Intervention de Marisol Touraine

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 17 septembre 2020 à 9h30
Audition de Mme Marisol Touraine ancienne ministre de la santé

Marisol Touraine, ancienne ministre de la santé :

Mon propos liminaire sera bref car l'essentiel de mon audition consistera, je crois, en nos échanges ultérieurs, afin que je puisse vous apporter les précisions que vous me demanderez sur tel ou tel point.

J'ai été ministre de la santé de 2012 à 2017. Au cours de cette période, même si nous n'avons pas connu de crise sanitaire aussi intense que celle que nous connaissons aujourd'hui - crise tout à fait exceptionnelle en raison de son caractère mondial et durable -, j'ai été amenée à traiter d'un certain nombre de situations : un coronavirus - le MERS-CoV, en 2013, beaucoup moins agressif que celui de la covid-19 -, la crise d'Ebola, qui a été particulièrement intense et qui m'a amenée à traiter de la question des stocks stratégiques, et des crises touchant les territoires ultramarins, dont les répercussions commencent à arriver en métropole : Zika, la dengue et le chikungunya. Par ailleurs, les attentats terroristes de 2015 et de 2016 ont également sollicité, bien que de manière différente, les services hospitaliers et le ministère ; ils ont posé la question de la réaction d'urgence et ont conduit à compléter la composition des stocks stratégiques.

La sécurité sanitaire a été pour moi une priorité constante depuis le premier jour de mes fonctions. Par-delà les crises d'ampleur, un ministre de la santé est confronté de manière quasi hebdomadaire à des situations de crise liées à des produits sanitaires ou à des procédures en cours - je pense par exemple à des essais cliniques - ; ce ministère est donc devenu un ministère de crise, qui doit gérer des urgences et des crises de diverses natures et qui doit mettre en place des protocoles, variables selon les situations, de prise en charge d'urgence de personnes, de situations et d'organisations.

Quand je suis arrivée au ministère, j'ai indiqué que la sécurité sanitaire serait l'une de mes priorités - pas la seule, évidemment - puisque j'avais été affectée par la crise de la grippe H1N1. À l'occasion de cette crise, la question de la nature et des modalités d'approvisionnement des stocks à détenir avait été posée ; j'ai donc soulevé, dès 2012, le sujet de la procédure d'acquisition, non des masques, qui ne posaient pas de difficulté particulière à ce moment-là, mais des vaccins antigrippaux.

Ainsi, la question des stocks stratégiques a été présente à mon esprit dès le départ et elle l'est restée tout au long du mandat. Je l'ai examinée périodiquement à l'occasion de crises ou d'interrogations stratégiques, quant à la manière d'envisager la réponse à apporter à certaines situations, comme l'épidémie de variole, sujet majeur de 2012 à 2017.

Quand je me suis trouvée confrontée aux enjeux de sécurité sanitaire et, au-delà, de santé publique - il me semble en effet important de resituer la question de la sécurité sanitaire dans le cadre plus général de l'approche de santé publique -, il m'est apparu que l'une des faiblesses du système français résidait dans l'éparpillement des agences chargées de questions de santé publique. C'était particulièrement frappant quand on procédait à des comparaisons internationales ; la France n'a pas une histoire, une culture, une tradition de santé publique, contrairement à certains autres pays et cette culture doit être rattrapée.

J'ai consacré beaucoup d'énergie et d'engagement, y compris devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour réorganiser notre système d'agences sanitaires - je vous remercie d'ailleurs de votre soutien sur cette démarche, puisque ma réponse à l'éparpillement des agences a résidé dans la création de créer Santé publique France, adoptée à l'unanimité des deux chambres - et pour lancer des actions de santé publique et de prévention par rapport au tabac, à l'alimentation ou à d'autres sujets.

Il faut l'avoir à l'esprit, la sécurité sanitaire s'inscrit dans une démarche globale de santé publique, dans une démarche populationnelle ; c'est le troisième point sur lequel je veux insister pour conclure mon propos. Ainsi, la question des doctrines est évidemment un enjeu majeur. Le ministre doit solliciter des organismes compétents - Haut Conseil de la santé publique (HCSP), sociétés savantes et structures internationales, comme l'Organisation mondiale de la santé (OMS) - pour définir le cadre de déploiement, de mise en oeuvre opérationnelle, d'une action ou d'une politique.

La création de Santé publique France visait précisément à rassembler dans une même structure l'expertise scientifique, l'analyse de la recherche médicale et scientifique, la mise en place de messages de santé publique et de prévention et la déclinaison opérationnelle des politiques. La question de la doctrine en matière de santé publique est donc importante ; elle relève d'organismes dont la compétence scientifique est reconnue. Cela ne signifie pas que cette doctrine ne peut pas être remise en cause par les responsables politiques - c'est même leur responsabilité et leur rôle -, mais l'analyse et la proposition initiale doivent procéder des organismes compétents.

La doctrine est un sujet de réflexion pour vous, je le sais. En matière de masques, elle a été fixée en 2011, mais la réflexion date de 2010 ; c'est très clair dans les documents qui existent. Elle se poursuit jusqu'à aujourd'hui, puisque l'avis du Haut Conseil de la santé publique de mars 2020 ne remet pas en question la doctrine d'utilisation des masques. Cela dit, la question des masques n'est, pour moi, qu'un élément parmi d'autres ; je voulais surtout indiquer le cadre général dans lequel j'ai inscrit mon action, dans lequel j'ai traité de questions importantes de sécurité sanitaire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion