décembre 2000 (LOOM), j'ai fait transposer dans ce texte les dispositions des décrets d'avril 1960 pour les départements et les régions.
La loi prévoit donc la faculté pour les départements et les régions de formuler, comme les parlementaires, des « propositions de lois » les concernant ou des propositions d'adaptation législative. Ce dispositif n'a pas été utilisé notamment parce que le Gouvernement avait la maîtrise de l'ordre du jour des assemblées, alors qu'aujourd'hui l'ordre du jour est partagé. Nous devrions davantage tenter d'utiliser ce dispositif qui me paraît plus intéressant à faire vivre que la procédure d'habilitation. D'ailleurs, en 2007, alors que j'étais encore président du conseil général, j'ai fait voter par l'assemblée une demande d'habilitation et en même temps une proposition de loi, adressées conjointement. À Paris, les administrations étaient si peu au fait de la procédure législative que la réponse n'a porté que sur la demande d'habilitation. Une autre voie existe pourtant et elle est beaucoup plus simple. Il suffirait que sur un temps réservé au Parlement, il soit prévu chaque année une petite fenêtre qui pourrait permettre à des collectivités de l'article 73 de la Constitution de déposer des propositions tendant à améliorer telle ou telle disposition.
Dans le cadre de la conférence nationale des territoires (CNT) organisée par le Gouvernement, le Premier ministre avait avancé l'idée d'une habilitation décidée par ordonnance ou décret, selon qu'elle relève de la loi ou du règlement.
Je souscris en outre à la distinction que vous établissez entre habilitation et transfert de compétences. Je la compléterai par la différence en ce qui concerne les moyens budgétaires. Dans le premier cas, il s'agit de la faculté d'adapter la loi ou le règlement sans que les conditions des éventuelles conséquences financières ne soient précisées. En cas de transfert de compétences, la ressource est transférée ou à tout le moins, celui qui bénéficie du transfert a les moyens de se la procurer.
La simplification annoncée par le Gouvernement de la procédure d'habilitation pourrait-elle modifier votre position ?
Je reste sur cette position et je maintiens aussi que l'autre dispositif me paraît simple, si on accepte que nous utilisions la possibilité de faire des propositions de lois. On pourrait les limiter aux questions institutionnelles et préciser son champ d'application en encadrant la procédure qui existe déjà.
Vous évoquez la voie de la proposition de loi qui me semble pertinente mais je ne peux m'empêcher de faire remarquer que l'examen des propositions de lois par les deux assemblées parlementaires me semble de plus en plus « politisé », c'est-à-dire qu'il dépend des relations avec le Gouvernement, sa propre assemblée et l'autre assemblée.
Cela vaut aussi pour les habilitations. En réalité, les habilitations qui aboutissent sont celles qui ont été négociées avec le pouvoir en place, ce qui permet ensuite l'adoption. Ainsi, que ce soit pour les habilitations améliorées ou les propositions de loi à l'initiative des exécutifs locaux, il faudrait que des dispositions soient prises pour que l'on ne soit pas aussi tributaire d'une négociation préalable avec le Gouvernement. Il faudrait une sorte d'obligation, puisque ce sont des dispositifs qui seront rarement mis en oeuvre, de prévoir une journée annuelle de débats qui serait consacrée à d'éventuels textes venant des outre-mer. Un texte devrait inscrire cette obligation, il y a une amélioration de cet ordre à apporter.
Je souscris totalement à votre propos. Lorsque j'ai été élu, j'avais été frappé par le fait que les dispositions outre-mer des textes faisaient très souvent l'objet d'une habilitation à légiférer par ordonnance. La situation s'est améliorée depuis mais je suis un fervent partisan d'un rendez-vous annuel outre-mer sous la forme d'un projet de loi d'actualisation - je le dis à chaque occasion depuis cinq ans.
La notion de « caractéristiques et contraintes » constitue le critère d'adaptation des textes aux outre-mer, de même que du reste en droit européen. Or on pourrait concevoir que, pour la Martinique ou pour Saint-Barthélemy, un dispositif initialement conçu pour la métropole, même adapté, ne convienne pas. Votre volonté d'adaptation va-t-elle jusqu'à la faculté de création d'une règle qui n'existerait pas ailleurs dans la République ?
