Monsieur le président, je vous remercie d'avoir accepté cet échange.
Le président du Sénat, Gérard Larcher, a initié un groupe de travail sur la décentralisation avec l'ambition - selon ses termes - de « repenser en profondeur l'organisation des pouvoirs locaux » et de formuler des propositions en ce sens. Il m'a fait l'honneur de me charger du volet outre-mer en ma qualité de président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer et c'est pour mener à bien cette mission que j'ai choisi d'entendre par visioconférence les exécutifs et présidents des assemblées territoriales. J'espère pouvoir restituer fidèlement les préoccupations que vous m'exprimerez, étant entendu que nos collectivités sont extrêmement diverses et que les visions institutionnelles sont tout aussi variées.
J'ai du reste pris connaissance des propositions formulées par la commission ad hoc que vous avez formée et autour desquelles s'est réuni le dernier congrès des élus de la Guyane. Il en ressort la volonté de trouver un consensus, la nécessité d'une évolution institutionnelle et des propositions particulièrement intéressantes.
Ma conviction personnelle est que les outre-mer sont le laboratoire des institutions locales de la République. Cette dimension doit permettre à chaque collectivité de trouver son organisation, au service des objectifs et des enjeux qu'elle estime prioritaires pour son territoire. Je suis heureux de constater que le président du Sénat ait estimé qu'il est possible de s'inspirer des outre-mer pour améliorer les relations entre l'État central et les territoires hexagonaux. Je sais aussi que le statut de nos territoires ne résout pas tous les problèmes.
J'ai naturellement choisi d'associer à ces entretiens, pour chacun des territoires, mes collègues sénateurs. Je n'imagine pas donner un avis, après avoir consulté les collectivités, alors que mes collègues n'auraient pu assister aux débats. Antoine Karam assiste ainsi à cette visioconférence.
D'un point de vue pratique, je vous ai proposé une trame de questions qui ont été généralisées pour l'ensemble des territoires. Je suis conscient que certaines s'adressent plus à certains qu'à d'autres. J'ai déjà entendu la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, et entendrai prochainement la Polynésie française puis les territoires antillais et Saint-Pierre-et-Miquelon. Quatre points figurent dans la trame du questionnaire : un bilan sur la décentralisation, un point de vue sur la différenciation territoriale, la déconcentration des services de l'État dans nos territoires, et enfin des propositions dans l'optique d'une révision constitutionnelle. Monsieur le président, je vous laisse la parole.
Merci beaucoup Monsieur le président.
Nous avons choisi deux caps. Le premier - immédiat - vise une évolution de la décentralisation, pour laquelle j'avais demandé une loi spécifique pour la Guyane permettant de dépasser les contraintes que nous connaissons au niveau de l'article 73. Cette loi viserait à confier davantage de compétences à la collectivité, à renforcer la démocratie participative et à assurer de façon plus équilibrée ses recettes. Nous avons, par exemple, proposé une évolution des taxes sur les services, puisque nous ne sommes pas frappés d'octroi de mer au niveau de certains métiers, notamment pour les cabinets d'ingénierie. Ce sujet est en cours d'étude, car nous avons des désaccords internes sur les modalités de rédaction. Il permettrait une continuité de la collectivité territoriale, en lui offrant davantage de compétences, notamment dans le domaine de l'éducation.
Par ailleurs, nous engageons une réflexion approfondie sur l'évolution statutaire. Des cabinets juridiques nous accompagneront sur ce sujet. Mes services ouvriront prochainement les plis des candidats adressés à la commission d'appel d'offres. Ces juristes sont particulièrement compétents sur les aspects outre-mer auxquels se joindront également des scientifiques. Deux hypothèses sont envisagées : une synthèse des articles 73 et 74 conduisant à une situation sui generis, qui s'avèrerait très complexe, ou une évolution directe vers un article 74 amélioré. Dans les cinq prochaines années, la Guyane devra disposer d'un nouveau statut.
Nous avons mis en place une collectivité territoriale qui a incontestablement répondu à l'exigence de la fusion de deux collectivités sur le même territoire. Les subventions étaient saupoudrées, les compétences jamais reconnues par l'un ou l'autre, et la Guyane, face à l'État, au Gouvernement et à la coopération transnationale, a un interlocuteur : la collectivité territoriale de Guyane (CTG). Cette fusion, a conduit au regroupement de 3 400 personnes, représentant une masse salariale de 145 millions d'euros.
La collectivité représente aujourd'hui un budget de 630 millions d'euros, et 72 millions d'euros en fiscalité directe (taxe sur le foncier, etc.). Cette situation est incongrue. En fiscalité indirecte, la somme s'élève à 199 millions d'euros (octroi de mer, taxe sur les carburants, sur le tabac, etc.). À ce budget s'ajoutent les fonds européens pour un montant de 33 millions d'euros. Ce budget de la collectivité territoriale, du fait de l'application de l'article 73, pose problème.
Notre gouvernance est fonctionnelle ; je suis le président de la collectivité et de son assemblée, ce qui n'est pas le cas en Martinique. Dans la majorité des cas, les commissions permanentes sont dirigées par la première vice-présidente. S'agissant de l'assemblée, je présente les rapports et les soutiens. Ce système est efficace. Par ailleurs, en termes de simplicité et de réactivité, le Gouvernement a un seul interlocuteur en Guyane : le président et, le cas échéant, des élus délégués de même que nos interlocuteurs des pays voisins avec lesquels nous discutions de projets de coopération.
S'agissant des compétences, en matière foncière, 95 % du territoire appartient à l'État. La gestion de l'assurance chômage est en outre une compétence de l'État. L'éducation doit quant à elle être réformée, compte tenu du taux d'analphabétisme et d'illettrisme, lié à la fois à l'immigration et à la culture des peuples autochtones, les Amérindiens, les Bushinenge... Une réforme de l'éducation est nécessaire, notamment sur le plan de l'appropriation de nos cultures et de nos identités, et sur les bassins de vie, c'est-à-dire recréer des corps de métier au regard des territoires. En effet, nous n'avons pas suffisamment d'infirmières ou d'enseignants. On nous impose un niveau bac+4 voire bac+5, alors que nous pourrions bénéficier d'un corps d'enseignants, en lien avec le territoire. S'agissant des mines, nous pourrions disposer d'une compétence nous permettant d'attribuer des « mines standard » à des entrepreneurs locaux. En matière agricole, la Guyane se voit imposer des normes européennes, alors que nos voisins du Brésil ou du Surinam disposent de modalités dérogatoires et vendent leurs produits à Rungis, ce qui parfois nous est interdit. Si la filière du riz a totalement disparu de notre PIB, c'est parce que le Surinam a continué à faire de la concurrence avec des produits qui sont aujourd'hui interdits au niveau de l'Europe. Sur la question de la pêche, les côtes guyanaises sont pillées par le Brésil et le Surinam. Et bientôt, les marins bretons, basques voire espagnols pourraient y venir pour profiter des richesses halieutiques. Une taxation et un contrôle sont donc nécessaires. Ils permettraient de conforter la filière de la pêche en Guyane. Il faudrait mieux contrôler les personnes qui viennent pêcher sur notre territoire.
