Audition de M. Xavier Bertrand, ancien ministre des solidarités et de la santé
Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Xavier Bertrand, ancien ministre, des solidarités et de la santé de juin 2005 à mars 2007, puis du travail, de l'emploi et de la santé de novembre 2010 à mai 2012.
M. Bertrand est accompagné de Mme Mélanie Blond et de M. Mathieu Gressier, ancien chef de cabinet et conseiller sécurité sanitaire du ministre de la santé.
Je vous prie d'excuser l'absence du président Milon, retenu dans son département.
Monsieur Bertrand, vous avez été chargé de la santé à deux reprises. Vous avez été confronté, la première fois, à l'épidémie de grippe aviaire H5N1 qui a donné lieu à l'élaboration d'une doctrine d'emploi et de stockage des masques dans notre pays. Cette doctrine d'emploi très large devait être servie par l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Éprus), créé par une loi du 5 mars 2007.
Sur cette question de la doctrine d'emploi des masques, votre deuxième expérience ministérielle est marquée par l'avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) de 2011, qui opère un premier retour d'expérience et préconise de réserver l'emploi des masques FFP2 aux seuls soignants et non plus aux professionnels dits, dans la crise sanitaire que nous connaissons actuellement, « de deuxième ligne ».
Nous avons eu l'occasion d'évoquer ces périodes avec les professeurs Didier Houssin, alors directeur général de la santé et délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire, puis Jean-Yves Grall, ancien directeur général de la santé.
Vous avez été entendu longuement, pendant près de trois heures, par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale le 2 juillet dernier. Vous y avez développé une vision très régalienne des questions de santé et de la responsabilité de l'État en cas de crise sanitaire. Vous avez plaidé pour un certain volontarisme politique, rappelant que vous aviez, en particulier en matière d'arbitrages budgétaires, reçu le soutien sans faille du Président de la République pour constituer des stocks de masques.
J'aurais, pour ma part, quatre remarques et interrogations en écho à vos déclarations.
Même si nous sommes toujours dans la crise, nous nous interrogeons sur ce que doit être la préparation du pays « par temps calme ». En l'absence de pandémie, où en présence d'épisodes moins aigus que prévu, n'y a-t-il pas une forme de fatalité à désarmer, notamment dans un pays dont les finances publiques sont très dégradées ? Ne faut-il pas, dès lors, imaginer un système où le stockage des équipements de protection serait davantage décentralisé ?
L'action très volontariste de la gestion de H5N1, qui s'est notamment traduite par l'envoi aux professionnels libéraux de kits de protection, n'a-t-elle pas envoyé à tous le message suivant : « quoi qu'il arrive, l'État est là » ? Nous avons constaté que d'autres anciens ministres avaient une vision différente sur ce point, qu'il s'agisse de Roselyne Bachelot ou de Marisol Touraine.
Vous avez déclaré : « Logisticien, c'est un sacré métier. » Nous ne pouvons que vous rejoindre, et nous avons constaté que, même lorsqu'il y avait des masques, l'État et ses agences ont été incapables de les acheminer sur le terrain. Pensez-vous que l'Éprus, qui n'a jamais eu à le faire en grandeur réelle, aurait su faire ?
Enfin, vous avez évoqué le changement de doctrine du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) en 2013, que d'aucuns rendent responsable de la pénurie de masques. Il semble que cette doctrine du SGDSN maintient la responsabilité de l'État « en présence d'une maladie infectieuse hautement contagieuse à transmission respiratoire ». Est-ce un changement de doctrine ou un recul des priorités en l'absence de menace immédiate ?
Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Monsieur Bertrand, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Xavier Bertrand prête serment.
Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Xavier Bertrand, ancien ministre, des solidarités et de la santé de juin 2005 à mars 2007, puis du travail, de l'emploi et de la santé de novembre 2010 à mai 2012.
M. Bertrand est accompagné de Mme Mélanie Blond et de M. Mathieu Gressier, ancien chef de cabinet et conseiller sécurité sanitaire du ministre de la santé.
Je vous prie d'excuser l'absence du président Milon, retenu dans son département.
Monsieur Bertrand, vous avez été chargé de la santé à deux reprises. Vous avez été confronté, la première fois, à l'épidémie de grippe aviaire H5N1 qui a donné lieu à l'élaboration d'une doctrine d'emploi et de stockage des masques dans notre pays. Cette doctrine d'emploi très large devait être servie par l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Éprus), créé par une loi du 5 mars 2007.