Absolument. Ces contraintes telles qu'elles ont été définies - l'insularité, l'éloignement - sont finalement réductrices. La prise en compte de nos singularités ne peut pas se résumer à l'éloignement et l'insularité qui est d'ailleurs parfois une chance. Par exemple, celle de rayonner dans toute une zone régionale. Il faut cesser de juger de nos contraintes par rapport à un centre. J'ai souvent invité à essayer de penser des « centres décentrés » car nous sommes des centres de rayonnement là où nous sommes. Selon une conception jacobine, on peut considérer les Antilles comme un petit bout de la Bretagne qui a dérivé sur l'océan !
La démocratie participative locale doit être renforcée. Je suis néanmoins déçu par son organisation actuelle en comités de quartiers et par les consultations par quartiers. On sait comment ça marche. Je pense qu'il faut que les collectivités locales puissent pouvoir consulter davantage par catégories sociales ou d'âge avec un avis possible de la fédération des personnes âgées, ou d'associations de jeunes ou d'étudiants qui se regrouperaient pour faire entendre la voix du groupe. Dans cette hypothèse, on aurait un contact direct, de même que je suis partisan de la consultation des bénéficiaires du RSA ou des chômeurs qui formeraient une sorte d'instance qui leur permettrait de faire connaître leurs problèmes. Je pense que c'est par l'écoute des catégories sociales et d'âge que l'on fera vivre la démocratie à côté de la représentation des socioprofessionnels au sein du conseil économique social et environnemental.
J'avais fait savoir au Président de la République lorsqu'il est venu ici, que j'étais tout à fait d'accord avec le terme de différenciation. L'idée n'est pas nouvelle, je me souviens que M. Le Pensec parlait déjà de prendre en compte les différences. J'ai ajouté que l'expérience m'a montré qu'il faut préciser « différenciation réelle » pour que le mot se traduise par des réalités. C'est une précision sémantique car je sais que l'on aime bien utiliser des mots pensant que les mots remplacent les choses. Entre les mots et les choses, je préfère les choses et pas seulement dans ce domaine.
La Martinique n'a pas de projet de différenciation en ce moment car la majorité actuelle de la CTM est liée par un accord de gestion - nous étions en avance par rapport à l'Hexagone car nous avions créé une alliance qui va de la gauche indépendantiste à une droite régionaliste, en créant un rassemblement. Nous sommes convenus que durant les cinq ans de mandature, nous n'évoquerions pas de questions institutionnelles. La différenciation n'est donc pas une question qui se pose officiellement dans les débats de la CTM. Les partis politiques et les personnalités ont néanmoins leurs positions.
Pour ma part, je suis partisan d'une différenciation très claire et réelle et mon parti politique, le Rassemblement Démocratique pour la Martinique, le RDM, est également sur cette position comme d'autres partis tels que le Parti progressiste martiniquais (PPM) actuel. Je pense que, même à droite, on ne trouve plus d'élus pour considérer qu'un statu quo est nécessaire, à la manière des anciens départementalistes. Je pense que la différenciation est toujours une aspiration.
Au sein de la population, je pense que c'est une aspiration qui est de plus en plus refoulée. Le débat de 2010 sur le choix entre les 73 et 74 de la Constitution a laissé des traumatismes. J'ai soutenu, à l'époque qu'on a laissé croire à la population que l'on pouvait aller très loin dans l'autonomie tout en demeurant régis par l'article 73, ce qui a entraîné des confusions importantes dans les esprits. Mais je crois que l'expérience de la CTM après cinq ans a fait reculer l'idée même de responsabilités locales du fait de la mauvaise conception de l'organisation que nous avons eu l'occasion d'évoquer. Je l'ai dit hier soir en séance plénière.
La question de la différenciation est donc posée en Martinique mais sans être une revendication, contrairement à la Guadeloupe qui se réunit en congrès et où on sent bien que l'idée est reprise par les élus. En Martinique, elle est sous-jacente et s'accompagne d'un traumatisme populaire résultant de la déception du fonctionnement de la CTM. Néanmoins, cette demande existe et ne s'exprimera qu'à la condition que l'on démontre que la différenciation s'accompagnera d'un surcroît de démocratie et non un recul.
Je voudrais observer qu'aucun des exécutifs des collectivités régies par l'article 74 de la Constitution ne souhaite revenir sur son statut. Il ne s'agit bien sûr pas pour moi d'influencer votre sentiment !
