Intervention de Marisol Touraine

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 17 septembre 2020 à 9h30
Audition de Mme Marisol Touraine ancienne ministre de la santé

Marisol Touraine, ancienne ministre de la santé :

Pour ce qui concerne le conseil scientifique, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Je ne dis pas que je n'aurais pas souhaité la création d'un tel conseil. Dans une crise si décisive, il est évident que la décision ne dépend pas uniquement du ministre de la santé ; je veux le marteler, quelles que soient les organisations, que l'on ait affaire à une agence sanitaire, à une préfecture, ou autre, le caractère interministériel de la décision est évidemment fondamental dans une crise de ce type. Lors d'une crise comme celle d'Ebola ou comme celle dite « des bébés de Chambéry » ou d'essais cliniques, le ministre de la santé avait un contact plus qu'étroit avec Matignon, le chef d'orchestre de l'interministériel, et avec les conseillers du Président de la République. Donc, que l'on crée un conseil scientifique placé auprès du Président de la République ne me trouble pas, ne me choque pas.

Personnellement, je pense qu'il est nécessaire d'associer, sous une forme ou sous une autre, dans le conseil ou ailleurs, des structures institutionnelles qui continueront d'exister au-delà de la crise, parce que le conseil scientifique ne fait pas la même chose que Santé publique France.

La question de l'opinion publique est majeure et le sujet que vous abordez a dû être débattu au sein de ces instances. La structure à peu près équivalente qui a été mise en place au Royaume-Uni rendait, au début, des avis confidentiels au pouvoir politique ; l'autorité politique prenait ses décisions ensuite. Cela a d'autres inconvénients. Je ne sais pas si c'est toujours le cas aujourd'hui, mais cela pose le problème inverse, celui de la transparence de la décision.

La difficulté consiste donc à associer l'opinion publique, à l'heure où les réseaux sociaux et où les chaînes d'information en continu dominent tout. Les débats entre scientifiques ne datent pas d'aujourd'hui, il y en a toujours eu ; j'en ai connu sur nombre de décisions importantes : certains disaient « noir », d'autres « blanc », d'autres encore « gris » et il faut arbitrer entre des positions différentes. Or ce qui se passait autrefois à huis clos, dans un congrès ou dans le cabinet du ministre, se passe aujourd'hui en direct à la télévision ou sur les réseaux sociaux.

Face à cela, il faut trouver les mécanismes permettant à l'opinion publique d'être informée de la décision, d'y participer, mais c'est plus facile à dire qu'à faire. On n'imagine pas, dans une situation d'urgence, des conseils comme celui qui a été mis en place pour l'écologie - une bonne démarche à mon sens - ou comme les comités citoyens que j'avais institués pour la vaccination et que j'avais placés sous la responsabilité d'un professeur de médecine reconnu de Necker. Peut-être faudrait-il réfléchir, maintenant, aux dispositifs pouvant être activés, en situation d'urgence, pour associer l'opinion publique, afin que celle-ci se sente éclairée sur les décisions prises et qu'elle n'ait pas le sentiment, que j'ai moi-même eu, d'être noyée sous l'information.

Dès lors qu'un sujet est considéré comme stratégique, c'est au ministre de prendre les décisions. C'est, à mon sens, l'enjeu majeur du pilotage et du suivi.

Pour les stocks stratégiques, j'ai été conduite - malheureusement - à prendre des décisions régulières, du fait des réorientations et des choix à opérer.

Avant même ma prise de fonctions, on m'avait dit que les procédures d'acquisition des vaccins antigrippaux étaient un sujet de préoccupation. On avait acheté beaucoup de vaccins lors de l'épidémie de grippe H1N1 et ils se périmaient. J'ai travaillé à des procédures d'acquisition groupées à l'échelle européenne. Nous sommes parvenus à les créer, mais ce travail a pris du temps. En attendant, nous avons, dès 2012, mis en place des procédures nationales de marchés de réservation, qu'il s'agisse de la production ou de l'acquisition auprès des laboratoires pharmaceutiques, pour le marché français. Les négociations menées en parallèle avec l'Union européenne ont abouti à un accord, ratifié par le Parlement fin 2016 ou tout début 2017.