Sur cette question de la doctrine d'emploi des masques, votre deuxième expérience ministérielle est marquée par l'avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) de 2011, qui opère un premier retour d'expérience et préconise de réserver l'emploi des masques FFP2 aux seuls soignants et non plus aux professionnels dits, dans la crise sanitaire que nous connaissons actuellement, « de deuxième ligne ».
Nous avons eu l'occasion d'évoquer ces périodes avec les professeurs Didier Houssin, alors directeur général de la santé et délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire, puis Jean-Yves Grall, ancien directeur général de la santé.
Vous avez été entendu longuement, pendant près de trois heures, par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale le 2 juillet dernier. Vous y avez développé une vision très régalienne des questions de santé et de la responsabilité de l'État en cas de crise sanitaire. Vous avez plaidé pour un certain volontarisme politique, rappelant que vous aviez, en particulier en matière d'arbitrages budgétaires, reçu le soutien sans faille du Président de la République pour constituer des stocks de masques.
J'aurais, pour ma part, quatre remarques et interrogations en écho à vos déclarations.
Même si nous sommes toujours dans la crise, nous nous interrogeons sur ce que doit être la préparation du pays « par temps calme ». En l'absence de pandémie, où en présence d'épisodes moins aigus que prévu, n'y a-t-il pas une forme de fatalité à désarmer, notamment dans un pays dont les finances publiques sont très dégradées ? Ne faut-il pas, dès lors, imaginer un système où le stockage des équipements de protection serait davantage décentralisé ?
L'action très volontariste de la gestion de H5N1, qui s'est notamment traduite par l'envoi aux professionnels libéraux de kits de protection, n'a-t-elle pas envoyé à tous le message suivant : « quoi qu'il arrive, l'État est là » ? Nous avons constaté que d'autres anciens ministres avaient une vision différente sur ce point, qu'il s'agisse de Roselyne Bachelot ou de Marisol Touraine.
Vous avez déclaré : « Logisticien, c'est un sacré métier. » Nous ne pouvons que vous rejoindre, et nous avons constaté que, même lorsqu'il y avait des masques, l'État et ses agences ont été incapables de les acheminer sur le terrain. Pensez-vous que l'Éprus, qui n'a jamais eu à le faire en grandeur réelle, aurait su faire ?
Enfin, vous avez évoqué le changement de doctrine du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) en 2013, que d'aucuns rendent responsable de la pénurie de masques. Il semble que cette doctrine du SGDSN maintient la responsabilité de l'État « en présence d'une maladie infectieuse hautement contagieuse à transmission respiratoire ». Est-ce un changement de doctrine ou un recul des priorités en l'absence de menace immédiate ?
Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Monsieur Bertrand, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Xavier Bertrand prête serment.
Monsieur le président, je vous prie d'excuser mon retard dû aux conditions de circulation. Je vous propose de répondre directement aux questions des rapporteurs et des commissaires, sans faire de propos liminaire.
Monsieur le président, je vous prie d'excuser mon retard dû aux conditions de circulation. Je vous propose de répondre directement aux questions des rapporteurs et des commissaires, sans faire de propos liminaire.
J'y répondrai à la fin de l'audition.
J'y répondrai à la fin de l'audition.
Lorsque vous étiez chargé de la santé, vous avez eu à gérer des épisodes d'épidémie. Sur quels organismes vous êtes-vous appuyé pour prendre vos décisions ? Je vous interroge sur ce point parce que si un conseil scientifique a été mis en place, la ministre de la santé a aussi très tôt déclaré qu'il y avait peu de risque que le virus arrive en France. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons connaître les organismes qui auraient pu lui fournir les éléments lui permettant de faire une telle affirmation. Lorsque vous étiez ministre, quels liens - normalement étroits - aviez-vous avec la Direction générale de la santé (DGS) ?
Ma deuxième question s'adresse au président de région. Les auditions ont montré un manque de retour d'expérience de l'État sur ce qui s'est passé pendant la crise. L'épidémie n'est pas passée, elle est encore en activité. Quel retour d'expérience avez-vous pu faire au niveau de votre région ? Quelle en a été la traduction en termes d'action régionale ? Nous avons vu la place importante jouée par les collectivités locales au cours de cette crise, aux côtés des agences régionales de santé (ARS) et des préfets. Votre expérience de président d'une grande région, qui a connu des foyers importants, est intéressante pour les préconisations que nous pourrions faire.