J'ai face à moi des adversaires qui proposent un statut régi par l'article 74 de la Constitution. Celui-ci présente des avantages comme des inconvénients. Je me battrai pour que nous maintenions une gouvernance telle qu'elle est définie aujourd'hui pour éviter les difficultés liées au dédoublement de l'exécutif et de la présidence de l'assemblée. Je me battrai également contre une proposition qui été soulevée au sujet des districts. Aujourd'hui, cette notion est à mon avis dépassée. Nous avons mis en place les intercommunalités, et j'ai eu l'honneur d'être président de celle du littoral, la plus importante d'entre elles pendant 14 ans. Elle a été depuis transformée en communauté d'agglomérations. Il s'agit d'un excellent outil de mutualisation, de financement, d'aménagement et surtout, en fonction des compétences transférées, d'exercice de compétences pour l'eau potable, l'assainissement, les transports, l'aménagement et l'économie. Ce système est efficace. Nous avons mis en place une nouvelle usine d'eau potable, augmenté la distribution de l'eau potable pour la population en anticipant la croissance démographique. Nous avons également mis en place une centrale d'assainissement extrêmement moderne qui permet de raccorder 60 000 habitants. La création de districts risque au contraire de nuire aux intercommunalités, pourtant fonctionnelles. Les sept intercommunalités de la Guyane fonctionnent très bien. De plus, elle reviendrait à mettre en cause la fiscalité, vis-à-vis de l'État. En effet, l'intercommunalité, au-delà de la mutualisation, conduit à diminuer les coûts pour l'usager ou le consommateur. Nous devons maintenir cette évolution de l'intercommunalité. J'estime d'ailleurs que nous aurions déjà dû initier la fusion entre la communauté d'agglomération du centre littoral de Guyane (CACL) et l'intercommunalité des Savanes. Avant de quitter la CACL, une usine a été implantée à la frontière de l'île de Cayenne et de Kourou. L'eau des Cayennais est ainsi pompée à Kourou.
Par ailleurs, mes adversaires proposent une évolution qui modifierait le statut européen. Je suis personnellement partisan de l'Europe et du statut de RUP. La proposition, telle qu'elle est définie, nous conduisait vers un statut de PTOM. Selon le calcul des fonds européens sur 2021-2027, la Guyane risquerait de perdre 100 millions d'euros. En effet, le calcul repose sur le PIB. Or ce mode de calcul, si on l'applique strictement, devrait exclure la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion des financements destinés aux RUP. Nous ne l'avons pas demandé mais ce mode de calcul en avantage certains et désavantage les autres. La Guyane, contrairement aux autres régions, a vu une progression de 15 % de sa population. J'ai déjà alerté la ministre à ce sujet. Saint-Martin, Mayotte et la Guyane seraient perdants. La Réunion verrait une diminution de 40 millions.
En conclusion, je suis favorable à une loi Guyane, à la poursuite de la décentralisation et au droit à la différenciation, comme l'a annoncé le Président Macron. Si nous poursuivons sur la voie statutaire, nous devrons certainement demander une révision de la Constitution. La demande d'un statut sui generis pose problème aux juristes. Sans réforme de la Constitution, il sera en effet nécessaire de revenir à l'application des articles 73 ou74, voire, pour certains, à l'article 72. J'apprécie particulièrement les travaux des sénateurs, que je suis avec intérêt. Le discours du Président Larcher, notamment sur les audits financiers, est objectif, clair et s'appuie sur des bases juridiques.
J'estime que nous devrions renforcer l'analyse des dépenses publiques des collectivités. Nous avons une spécificité : la Cour des comptes, après trois ans de bataille avec le ministère des outre-mer, a reconnu qu'il était nécessaire de rebaser les financements de la collectivité territoriale, soit 40 à 70 millions d'euros, pour assurer définitivement la stabilité du budget de la collectivité. Trois raisons le justifient. Tout d'abord, la Guyane est un territoire à forte expansion démographique où sont construits quatre lycées et cinq collèges par an. Elle est aussi le seul territoire qui ne dispose d'aucune route de 200 kilomètres, en état convenable. Certaines personnes ne peuvent se déplacer qu'en pirogue ou en avion, sans avoir la possibilité d'emprunter une route. Nous sommes enfin l'un des seuls territoires dont 30 % de la population n'a pas accès à l'eau.
Quand nous devons intervenir pour accompagner les mairies et les EPCI, c'est le budget de la collectivité qui est mobilisé. Lorsque la collectivité investit 8 millions d'euros dans ces sujets, l'État n'investit que 1,4 million d'euros. Nous avons également la problématique de la dengue. Un de mes prédécesseurs avait souhaité que cette compétence soit dévolue au conseil général. 40 à 100 000 habitants étaient concernés. Nous comptons aujourd'hui au moins 400 000 habitants. Cela coûte 6 millions d'euros à la collectivité alors que l'État est passé de 600 000 euros à 1 million de financement. Cette situation est indigne de la République, il est indigne que nous ayons à batailler pour obtenir des financements de l'État. Je me battrai donc pour une évolution statutaire, qui octroie davantage de compétences à la Guyane et permette aux Guyanais de mieux gérer leur territoire. Sur le sujet de la covid-19, je me suis entouré d'un comité scientifique de médecins locaux, métropolitains ou créoles qui ont plus de trente ans de pratique en Guyane. S'ils n'avaient pas été à mes côtés, je n'aurais pu prendre la décision de fermer les écoles, collèges et lycées. Actuellement, en Corse, le préfet et le rectorat ont attaqué devant le tribunal la décision de mon homologue de Corse sur la fermeture des lycées. Nous voyons actuellement que dans de nombreux départements, l'État attaque les exécutifs pour ouvrir les écoles, au prétexte du faible nombre d'enfants touchés par la covid-19. De nombreux parents et grands-parents pourraient néanmoins être infectés par leurs enfants. La bonne collaboration avec le recteur nous a permis de nous concerter. Depuis trois jours, le préfet affirme que l'ouverture des collèges et des lycées n'est pas à l'ordre du jour, et reconnaît ainsi que cette décision était sage. Nous sommes entourés du Brésil et du Surinam particulièrement touchés.
J'ai parlé avec passion parce que j'aime mon territoire.
Nous sentons dans vos propos la passion, la clairvoyance et l'optimisme, mais également les projets. Votre conception de l'avenir de la Guyane est claire.
J'ai noté une volonté de relations avec les pays voisins. Concernant les compétences, qu'en est-il de l'urbanisme, du tourisme ou de l'environnement ? Sur la problématique des normes, le Sénat a accompli un travail considérable dans différents domaines : agricole, phytosanitaire, BTP... On conçoit difficilement qu'il soit imposé à un Guyanais de s'approvisionner en ciment en Europe quand il pourrait plutôt le faire à proximité. À l'inverse, des normes restreignent l'entrée de produits guyanais en Europe, alors que l'Amérique centrale et l'Équateur font entrer sur le territoire européen des produits identiques, avec des coûts et des conditions sanitaires pourtant dégradés.