Je suis heureux que vous m'ayez posé la question de la démocratie participative, parce que je pense que la population sera très exigeante en matière de garanties démocratiques dans tout nouveau projet. Nous devrons être vigilants.
Tout le monde a compris que sans compétence normative, l'intérêt de la différenciation territoriale est considérablement réduit.
Cela s'inscrit dans le prolongement des compétences que vous estimez qu'elles seront mieux exercées localement.
Une réorganisation des institutions locales est-elle envisagée ? Je préfère dire : « est-elle envisageable ? » car en effet, officiellement, il n'y a pas de demande.
De mon point de vue, des institutions conçues pour l'Hexagone ont été « plaquées » sur nos petits territoires. Imaginez trois communautés d'agglomérations à Saint-Barthélemy. La Martinique est divisée en trois communautés d'agglomérations. Alors que nous avions prôné durant de nombreuses années le passage de deux collectivités (un département et une région) à une, nous avons en réalité aujourd'hui quatre collectivités. On voit bien la difficulté pour la gestion du problème de l'eau. Coexistent en effet, d'un côté la CTM, maître d'ouvrage d'une usine et d'un barrage et trois communautés compétentes en matière d'eau. On aboutit à une situation absurde car ces structures n'utilisent pas des crédits, pourtant disponibles, faute de pouvoir élaborer un projet. En matière d'assainissement, c'est pire. Tout est d'une complexité inouïe. J'ai eu à faire un exposé pour expliquer la situation de la distribution de l'eau potable. J'ai montré la carte des maîtres d'ouvrages, à laquelle j'ai superposé celle des opérateurs, puis une carte des réseaux dépendant des uns et des autres - dont certains en déshérence du fait de l'évolution des compétences. Lorsqu'on essaie d'expliquer cela aux collectifs représentant les usagers, ils nous répondent qu'ils ne veulent plus chercher à identifier la répartition des responsabilités mais seulement avoir accès à l'eau potable. En tant que président de l'assemblée de la CTM, je suis tributaire de cette organisation et je n'exerce pas cette compétence. C'est épouvantable. En matière de transports, dix ans ont été nécessaires pour simplifier en créant une autorité unique qui du reste n'a toujours pas résolu les problèmes. Il ne suffit donc pas d'une autorité unique, c'est une condition nécessaire mais pas suffisante.
Je ne suis pas opposé aux regroupements de communes mais elles sont devenues des « quasi-collectivités uniques » avec des choix d'investissements parfois discutables.
Savez-vous qu'à une époque, il avait été envisagé de créer un nouvel échelon, le pays. Si cela avait abouti, la Martinique aurait retrouvé sur son territoire un département, une région, des communes, des communautés d'agglomération et un pays.
Je rejoins votre propos une fois de plus. Je ne suis pas convaincu que la loi « NOTRe » qui partait d'un principe de simplification, de mutualisation et d'harmonisation. On devait simplifier le millefeuille, selon la formule consacrée. Avec les métropoles, on a seulement créé une couche supplémentaire dotée de pouvoirs très importants.
Je pense que pour y parvenir, il faut que la France sorte de sa logique jacobine. Il faudrait que ses hauts fonctionnaires - sans vouloir vexer qui que ce soit - fassent des stages prolongés dans les collectivités territoriales. Le conseil général a accueilli durant trois ans un fonctionnaire de la Chambre régionale des comptes qui a admis qu'il n'imaginait pas la complexité des collectivités lorsqu'il jugeait de l'extérieur. Les hauts fonctionnaires doivent comprendre qu'on ne peut pas faire entrer la réalité dans des concepts préétablis mais que ce sont les concepts qui doivent s'adapter aux réalités. C'est de cette manière que l'on crée des usines à gaz. J'avais donné quelques exemples d'usine à gaz au président Philippe Séguin lors d'un passage en Martinique lorsqu'il était président de la Cour des comptes qu'il les a, m'a-t-on dit, cité en réunion.
Je suis donc partisan d'une réorganisation mais en simplifiant et cessons de croire que l'unité de la République impose de calquer les institutions nationales sur un petit territoire.
Mises à part les implantations de la Montagne Pelée et des Pitons du Carbet, la Martinique correspond en surface à l'agglomération de Toulouse, avec une population bien inférieure en nombre. Si une telle surface, avec une population plus importante peut fonctionner en agglomération, a fortiori la Martinique devrait être une agglomération. Je ne demande pas de faire de la Martinique une agglomération mais dans une logique de calque des institutions, cela correspond à son dimensionnement. C'est une île, petite, sur laquelle vit un peuple. Les deux sénateurs et bien d'autres considèrent que nous sommes un peuple particulier, avec une histoire particulière, sous un climat particulier, situé géographiquement dans la mer des Caraïbes, on ne peut pas nous appliquer tout ce qui est prévu pour l'Hexagone.
