Nous nous appuyions principalement sur la Direction générale de la santé et son directeur. J'ai eu la chance de travailler avec un directeur remarquable, Didier Houssin. J'ai toujours veillé dans mes différentes fonctions ministérielles à ce que mon cabinet ne fasse pas écran entre les directions et moi-même. Sur différentes questions clés, particulièrement en gestion de crise, il faut une interpénétration entre le cabinet et la DGS. À l'époque, les cabinets ministériels n'avaient pas la même taille qu'aujourd'hui. Philippe Douste-Blazy et moi-même avons eu jusqu'à 7 conseillers dans le domaine de la sécurité sanitaire. Avoir réduit à ce point les effectifs des cabinets a été non pas une erreur, mais une faute. Les conseillers doivent avoir le temps d'entretenir un dialogue non seulement avec la DGS, mais avec d'autres organismes. Nous avons surtout travaillé avec l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et le HCSP.
Ensuite, on a deux possibilités : soit on décide de créer une nouvelle instance, mais cela fragilise celles qui existent en remettant en cause leur légitimité, alors qu'elles n'ont pas été créées sur un coup de tête ; soit on met en place un dispositif informel pour avoir une vision à 360 degrés. J'ai affronté différentes crises sanitaires, même si elles n'étaient pas de l'ampleur de celle que nous connaissons : le chikungunya, qui a touché les habitants de La Réunion, la dengue en Guyane et aux Antilles. Mais j'ai eu surtout à préparer le pays - telle était la responsabilité qui m'avait été confiée par Dominique de Villepin et Jacques Chirac - à une épidémie de grippe H5N1, qui touchait l'Asie. Roselyne Bachelot a joué un rôle remarquable au moment du virus H1N1 mais, là, ce n'était pas la même chose : le taux de létalité était tel qu'il fallait prendre des mesures draconiennes.
Quand j'ai été nommé ministre en juin 2005, nous avions un plan qui avait fort belle allure sur le papier. Les professeurs Jean-Philippe Derenne et François Bricaire ont donné une interview au Journal du dimanche dans laquelle ils déclaraient que notre plan ne tiendrait pas la route en cas d'épidémie. On m'a déconseillé de les rencontrer, sous prétexte qu'il s'agissait de « râleurs », pour le dire poliment. Lors de notre entretien, Jean-Philippe Derenne a commencé par me poser une série de questions auxquelles je n'avais pas les réponses, alors même que j'avais travaillé le dossier. Je me suis rendu compte que ce plan n'était pas hauteur des professionnels de santé et des patients. C'était un excellent plan sur le papier, mais nous devions étoffer son ossature, le rendre concret et efficace. Il fallait traiter la question des déplacements par exemple. Comment les professionnels de santé - à l'époque, il n'y avait pas Zoom, Skype, etc. - pouvaient-ils à distance garder des relations avec leur famille sans rentrer chez eux ? Quid des risques de contagion, de la prise en charge des patients avec un système qui risquait d'être très vite submergé ? Ils m'ont ouvert les yeux sur ces questions.
Un ministre ne part pas d'une page blanche - je pense notamment au rapport de Didier Raoult sur d'autres risques que les seuls risques épidémiques. Nous avons complètement revu l'architecture et le contenu du plan. De la sorte, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a pu dire, à un moment donné, que la France était l'un des pays les mieux préparés. Mais personne n'aurait pu traverser l'épidémie sans qu'il y ait de victimes, de fortes tensions et des difficultés. À partir du moment où il y a des disparitions, des malades, des soignants submergés de travail, cela ne peut pas bien se passer. Il faut être dans l'anticipation et la protection.
Je n'ai pas voulu créer d'entité, mais un groupe placé à mes côtés, auquel participaient Didier Houssin et mon cabinet, était chargé d'imaginer ce qui ne semblait pas forcément très rationnel. Même en faisant cela, vous n'avez pas la réponse à 100 % des problèmes. Voilà comment nous avions voulu fonctionner.