S'agissant des compétences que l'État conserverait, quelle est votre relation actuelle ? Êtes-vous satisfait de l'organisation des services de l'État déconcentrés ? Aux Antilles, la multiplicité des services, agences et directions régionales et départementales, sans interlocuteur fiable, s'est avérée problématique. J'ai tendance à penser qu'une réorganisation des services de l'État, pour assurer ses compétences, devrait se formaliser autour d'un guichet unique, organisé en services autour du préfet, capables d'apporter des réponses aux questions des élus locaux. Il s'agirait d'un nouvel angle pour envisager la décentralisation de l'État, mais aussi la déconcentration de ses services. Au lieu de les simplifier, nos situations ont souvent été complexifiées depuis 1982.
J'ai particulièrement apprécié les choix guyanais, que j'avais constatés lors de mon rapport sur l'université des Antilles et de la Guyane. Je suis donc sensible à votre propos sur la réorganisation de l'éducation pour l'amélioration de la réussite scolaire.
Je suis également heureux que vous ayez exprimé cette volonté de tenir compte des communautés de communes et des communautés d'agglomérations, tout en intégrant l'environnement régional. Cette problématique s'est posée à la Nouvelle-Calédonie, qui fabrique son corpus de normes BTP en s'inspirant des États du Pacifique comme la Nouvelle-Zélande et l'Australie, mais aussi en intégrant les normes européennes.
Quelles sont les compétences que vous souhaiteriez voir conserver par l'État - hormis celles qui relèvent du régalien - et celles que vous êtes prêts à assumer, sous réserve de disposer des moyens adéquats ?
La liste que j'ai présentée n'est pas exhaustive mais reflète mon intérêt pour les mines, la pêche, l'agriculture, le foncier et l'éducation. D'autres compétences peuvent être citées, comme l'énergie, qui s'est toutefois soldée par un échec en Guadeloupe et mérite donc une réflexion, ou les transports. Certains évoquent même, avec la crise de la Covid-19, des compétences sanitaires élargies concernant les crèches, la protection maternelle et infantile (PMI), etc. La priorité est selon moi le foncier.
Plusieurs compétences doivent par ailleurs rester à l'État. C'est tout d'abord le cas pour l'immigration, qui est un sujet extrêmement compliqué. Preuve en est que la Guyane est le seul territoire de France disposant de 7 garnisons. Nous pourrions néanmoins être associés ou consultés sur ce sujet. C'est le cas aussi pour le chômage, où les formations doivent être renforcées pour des cursus à la carte, via des conventions par exemple. C'est enfin également le cas pour les grandes concessions en matière minière, qui demandent une forte expertise.
Nous avons en revanche obtenu une compétence, autrefois dévolue à l'État : le offshore. Je souhaite la conserver car la collectivité dispose désormais de la compétence. Une des plus grandes déceptions de mon mandat réside dans le fait que le Gouvernement nous a abandonné dans l'exploration du offshore au large de la Guyane. Le Guyana sera demain le Koweït de l'Amérique du sud.
L'ancien préfet a mis en place une nouvelle recentralisation, qui s'est traduite par une rétractation de l'État, qui n'a jamais accepté les événements de mars-avril 2017 parce qu'il s'est senti humilié. Un nouvel organigramme a été proposé, qui à mon sens ralentit les décisions et alourdit les rapports avec les collectivités. La situation dépend fortement des personnes ; de bons fonctionnaires s'investissent, aiment le territoire et apportent leur contribution, et d'autres non.
Concernant les articles 73 et 74, tous les juristes que nous avons consultés s'accordent à considérer que leur fusion s'annonce complexe. Il appartient aux parlementaires de déterminer comment pérenniser un statut sui generis, dans le cadre de la réforme constitutionnelle. J'estime en effet qu'il s'agit d'une des solutions les plus souhaitables.
Il se rapprocherait de l'article 74. Je conteste le niveau de notre budget, mais il est impératif d'obtenir de la part de l'État une sécurité budgétaire dans une perspective d'évolution vers un statut. Le président de la Cour des comptes m'a indiqué qu'il demanderait pour la première fois à l'État de porter le plafond à 44, voire à 70 millions d'euros. Cette somme permettrait de mettre à flot la communauté. En matière de transports, les communes enclavées représenteront bientôt 80 000 habitants. Le petit avion qui effectue quelques rotations par jour n'est pas suffisant. La Direction de la sécurité et de l'aviation civile (DSAC) encourage le transport mais alourdit les finances de la collectivité. Je suis ainsi contraint de maintenir le même prix pour un transport qui s'est pourtant amplifié, en termes de circulation.
Je souhaite que le statut s'inscrive ainsi dans l'article 73 d'un point de vue régalien mais s'oriente vers l'article 74, sans pour autant perdre notre substance financière.
En vous écoutant, je cherche ce qui différencie notablement le projet que vous m'exposez du statut de Saint-Barthélemy. L'article 74 en effet n'impose pas la spécialité législative dans tous les domaines.
L'énergie par exemple, est une compétence transférée à Saint-Barthélemy mais que nous n'avons pas formellement exercée en édictant une réglementation locale. Nous souhaitons cependant continuer à bénéficier de la péréquation et de la fourniture d'électricité par EDF. Ainsi, nous venons ainsi de signer avec l'État un accord par lequel nous nous engageons à intégrer dans notre réglementation locale les dispositions relatives à la contribution au service public de l'électricité (CSPE) adoptées après la création de la collectivité. Des conventions permettent donc de bénéficier de dispositifs nationaux. En l'occurrence, Saint-Barthélemy devra prendre en échange des engagements en termes de modernisation de l'énergie, de diminution de l'impact carbone, etc.
Vous avez par ailleurs évoqué l'immigration. Saint-Barthélemy a laissé cette compétence à l'État, qui est responsable de l'entrée et du séjour des étrangers sur le territoire de la collectivité. L'accès au marché du travail, en revanche, relève de la collectivité, sous le contrôle d'un service que nous avons créé. L'article 74 est donc proche de ce que vous concevez bien que j'entende votre prudence au regard des aspects financiers.
Concernant le rapport à l'Europe, ces choix relèvent des collectivités. Saint-Martin et Saint-Barthélemy, par exemple, étaient des régions ultrapériphériques. Saint-Martin l'est restée, et nous avons demandé à en sortir. En effet, notre PIB est bien trop élevé pour nous permettre de bénéficier des aides. De plus, ce statut faisait courir un risque au droit de quai, taxe pilier de la fiscalité locale. C'est une taxe locale propre qui alimente le budget de la collectivité. Les RUP et les PTOM ne disposent pas des mêmes fonds, en dépit d'une volonté de les rapprocher. La nouvelle période est marquée par une volonté de l'Union européenne de fixer les enveloppes et de les notifier par le biais des États membres. Les enveloppes attribuées aux RUP seront donc réparties par la France, entre ses collectivités. L'Europe souhaite cependant conserver un contrôle et une évaluation accrue de la bonne utilisation de ces fonds, et accentuer sa politique de dégagement pour les fonds non utilisés.
