Intervention de Roselyne Bachelot

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 17 septembre 2020 à 11:5
Audition de Mme Roselyne Bachelot ancienne ministre de la santé

Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé :

Vos questions sont presque philosophiques, ou du moins sociétales.

Je vous remercie de me permettre de continuer ma réflexion sur la place des soignants de ville. Ceux-ci n'ont jamais été écartés lors de la crise de la grippe H1N1.

En revanche, nous avons rencontré des difficultés logistiques, en raison de la présentation des vaccins - flacons multidoses conditionnés dans des boîtes de 500. Contrairement à ce que pouvait laisser croire le charmant dessin de Plantu publié dans Le Monde, où j'apparaissais juchée sur des caisses de vaccins, je n'ai eu que des difficultés d'approvisionnement. Je souhaite bon courage à mes successeurs qui auront sans doute à gérer une campagne de vaccination : c'est très compliqué, surtout parce qu'il s'agit de produits fragiles.

Je m'étais enquise auprès d'un grossiste important de la possibilité de déconditionner ces boîtes pour armer l'ensemble des médecins de ville et des pharmaciens. En fait, c'était impossible : pour déconditionner des boîtes de 500, il fallait avoir le statut de laboratoire pharmaceutique, disposer de chambres froides à +4 C, équiper les personnels et assurer des lotages de produits. C'était évidemment infaisable. J'étais donc dans l'impossibilité d'armer les médecins de ville, et je le regrette. Comme j'eusse aimé pouvoir le faire !

Le deuxième problème était l'acceptabilité du vaccin pour les médecins. Bien sûr, ils étaient en majorité disposés à vacciner, mais on ne peut pas oublier qu'une minorité importante, d'environ 40 %, ne voulait pas vacciner. Cela posait donc des problèmes d'organisation, d'autant que la méfiance vaccinale que l'on connaît bien dans la population n'épargne pas le corps soignant.

Ces difficultés considérables nous ont amenés à ne pas faire appel aux médecins de ville, mais ceux-ci n'ont pas été exclus et nous n'avons jamais mis en doute leur capacité à vacciner - dans les centres de vaccination, nous avons fait appel à des infirmières et à des infirmiers en premier semestre d'études ; tout un chacun est capable de vacciner après dix minutes de formation. Dire que nous ne leur avons pas fait confiance pour vacciner est donc une absurdité !

Un autre élément est venu perturber le dialogue avec la médecine de ville : nous étions à une encablure des élections professionnelles, ce qui n'a pas arrangé les choses. Il y a eu une forme de surenchère sur le thème de la méfiance à l'égard du Gouvernement, sur l'augmentation des tarifs, etc. Il faut dire que les syndicats de médecins qui ont soutenu notre politique l'ont chèrement payé aux élections qui ont suivi.

Une fois la pandémie passée, j'étais encore ministre de la santé. Je me suis alors demandé quel type d'organisation aurait permis à la médecine de ville de nous aider. J'ai donc préconisé une organisation « dormante » qui permettrait de vacciner la population en mettant la médecine de ville au premier rang. Il s'agissait de repérer, dans un maillage territorial, un certain nombre de cabinets médicaux dont la topographie - deux portes d'accès -, le matériel - système de réfrigération, certains vaccins pouvant demander des températures plus basses, de l'ordre de - 20°C, groupe électrogène, etc. - et les équipements de protection permettraient d'organiser une opération de vaccination. Ce réseau aurait dû être animé sur le terrain, il aurait permis un référencement. Je n'ai pu mener cette réflexion à terme, puisque les aléas de la vie politique ont fait que j'ai quitté le ministère de la santé. Néanmoins, voilà comment, pour ce qui concerne les outils à mettre en place, je voyais les choses en avril 2010, à la sortie de l'épidémie.

À l'occasion de cette épidémie - et, en tant que citoyenne, je le déplore encore aujourd'hui -, je n'ai pu que constater que l'on avait terriblement baissé la garde sur un autre aspect : dans le pays de Pasteur, les notions fondamentales de l'asepsie paraissent avoir été oubliées. Voit-on les pharmaciens porter des masques au moment de l'épidémie de grippe saisonnière ? Non. Dans les cabinets médicaux, les médecins portent-ils une blouse ? Très rarement. Les médecins portent-ils un masque lorsqu'ils auscultent à domicile un malade atteint d'une angine à streptocoque ? Non. Il suffit d'aller dans les hôpitaux pour voir des blouses largement ouvertes. Il n'y a pas si longtemps, le port de la barbe était interdit dans les blocs chirurgicaux ; il est devenu courant. Je ne peux que regretter cette situation, et c'est en cela que j'ai appelé à la responsabilité de tous, lorsque j'ai été auditionnée à l'Assemblée nationale. J'espère que la pandémie actuelle permettra de revenir à ces précautions qui me paraissent totalement indispensables, et pas seulement en période d'épidémie.

Vous avez parlé de la parole publique. Ce sujet dépasse largement la crise sanitaire actuelle. La dévalorisation de la parole publique sous les coups de boutoir de l'information en continu, d'internet, des réseaux, de tous les acteurs latéraux qui ont pris le manche, est extrêmement préoccupante et rend très difficile la gestion d'une crise pandémique. Comme le disait un éminent spécialiste de la désinformation : « Dire une contre-vérité prend une minute, la démonter prend dix heures. » Vous avez cité Taïwan, où plus le ministre de la santé prenait la parole, plus sa cote de popularité montait. Je ne sais si l'on peut transposer à la France les habitudes culturelles de ce pays ; je le souhaiterais, mais c'est peut-être illusoire !

Vous avez parlé du rôle du ministre de la santé. Bien entendu, il est responsable du pilotage opérationnel. Il pilote aussi la communication. Tout au long de la crise, j'ai tenu des rendez-vous réguliers sur l'évolution scientifique de l'épidémie : je ne crois pas avoir fait preuve une seule fois d'un excès de tranquillité ou de gravité ; j'ai toujours essayé de tenir le discours le plus factuel possible. En revanche, les décisions lourdes - achats de vaccins, éventualité d'un confinement, etc. - étaient prises dans le bureau du Président de la République, avec le Premier ministre et tous les ministres concernés. Les décisions structurantes étaient toujours prises dans un cadre interministériel et sous l'égide du Président de la République, mais le pilotage opérationnel revenait au ministre de la santé.

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