Lorsque vous étiez chargé de la santé, vous avez eu à gérer des épisodes d'épidémie. Sur quels organismes vous êtes-vous appuyé pour prendre vos décisions ? Je vous interroge sur ce point parce que si un conseil scientifique a été mis en place, la ministre de la santé a aussi très tôt déclaré qu'il y avait peu de risque que le virus arrive en France. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons connaître les organismes qui auraient pu lui fournir les éléments lui permettant de faire une telle affirmation. Lorsque vous étiez ministre, quels liens - normalement étroits - aviez-vous avec la Direction générale de la santé (DGS) ?
Ma deuxième question s'adresse au président de région. Les auditions ont montré un manque de retour d'expérience de l'État sur ce qui s'est passé pendant la crise. L'épidémie n'est pas passée, elle est encore en activité. Quel retour d'expérience avez-vous pu faire au niveau de votre région ? Quelle en a été la traduction en termes d'action régionale ? Nous avons vu la place importante jouée par les collectivités locales au cours de cette crise, aux côtés des agences régionales de santé (ARS) et des préfets. Votre expérience de président d'une grande région, qui a connu des foyers importants, est intéressante pour les préconisations que nous pourrions faire.
Nous nous appuyions principalement sur la Direction générale de la santé et son directeur. J'ai eu la chance de travailler avec un directeur remarquable, Didier Houssin. J'ai toujours veillé dans mes différentes fonctions ministérielles à ce que mon cabinet ne fasse pas écran entre les directions et moi-même. Sur différentes questions clés, particulièrement en gestion de crise, il faut une interpénétration entre le cabinet et la DGS. À l'époque, les cabinets ministériels n'avaient pas la même taille qu'aujourd'hui. Philippe Douste-Blazy et moi-même avons eu jusqu'à 7 conseillers dans le domaine de la sécurité sanitaire. Avoir réduit à ce point les effectifs des cabinets a été non pas une erreur, mais une faute. Les conseillers doivent avoir le temps d'entretenir un dialogue non seulement avec la DGS, mais avec d'autres organismes. Nous avons surtout travaillé avec l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et le HCSP.
Ensuite, on a deux possibilités : soit on décide de créer une nouvelle instance, mais cela fragilise celles qui existent en remettant en cause leur légitimité, alors qu'elles n'ont pas été créées sur un coup de tête ; soit on met en place un dispositif informel pour avoir une vision à 360 degrés. J'ai affronté différentes crises sanitaires, même si elles n'étaient pas de l'ampleur de celle que nous connaissons : le chikungunya, qui a touché les habitants de La Réunion, la dengue en Guyane et aux Antilles. Mais j'ai eu surtout à préparer le pays - telle était la responsabilité qui m'avait été confiée par Dominique de Villepin et Jacques Chirac - à une épidémie de grippe H5N1, qui touchait l'Asie. Roselyne Bachelot a joué un rôle remarquable au moment du virus H1N1 mais, là, ce n'était pas la même chose : le taux de létalité était tel qu'il fallait prendre des mesures draconiennes.
Quand j'ai été nommé ministre en juin 2005, nous avions un plan qui avait fort belle allure sur le papier. Les professeurs Jean-Philippe Derenne et François Bricaire ont donné une interview au Journal du dimanche dans laquelle ils déclaraient que notre plan ne tiendrait pas la route en cas d'épidémie. On m'a déconseillé de les rencontrer, sous prétexte qu'il s'agissait de « râleurs », pour le dire poliment. Lors de notre entretien, Jean-Philippe Derenne a commencé par me poser une série de questions auxquelles je n'avais pas les réponses, alors même que j'avais travaillé le dossier. Je me suis rendu compte que ce plan n'était pas hauteur des professionnels de santé et des patients. C'était un excellent plan sur le papier, mais nous devions étoffer son ossature, le rendre concret et efficace. Il fallait traiter la question des déplacements par exemple. Comment les professionnels de santé - à l'époque, il n'y avait pas Zoom, Skype, etc. - pouvaient-ils à distance garder des relations avec leur famille sans rentrer chez eux ? Quid des risques de contagion, de la prise en charge des patients avec un système qui risquait d'être très vite submergé ? Ils m'ont ouvert les yeux sur ces questions.