Donc je suis favorable au principe de différenciation réelle.
J'ai envie de dire que votre propos montre les limites de l'identité législative telle qu'elle est conçue aujourd'hui, dès lors que l'organisation prévue pour l'Hexagone s'impose en outre-mer même si elle paraît absurde.
Cela nous amène au cadre constitutionnel.
Je suis partisan d'une modification du titre XII de la Constitution. Déjà, en 2003, au moment des débats sur la révision constitutionnelle, j'avais souhaité que les outre-mer ne soient plus placés face à un choix binaire qui là aussi n'est pas adapté à nos réalités. Soit vous êtes dans l'identité législative, mais avec quelques aménagements car une application totale serait absurde - c'est un système qui relève l'oxymore, l'identité adaptée -, soit vous relevez de la spécialité législative.
Mais comme Césaire aimait à dire, la réalité c'est « et/et » et pas « ou bien/ou bien », tout comme Edgard Morin chez qui la complexité relève du « et/et », surtout pour nous dans nos réalités.
Par conséquent, je pense qu'il faudrait un seul article dans la Constitution, peu m'importe son numéro. Cela peut être le 73. Initialement, le général de Gaulle avait imaginé l'article 73 qui était censé donner des possibilités d'adaptations importantes. J'étais à l'époque en terminale et j'avais assisté aux discours de Césaire et de Malraux en Martinique. J'ai encore le numéro du journal « Le Progressiste » paru le lendemain reprenant les deux discours. Alors que Césaire avait dit « non » au référendum de 1958, Malraux annonça un article 73 pour obtenir des adaptations permettant d'aller au-delà des franchises octroyées auparavant à la colonie. Césaire était alors revenu sur sa position en faisant valoir les assurances qui lui avaient été données et appelé à voter « oui ». Césaire avait donc cru à cet engagement mais, malheureusement, le Conseil Constitutionnel a toujours fait une interprétation restrictive de la notion d'adaptation. C'est ce qui explique que nous nous sommes retrouvés devant tous ces débats et je pense qu'il faut en sortir.
Si nous avions un article d'adaptation - depuis la LOOM, le Conseil Constitutionnel a montré qu'il avait changé d'optique - cela permettrait de varier le curseur entre la spécialité législative et l'identité législative. À l'extrémité de l'identité se trouve la départementalisation, j'ai envie de dire la départementalisation du type de La Réunion, et l'autre extrémité est représentée par la Nouvelle-Calédonie - dans l'antichambre de l'indépendance. Entre ces deux extrêmes, le curseur peut bouger matière par matière. Une collectivité pourrait, par exemple, ne vouloir que le logement sous spécialité législative ou et l'aménagement du territoire, le reste des domaines demeurant régi par l'identité législative.
Reste la question de la consultation des populations qui pourrait être sur la question suivante : « Voulez-vous que la collectivité gère localement tel ou tel ou domaine ? » et une fois l'assentiment obtenu, cela se traduirait par une loi organique. Mais il faut que le peuple dise ce qu'il veut. Aujourd'hui, on effraie les populations en leur présentant le passage d'un régime à un autre comme un saut dans l'inconnu. Et lorsqu'on soutient que l'on peut doser le degré d'autonomie, les électeurs ne le croient pas et préfère le maintien dans l'article 73 par crainte. Ils reviennent ensuite vers les élus en disant, certes nous n'avons pas évolué statutairement, mais l'organisation des transports n'est pas satisfaisante, nous souhaitons qu'elle soit adaptée. Lorsque je fais l'addition de toutes les demandes d'adaptation, c'est un statut d'autonomie qui le permettrait. Mais il est difficile pour les élus de le dire. Il faut donc inverser la démarche, en demandant aux électeurs ce qu'ils veulent maîtriser localement, quelles sont les compétences qu'ils veulent confier aux élus locaux. Si vous demandez : voulez-vous que les élus aient davantage de responsabilités dans les domaines du logement, du transport, etc. ? Les gens diront « oui ». Cette consultation doit s'organiser...
