Dès le début, le conseil scientifique a fait le constat qu'il n'y avait pas de masques et que les masques disponibles devaient être utilisés en priorité par les soignants, qui encourraient le risque le plus important. Nos propositions ont donc tenu compte de la réalité de notre capacité à avoir les masques, et nous l'avons dit. Permettez-moi de rappeler que nous ne jouions aucun rôle opérationnel dans la commande de masques. Personnellement, je pense que nous aurions dû faire plus largement appel à certaines structures privées ou à de grandes ONG dont les capacités opérationnelles auraient pu être mieux utilisées. Par ailleurs, vous avez vu qu'il y avait eu une évolution, y compris scientifique, sur l'intérêt du port du masque. Nous avons réussi, avec d'autres comités internationaux - et notamment l'OMS dont la position a évolué -, à construire une doctrine dans laquelle le masque constitue un outil additionnel pour se protéger et protéger les autres. L'évolution de nos avis a donc tenu compte de la réalité du nombre de masques et de ce que l'on attendait du port de ce masque.
Il faut peut-être attendre encore un tout petit peu avant de faire des comparaisons internationales. Les Italiens ont bien géré la crise : ils ont été en première ligne, mais aujourd'hui le niveau de circulation virale y est beaucoup plus faible que chez nous. La Grande-Bretagne a eu la chance que son Premier ministre ait été atteint, car il était initialement sur la même ligne que le président américain, mais il s'est fait très peur et a ensuite effectué un revirement de position. La situation britannique illustre parfaitement les conséquences d'un retard de 8 ou 10 jours dans la prise de décision concernant une épidémie qui évolue exponentiellement. Il est plus difficile de se prononcer sur l'Espagne, car les éléments de comparaison ne sont pas encore stabilisés.
La France ne va pas s'en sortir si mal, probablement parce que son système de soins hospitaliers est assez extraordinaire lorsqu'il est confronté à l'urgence. Nous étions déjà dans une crise hospitalière lourde en raison des contraintes budgétaires qui pèsent sur l'hôpital depuis longtemps. Mais ce qui a été réalisé de façon extraordinaire en mars et avril ne pourra pas forcément être réédité, car on observe une fatigue générale, une lassitude et des difficultés de recrutement : c'est pour cela que nous devons aujourd'hui prévenir et éviter de nous retrouver dans le même type de situation.
Nous sommes en contact avec les autres pays européens, mais les décisions ne sont pas harmonisées. C'est une forme de faillite de l'Europe. C'était compréhensible au début de la crise, cela l'est moins aujourd'hui face à la reprise de l'épidémie.
L'immunité de population de 25 % que j'avais évoquée était une pure hypothèse de ma part, mais cette hypothèse a été très vite détruite par les chiffres qui font apparaître une immunité de l'ordre de 5 à 10 %.
Notre conseil doit-il être dissous le 30 octobre ? La décision est entre vos mains. Nous avions souhaité disparaître le 12 juillet. Nous discutons de la poursuite de notre mission : elle nous prend beaucoup de temps et nous subissons une très lourde pression. Mais en l'absence de conseil scientifique, qui conseille ? Un conseil scientifique renouvelé ?
Le nombre de lits de réanimation a très fortement augmenté à compter du mois de mars - avec des différences selon les régions - et a diminué ensuite - notamment avec le départ des personnels qui étaient venus en renfort. Le problème ne réside pas tant dans les questions de matériel que dans celles de personnel. Nous avons aujourd'hui plus de lits de réanimation qu'au 1er février : c'est ainsi qu'à Marseille le nombre de lits de réanimation a pu augmenter dès la fin de la semaine dernière. Cette capacité d'augmentation des lits demeure, mais pour quel type de patients ? Nous ne pourrons pas consacrer à nouveau 90 % de ces lits de réanimation aux seuls patients « covid+ ». Nous devons donc limiter au maximum l'arrivée des patients en réanimation, afin d'éviter de nous trouver dans situation éthique extrêmement délicate.
Le conseil scientifique est une structure légère. Dans nos relations avec la presse, nous avons été accompagnés par une chargée de communication. Peut-être à tort - certains membres du conseil scientifique étaient partisans d'une organisation beaucoup plus professionnelle. Nous avons décidé de communiquer essentiellement à l'occasion de nos avis et de ne pas commenter les décisions gouvernementales. Mais, de temps en temps, on se fait piéger et j'en suis un bon exemple récent quand j'ai parlé de mesures difficiles : j'entendais difficiles à élaborer. Nous avons en outre décidé de ne pas être présents sur les réseaux sociaux, car je considérais que cela n'était pas le rôle du conseil scientifique. Je ne le regrette pas.