Nous sommes dans le vif du sujet !
Pr Franck Chauvin. - Il faut en effet se garder de la tentation de réécrire l'histoire à la lumière des connaissances que nous avons aujourd'hui. Notre première saisine concernant cette épidémie date du 25 janvier ; on ne peut pas dire que le temps de réaction ait été faible. La deuxième est venue le 3 février, puis huit autres saisines courant février. J'ai recréé le groupe coronavirus en février avec une trentaine d'experts pour y répondre.
Vous parliez du pilotage. Pour moi, il est très clair : il y avait une cellule de crise, avec un directeur, Jérôme Salomon, qui a la possibilité de saisir des instances d'expertise. Mais les experts ne font pas du pilotage - pas plus la Conférence nationale de santé que le Haut Conseil de la santé publique, la Haute Autorité de Santé ou le conseil scientifique. J'insiste : les instances de conseil ne sont pas des instances de pilotage ! Je crois à l'expertise scientifique, multidisciplinaire, par recherche de consensus d'experts qui échangent sur les bases des données scientifiques, comme ce qui se pratique dans la plupart des pays. Il peut y avoir des figures emblématiques qui incarnent quelque chose à un moment donné, mais cela ne fait pas l'expertise scientifique, et certainement pas le pilotage.
Mon expérience, c'est celle d'un directeur de crise qui nous saisit en urgence, pour un avis en 24 ou 48 heures. Mon expérience, c'est celle des deux pilotes qui réunissent leur groupe de travail jour et nuit pour fournir les expertises qui aboutiront à un décret, pris après avis du Haut Conseil de la santé publique. Notre rôle est d'édicter la doctrine sanitaire. Didier Lepelletier est ainsi à l'origine de toute la doctrine de sortie de confinement élaborée avec le groupe de Jean Castex.
Mon expérience, c'est celle d'une communication extrêmement fluide entre les instances de conseil et les instances de décision. Je n'ai nullement eu l'impression d'une multiplication d'instances de décision.
Y a-t-il eu un changement de doctrine ? Reprenez les avis des instances de conseil, vous constaterez une persistance dans la doctrine. Certes, on insiste tantôt sur le lavage des mains, tantôt sur la distanciation ou le masque, mais ce sont toujours les sept mêmes mesures qui sont prônées. Le contrôle de l'épidémie passe par la mobilisation de ces mesures simultanément. Je n'ai pas du tout cette impression de fluctuations.
Les connaissances ont évolué. Le Haut Conseil a rendu en 2011 un avis sur le masque en cas de pandémie ; à la lumière de ce que nous savons maintenant, je ne vois pas ce que l'on pouvait rajouter à l'époque. La stratégie globale, en termes de doctrine sanitaire, a été relativement stable. En revanche, il y a eu des incertitudes, des questionnements, notamment sur la question de l'aérosolisation. Personne n'avait la réponse. Le Haut Conseil compte des spécialistes de l'environnement, de la climatisation, de la ventilation ; le débat a été intense et constructif avant d'aboutir à un avis, mais la question de la part de transmission par aérosols n'est toujours pas tranchée.
Je n'ai pas du tout une impression de flottement dans le pilotage national ; en revanche, je n'ai pas de visibilité sur le pilotage territorial.
Une crise sanitaire n'est pas qu'une crise sanitaire. C'est une crise de la logistique, de la production, de la mise à disposition de médicaments, une crise sociale ; il faut repérer les travailleurs indispensables. Cela exige une coordination, et nécessite la mise en place d'un centre de crise traitant de l'ensemble des politiques.
Donc il ne faut surtout rien changer ?