Je suis partisan de garder le congrès comme instance démocratique de proposition d'évolution institutionnelle et statutaire. Une fois que le peuple s'est prononcé sur des blocs de compétences en identité et en spécialité - on met de côté tout ce qui est régalien. Si le Gouvernement l'accepte, car on ne peut rien lui imposer, celui se traduit alors dans des lois organiques. Voilà la réforme que je souhaiterais dans la future Constitution.
J'entends en outre des parlementaires évoquer souvent les expérimentations. Je rappelle inlassablement qu'on ne peut pas faire d'expérimentation différenciée car une expérimentation concluante devient un dispositif de droit de commun que tout le monde doit appliquer. Il n'existe pas d'expérimentation réservée aux outre-mer et encore moins à telle ou telle collectivité. Réserver le dispositif issu d'une expérimentation seulement à la Martinique est anticonstitutionnel actuellement. Je pense qu'il est très utile de faire de temps en temps des expérimentations à condition de pouvoir en tirer pour les outre-mer, compte tenu de leurs spécificités, des conclusions pratiques à mettre en oeuvre localement. Il faut donc ce que j'appelle des possibilités d'expérimentations différenciées.
Voilà ce que seraient mes demandes dans le cadre d'une évolution de la Constitution.
Ne faut-il pas contourner la numérotation des articles qui est dans un sens un facteur bloquant ? Une révision de la Constitution qui conserverait un article 73 pour les outre-mer entraînerait une opposition des collectivités relevant de l'article 74 et inversement on conservait un article 74. Je ne sais pas quel numéro il faudra lui attribuer.
Je voulais rappeler que la conception originelle de l'article 73 était censée permettre une large adaptation. Mais je ne sacralise pas du tout un numéro. Les deux numéros sont aujourd'hui trop connotés, il faudrait pouvoir choisir une autre numérotation. L'essentiel est d'avoir un dispositif pour les outre-mer. La Nouvelle-Calédonie doit bien entendu rester dans son titre à part. C'est une évolution qui est susceptible d'aller jusqu'à l'indépendance, c'est un choix et je ne souhaite pas que les outre-mer se retrouvent dans un titre XIII. Je pense qu'on peut les maintenir dans le titre XII mais il vaut mieux choisir un article. Il y a bien des numéros de la Constitution qui ont été supprimés. Je suis partisan d'un article ouvrant droit à adaptation outre-mer depuis le statut de La Réunion jusqu'à celui de la Polynésie française. Voilà l'éventail.
Pour prolonger, lorsque je parle des outre-mer, en réalité, il s'agit des départements-régions de Guadeloupe et de La Réunion, des collectivités territoriales de la Guyane et de la Martinique, de Wallis-et-Futuna sous administration directe de l'État, de Mayotte qui est une collectivité départementale, de la Polynésie française, de Saint-Barthélemy et Saint-Martin qui sont des COM dotées de l'autonomie et de la Nouvelle-Calédonie régie par le titre XIII de la Constitution. Le terme regroupe donc une multitude de réalités statutaires. Ne pourrait-on pas trouver une terminologie plus claire ? Ne pourrait-on pas regrouper tous les outre-mer - sauf la Nouvelle-Calédonie - sous le terme « collectivités d'outre-mer » ?
Je suis tout à fait de votre avis pour un regroupement sous le terme « collectivités d'outre-mer », chacune dotée d'une loi organique qui définit la part des domaines de compétences régis par l'identité législative et des domaines régis par la spécialité législative.
Et c'est évolutif, c'est-à-dire qu'une collectivité, qui n'aura souhaité que deux domaines relevant de la spécialité législative, peut souhaiter dans vingt ans, lors d'un congrès, un ou plusieurs autres domaines. Je pense que l'évolution devrait toujours se faire par le biais d'un congrès avec consultation de la population, non sur un choix binaire entre deux articles auquel la population ne comprend pas grand-chose mais toujours sur quelque chose de concret que le Parlement traduit par la suite en une loi organique. De ce fait, on n'empiète pas sur les pouvoirs du Parlement et on respecte les aspirations du peuple.
La Constitution prévoit déjà une consultation de la population en cas de changement de statut. Je suis heureux que vous ayez ainsi précisé votre position sur la consultation de la population sur les blocs de compétences. Mme Borel-Lincertin, présidente du conseil départemental m'a indiqué son souhait d'une consultation sur le projet de loi organique lui-même. Je pense qu'une telle démarche serait trop complexe.