Un ministre ne part pas d'une page blanche - je pense notamment au rapport de Didier Raoult sur d'autres risques que les seuls risques épidémiques. Nous avons complètement revu l'architecture et le contenu du plan. De la sorte, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a pu dire, à un moment donné, que la France était l'un des pays les mieux préparés. Mais personne n'aurait pu traverser l'épidémie sans qu'il y ait de victimes, de fortes tensions et des difficultés. À partir du moment où il y a des disparitions, des malades, des soignants submergés de travail, cela ne peut pas bien se passer. Il faut être dans l'anticipation et la protection.
Je n'ai pas voulu créer d'entité, mais un groupe placé à mes côtés, auquel participaient Didier Houssin et mon cabinet, était chargé d'imaginer ce qui ne semblait pas forcément très rationnel. Même en faisant cela, vous n'avez pas la réponse à 100 % des problèmes. Voilà comment nous avions voulu fonctionner.
Quels que soient les comités, la responsabilité politique ne se partage pas et ne se délègue pas. Vous disposez des avis des scientifiques qui ne savent pas tout, mais, au final, c'est le politique qui décide et qui doit assumer ses responsabilités. Notre système politico-administratif français a été marqué par certains drames et scandales, qui ont donné l'impression que le politique s'exonérait de sa responsabilité. La responsabilité est une et indivisible.
Ensuite, sur la question du retour d'expérience, vous touchez du doigt l'un des véritables problèmes politico-administratifs français. Nous n'avons pas la culture de l'évaluation, de la correction de trajectoire. Même s'il est plus facile d'en parler que de la mettre en oeuvre, l'anticipation, c'est la clé. J'aimerais savoir quel a été le retour d'expérience après la première vague - je ne sais pas si des informations nous seront communiquées sur ce sujet -, et si à partir de là de nouveaux protocoles ont été établis pour l'ensemble de professionnels de santé, qu'il s'agisse d'établissements - hôpitaux publics comme cliniques - ou des professionnels en cabinet.
Le retour d'expérience sera particulièrement utile en cette rentrée. Certaines circonstances peuvent sembler inquiétantes. Je pense à la reprogrammation des interventions qui ont été différées : les personnes qui en ont besoin ne doivent pas subir une perte de chance. Je pense aussi à l'arrivée de la grippe saisonnière : en automne et en hiver, nos établissements et professionnels de santé sont déjà normalement surchargés par les patients touchés par cette infection.
Je plaide pour que nous anticipions le plus possible la coordination entre médecine de ville et établissements, mais aussi le dispositif de vaccination contre la grippe, en termes non seulement de commandes de vaccins, mais aussi de mise en oeuvre de la politique vaccinale. Il faut qu'un maximum de personnes se fassent vacciner, parce qu'avoir la grippe ou la covid, ce n'est pas du tout la même chose pour des raisons de contagiosité.
Je sais que les vaccins posent question, mais il faut clairement que le Gouvernement et l'assurance maladie engagent tout de suite une campagne de vaccination positive, en expliquant pourquoi la vaccination vaut la peine cette année encore plus que les autres. Si ce n'est pas le cas, les médecins libéraux vont être encore plus surchargés que d'habitude. Dans le système hospitalier, au moment des pics de grippe saisonnière, beaucoup de lits de réanimation sont occupés par ces malades. On connaît aussi les ravages en termes de décès liés à la grippe saisonnière.
J'en viens à la région. Il faut savoir que les présidents de région ne sont pas les seuls à s'être engagés aux côtés de l'État : les présidents de département et de nombreux maires ont fait la même chose. Nous n'avons pas agi à la place de l'État : nous voulions simplement aider et protéger les habitants de nos territoires respectifs. Mais nous n'avons pas de compétences en matière de santé : je souhaiterais que nous en ayons davantage. En revanche, la veille sanitaire et la sécurité sanitaire, c'est l'affaire de l'État. Sinon, il existerait de vraies différences de prise en charge. Regardez ce qui s'est passé en Italie : dans certaines provinces, le gouverneur n'a pas voulu engager une politique de prévention pour ne pas pointer du doigt telle ou telle catégorie de sa population. C'est la raison pour laquelle il faut l'autorité de l'État, pour garantir les mêmes chances à chacun et prendre les mesures qui s'imposent.
