Intervention de Marisol Touraine

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 17 septembre 2020 à 9h30
Audition de Mme Marisol Touraine ancienne ministre de la santé

Marisol Touraine, ancienne ministre de la santé :

Tous les pays n'ont pas été capables d'en faire autant et, à l'étranger, on regarde avec intérêt ce que la France a accompli.

Je suis très humble ; je ne dis pas que tout était parfait lorsque j'étais ministre, ou encore que tout est parfait aujourd'hui - je n'en sais rien. Je dis simplement que, dans les hôpitaux, on n'a pas forcément besoin de 20 000 lits de réanimation au sens strict ; je ne suis pas en responsabilité et je ne suis pas à même de dire combien de lits seraient nécessaires en permanence.

Le niveau, le renouvellement et la qualité des stocks sont trois questions qui doivent être appréciées ensemble. Quand j'ai quitté le ministère de la santé, il existait un stock de 754 millions de masques chirurgicaux. On peut dire que ce n'est pas assez, mais je le maintiens : si ces stocks avaient été opérationnels en 2020, la perception du début de la crise aurait été très différente. La gestion de la crise l'aurait-elle été ? Je ne peux pas le dire, et je ne me permettrai pas de le dire.

Les masques laissés en 2017 étaient-ils utilisables ? Pendant toute la période où j'étais ministre, la question de la qualité des masques a été évoquée et évaluée de manière régulière, et une évaluation plus large a été demandée par le directeur général de la santé.

L'idée de base était que les masques chirurgicaux ne se périment pas. C'est la responsabilité des fabricants d'indiquer, ou non, une date de péremption : il n'y en avait pas. Malgré tout, la qualité des stocks de masques faisait l'objet d'un suivi régulier par des sondages aléatoires ; aucune alerte ne m'est jamais remontée à cet égard. Un pharmacien-chef, issu de l'Eprus, est chargé de ce travail au sein de Santé publique France. Il a précisément pour mission d'assurer ce suivi. Il a fait remonter des alertes sur d'autres sujets, mais jamais sur les masques.

Il n'y a pas eu de gestion lointaine des stocks par principe ; il y a eu des remontées, sur des sujets qui appelaient des décisions stratégiques - je les ai évoqués : il s'agit du Tamiflu, des antigrippaux ou encore de la variole -, et des alertes au titre de la péremption. Mais la question des masques n'est jamais remontée.

Entre 2017 et 2020, certains de ces équipements avaient-ils vieilli au point de devenir inutilisables ? Je n'en sais rien. Ce que je sais, c'est que tous les lots de masques envoyés à la destruction en 2018 et 2019 n'ont finalement pas été détruits, pour des raisons sur lesquelles il serait trop long de revenir. À ce moment-là, le Gouvernement a demandé une nouvelle étude à la direction générale de l'armement (DGA) et à l'ANSM. Cette étude sort en mars 2020 et conclut : « Ces essais montrent que les masques testés présentent toujours des performances de filtration d'aérosols proches de leur qualité initiale. » En conclusion, ils peuvent être employés, non dans un environnement sanitaire, mais par le grand public.

Or les stocks stratégiques étaient principalement destinés à la population générale - les malades et leur entourage. L'Eprus et la direction générale de la santé ont dû considérer que le maintien des stocks stratégiques élevés était une priorité, ce qui n'était pas une évidence : un pays comme l'Allemagne n'avait pas de stocks stratégiques. Pourtant, l'Allemagne a bien géré la crise de la covid. À l'évidence, les faits doivent être analysés de manière plus fine.

À aucun moment l'on n'a pris la décision de réduire les stocks stratégiques. Certains déclarent qu'il n'y avait aucun masque, ou qu'il y en avait 100 millions. Contrairement à ce qu'ils affirment, les stocks étaient de 754 millions de masques. Ont-ils été évalués entre 2012 et 2017 ? La réponse est oui. Étaient-ils tous utilisables ? Je ne le sais pas. Une partie a été détruite et je ne suis pas en mesure de me prononcer sur la qualité des stocks détruits. Ce que je sais, c'est que certains stocks qui devaient être détruits et ne l'ont pas été se sont révélés utilisables par le grand public.

À aucun moment l'on n'a remis en cause la doctrine selon laquelle nous devions tendre vers 1 milliard de masques. Nous n'en avions pas autant, mais nous en avons acquis 140 millions pendant les cinq années que j'ai passées au ministère de la santé - 100 millions de masques pour adulte et 40 millions de masques pédiatriques - et nous avons toujours eu pour objectif d'accroître ce stock.

Des décisions stratégiques ont dû être prises à d'autres moments. Elles ont conduit, entre l'Eprus et la direction générale de la santé, à des arbitrages qui ne me sont pas remontés. Ils ont conduit à ne pas augmenter tout de suite davantage le stock de masques. Mais, s'ils ont été possibles, c'est parce que, selon nos analyses, nous avions suffisamment de masques pour faire face au début d'une crise, et même au-delà ; notre responsabilité, c'était la protection de la population générale. Nous devions donc avoir des masques chirurgicaux, et, pour ce qui concerne la qualité des masques dont nous disposions, nous n'avions aucune raison d'avoir des interrogations ou des doutes.

J'y insiste : en 2017, les stocks étaient en ordre de marche.

Les conseils de défense permettent au Président de la République d'animer une réunion spécifique ; j'ai moi-même participé à des conseils de défense où les questions de santé étaient en jeu, notamment lors des attentats de 2015.

Enfin, pour ce qui concerne les Ehpad, il s'agit largement d'une question de culture. Avec Michèle Delaunay et Laurence Rossignol, nous avons travaillé à un projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement. Ce texte portait principalement sur les personnes âgées à domicile. L'idée fondamentale était que la prise en charge des personnes âgées, à domicile ou en Ehpad, suppose une acculturation de la société : la société tout entière doit comprendre que des réajustements sont nécessaires face au vieillissement de la population, dans la manière de concevoir les villes, les transports, ou encore les relations entre les générations. De telles évolutions prennent du temps.

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