Intervention de Édouard Fritch

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 5 juin 2020 : 1ère réunion
Entretien avec m. édouard fritch président du gouvernement de la polynésie française

Édouard Fritch, président du gouvernement de la Polynésie française :

Je tâcherai de répondre à l'ensemble de vos questions.

Il convient d'abord d'observer que le statut de la Polynésie française nous permet d'entretenir des relations de qualité et de bonne intelligence avec l'État. La première exerce ses compétences de manière autonome, sans immixtion excessive du second. Inversement, l'État assure ses missions sans que j'intervienne exagérément. Cependant, nous nous efforçons de travailler de façon commune sur certains sujets.

Je citerai l'exemple de l'éducation nationale. Jusqu'au secondaire, elle ressortit à la collectivité territoriale. L'université, l'enseignement supérieur, relèvent de l'État. Pour autant, ce dernier prend en charge l'administration des enseignants ; de notre côté, nous élaborons les programmes de l'enseignement primaire en concertation avec les services de l'État. Nos préoccupations consistent à introduire dans ces programmes scolaires l'enseignement des langues et de l'histoire locale. Nous nous investissons dans l'exercice des compétences qui nous reviennent. Notre autonomie illustre les concepts de différenciation et de décentralisation. Depuis la création de notre statut en 1984, nous avons souhaité prendre la responsabilité de notre propre destinée. Nous avons considéré que la Polynésie était parvenue à un niveau de maturité politique suffisant pour s'administrer elle-même.

Avec le recul, le constat s'avère positif. Les caractéristiques coutumières, culturelles et linguistiques de notre peuple s'expriment pleinement à travers le statut dont nous bénéficions. Les difficultés restent marginales. Notre autonomie n'est pas totale mais nous parvenons à construire notre pays tel que nous le concevons.

À l'occasion de la crise du Covid-19, nous sommes intervenus de concert avec le Haut-commissaire. Nous avons pris nos décisions en commun, avons organisé ensemble nos conférences de presse. Eu égard à l'application de l'état d'urgence, le Haut-commissaire disposait d'une compétence générale. Il ne m'en a pas moins consulté sur les modalités du confinement. J'ai pu imposer l'interdiction de la vente d'alcool, je lui ai demandé de prolonger le couvre-feu qui ménageait nos forces de sécurité et nos brigades municipales. Le Haut-commissaire a accepté ces mesures qui, pourtant, lui faisaient encourir un risque contentieux.

Si, à l'évidence, ces relations fructueuses dépendent des hommes qui les entretiennent, le statut par lui-même en autorise le développement.

Sur l'étendue de nos compétences, je dois dire que j'éprouve une gêne pour ce qui tient à nos rapports avec les pays de la zone Pacifique.

Je travaille et m'entends bien avec les Premiers ministres de Nouvelle-Zélande et d'Australie, ou avec le chef d'État chilien. J'interviens auprès d'eux, non comme représentant de la Polynésie, mais au nom de la France, participant ainsi à son rayonnement dans cette partie du monde.

Cependant, négocier une question d'ordre commercial m'impose de passer par le Quai d'Orsay. Il peut, par exemple, s'agir du câble optique en provenance de Nouvelle-Zélande qui nous permet d'assurer nos communications internationales. Obtenir du ministère des affaires étrangères un avis favorable requiert souvent un délai de plusieurs mois. Or, il ne s'agit que de négociations commerciales, non de diplomatie pure.

Si une révision de notre statut devait intervenir, je demanderais à l'État qu'il nous délègue une partie de ses compétences dans le domaine des relations extérieures. Je puis concevoir la nécessité d'une concertation avec les services de l'État, d'un contrôle a posteriori de ces mêmes services. Pour autant, il nous faut obtenir une plus large marge de manoeuvre avec nos partenaires de la zone Pacifique.

En matière de démocratie locale, je me réjouis de l'excellence de nos relations avec les communes et collectivités locales polynésiennes. À mon arrivée, j'ai fait de la démocratie locale l'un des éléments clefs de ma gouvernance. J'ai d'emblée pensé que la Polynésie ne se construirait que sur le fondement de la réunion de l'ensemble de ses collectivités. Nous ne saurions diriger ce pays à partir de Papeete et avec un budget unique. Les relations avec les maires sont indispensables.

Les communes se situent au plus proche des populations. Mieux que quiconque, les maires en connaissent les besoins et les difficultés. Avec les communes, la politique s'efface devant l'évidence d'un partenariat naturel. Je l'ai évoqué avec le Président de la République.

Entre le gouvernement polynésien et les communes, il nous faut donc parler un langage commun. Nous progressons vers cet objectif. Une évolution récente de notre statut permet désormais de partager plus qu'avant les compétences du gouvernement avec les communes. Sont notamment concernés les domaines des affaires sociales, de la jeunesse et des sports, de l'économie...

En Polynésie, pays et communes sont indiscutablement liés. Le fonds intercommunal de péréquation finance les communes à hauteur de 80 %, principalement pour leurs dépenses de fonctionnement. Il est abondé par un prélèvement sur la fiscalité locale. Les communes ne disposent pas des moyens humains nécessaires au recouvrement de l'impôt local. Le pays se charge donc de sa collecte, avant sa redistribution. Ce qui passait à l'origine pour un handicap semble désormais, avec les relations que nous entretenons depuis 2014, un avantage et une garantie.

La démocratie locale s'avère un atout. Avec l'État et le pays, la commune assure la stabilité du système. Fort de ce constat, je demeure confiant devant la crise économique qui s'annonce, à la suite de la pandémie. Ensemble, nous ferons corps pour la combattre.

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