S'agissant d'une éventuelle révision constitutionnelle, quel est votre sentiment sur une écriture qui regrouperait tous les outre-mer sous une seule appellation, à savoir « collectivités d'outre-mer », chacune ayant ses spécificités détaillées dans son statut, dès lors qu'elle ne porterait pas atteinte à ce que vous avez exposé ?
L'article 74 suppose d'effectuer un choix entre le statut de PTOM et celui de RUP. Saint-Martin, par exemple, a souhaité demeurer une RUP. En revanche, une partie des fonds européens reste gérée par la Guadeloupe, pour le compte de Saint-Martin. Mayotte, anciennement PTOM, est quant à elle devenue RUP. J'estime que nous devons conserver le statut de RUP. L'Europe finance plus de 60 % des investissements en Guyane.
Nous essaierons par ailleurs de communiquer les informations au sujet de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), de la prestation de compensation du handicap (PCH) ou des autres allocations pour handicapés et personnes âgées. Plus de 55 % de la population de la Guyane a moins de 20 ans, mais 10 % plus de 60 ans. La prise en compte de la structure de la population est donc une matrice essentielle dans l'optique d'un statut relevant de l'article 74 qui entraînerait également d'autres inconvénients. Il faut donc aller progressivement. J'avais résolu la question du désendettement et des emprunts. Nous avions ainsi un excédent financier, de l'ordre de 70 millions d'euros, qui a permis de résorber les dettes du conseil général. En cinq ans, mes services ont effectué un travail exceptionnel. De - 90 millions d'euros, nous nous sommes hissés à + 20 millions d'euros. Nous avons pu contracter deux emprunts de 65 millions d'euros (avec l'AFD et la Banque des territoires). Tant que nous n'aurons pas résolu les questions fiscale et financière, il sera difficile d'évoluer vers un statut de l'article 74. Nous comptons notamment une population composée à plus de 35 % d'étrangers insolvables. Mon équipe a mené le combat de la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA) et du revenu de solidarité outre-mer (RSO). Nous sommes la seule collectivité à l'avoir fait. Je suis profondément autonomiste, mais l'État nous place dans les difficultés les plus grandes pour nous encourager à recourir à l'article 74.
Lorsque Saint-Barthélemy est devenue une COM, nous n'avons pas demandé la compétence sécurité sociale, de peur de ne pouvoir l'assumer. Aujourd'hui, nous exerçons les compétences du département en matière sociale d'une part et pour la gestion de la sécurité sociale, nous avons une caisse de prévoyance sociale, qui offre un service de gestion locale et dont l'efficacité est exceptionnelle. À l'inverse, les sujets liés à la santé ou au handicap restent en lien avec la Guadeloupe. S'agissant de la relation avec l'Europe, depuis le vote du nouveau traité, le statut national et le statut européen sont déconnectés. Vous avez actuellement le statut de RUP ; si vous basculiez dans l'article 74, vous ne seriez en aucun cas contraints de devenir PTOM. En ce qui nous concerne, notre demande a été validée par le Président de la République. Nous avons ensuite conduit des démarches au niveau de Bruxelles où un vote unanime de tous les États européens membres était nécessaire pour notre évolution en PTOM. Saint-Barthélemy est PTOM et relève de l'article 74, tandis que Saint-Martin est RUP et relève de l'article 74, sans aucune obligation de changer de statut, sauf si les élus locaux le demandaient.
Quel est votre sentiment sur la consultation de la population concernant les demandes de transfert de compétences ?
Elle est selon moi essentielle. Le congrès réunit la CTG, les maires et les parlementaires. Dès le début, j'ai toujours affirmé la nécessité d'une consultation locale. En 2010, j'ai souhaité une consultation sur le statut.
L'État a créé un conseil coutumier, qui ne valorise pas une véritable démocratie mais contribue plutôt à un communautarisme. Mon pays est composé de différentes populations et de peuples autochtones qui n'entrent pas seulement dans le champ de la démocratie républicaine mais qui sont également reconnus par l'ONU. Nous sommes un peuple métis et diversifié, et la Guyane fait partie de la République.
Les statuts des COM sont évolutifs. En cas d'évolution statutaire, vous pourriez ainsi avoir besoin d'exercer de nouvelles compétences dans quelques années. Préconisez-vous une consultation de la population pour chaque nouvelle compétence ?
Le débat est passionné, et je suis heureux qu'il s'apaise. Il a en effet une histoire, qui a commencé dès les années 1955-56 parce que le développement économique n'avait pas été au rendez-vous de la loi de départementalisation. Depuis, ce débat a évolué, avec parfois des violences physiques, dans les années 1960 et 70, en 1962 et 1974. Il a été relancé dans les années 1980 et dans les années 90 par la déclaration de Basse-Terre dont je suis le cosignataire avec Lucette Michaux-Chevry et Alfred Marie-Jeanne. En 2003, nous n'avons pas eu l'opportunité d'aller vers une consultation populaire. Toute évolution ne peut être approuvée que par un vote de la population. En 2003, faute d'accord entre le conseil régional et le conseil général, la Guyane n'avait pas été en mesure de s'exprimer comme la Martinique ou la Guadeloupe. En 2009 puis 2010, nous avons relancé la consultation populaire, qui a donné les résultats que nous connaissons.
La crise sanitaire nous empêche d'avancer sur le sujet, mais je n'ai pas de position maximaliste. Si nous souhaitons nous diriger vers une évolution statutaire, il est nécessaire de réformer la Constitution. J'ai indiqué publiquement que je n'étais pas opposé à une « loi Guyane » pour aller vite. Comme l'a indiqué Rodolphe Alexandre, la population augmente et la situation se dégrade. Notre PIB a perdu 10 points. Nous avons besoin des fonds européens et nous ne sommes pas dans la même situation que la Nouvelle-Calédonie ou d'autres collectivités qui disposent d'un statut très particulier. En parallèle, des associations et collectifs de provenance diverse jouent des rôles importants en Guyane aujourd'hui. Nous devons absolument avancer.
C'est autour des 3D - décentralisation, différenciation, déconcentration - que le président Larcher a constitué son groupe de travail en me confiant le volet outre-mer. Philippe Bas et Jean-Marie Bockel sont les rapporteurs du groupe de travail. Tous les groupes politiques y sont présents, et le travail s'est opéré dans une ambiance de consensus remarquable. La loi 3D est voulue par le Président de la République et sera portée notamment par le ministre des collectivités territoriales Sébastien Lecornu.
