Intervention de Bernard Jomier

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 17 septembre 2020 à 11:5
Table ronde d'anciens directeurs généraux de la santé

Photo de Bernard JomierBernard Jomier, rapporteur :

Je reviens sur la question des masques. Nous voulons comprendre pourquoi la population n'a pas pu accéder à des masques en temps et en heure, nonobstant les débats sur leur utilité. Quelle a été la situation des soignants ? Pourquoi la fabrication de masques grand public, destinés à la population générale, n'a-t-elle pas été lancée plus rapidement ? Le stock de masques chirurgicaux est resté à peu près stable pendant vos fonctions ; l'effondrement vient après, je mets donc le sujet de côté.

Les soignants utilisent massivement des masques chirurgicaux à usage unique et, dans certaines activités de soins, des masques FFP2. J'ai le sentiment que la doctrine a été complexifiée avec la question du rôle de l'employeur, de l'établissement de santé, dans la constitution du stock. Il n'est certes pas aberrant d'attendre de chaque hôpital qu'il ait un stock suffisant pour répondre à sa mission de soin. Reste à savoir si les instructions sont appliquées...

L'autre source de complexité tient à la notion d'agent « hautement pathogène ». Que cela recouvre-t-il ? Le virus Ebola est sans aucun doute « hautement pathogène », mais quid du SARS-CoV-2 ? La mortalité est certes bien plus basse, mais une épidémie, c'est l'interaction entre un microbe et une société - et collectivement, l'effet est hautement pathogène. L'instruction de 2013 charge les pouvoirs publics de constituer des stocks de FFP2 si l'agent est hautement pathogène. Mais le flou dans l'interprétation et l'application des règles a conduit à une politique différente. Reste que si l'on avait eu 600 ou 700 millions de masques chirurgicaux au printemps, la situation aurait été tout autre.

Enfin, si le nombre de tests a progressé, il n'y a toujours pas de stratégie claire sur le dépistage. Dans l'organisation actuelle, qui doit proposer une stratégie de dépistage ? Qui doit en décider ? Deux anciennes ministres de la santé nous ont dit que c'était au ministre de la santé de piloter la gestion de la crise, même s'il y a bien sûr une dimension interministérielle. Comment la coordination doit-elle s'effectuer ? Comment articuler cette position avec les autres impératifs de gestion d'une telle crise ?

Pr Didier Houssin. - Pour moi, la stratégie de dépistage doit résulter d'une expertise scientifique qui repose sur l'analyse de la situation épidémiologique et des dispositifs disponibles. Il me semble que, en France, Santé publique France est l'organisme le mieux armé pour proposer une stratégie de dépistage ; il a accès aux données épidémiologiques et a l'habitude de faire des enquêtes de population.

Mais en France, nous sommes plus forts pour l'évaluation du risque que pour la gestion du risque. L'organisme qui me semble le mieux armé, du fait de sa composition, de sa pluridisciplinarité, de son expérience, c'est le Haut Conseil de santé publique. Le ministère de la santé doit pouvoir s'appuyer - c'est du moins ce que j'avais vécu - sur Santé publique France et sur le HCSP.

Il n'est guère étonnant qu'un ministre de la santé juge que c'est à lui de gérer une crise sanitaire. Malgré tout, l'expérience de la canicule comme celle de la pandémie montrent qu'il n'est pas forcément le mieux armé. En France, l'appareil interministériel est construit autour du ministère de l'intérieur, et le préfet est un agent interministériel. Or une épidémie déborde très vite le champ sanitaire pour impacter celui du travail, des transports, de l'école, etc. Dès lors, il me semble que, passé un certain stade, le ministre de l'intérieur ou le Premier ministre est mieux armé pour assurer la gestion de crise. Le délégué interministériel se met au service du centre interministériel de crise, aux côtés du gestionnaire de crise, pour apporter son expérience en matière de préparation, mais pas pour gérer la crise.

Dr Jean-Yves Grall. - Je souscris totalement à ce que Didier Houssin a répondu sur la première question : c'est le ministre qui établit la stratégie, sur la base d'avis et de conseils qui peuvent transiter par la DGS. Je partage aussi l'idée de Didier Houssin au sujet du rôle du HCSP et de Santé publique France. Enfin, je suis également d'accord pour considérer que, à partir d'un certain point, l'interministériel doit prendre le relais et le préfet - qui est de facto sur le territoire - doit jouer son rôle d'assembleur.

Pr Benoît Vallet. - Le SGDSN parle de maladie infectieuse hautement contagieuse à transmission respiratoire ; le HCSP d'un agent infectieux hautement pathogène. Mais les deux rappellent que le masque chirurgical, masque anti-projections, protège efficacement contre un germe d'origine respiratoire hautement pathogène. Lorsque certains gestes techniques provoquent une aérosolisation - avec l'émission non plus de gouttelettes, mais de particules très fines, voire de vapeur -, il faut utiliser des masques dotés du module électrostatique qui fige cette vaporisation. Le HCSP ne fait donc pas le distinguo en fonction de la caractéristique du germe - nous sommes bien dans des pathologies respiratoires hautement pathogènes avec dissémination par les voies aériennes supérieures -, mais il considère que, à l'occasion de ces gestes responsables d'aérosolisation - gestes ORL, gestes d'intubation, gestes d'aspiration, etc. -, le masque FFP2 est plus efficace. Il est toutefois moins confortable et conduit à plus de mésusages, car il est moins bien toléré, moins longtemps. L'anesthésiste-réanimateur ne fait pas tout le temps des intubations ou des aspirations, mais à l'occasion de ces actes-là, d'une durée brève, il doit utiliser un tel masque. C'est pourquoi l'utilisation de ces masques particuliers amène un affaiblissement considérable de leur volume. C'est un changement radical dans l'estimation de ce que doit être le stock stratégique national qui s'adresse certes à la population générale, mais qui peut aussi venir en soutien des professionnels de santé en dehors de ces cas-là.

Mon action prend fin en janvier 2018. Je ne peux donc pas répondre à la question sur la stratégie actuelle des tests. Mais je suis complètement en phase avec Didier Houssin et Jean-Yves Grall sur la question du portage de la stratégie : Santé publique France est compétente sur les aspects épidémiologiques et le Haut Conseil doit dire comment faire ; les ARS doivent ensuite s'occuper de l'isolement. Aujourd'hui, la réussite du dépistage fait appel à l'isolement avec le couple directeur de l'ARS-préfet, car la réponse n'est alors plus strictement sanitaire.

Si je comprends bien, vous êtes tous d'accord pour dire que le Haut Conseil et Santé publique France proposent la stratégie et que le ministre décide.

Pr Benoît Vallet. - Oui.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion