Intervention de Marisol Touraine

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 17 septembre 2020 à 9h30
Audition de Mme Marisol Touraine ancienne ministre de la santé

Marisol Touraine, ancienne ministre de la santé :

J'entends votre observation sur le caractère méconnu de Santé publique France pour certains observateurs ou acteurs. Je ne sais pas si ceux-ci avaient une meilleure connaissance des organismes antérieurs, mais l'installation des structures, des institutions, prend forcément un certain temps. Cinq ans, c'est peu, d'autant que l'agence a été préfigurée en 2015 mais qu'elle a été mise en place en 2016 et que ses premiers mois ont été consacrés à réunir, à rassembler, à organiser. Ainsi, au fond, cette agence a 3 ans de vie active ; elle est donc jeune et il faudra du temps.

Si l'on identifie, à l'occasion de cette crise, des manques, il faudra y répondre et étudier la façon de mieux installer Santé publique France dans le paysage, mais ma conviction demeure : Santé publique France est nécessaire. Son fonctionnement peut-il être amélioré ? Peut-être. Son identification par les partenaires peut-elle être renforcée ? Peut-être. Toutefois, a-t-on besoin, en France, d'une telle structure ? Clairement, oui.

Je le précise, sa création n'a pas été décidée sur un coup de tête. En 2013, j'ai demandé une étude comportant une comparaison internationale à Benoît Vallet, directeur général de la santé, et Françoise Weber, directrice générale de l'InVS ; ces deux personnes n'avaient pas de parti pris, puisque l'un était directeur général d'administration et que l'autre dirigeait une structure qui a été ensuite absorbée par Santé publique France.

Or il est apparu que la France était le seul pays de l'OCDE n'ayant pas de structure de cette nature. L'absence de cette structure exprimait bien sûr quelque chose : que la santé publique n'était pas l'approche privilégiée par la France. Nous sommes un très grand pays de médecine ; la culture médicale française, la culture du soin, est l'une des plus performantes et des plus remarquables au monde, parce qu'elle s'inscrit dans une histoire de plusieurs siècles ; la culture de la clinique a tout de même été inventée dans notre pays.

La culture de la santé publique a pris ses racines dans les pays anglo-saxons. Ce n'est pas parce que nous ne voulons pas que la médecine française ressemble à celle qui existe aux États-Unis ou au Royaume-Uni que nous ne devons pas prendre en considération la capacité des Britanniques, notamment, à conduire, depuis 1945, des études de santé publique sur des cohortes importantes. Quand on entend parler d'études portant sur 600 000 ou 900 000 individus, on réalise la marche à franchir. C'est pourquoi je maintiens que, si nous voulons que la France devienne aussi un grand pays de santé publique - et cela ne se fera pas du jour au lendemain -, nous avons besoin de Santé publique France.

Par conséquent, les éventuelles faiblesses de la perception ou de l'inscription dans le paysage sanitaire français de Santé publique France se résoudront non pas par le démantèlement de celle-ci mais par son amélioration. La difficulté de Santé publique France à s'imposer provient aussi de notre difficulté à penser à partir des catégories de santé publique. J'en avais fait une priorité ; cela fut une préoccupation constante pour moi.

Vous me demandez, en second lieu, pourquoi créer un conseil scientifique. Je peux comprendre que le Président de la République, auprès duquel est placé ce conseil, ait souhaité disposer d'un comité rassemblant des personnalités reconnues et d'horizons divers, pour éclairer sa décision. Cela ne me paraît pas choquant ni gênant dans le contexte de la crise très particulière que nous connaissons.

Il est toujours difficile de savoir comment on aurait soi-même agi dans telle ou telle situation. Néanmoins, indépendamment de la création du conseil scientifique - lequel, je le répète, me semble être une démarche intéressante -, il m'aurait également paru intéressant de constituer un comité de liaison entre les agences impliquées, comme le CASA, c'est-à-dire l'utilisation des ressources des agences existantes, autour du ministre de la santé ou du directeur général de la santé.

En tout état de cause, je ne souhaite pas porter de critique, car on est dans l'à-peu-près. On aurait pu imaginer un modèle différent, dans lequel le conseil scientifique aurait compté, outre les personnes qui le composent, des représentants des agences institutionnelles. Je l'ai dit à Jean-François Delfraissy - ce n'est d'ailleurs pas lui qui en est responsable -, dans une telle crise, il faut embarquer les acteurs des administrations, pour leur éviter de sentir abandonnés, délaissés. Toutefois, ce n'est pas une critique ; je le répète, je l'ai indiqué à l'Assemblée nationale, je ne me sens pas en mesure de donner des leçons. Il vous appartient de tirer des enseignements de vos auditions.

Cela m'amène à la question sur les tests. Certaines décisions prises pour de bonnes raisons peuvent avoir des effets négatifs inattendus, qui n'étaient pas voulus. On peut dire ensuite « ce n'est pas bien », mais, sur le moment, d'autres facteurs peuvent l'expliquer.

En ce qui concerne la balance entre médecine de ville et hôpital, il y a sans doute un tropisme hospitalier dans notre pays ; ce point pourra probablement être amélioré. Il n'en reste pas moins que l'enjeu majeur résidait dans les cas graves. Or, dès lors qu'il y avait cas grave, il y avait nécessairement recours aux établissements hospitaliers. Je ne sais pas comment cela s'est passé ni s'il y a, en particulier, des progrès possibles dans l'articulation entre public et privé. Par ailleurs, le développement de la télémédecine, des téléconsultations, est de nature à marquer durablement notre paysage sanitaire et à faciliter la participation de nos professionnels de ville à la gestion de crise.

Je veux citer, pour finir, le dispositif de crise ORSAN (organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles). Quand j'ai institutionnalisé ce mécanisme, qui existait depuis un certain temps mais qui a été installé en 2014, a été inscrit dans la loi courant 2016 et a fait l'objet des décrets d'application en Conseil d'État en octobre 2016, nous avons produit un guide. Comme tous les guides, celui-ci est imparfait et il s'améliore au fil du temps, mais il identifie cinq situations de crise et il précise systématiquement trois procédures à suivre territorialement pour la formation et la mobilisation : l'une avec les établissements hospitaliers, la seconde avec les professions libérales, notamment médicales, et la troisième avec les établissements médicosociaux et les Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes). Le directeur général de la santé et moi-même avions voulu cette structuration et ce guide précise très clairement que, dans la gestion d'une crise, ce sont les trois axes de mobilisation qui doivent être suivis.

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