Je partage en grande partie les interrogations de Rodolphe Alexandre. Continuons donc à avancer ensemble. Il est toutefois nécessaire d'apaiser le débat. Au début des années 2000, j'estimais utile de mettre en place des districts ; depuis sont nées les communautés d'agglomérations et de communes, qui ont changé la donne. Nous devons donc revoir tous ces aspects. Espérons que le débat reprendra lorsque la situation sanitaire le permettra.
La base du statut est l'évolution des dépenses et des recettes. Une taxe service pourrait à cet égard rapporter 60 millions d'euros.
Je serais heureux de rencontrer une délégation de sénateurs.
Y a-t-il d'autres points que vous souhaiteriez aborder ? Je comprends que vous seriez favorable à un transfert de la compétence fiscale.
Pourquoi pas. Il s'agit d'un sujet en débat.
Cela suppose d'évaluer le potentiel fiscal global de la Guyane. Je suis encore surpris par les évaluations produites par Bercy s'agissant de Saint-Barthélemy. À Saint-Barthélemy, nous avons décidé d'évoluer parce que la fiscalité ne nous convenait pas, et nous ne souhaitions pas être obligés d'appliquer systématiquement la fiscalité nationale, mais plutôt une fiscalité adaptée à la réalité de nos territoires.
Vous êtes un homme de conviction, qui a un projet pour la Guyane. Je suis très heureux d'avoir pu échanger aussi librement et longuement avec vous.
Présidence de M. Michel Magras, président -
Monsieur le président, cher Édouard Fritch, je vous remercie d'avoir accepté cet échange que j'ai sollicité en vue d'une restitution sur « l'état des volontés » des territoires d'outre-mer en ce qui concerne l'organisation et les modalités de leur libre administration locale. Je vous en sais d'autant plus gré que je suis conscient que vous avez dégagé un temps précieux dans un agenda très chargé en cette période.
Le président du Sénat, Gérard Larcher, a initié un groupe de travail sur la décentralisation avec l'ambition - selon ses termes - de « repenser en profondeur l'organisation des pouvoirs locaux » et de formuler des propositions en ce sens.
Il m'a fait l'honneur de me charger du volet outre-mer en ma qualité de président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer.
C'est dans cette optique que j'ai souhaité entendre chacun des exécutifs des grandes assemblées territoriales en vue d'une restitution des orientations reflétant aussi fidèlement que possible la diversité des visions institutionnelles ultramarines.
J'espère qu'à l'issue de ces échanges - sans trahir leur riche hétérogénéité - des grands axes se dégageront, constituant des articulations autour desquelles chaque projet pourra se construire chaque volonté locale se concrétiser.
Je suis heureux que ce cycle se soit ouvert avec les territoires du Pacifique. Ils sont à mes yeux des « éclaireurs » tant ils témoignent d'une créativité institutionnelle trop souvent ignorée par la République - au lieu de s'en inspirer. J'ai aujourd'hui bon espoir que les travaux sur la décentralisation initiés par le président Larcher contribueront à faire évoluer les relations entre l'État et les outre-mer et à reconnaître à ces derniers leur position de laboratoires.
En Polynésie, la crise sanitaire a, semble-t-il, mis en évidence une problématique liée à la répartition des compétences entre l'État et la collectivité dans ce domaine.
Je suis bien conscient que vous disposez de peu de recul, mais les situations de crise sont souvent des révélateurs de l'état de nos institutions et votre expérience nous apportera un éclairage utile et précieux sur ce point et d'autres.
Avant d'entamer notre échange, permettez-moi une parenthèse pratique.
Au courrier que je vous ai adressé était jointe la trame de questions adressées à l'ensemble des exécutifs. Je vous propose qu'elle nous serve de fil conducteur et qu'elle guide nos échanges même si je suis bien conscient que certaines questions ne s'appliquent pas strictement à la situation de la Polynésie française.
L'idée est d'explorer avec vous ce qui vous semble constituer la meilleure organisation des relations entre les différents échelons de pouvoir pour répondre au mieux aux enjeux de la conduite de la destinée de votre territoire.
En matière de décentralisation, la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales vous paraît-elle adaptée à la situation de votre territoire ? Quelles compétences seraient-elles mieux exercées par la collectivité ou à l'inverse par l'État ? Nous nous intéresserons également aux aspects de démocratie locale.
S'agissant de la différenciation, qu'à l'instar de la Nouvelle-Calédonie vous ne vivez non plus seulement par rapport à l'État mais aussi en interne, pensez-vous que le cadre constitutionnel actuel soit approprié ou qu'il doive évoluer, afin de permettre une adaptation plus active des règles applicables sur votre territoire ?
Dans le domaine de la déconcentration, autrement dit dans vos relations avec les services de l'État pour celles des compétences qu'ils exercent, estimez-vous la présence de ces services adaptée aux besoins locaux ? L'organisation de ces services doit-elle être modifiée, par exemple dans le sens d'un guichet administratif unique ?
Enfin, nous évoquerons l'éventualité d'une révision constitutionnelle.
Commençons par la situation de la Polynésie française. Comment vivez-vous votre relation avec l'État ? La jugez-vous satisfaisante ou souhaiteriez-vous qu'elle évolue ?
Je tâcherai de répondre à l'ensemble de vos questions.
Il convient d'abord d'observer que le statut de la Polynésie française nous permet d'entretenir des relations de qualité et de bonne intelligence avec l'État. La première exerce ses compétences de manière autonome, sans immixtion excessive du second. Inversement, l'État assure ses missions sans que j'intervienne exagérément. Cependant, nous nous efforçons de travailler de façon commune sur certains sujets.
Je citerai l'exemple de l'éducation nationale. Jusqu'au secondaire, elle ressortit à la collectivité territoriale. L'université, l'enseignement supérieur, relèvent de l'État. Pour autant, ce dernier prend en charge l'administration des enseignants ; de notre côté, nous élaborons les programmes de l'enseignement primaire en concertation avec les services de l'État. Nos préoccupations consistent à introduire dans ces programmes scolaires l'enseignement des langues et de l'histoire locale. Nous nous investissons dans l'exercice des compétences qui nous reviennent. Notre autonomie illustre les concepts de différenciation et de décentralisation. Depuis la création de notre statut en 1984, nous avons souhaité prendre la responsabilité de notre propre destinée. Nous avons considéré que la Polynésie était parvenue à un niveau de maturité politique suffisant pour s'administrer elle-même.
Avec le recul, le constat s'avère positif. Les caractéristiques coutumières, culturelles et linguistiques de notre peuple s'expriment pleinement à travers le statut dont nous bénéficions. Les difficultés restent marginales. Notre autonomie n'est pas totale mais nous parvenons à construire notre pays tel que nous le concevons.
À l'occasion de la crise du Covid-19, nous sommes intervenus de concert avec le Haut-commissaire. Nous avons pris nos décisions en commun, avons organisé ensemble nos conférences de presse. Eu égard à l'application de l'état d'urgence, le Haut-commissaire disposait d'une compétence générale. Il ne m'en a pas moins consulté sur les modalités du confinement. J'ai pu imposer l'interdiction de la vente d'alcool, je lui ai demandé de prolonger le couvre-feu qui ménageait nos forces de sécurité et nos brigades municipales. Le Haut-commissaire a accepté ces mesures qui, pourtant, lui faisaient encourir un risque contentieux.