Nous avons fait un retour d'expérience sur la façon dont nos services se sont adaptés, notamment par le télétravail. Le télétravail, c'est bien, mais il a fallu aussi assurer la livraison des ordinateurs à ceux qui restaient confinés chez eux. Comment gérer ceux qui ont des affections de longue durée, qui sont fragiles ? J'ai moi-même fait un grand nombre de Facebook live avec l'ensemble des agents pour les informer de ce que nous savions et de ce que nous ne savions pas.
Sur la question de la mise à disposition des masques, j'ai lancé l'opération « Un masque pour chacun » : dans la région, j'ai souhaité que nous puissions mettre à disposition une première dotation de masques réutilisables ou jetables pour l'ensemble de la population. Nous n'aurons l'occasion de parler de ce virus au passé que quand nous aurons le vaccin contre la covid.
Nous nous appuyions principalement sur la Direction générale de la santé et son directeur. J'ai eu la chance de travailler avec un directeur remarquable, Didier Houssin. J'ai toujours veillé dans mes différentes fonctions ministérielles à ce que mon cabinet ne fasse pas écran entre les directions et moi-même. Sur différentes questions clés, particulièrement en gestion de crise, il faut une interpénétration entre le cabinet et la DGS. À l'époque, les cabinets ministériels n'avaient pas la même taille qu'aujourd'hui. Philippe Douste-Blazy et moi-même avons eu jusqu'à 7 conseillers dans le domaine de la sécurité sanitaire. Avoir réduit à ce point les effectifs des cabinets a été non pas une erreur, mais une faute. Les conseillers doivent avoir le temps d'entretenir un dialogue non seulement avec la DGS, mais avec d'autres organismes. Nous avons surtout travaillé avec l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et le HCSP.
Ensuite, on a deux possibilités : soit on décide de créer une nouvelle instance, mais cela fragilise celles qui existent en remettant en cause leur légitimité, alors qu'elles n'ont pas été créées sur un coup de tête ; soit on met en place un dispositif informel pour avoir une vision à 360 degrés. J'ai affronté différentes crises sanitaires, même si elles n'étaient pas de l'ampleur de celle que nous connaissons : le chikungunya, qui a touché les habitants de La Réunion, la dengue en Guyane et aux Antilles. Mais j'ai eu surtout à préparer le pays - telle était la responsabilité qui m'avait été confiée par Dominique de Villepin et Jacques Chirac - à une épidémie de grippe H5N1, qui touchait l'Asie. Roselyne Bachelot a joué un rôle remarquable au moment du virus H1N1 mais, là, ce n'était pas la même chose : le taux de létalité était tel qu'il fallait prendre des mesures draconiennes.
Quand j'ai été nommé ministre en juin 2005, nous avions un plan qui avait fort belle allure sur le papier. Les professeurs Jean-Philippe Derenne et François Bricaire ont donné une interview au Journal du dimanche dans laquelle ils déclaraient que notre plan ne tiendrait pas la route en cas d'épidémie. On m'a déconseillé de les rencontrer, sous prétexte qu'il s'agissait de « râleurs », pour le dire poliment. Lors de notre entretien, Jean-Philippe Derenne a commencé par me poser une série de questions auxquelles je n'avais pas les réponses, alors même que j'avais travaillé le dossier. Je me suis rendu compte que ce plan n'était pas hauteur des professionnels de santé et des patients. C'était un excellent plan sur le papier, mais nous devions étoffer son ossature, le rendre concret et efficace. Il fallait traiter la question des déplacements par exemple. Comment les professionnels de santé - à l'époque, il n'y avait pas Zoom, Skype, etc. - pouvaient-ils à distance garder des relations avec leur famille sans rentrer chez eux ? Quid des risques de contagion, de la prise en charge des patients avec un système qui risquait d'être très vite submergé ? Ils m'ont ouvert les yeux sur ces questions.
Un ministre ne part pas d'une page blanche - je pense notamment au rapport de Didier Raoult sur d'autres risques que les seuls risques épidémiques. Nous avons complètement revu l'architecture et le contenu du plan. De la sorte, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a pu dire, à un moment donné, que la France était l'un des pays les mieux préparés. Mais personne n'aurait pu traverser l'épidémie sans qu'il y ait de victimes, de fortes tensions et des difficultés. À partir du moment où il y a des disparitions, des malades, des soignants submergés de travail, cela ne peut pas bien se passer. Il faut être dans l'anticipation et la protection.