Quels que soient les comités, la responsabilité politique ne se partage pas et ne se délègue pas. Vous disposez des avis des scientifiques qui ne savent pas tout, mais, au final, c'est le politique qui décide et qui doit assumer ses responsabilités. Notre système politico-administratif français a été marqué par certains drames et scandales, qui ont donné l'impression que le politique s'exonérait de sa responsabilité. La responsabilité est une et indivisible.
Ensuite, sur la question du retour d'expérience, vous touchez du doigt l'un des véritables problèmes politico-administratifs français. Nous n'avons pas la culture de l'évaluation, de la correction de trajectoire. Même s'il est plus facile d'en parler que de la mettre en oeuvre, l'anticipation, c'est la clé. J'aimerais savoir quel a été le retour d'expérience après la première vague - je ne sais pas si des informations nous seront communiquées sur ce sujet -, et si à partir de là de nouveaux protocoles ont été établis pour l'ensemble de professionnels de santé, qu'il s'agisse d'établissements - hôpitaux publics comme cliniques - ou des professionnels en cabinet.
Le retour d'expérience sera particulièrement utile en cette rentrée. Certaines circonstances peuvent sembler inquiétantes. Je pense à la reprogrammation des interventions qui ont été différées : les personnes qui en ont besoin ne doivent pas subir une perte de chance. Je pense aussi à l'arrivée de la grippe saisonnière : en automne et en hiver, nos établissements et professionnels de santé sont déjà normalement surchargés par les patients touchés par cette infection.
Je plaide pour que nous anticipions le plus possible la coordination entre médecine de ville et établissements, mais aussi le dispositif de vaccination contre la grippe, en termes non seulement de commandes de vaccins, mais aussi de mise en oeuvre de la politique vaccinale. Il faut qu'un maximum de personnes se fassent vacciner, parce qu'avoir la grippe ou la covid, ce n'est pas du tout la même chose pour des raisons de contagiosité.
Je sais que les vaccins posent question, mais il faut clairement que le Gouvernement et l'assurance maladie engagent tout de suite une campagne de vaccination positive, en expliquant pourquoi la vaccination vaut la peine cette année encore plus que les autres. Si ce n'est pas le cas, les médecins libéraux vont être encore plus surchargés que d'habitude. Dans le système hospitalier, au moment des pics de grippe saisonnière, beaucoup de lits de réanimation sont occupés par ces malades. On connaît aussi les ravages en termes de décès liés à la grippe saisonnière.
J'en viens à la région. Il faut savoir que les présidents de région ne sont pas les seuls à s'être engagés aux côtés de l'État : les présidents de département et de nombreux maires ont fait la même chose. Nous n'avons pas agi à la place de l'État : nous voulions simplement aider et protéger les habitants de nos territoires respectifs. Mais nous n'avons pas de compétences en matière de santé : je souhaiterais que nous en ayons davantage. En revanche, la veille sanitaire et la sécurité sanitaire, c'est l'affaire de l'État. Sinon, il existerait de vraies différences de prise en charge. Regardez ce qui s'est passé en Italie : dans certaines provinces, le gouverneur n'a pas voulu engager une politique de prévention pour ne pas pointer du doigt telle ou telle catégorie de sa population. C'est la raison pour laquelle il faut l'autorité de l'État, pour garantir les mêmes chances à chacun et prendre les mesures qui s'imposent.
Nous avons fait un retour d'expérience sur la façon dont nos services se sont adaptés, notamment par le télétravail. Le télétravail, c'est bien, mais il a fallu aussi assurer la livraison des ordinateurs à ceux qui restaient confinés chez eux. Comment gérer ceux qui ont des affections de longue durée, qui sont fragiles ? J'ai moi-même fait un grand nombre de Facebook live avec l'ensemble des agents pour les informer de ce que nous savions et de ce que nous ne savions pas.
Sur la question de la mise à disposition des masques, j'ai lancé l'opération « Un masque pour chacun » : dans la région, j'ai souhaité que nous puissions mettre à disposition une première dotation de masques réutilisables ou jetables pour l'ensemble de la population. Nous n'aurons l'occasion de parler de ce virus au passé que quand nous aurons le vaccin contre la covid.