Si, à l'évidence, ces relations fructueuses dépendent des hommes qui les entretiennent, le statut par lui-même en autorise le développement.
Sur l'étendue de nos compétences, je dois dire que j'éprouve une gêne pour ce qui tient à nos rapports avec les pays de la zone Pacifique.
Je travaille et m'entends bien avec les Premiers ministres de Nouvelle-Zélande et d'Australie, ou avec le chef d'État chilien. J'interviens auprès d'eux, non comme représentant de la Polynésie, mais au nom de la France, participant ainsi à son rayonnement dans cette partie du monde.
Cependant, négocier une question d'ordre commercial m'impose de passer par le Quai d'Orsay. Il peut, par exemple, s'agir du câble optique en provenance de Nouvelle-Zélande qui nous permet d'assurer nos communications internationales. Obtenir du ministère des affaires étrangères un avis favorable requiert souvent un délai de plusieurs mois. Or, il ne s'agit que de négociations commerciales, non de diplomatie pure.
Si une révision de notre statut devait intervenir, je demanderais à l'État qu'il nous délègue une partie de ses compétences dans le domaine des relations extérieures. Je puis concevoir la nécessité d'une concertation avec les services de l'État, d'un contrôle a posteriori de ces mêmes services. Pour autant, il nous faut obtenir une plus large marge de manoeuvre avec nos partenaires de la zone Pacifique.
En matière de démocratie locale, je me réjouis de l'excellence de nos relations avec les communes et collectivités locales polynésiennes. À mon arrivée, j'ai fait de la démocratie locale l'un des éléments clefs de ma gouvernance. J'ai d'emblée pensé que la Polynésie ne se construirait que sur le fondement de la réunion de l'ensemble de ses collectivités. Nous ne saurions diriger ce pays à partir de Papeete et avec un budget unique. Les relations avec les maires sont indispensables.
Les communes se situent au plus proche des populations. Mieux que quiconque, les maires en connaissent les besoins et les difficultés. Avec les communes, la politique s'efface devant l'évidence d'un partenariat naturel. Je l'ai évoqué avec le Président de la République.
Entre le gouvernement polynésien et les communes, il nous faut donc parler un langage commun. Nous progressons vers cet objectif. Une évolution récente de notre statut permet désormais de partager plus qu'avant les compétences du gouvernement avec les communes. Sont notamment concernés les domaines des affaires sociales, de la jeunesse et des sports, de l'économie...
En Polynésie, pays et communes sont indiscutablement liés. Le fonds intercommunal de péréquation finance les communes à hauteur de 80 %, principalement pour leurs dépenses de fonctionnement. Il est abondé par un prélèvement sur la fiscalité locale. Les communes ne disposent pas des moyens humains nécessaires au recouvrement de l'impôt local. Le pays se charge donc de sa collecte, avant sa redistribution. Ce qui passait à l'origine pour un handicap semble désormais, avec les relations que nous entretenons depuis 2014, un avantage et une garantie.
La démocratie locale s'avère un atout. Avec l'État et le pays, la commune assure la stabilité du système. Fort de ce constat, je demeure confiant devant la crise économique qui s'annonce, à la suite de la pandémie. Ensemble, nous ferons corps pour la combattre.
Vos propos, notamment sur l'environnement régional, dénotent de nombreux points communs avec ceux que le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie m'a tenus.
J'imagine que dans certains domaines, par exemple lors de compétitions sportives, vous souhaiteriez être représentés sous votre propre nom.
Pendant la crise du Covid-19, sur les questions sanitaires, nous avons connu en Polynésie française certaines difficultés quant au partage des compétences avec les services de l'État. Des populations ont dû être mises en quarantaine et cette décision relevait du Haut-commissaire. Nous souhaitions toutefois en assurer directement le contrôle mais l'état d'urgence ayant été décrété, la compétence de principe du pays entrait en concurrence avec celle de l'État.
Comme je vous l'indiquais, nous sommes finalement parvenus à composer avec notre interlocuteur. Ouvert à nos demandes, il a accepté d'abaisser le niveau des exigences inhérentes à la quarantaine et au confinement. Nous considérons en effet indispensable de rouvrir notre territoire au tourisme, en particulier celui en provenance d'Amérique et d'Europe.
En Polynésie française, nous n'entrons généralement pas en concurrence avec les services de l'État. Dans tout ce qui relève des compétences territoriales, comme l'équipement et la santé, l'État nous a transféré la compétence. Il intervient encore en matière de contrôle de légalité, de relations avec l'extérieur, de délivrance des passeports, et auprès des communes.
La seule exception notable que je relèverai se rapporte à la direction de l'aviation civile. Nous devons en discuter avec les autorités étatiques, tant la question se révèle toujours plus sensible, voire conflictuelle.
Dans le secteur aéronautique, l'État conserve ses prérogatives. Elles contredisent parfois les intérêts de nos territoires. Nous suivons avec attention votre action dans ce domaine.
En Polynésie française, l'accès aux frontières et l'accès au marché du travail pour les étrangers relève-t-il d'une compétence du pays ou de l'État ?
L'accès aux frontières constitue une compétence de l'État. En revanche, l'accès au travail entre dans le champ des compétences du pays. À mon sens, nous devrions maîtriser ces deux aspects. Soucieux de l'avenir de nos enfants, il me semble que nous sommes plus stricts que les représentants de l'État, Haut-commissaire et fonctionnaires, dont la présence parmi nous n'est que temporaire. Nous nous retrouvons dans une situation où les règles nous échappant, nous ne pouvons pas maîtriser les entrées sur notre territoire.
Cette problématique existe aussi pour Saint-Barthélemy.
Je reviens à la situation de la Polynésie française dans la région du Pacifique. Lorsque la délégation aux outre-mer s'est déplacée dans cette région, nous avons ressenti le besoin d'une présence française plus significative, notamment pour contrebalancer la puissance chinoise ou américaine. Quelle est actuellement votre attente à l'égard de l'Union européenne, pour la défense de la zone économique exclusive (ZEE) française du Pacifique ? J'évoque l'Union européenne, tant je m'inquiète des répercussions de son positionnement sur la politique internationale de la France dans cette zone...
Je m'en suis ouvert au Président de la République. De part et d'autre, à l'est et à l'ouest, la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie offrent à la France deux porte-avions à l'entrée de l'océan Pacifique. Nous y occupons des situations stratégiques.
Nous n'ignorons pas les difficultés présentes de l'État. Elles ne doivent cependant lui faire oublier les moyens qu'il peut déployer à partir de nos territoires, ni le fait qu'il peut compter sur eux pour développer sa diplomatie dans la région.