À l'époque de la révision de 2003, les juristes avaient indiqué que cela n'était pas possible. On entre dans une réforme plus profonde de la Constitution qui déposséderait le Parlement d'une partie de ses prérogatives. Le peuple ne peut pas entrer dans des débats juridiques très détaillés, par contre il sait très bien ce qu'il veut. Si on interroge les Martiniquais : « Voulez-vous la responsabilité pour concevoir les opérations logements, le type de logement, les normes à appliquer, etc. ? », ils répondront par l'affirmative à une majorité écrasante. À mon avis, une consultation sur la loi organique complique les choses et c'est le plus sûr moyen de se faire retoquer.
La loi organique de Saint-Barthélemy prévoit les modalités de la consultation du conseil territorial sur les projets de lois, d'ordonnances, de décrets et d'accords internationaux intéressant la collectivité. Mais depuis 2007, nous n'avons jamais été consultés autrement que dans l'urgence. Et lorsque nous renvoyons nos avis, il arrive que l'examen du texte ait déjà débuté dans une des deux assemblées.
Cela a toujours été comme cela. Dans la loi d'orientation, j'avais du reste obtenu des dispositions de consultation en matière de coopération régionale. Mais souvent nos collègues de l'époque, ne mesurant pas la portée de ces avancées, les ont minimisées, ce qui a facilité leur non-application par les gouvernements successifs. Pour autant, lorsqu'on lit la loi, les collectivités relevant l'article 73 de la Constitution doivent être consultées sur les accords avec les pays de nos bassins géographiques respectifs. Nous devrions être associés à la discussion des accords en question. La LOOM a également ouvert, à mon initiative, la possibilité de siéger au sein des organisations régionales. Je regrette que dans la navette cette faculté n'ait été réservée qu'aux régions à la suite d'un amendement déposé à l'Assemblée nationale. Or le département développait à l'époque de nombreux projets de coopération. « Comment peut-on concevoir que deux personnes puissent s'asseoir dans un même fauteuil ? », voilà le type d'arguments spécieux qui avaient été avancés pour justifier cette restriction. Il y avait suffisamment de sièges de représentants au sein des organisations régionales pour qu'y coexistent le département et la région dans des commissions différentes. Il ne s'agissait pas de présider des instances telles que l'Association des États de la Caraïbe (AEC), la Communauté caribéenne (CARICOM) ou le Forum caribéen des États de l'Afrique, la Caraïbe et du Pacifique (CARIFORUM). Cela montre bien que de temps en temps nous nous privons nous-mêmes de certaines possibilités pour le plus grand plaisir de l'État.
Nous sommes face à un État jacobin qui ne demande pas mieux devant nos divisions que ne pas appliquer ces dispositions. Des dispositifs intéressants existent, encore faudrait-il que nous nous battions pour qu'ils soient appliqués, car l'État ne les appliquera pas pour nous. J'ai voulu illustrer par cet exemple le fait que si les textes sont indispensables, cela ne suffit pas, il faut les faire vivre. Je ne crois pas que tout ce que nous pourrons obtenir comme avancées dans la décentralisation, voire dans l'autonomie, nous placera face à des interlocuteurs qui nous faciliteront les choses. Ce sera toujours un combat pour obtenir des avancées. Seulement, lorsque des textes ont été adoptés, il est possible de se fonder dessus pour mener ce combat.
Je suis conscient de l'apport du rapport Lise-Tamaya et du travail accompli. Je crois pouvoir dire que la LOOM est objectivement la mère de toutes les lois outre-mer depuis vingt ans. En matière institutionnelle et statutaire, elle a constitué, après les délibérations du conseil général de la Guadeloupe, le deuxième grand pas qui a amené Saint-Barthélemy à son statut actuel.
Je vous remercie de cette audition qui nous permet d'aller au fond des sujets. Je partage l'essentiel de ce qui a été dit.