Plusieurs alertes avaient été émises, en particulier par l'OMS, au sujet de la variole : on craignait une épidémie d'origine terroriste. Nous avons demandé l'avis confidentiel du HCSP, qui a recommandé l'achat de vaccins de troisième génération. J'ai acheté exactement le nombre préconisé de doses de nouveaux vaccins, mais j'ai également maintenu les anciens vaccins, de première et de deuxième générations. Le HCSP suggérait de cibler des populations particulières, mais, à mes yeux, nous ne pouvions pas renoncer à tous les vaccins que nous avions et qui pouvaient servir à protéger une population plus large. Le débat a été intense entre le cabinet et la direction générale de la santé, mais aussi avec Bercy.

De même, pour le Tamiflu, nous avons été placés face à une difficulté : le service de santé des armées a réduit la durée de validité de cet antiviral. Du jour au lendemain, des produits ont été considérés comme périmés. Je ne suis pas sûre qu'ils fussent devenus, de ce fait, moins utilisables, mais il a fallu prendre un certain nombre de décisions en conséquence.

La gestion d'une crise sanitaire sur le territoire exige une articulation entre le préfet et l'ARS. Il me paraît inconcevable que, dans de telles circonstances, l'ARS n'ait pas une responsabilité clairement identifiée.

Je suis une défenseur des ARS. J'ai voté pour leur création lorsque Mme Bachelot l'a proposée via la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST. Aujourd'hui, les directions générales de ces agences sont toutes de très haut niveau. Reste une difficulté à l'échelle des départements : les délégations départementales des ARS sont inégales, faute d'un corps dédié, à l'image de la préfectorale. Les personnes concernées n'ont pas toutes la même capacité ou la même habitude de travailler avec les élus. Mais cette organisation peut être trouvée.

Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur, et moi avons pris, en août 2013, une circulaire détaillant la manière dont devrait s'organiser le circuit de distribution des stocks stratégiques en cas de crise sanitaire majeure, notamment de pandémie. Cette organisation reposait, de manière très claire, sur une articulation entre l'ARS et le préfet. Avant même la directive prise par Xavier Bertrand en 2011, il était très clair que les ARS avaient une responsabilité à l'échelle des zones de défense, également en lien avec les préfets.

De plus, dans notre circulaire, Manuel Valls et moi-même indiquions la nécessité d'une ligne stratégique définie nationalement et d'un circuit opérationnel défini localement. Cette circulaire décrit les circuits, notamment pour les masques, entre autres équipements de protection individuelle, en distinguant les circuits de droit commun - à savoir les pharmacies - et les circuits spécifiques - à savoir les collectivités territoriales.

En 2013, l'organisation stratégique était donc définie et la déclinaison locale était prévue. Tout est écrit noir sur blanc.

Pour ce qui concerne l'alerte, il y a incontestablement une faiblesse européenne : ce constat fait consensus. Je le regrette d'autant plus que la France s'est beaucoup engagée, en 2012 et 2013, pour la signature du règlement sanitaire international, sous l'égide de l'OMS, et, à l'échelle européenne, pour la mise en place d'un comité de liaison entre les pays en cas de crise sanitaire.

Il existe une structure d'alerte, basée à Stockholm : le centre européen de prévention et de contrôle (ECDC). Des améliorations peuvent lui être apportées, dans le cadre de cette Europe de la santé que la présidente actuelle de la Commission européenne appelle de ses voeux.

Cela ne signifie pas que la politique de santé doit être uniquement définie à l'échelle européenne et déclinée de la même manière dans tous les pays ; il faut prendre en compte l'enjeu de souveraineté sanitaire et de protection de la population et, évidemment, cette politique est aussi du ressort des gouvernements nationaux. Toutefois, qu'il s'agisse de l'alerte, de la constitution de stocks d'appui ou encore de la circulation de l'information, qu'il convient de rendre plus régulière, il y a un enjeu.

Qui alerte ? L'OMS a un rôle fondamental à cet égard et la direction générale de la santé est la structure où convergent les informations portées à la connaissance du ministre. Le directeur général de la santé a donc un rôle tout à fait central.

Au sujet de l'Anses, j'émets deux réserves structurelles.

Premièrement, l'Anses est une structure d'autorisation ; elle autorise des produits dont, le cas échéant, Santé publique France évalue ensuite l'impact sur la santé des populations. Il n'est pas sain que l'agence d'autorisation et l'agence d'évaluation soient réunies dans une même structure.

Deuxièmement, l'Anses dépend de cinq ministères : la santé, l'agriculture, l'environnement, la consommation et le travail. Je ne suis pas certaine que ce soit un élément facilitateur.

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