Sur la question du port du masque en milieu scolaire, les établissements recevant du public (ERP) ont effectivement été destinataires de plusieurs circulaires et, parmi eux, l'école a reçu des consignes différentes en fonction des classes d'âge. Très tôt, pour préparer au mieux la sortie du confinement du 11 mai, le Haut Conseil de la santé publique a remis au ministre de la santé un rapport conséquent sur le sujet. Il paraît indispensable que l'enfant ait la capacité de porter le masque ; en laisser la discrétion au professeur nous exposait excessivement aux ruptures d'égalité et aux éventuelles contestations, ce qui nous a menés à proposer dans un premier temps une barrière d'âge à 12 ans. Face à l'appréhension suscitée par la réapparition des clusters, nous avons ensuite été interrogés sur la possibilité d'abaisser cette barrière. Bien qu'on ne sache pas encore exactement l'impact du port du masque sur le développement d'un enfant, les pédiatres s'accordent pour constater une assez bonne adaptation de l'enfant. Le port du masque par de très jeunes enfants, au-dessus de 6 ans, ne semble donc pas poser de problème, à condition qu'on prévoie les dérogations nécessaires pour ceux présentant des problèmes particuliers de comportement.
Se pose également la question de la détection. Il me paraît important d'axer la surveillance et d'éventuellement tester les seuls cas symptomatiques, et de privilégier les réponses ciblées aux mesures générales de fermeture d'établissement. Ces mesures ne sont bien entendu applicables qu'à la condition d'être très attentif au moment des diagnostics différenciés et de ne négliger aucun cas symptomatique.
Pr Franck Chauvin. - Vous me demandez de préciser le terme employé de « polémique spectacle ». Il nous a en effet fallu réagir à des propos scientifiques d'individus isolés, alors que ce n'est pas du tout la mission d'un organisme sanitaire indépendant. Dans ce contexte-là, la communication nous semblait plus délétère que bénéfique et nous nous sommes donc astreints à la discrétion.
Je nous pense d'ailleurs confrontés à un phénomène d'une ampleur nouvelle : le populisme scientifique. Les opinions doivent désormais être démontrées par les faits, alors que la démarche scientifique commanderait précisément l'inverse. Nous rencontrons ainsi le même problème qu'a connu le monde politique il y a quelque temps. Nous l'avions déjà expérimenté en 2009, sans toutefois y prêter une attention suffisante.
Encore aujourd'hui, des personnes ayant prédit qu'il n'y aurait pas de seconde vague continuent d'être invitées sur les plateaux de télévision. On confond volontiers les tribunes et professions de foi avec les avis donnés par des instances de conseil scientifique, délivrés par des membres respectant les règles déontologiques proscrivant tout lien d'intérêt. Le public s'est ainsi laissé prendre au jeu fallacieux des syllogismes en tout genre.
À mon sens, la faible culture de la France en santé publique est en partie la cause de ces récupérations. Nous souffrons en la matière d'une véritable carence. Une politique de santé entièrement fondée sur le soin curatif - qui mobilise 93 % des dépenses de santé pour seulement 25 % des besoins de santé de la population - nous fait passer à côté d'un pan fondamental de l'accompagnement thérapeutique. L'exemple déjà évoqué de la Suède nous montre tout l'intérêt et l'urgence d'une inflexion plus prononcée vers la santé publique.
Sur les liens entre agences et décideurs politiques, je vous répondrai en deux temps. Je ne crois pas déceler de problème particulier au niveau central. Durant cette crise, le HCSP a beaucoup contribué et les liens entretenus avec la DGS, à qui seule revenait la décision politique, ont été fréquents. Il convient d'ailleurs de bien séparer les instances d'expertise indépendante - HAS et HCSP - des agences qui sont directement placées auprès du ministère et qui ont un rôle surtout opérationnel - Santé publique France. Les premiers sont chargés de fournir un conseil, la seconde a une mission d'exécution.
Plus que d'une pluralité d'acteurs au niveau central, le problème me semble venir d'une absence d'acteurs au niveau territorial. Les services de santé publique locaux, lorsqu'ils existent, sont loin des centres décisionnaires. J'observe une véritable carence d'effecteurs de santé publique sur le terrain. Les communes ont été très peu associées dans la première vague. Outre les difficultés très pratiques que ce manque engendre, notamment en matière de dépistage, il occulte un élément plus grave et moins connu des crises sanitaires : l'importance des inégalités sociales en santé. Sans santé publique de territoire, nous découvrons trop tardivement, et presque par hasard, l'extrême vulnérabilité des personnes défavorisées face aux crises sanitaires. Les seules données collectées au niveau central, concentrées sur les chiffres de la mortalité, ont sans peine mis en lumière la vulnérabilité particulière des personnes âgées, mais pas celle des personnes pauvres. Nous n'avons été sensibilisés au phénomène que parce que les Britanniques, puis les Américains, s'y sont penchés.