J'ai aujourd'hui une petite vingtaine d'années de pratique politique, à la mairie, au conseil général et au conseil régional. Aujourd'hui sénatrice, j'appréhende de nombreuses questions beaucoup mieux qu'il y a trois ou cinq ans. Je partage totalement l'avis du président Lise sur le texte de 2011. En tant que parlementaire, forte de ce que j'apprends au quotidien en matière de construction législative et en tant que praticienne également, dès 2016, je dénonçais déjà un certain nombre d'errements. J'ai symboliquement boycotté les commissions parce que je n'y trouvais aucun sens, tant elles fonctionnaient à l'opposé de ce qui avait été prévu. J'ai organisé un an après, en 2017, une conférence autour du professeur Daniel Justin qui a réuni trois cent cinquante personnes. Le texte de 2011 est un texte bâclé, mal rédigé et on a fait un bond en arrière immense en matière de démocratie. Les plénières de la CTM sont en réalité l'occasion pour moi d'apprendre sur ce qui ne devrait plus exister. Depuis une semaine, j'ai réimprimé la loi de 2011 que je ré-analyse. Nous avons à tout le moins pu observer les errements du texte, à toute chose malheur est bon.
Pour votre information, Maurice Antiste et moi avons décidé de mener un travail d'enquête, d'auditions, pour tenter d'amener à une réforme de cette loi. Nous avons auditionné le président Lise et un professeur de droit public qui accepte de travailler avec nous et avait travaillé sur la loi de 2011. Le présent entretien est une pierre supplémentaire apportée à l'édifice de cette refondation, via les travaux de la délégation.
J'aurai deux recommandations. Je partage quasiment tous vos propos, s'agissant des compétences, du problème de l'environnement, des lois sur l'eau qui sont aujourd'hui mises en oeuvre par la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) qui demande des dossiers et des autorisations à n'en plus finir. Pour un captage ou un tuyau à passer. Il faut des enquêtes interminables conduites par des fonctionnaires qui ne restent dans le territoire que deux ans, ce qui oblige à recommencer à leur exposer la situation locale ! Récemment, j'ai dû recevoir un écologiste de la première heure, un des pionniers de l'aquaculture qui élève des écrevisses en bassin à la suite de la visite d'un fonctionnaire de la DEAL venu lui indiquer que l'espèce qu'il élève est invasive - alors qu'il fait de l'élevage en bassin ! Les normes sont imposées. Je suis d'accord pour des transferts de compétences. Nous devrions pouvoir gérer localement la ligne budgétaire unique (LBU), la répartition et définir le type de logements. Il y des avancées mais elles sont insuffisantes. Il faut réfléchir par blocs de compétences, pas un petit bout de ceci ou de cela, il faut l'ensemble du bloc afin que l'on puisse de manière transversale voyager au milieu de ces politiques publiques et pouvoir actionner les leviers pertinents.
Je souhaite préciser que toute évolution, toute réforme, doit veiller à l'égalité des droits. Que l'on ne nous dise pas que nous sommes Français, que les outre-mer participent à la biodiversité française, à la position géopolitique de la France, etc., alors que nous sommes dans le même temps dans l'obligation de réclamer l'application de certains dispositifs. L'égalité des droits doit être toujours préservée. Toute notre histoire est maculée de l'absence d'égalité des droits. Il faut donc toujours que l'égalité des droits soit garantie.
Concernant la démocratie, nous devons cesser de balayer la poussière sous le tapis. Nos urnes sont de plus en plus désertées, la défiance envers la classe politique est réelle. Aux dernières élections municipales - le Covid-19 n'explique pas tout - nous avons enregistré le plus faible taux de participation des outre-mer. Tous les jours, je rencontre des gens qui me disent qu'ils ne vont plus voter. Et lorsque je les écoute, il m'arrive de les comprendre, de comprendre ce fossé qui a été installé entre le politique aux commandes d'un certain nombre de compétences et d'éléments de gouvernance quotidienne et le citoyen. On n'arrive même plus à rendre le service public. Je prépare un document que j'ai intitulé : « Et si le service allait au public ? ». Le service public ne parvient plus à avoir des horaires qui permettent de satisfaire la population. A Paris, il est possible d'obtenir un rendez-vous à 20 heures pour l'établissement d'un passeport par exemple. En Martinique, il faut systématiquement s'absenter de son travail. C'est le citoyen qui doit s'adapter au service public et pas le contraire. La défiance du politique s'est institutionnalisée et ça ira de mal en pis. L'abstention sera toujours et de plus en plus la grande gagnante des élections, tout comme le vote blanc. Dès lors, tout ce qui peut apporter de la démocratie participative est à promouvoir - les conseils de quartier sont en effet un échec - en permettant davantage de consultations citoyennes et la multiplication des référendums locaux sur des questions qui relèvent du quotidien. Il faut que l'on puisse avoir des budgets participatifs. Il faut ré-impliquer le citoyen dans la vie du citoyen. Sinon, nous nous dirigerons vers des élections avec des taux de participation s'établissant à 20 ou 25 %. C'est déjà le cas aux élections législatives dont le taux de participation est aux alentours de 27 %. Nous parviendrons aussi à une forme de violence envers les maires dont il existe déjà quelques cas dans l'Hexagone. La situation de l'eau est caricaturale. Des gens ont été privés d'eau parfois durant deux mois dans un pays qui en regorge. La montagne Pelée nous fournit de l'eau et une biodiversité extraordinaire !
