Intervention de Roselyne Bachelot

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 17 septembre 2020 à 11:5
Audition de Mme Roselyne Bachelot ancienne ministre de la santé

Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé :

Je tiens à rectifier tout de suite une erreur factuelle majeure : la T2A n'a pas été créée par la loi HPST, mais par la loi n° 2003-1109 du 18 décembre 2003. Vous pouvez vous y référer. Je souhaite tordre le cou à ce canard. Dans une assemblée parlementaire, citer la bonne loi est un minimum ! La loi HPST n'est pas une loi financière, c'est une loi d'organisation. J'accepte toutes les critiques, mais il faut être exact dans ses affirmations.

Monsieur Henno, vous m'avez demandé s'il fallait décentraliser la gestion des masques ou s'il fallait qu'elle reste sous la coupe de l'État. Si l'on considère que la gestion d'un type de produit ne doit se faire qu'en temps de crise, la gestion doit être centralisée. En revanche, et c'est ma théorie, si l'on adopte une autre vision de la santé publique, dans laquelle l'ensemble des acteurs, tout au long de leur exercice médical, doivent être en position de s'équiper pour faire face en tout moment à une situation de crise, alors il faut évidemment décentraliser cette gestion - on ne peut pas imaginer que chacun vienne se fournir dans les établissements de l'État. Un tel schéma a l'immense avantage de débloquer un marché qui peut être extrêmement fragilisé par une gestion trop centralisée. Il faut, par exemple, que chaque cabinet médical détienne des masques, des surblouses, etc., quitte à ce qu'une dotation financière complémentaire de l'assurance maladie contribue au financement. La décentralisation est utile à condition que ses acteurs soient eux-mêmes mobilisés. Si, dans l'administration de l'hôpital, les stocks utiles ne sont pas gérés, on est en difficulté. Si, dans une administration publique, la question des masques est subalterne, on va se retrouver avec des stocks périmés. Si je peux tirer une leçon de mon expérience, il faut à l'évidence responsabiliser et décentraliser, à condition de changer les comportements : si l'on ne porte le masque ou la surblouse qu'une fois tous les dix ans, cela ne peut pas marcher.

En réponse à votre deuxième question, oui, j'ai eu une interaction très forte avec mes homologues européens. Pour ne rien vous celer, la France a exercé la présidence de l'Union européenne au deuxième semestre de 2008, et j'ai donc organisé, à cette occasion, un exercice informel de gestion d'une épidémie de type respiratoire. J'ai mis mes collègues en position de réagir et nous avons échangé sur nos expériences de préparation. Ensuite, tout au long de la crise, j'ai tenté de faire passer l'idée de commandes groupées de vaccins à l'échelon européen. J'ai rencontré une écoute intéressante de la part des Allemands et des Belges. Il est difficile d'avoir une action groupée, parce que les organisations territoriales sont très différentes. Par exemple, l'organisation provinciale est extrêmement forte en Espagne : quand vous discutez avec le ministre espagnol, il vous écoute avec intérêt, puis vous explique qu'il n'est pas compétent pour passer la commande. D'autres partenaires, comme la ministre polonaise, ont tenu des propos obscurantistes sur les vaccins, en niant leur efficacité. De nombreux obstacles rendent donc difficiles les commandes groupées, mais j'ai eu d'innombrables contacts téléphoniques avec mes homologues européens tout au long de la crise.

Y avait-il un bruit médiatique lors de cette crise ? Oh, que oui ! Les polémiques ont été innombrables. Comme nous avons eu la chance d'avoir assez vite un vaccin, les anti-vaccins sont montés au front. La polémique d'une violence inouïe contre la vaccination a été particulièrement alimentée par Mme Rivasi, qui est aujourd'hui députée européenne. Le bruit médiatique a donc été très intense.

Monsieur Karoutchi, vous posez une question de fond sur le discours unique en cas de crise. Pour gérer une crise dans une situation de tension, le concept de l'émetteur unique est tout à fait primordial. J'entends parfois parler de couacs au sein du Gouvernement - je l'ai vécu souvent dans mes huit ans de carrière journalistique. Chacun a sa façon de s'exprimer et le discours unique est quasiment impossible en démocratie. Tant mieux si le ministre de la santé de Taïwan était le seul à parler, mais cela va être difficile en France ! Quoi qu'il en soit, en période de crise, l'émetteur unique est la meilleure façon de communiquer et de rassurer.

Madame Cohen, concernant l'Eprus, vous m'avez demandé si le passage de son financement de l'assurance maladie à l'État remettait en cause son budget. Tout dépend de la volonté politique exprimée. En soi, ce n'est pas un problème. Toutefois, dans un État très endetté comme le nôtre, qui doit toujours trancher entre des priorités immédiates et des priorités à long terme, on comprend bien qu'un tel changement représente une fragilité, parce que vous trouverez toujours des personnes pour lesquelles il vaut mieux panser les plaies du moment que songer à panser des plaies futures. Vous posez une vraie question philosophique et je ne dispose pas, aujourd'hui, des outils pour trancher complètement sur ce sujet.

Sur la loi HPST, j'ai déjà répondu. En ce qui concerne les directeurs d'ARS, il faut qu'ils soient puissants. Les organisations des ARS permettent aussi le dialogue approfondi avec les collectivités territoriales. En tout cas, il faut qu'il y ait un chef au moment de la crise. Quand on mène une guerre, il faut un général, mais cela n'empêche pas la discussion ni la démocratie sanitaire.

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