Jusqu'en 1995-1996, avec la conduite des essais nucléaires, la France était honnie des autres États dans le Pacifique. Depuis lors, nous n'avons pas ménagé nos efforts afin de relancer les échanges avec eux. Je partage avec vous l'idée que nombre de ces États aspirent à une plus forte présence de la France.
Une observation attentive montre que les câbles de communication passent invariablement, dans le Pacifique, par des territoires américains, les îles Midway et Pearl Harbour. Ce constat explique que des États d'Amérique du Sud, le Japon, ainsi que la Chine, souhaitent emprunter d'autres voies. Les territoires de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française pourraient les leur apporter. Utilisons mieux les potentialités dont nos situations géographiques respectives sont porteuses !
Nous octroyer plus de latitude pour négocier avec les puissances extérieures participerait de cet effort. Représenter conjointement notre pays et la France dans le Pacifique est pour nous une fierté. Cependant, il nous faut disposer des moyens humains indispensables à ce travail. Des hommes formés à la diplomatie nous font encore défaut. La Nouvelle-Calédonie a quant à elle bénéficié du programme « 400 cadres ». La France doit accompagner nos collectivités, afin qu'elles deviennent ses antennes dans le Pacifique.
Dans les Antilles, un projet de câble sous-marin entre l'Amérique du Sud et Porto Rico, via la Martinique, a montré les faiblesses de nos collectivités devant les entreprises multinationales. Celles-ci maîtrisent les prix, qu'elles imposent, ainsi sans doute que les communications dont elles assurent le déploiement. En dépit de la distance qui nous sépare avec le Pacifique, nous avons des problématiques communes.
Quant aux moyens humains, je partage également votre analyse. Pour notre part, nous nous battons depuis plusieurs années afin que l'outre-mer intègre les parcours d'excellence des hauts fonctionnaires dans le but de développer une véritablement culture des outre-mer qui se diffusera au sein de l'administration. Trop souvent, de hauts fonctionnaires ont à traiter des dossiers qui nous intéressent sans connaissance préalable de nos traditions, cultures, institutions et droit locaux. La France ne se résume pas au territoire métropolitain.
En période de crise, en cas de catastrophe naturelle survenant dans le Pacifique, tel un cyclone, nous engageons l'accord « FRANZ » qui prévaut entre la France, la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Malheureusement, en pratique, ce sont toujours ces deux derniers pays qui interviennent. Je m'étonne et m'attriste que la France ne soit pas davantage présente dans de pareils cas.
Dans les réflexions qui ont cours à Paris, il est question d'une révision constitutionnelle. Les parlementaires ultramarins ont d'ores et déjà émis des propositions. Les outre-mer sont actuellement régis par les articles 73 et 74 de la Constitution. La Nouvelle-Calédonie bénéficie quant à elle d'un chapitre propre.
Quel est votre sentiment quant à une éventuelle révision de la Constitution ? Sa rédaction actuelle s'agissant des outre-mer vous paraît-elle satisfaisante ? L'idée de regrouper l'ensemble des outre-mer sous une catégorie et une appellation uniques, qui pourrait être celle de « collectivités d'outre-mer », vous semble-t-elle opportune ?
Je comprends le souhait d'un regroupement. Il renforcerait la réalité des outre-mer au sein de la République. Néanmoins, nous ne relevons pas tous du même statut. Certains possèdent la qualité de département. Nous sommes pour notre part une collectivité.
Il m'importe de protéger le statut d'autonomie de mon territoire. Je craindrai de le perdre à l'occasion de la rédaction d'un nouvel article constitutionnel, commun à l'ensemble des territoires d'outre-mer. Au contraire, notre statut actuel me paraît correspondre à l'avenir des outre-mer, chacun souhaitant bâtir son propre pays.
À mon sens, jouir de l'autonomie ne signifie nullement que nous nous désolidarisons de l'ensemble national. Au moment de la crise sanitaire, les outre-mer ont pu bénéficier du dispositif de chômage partiel, à l'exception de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie. Nous avons été contraints de le financer nous-mêmes. Pourquoi la solidarité nationale ne s'est-elle donc pas étendue à ces deux territoires ? Nous n'avons pas demandé à nous écarter de la Nation. La solidarité doit demeurer ce qui nous rattache à elle, par l'intermédiaire de l'État.
Notre choix de l'autonomie assume le constat de notre impossibilité à vivre dans l'indépendance. Nous avons besoin de la Nation française à nos côtés. La solidarité y lie les hommes entre eux. La solidarité doit constituer un trait d'union entre la métropole et nos territoires d'outre-mer.
Depuis près d'un an, avec le ministère en charge de la santé, je négocie une convention santé et solidarités. En dépit d'un enjeu financier qui ne dépasse pas 10 millions d'euros, soit 1 milliard de francs Pacifique, je déplore le peu d'avancées que nous enregistrons. Elles intéressent pourtant les plus démunis.
Pendant la crise du Covid-19, à maints égards, nous n'avons pu compter sur la solidarité de l'État. Il nous a par exemple fallu assurer notre propre approvisionnement en masques de protection auprès de fournisseurs étrangers. Fort heureusement, nous avons pu constituer une trésorerie de précaution depuis trois ans. Elle nous a permis de répondre avec célérité à la situation d'urgence, mais non sans difficulté et subir de sérieuses contraintes.
Je l'ai indiqué au Haut-commissaire. Comment organiser notre relance économique ? Du seul fait de l'arrêt du tourisme, nous constatons une baisse de près de 20 points de notre PIB. Il nous faut réagir. Aucune réponse, aucun signe ne nous parvient, aucun moyen ne nous est alloué.
Quels liens la Polynésie entretient-elle avec les grandes institutions financières publiques que sont la Banque publique d'investissement (Bpifrance), l'Agence française de développement (AFD) et la Caisse des dépôts et Consignations (CDC) ?
L'AFD est présente sur notre territoire. Elle y possède une antenne locale. Ses décisions dépendent néanmoins du ministère de l'économie et des finances, à Paris.
La question nous a été posée de savoir quels besoins nous exprimions au terme de la crise sanitaire. Nous les avons fait connaître. J'ai précisé au Président de la République que je tenais à la disposition des experts de l'État l'ensemble des pièces justificatives.
Après quinze jours, l'AFD ne nous a toujours pas répondu.
Si elle participe au financement de nos investissements, Bpifrance ne revêt pas dans notre territoire la même importance que l'AFD.
Nous constatons que les banques se montrent réticentes à l'égard des entreprises d'outre-mer. En conséquence, nous avons obtenu d'inscrire dans la loi que lorsqu'elles expriment leur refus, Bpifrance doit, au nom de l'État, apporter sa garantie à 100 %. Après m'être entretenu avec M. Thierry Santa, président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, avec M. Rodolphe Alexandre, président de l'assemblée de Guyane, et en vous entendant, cher Édouard Fritch, ainsi qu'à l'aune de ma propre expérience à Saint-Barthélemy, je constate que ceux qui ont expérimenté l'autonomie n'entendent pas y renoncer.
