Professeur Chauvin, quels ont été vos avis ou recommandations sur la nature du pilotage de la crise ? Certes, on s'attendait à ce que la vague soit nationale et traverse le pays d'est en ouest, mais n'aurait-il pas fallu un pilotage plus territorialisé ?
Quelles ont été vos recommandations concernant la priorisation des soins, qui a provoqué une discontinuité dans la prise en charge de certaines pathologies ? Nous avons reçu des associations de patients : il semblerait que les reports de prise en charge des malades du cancer et des insuffisants rénaux aient provoqué des pertes de chance pour l'ensemble de ces malades, variables selon la territorialisation de l'organisation des soins. Avez-vous également des préconisations particulières à ce sujet ? Pourquoi les malades de la covid-19 paraissaient-ils prioritaires par rapport aux autres ?
Enfin, quelles ont été vos recommandations concernant les personnes accueillies dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ?
Pr Franck Chauvin. - Comme je l'ai indiqué, Jean-François Delfraissy m'a demandé d'intégrer le conseil scientifique le 15 mars dernier. Considérant la masse considérable de travail qu'avait le Haut Conseil de la santé publique, notamment les nombreuses saisines relatives aux problèmes de thérapeutique ou d'hygiène à l'école, Jean-François Delfraissy et moi-même avons réparti les rôles de façon - me semble-t-il - assez harmonieuse, en laissant au conseil scientifique les recommandations sur la stratégie et le pilotage, et au Haut Conseil les réponses aux saisines qui lui parvenaient dans le cadre de la crise sur des recommandations plus opérationnelles.
Toutes les recommandations sur le pilotage ont donc été émises par le conseil scientifique et non par le HCSP. En tout cas, je partage votre souci d'un pilotage territorial de la crise. Le conseil scientifique l'a d'ailleurs dit à plusieurs reprises.
Concernant la continuité des soins, le Haut Conseil a dès le mois de février été saisi de la question de la prise en charge des patients. Très tôt, la question de la priorisation a été posée. Avec les données dont nous disposions à l'époque, sachant que nous avions une très faible connaissance du virus, les seules données sur les facteurs de risques provenant de Chine, le Haut Conseil de la santé publique a identifié les personnes à hauts risques afin qu'elles soient prises en charge prioritairement.
Il a semblé aux experts du HCSP que les personnes que vous évoquiez - malades du cancer notamment - étaient particulièrement vulnérables. Je pense notamment à une recommandation du Haut Conseil, élaborée avec les sociétés savantes et les cancérologues, qui estimait qu'il pourrait être dangereux pour certains patients de fréquenter des zones de forte circulation du virus. Ces patients, souvent immunodéprimés, sont particulièrement vulnérables. Durant une certaine période, ces personnes ont effectivement été prises en charge soit à domicile, soit en téléconsultation. En très peu de temps, on a ainsi assisté à une véritable mutation des pratiques, avec beaucoup de téléconsultations qui ont permis d'assurer la continuité des soins de ces malades.
Ensuite, dès que la charge de travail s'est quelque peu apaisée dans les hôpitaux, les patients chroniques - vulnérables au vu des données épidémiologiques que nous avions - ont repris le chemin des hôpitaux, notamment en cancérologie. Des zones « covid free » ont été identifiées, afin que ces patients puissent être pris en charge.