Je vous remercie donc de nouveau de cet entretien qui nous conforte dans le travail que nous avons commencé et pour ce dossier de la différenciation territoriale qui est important et qui fait notre quotidien.
Je souhaiterais remercier le président Claude Lise et lui indiquer que je ne suis pas surpris de ses propos. J'y souscris évidemment.
Cet échange m'offre l'occasion d'ouvrir une réflexion globale. Certains termes sont galvaudés et je partage l'idée que certains d'entre eux ne signifient plus rien. Nous sommes perdus dans une espèce de nouveau glossaire dont les termes n'ont plus de sens. Il faudra les clarifier. Je m'aperçois que l'expérience de la CTM est un grand mal qui nous offre l'opportunité d'observer ce qu'il faut éviter. En cela, je pense que c'est une bonne chose. Jusque-là, nous nous situions sur un plan théorique, y compris terminologique. Nous pourrons nous appuyer sur l'expérience concrète.
S'agissant des représentants de l'État, j'ai eu l'occasion de dire au Sénat qu'il est nécessaire qu'ils disposent d'une formation préalablement à leur prise de poste. Ils arrivent en effet avec une conception de l'action administrative qui crée des frustrations terribles.
En conclusion, je veux dire que nous avons voulu faire plaisir à nos rêves. Aujourd'hui, forts de la détermination du président Lise et d'autres, je pense que le temps est venu de tout remettre à plat. J'y mettrai tout mon poids, et je rappelle que dès la campagne sénatoriale de 2017, nous disions qu'il fallait revoir cela parce que cette expérience nous éloigne des vrais décideurs qui devraient être le peuple. Donc place à autre chose.
Comme toujours, votre propos est empreint de sagesse et d'optimisme qui peut guider les plus jeunes. Vos remarques sur la relation entre les représentants de l'État et les élus est d'actualité et s'est illustrée durant la crise sanitaire. Si la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie m'ont indiqué l'avoir gérée en parfaite concertation avec le Haut-commissaire, il y a des progrès à faire en ce sens dans d'autres territoires. Je plaide par ailleurs pour la création d'une formation d'excellence sur les outre-mer afin qu'ils entrent dans la formation des hauts-fonctionnaires afin de créer une véritable culture des outre-mer au sommet de l'État.
Je veux vous remercier pour cet échange. Nous sommes d'accord sur l'essentiel. J'espère que vous parviendrez à faire bouger les choses au niveau du Gouvernement. Il ne doit pas s'arrêter à des mots qui frappent, comme différenciation, mais les faire dans la réalité. Il y a en outre des urgences. La première à mes yeux est d'abord de réformer même a minima la loi afin que nous puissions terminer les derniers mois du mandat dans des conditions acceptables et que l'on aborde la future CTM dans de meilleures conditions.
Il y aura ensuite une réforme qui demandera plus de temps, - après notamment la révision constitutionnelle et la mise en oeuvre d'un congrès, pour que la Martinique - puisse déterminer le pourcentage de spécialité législative et celui de l'identité législative, étant entendu que tous ici nous sommes d'accord pour demeurer citoyens de la République. La spécialité législative ne doit en aucun cas remettre en cause l'égalité des droits. Nous n'imaginons pas sortir du titre XII de la Constitution.
Le président Gérard Larcher a une fibre outre-mer et conçoit réellement le Sénat comme l'assemblée des territoires. Dans sa démarche de création d'un groupe de travail sur la décentralisation, il se positionne par anticipation de la réforme de la décentralisation à venir.
Je rendrai compte aussi fidèlement que possible du contenu de nos échanges et ferai des propositions dont l'objectif est de créer les conditions pour que chaque territoire puisse se diriger vers le projet qui correspond le mieux à ses réalités locales.