L'autonomie ne signifie pas l'indépendance, nous sommes fiers de notre appartenance à la France, mais elle constitue un indéniable progrès du point de vue du rapprochement de la décision du territoire en vue de son adéquation. Pour autant, des points de blocage persistent.
Notre collègue, M. Jean-Paul Virapoullé, avec lequel j'échangerai prochainement, a voulu consacrer dans la Constitution le caractère départemental du statut de l'île de La Réunion. En Polynésie française, vous détenez la plupart des compétences. Dans leur exercice, arrive-t-il que vous consultiez l'ensemble des Polynésiens, malgré l'étendue de votre territoire ? Que pensez-vous de la démocratie participative locale, à savoir la consultation de la population sur les décisions majeures qui la concernent ?
Nous disposons de la possibilité d'organiser des référendums. Notre statut le prévoit. À ce jour, nous n'en avons pas éprouvé la nécessité. Peut-être ce constat tient-il à nos institutions elles-mêmes. L'assemblée de Polynésie, en particulier, représente nos cinq archipels, sans exception. Ils y sont représentés en nombre et s'y expriment sans réserve.
D'autre part, le gouvernement local rencontre régulièrement les maires. Par exemple, lorsque le syndicat pour la promotion des communes tient ses congrès ou des réunions, le gouvernement y participe. L'échange est permanent. Le gouvernement prend en compte les problématiques que les communes soulèvent. Elles expriment l'avis des populations.
À titre d'illustration, nous projetions à Tahiti la construction d'une route entre le nord et le sud de l'île. Une de nos communes manifestait son désaccord. J'ai pris la décision de ne pas poursuivre le projet. Je l'ai suspendu, dans l'attente des résultats des élections communales.
J'évoquais la consultation populaire car je pense profondément que présenter à l'État une demande d'évolution du statut qui a reçu l'assentiment de la population, témoignant de sa volonté, pèse davantage.
Dans leur recherche du juste équilibre avec l'État, les autres collectivités d'outre-mer mettent en avant la structure de leur relation vis-à-vis de l'Union européenne. En Polynésie, votre statut, comparable à celui de Saint-Barthélemy, est celui de pays et territoire d'outre-mer (PTOM). Cette relation à l'Union européenne vous convient-elle ?
Je pense que nous ne bénéficions pas suffisamment de notre appartenance à l'Union européenne. Depuis le retrait du Royaume-Uni, ou « Brexit », les territoires français demeurent les seuls représentants de l'Union européenne dans l'océan Pacifique.
Il me semble souhaitable de supprimer entre notre collectivité et l'Union le filtre du ministère des outre-mer. Pourquoi ne pourrions-nous pas entretenir une relation directe avec les institutions bruxelloises et défendre nous-mêmes nos dossiers auprès d'elles ?
Nous allons précisément produire un rapport sur les relations entre les outre-mer et l'Union européenne. Je regrette aussi l'insuffisante représentation des outre-mer à Bruxelles. Ses dossiers y sont adressés à la représentation permanente française, laquelle dépend du Premier ministre.
S'agissant de la répartition des fonds, l'Union européenne s'oriente vers une pratique qui tend désormais à davantage contrôler, évaluer et sanctionner l'emploi des enveloppes budgétaires qu'elle alloue et que les États répartissent entre leurs territoires. Pour l'heure, nous remarquons, au détriment des premiers, des écarts significatifs entre les montants que les PTOM et les États indépendants d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) perçoivent de l'Union européenne.
Ce seul sujet mériterait d'autres développements. Nous aurons l'occasion de l'aborder de nouveau ensemble.
Je terminerai ici par deux points.
En premier lieu, si vous pouvez, monsieur le Président, représenter une force de proposition, il importe qu'au ministère des outre-mer ou qu'au ministère de l'intérieur se constitue une équipe permanente avec laquelle travailler, indépendamment des changements de gouvernement. Il lui incomberait de porter et de suivre la mise en oeuvre dans la durée les voeux des élus et des populations d'outre-mer. Nous avons connu ce type d'organisation entre les années 1960 et 1980. Nos interlocuteurs d'alors entretenaient la mémoire des outre-mer. Personne ne les a remplacés et nous avons perdu une forme précieuse de continuité. Sans cesse, il nous faut rebâtir nos relations, retisser les liens. La France ne doit pas improviser avec ses outre-mer. Elle leur doit de voir son drapeau flotter sur tous les océans.
En second lieu, je reviens sur la modification constitutionnelle que nous avons évoquée. Un problème majeur persiste avec l'État. Je m'en suis ouvert auprès de l'actuel Président de la République, de même qu'auprès de son prédécesseur. Ce problème a trait aux essais nucléaires. L'État a en effet pris des engagements qu'il n'honore pas. Son image s'en trouve dégradée. Avec d'autres élus, dont la sénatrice Lana Tetuanui, nous avons pris l'initiative de demander l'inscription dans la loi de la dette nucléaire de l'État. Le projet de supprimer la commission mise en place, ainsi que l'introduction récente d'un amendement à ce sujet dans le projet de loi de finances, nous ont particulièrement contrariés.
Sur ce dernier point, l'intervention d'une commission mixte paritaire a rétabli la situation. En définitive, la loi retenue répond, je pense, à vos attentes.
Je vous le confirme. Nous n'en dénonçons pas moins la manière. Un sujet à nos yeux capital ne saurait être ainsi remis sans cesse en cause.
Monsieur le président, j'ai pris beaucoup de plaisir à échanger avec vous. De vos propos, je conclus que la Polynésie française se satisfait globalement de son statut actuel, en sachant qu'il demeure évolutif. La Polynésie attend de l'État qu'il entende sa voix exprimée notamment par ses parlementaires sur certains sujets.
Je rendrai prochainement compte de nos échanges au groupe de travail du Sénat sur la décentralisation, présidé par le Président du Sénat, Gérard Larcher. Ce sera le 17 juin en réunion plénière du groupe de travail. Je m'appliquerai au mieux à y être le porte-voix des outre-mer, à formuler des propositions qui contribuent à la prise en compte de chacun de ses territoires, dans leurs attentes et volontés. Notre aspiration demeure celle des relations clarifiées avec l'État. En ce sens, il me semble que nous enregistrons des progrès ces dernières années. À nous de les accentuer.
Nous vous remercions, monsieur le président, de l'écoute que vous nous accordez, spécialement au sortir de la crise de la covid-19. Le président Édouard Fritch a parfaitement résumé la situation actuelle de la Polynésie française, à l'aune de son statut et du partage des compétences avec l'État.
Il me presse de rejoindre Paris, tant il importe d'obtenir du ministère des finances une meilleure compréhension à notre égard.
Je tiens également, Monsieur le président, à vous adresser mes remerciements. Je connais l'importance des rapports que les parlementaires de la Délégation sénatoriale aux outre-mer rédigent. Ils peuvent se révéler cruciaux quant aux décisions à venir du gouvernement central.