Je n'ai pas voulu créer d'entité, mais un groupe placé à mes côtés, auquel participaient Didier Houssin et mon cabinet, était chargé d'imaginer ce qui ne semblait pas forcément très rationnel. Même en faisant cela, vous n'avez pas la réponse à 100 % des problèmes. Voilà comment nous avions voulu fonctionner.
Quels que soient les comités, la responsabilité politique ne se partage pas et ne se délègue pas. Vous disposez des avis des scientifiques qui ne savent pas tout, mais, au final, c'est le politique qui décide et qui doit assumer ses responsabilités. Notre système politico-administratif français a été marqué par certains drames et scandales, qui ont donné l'impression que le politique s'exonérait de sa responsabilité. La responsabilité est une et indivisible.
Ensuite, sur la question du retour d'expérience, vous touchez du doigt l'un des véritables problèmes politico-administratifs français. Nous n'avons pas la culture de l'évaluation, de la correction de trajectoire. Même s'il est plus facile d'en parler que de la mettre en oeuvre, l'anticipation, c'est la clé. J'aimerais savoir quel a été le retour d'expérience après la première vague - je ne sais pas si des informations nous seront communiquées sur ce sujet -, et si à partir de là de nouveaux protocoles ont été établis pour l'ensemble de professionnels de santé, qu'il s'agisse d'établissements - hôpitaux publics comme cliniques - ou des professionnels en cabinet.
Le retour d'expérience sera particulièrement utile en cette rentrée. Certaines circonstances peuvent sembler inquiétantes. Je pense à la reprogrammation des interventions qui ont été différées : les personnes qui en ont besoin ne doivent pas subir une perte de chance. Je pense aussi à l'arrivée de la grippe saisonnière : en automne et en hiver, nos établissements et professionnels de santé sont déjà normalement surchargés par les patients touchés par cette infection.
Je plaide pour que nous anticipions le plus possible la coordination entre médecine de ville et établissements, mais aussi le dispositif de vaccination contre la grippe, en termes non seulement de commandes de vaccins, mais aussi de mise en oeuvre de la politique vaccinale. Il faut qu'un maximum de personnes se fassent vacciner, parce qu'avoir la grippe ou la covid, ce n'est pas du tout la même chose pour des raisons de contagiosité.
Je sais que les vaccins posent question, mais il faut clairement que le Gouvernement et l'assurance maladie engagent tout de suite une campagne de vaccination positive, en expliquant pourquoi la vaccination vaut la peine cette année encore plus que les autres. Si ce n'est pas le cas, les médecins libéraux vont être encore plus surchargés que d'habitude. Dans le système hospitalier, au moment des pics de grippe saisonnière, beaucoup de lits de réanimation sont occupés par ces malades. On connaît aussi les ravages en termes de décès liés à la grippe saisonnière.
J'en viens à la région. Il faut savoir que les présidents de région ne sont pas les seuls à s'être engagés aux côtés de l'État : les présidents de département et de nombreux maires ont fait la même chose. Nous n'avons pas agi à la place de l'État : nous voulions simplement aider et protéger les habitants de nos territoires respectifs. Mais nous n'avons pas de compétences en matière de santé : je souhaiterais que nous en ayons davantage. En revanche, la veille sanitaire et la sécurité sanitaire, c'est l'affaire de l'État. Sinon, il existerait de vraies différences de prise en charge. Regardez ce qui s'est passé en Italie : dans certaines provinces, le gouverneur n'a pas voulu engager une politique de prévention pour ne pas pointer du doigt telle ou telle catégorie de sa population. C'est la raison pour laquelle il faut l'autorité de l'État, pour garantir les mêmes chances à chacun et prendre les mesures qui s'imposent.
Nous avons fait un retour d'expérience sur la façon dont nos services se sont adaptés, notamment par le télétravail. Le télétravail, c'est bien, mais il a fallu aussi assurer la livraison des ordinateurs à ceux qui restaient confinés chez eux. Comment gérer ceux qui ont des affections de longue durée, qui sont fragiles ? J'ai moi-même fait un grand nombre de Facebook live avec l'ensemble des agents pour les informer de ce que nous savions et de ce que nous ne savions pas.
Sur la question de la mise à disposition des masques, j'ai lancé l'opération « Un masque pour chacun » : dans la région, j'ai souhaité que nous puissions mettre à disposition une première dotation de masques réutilisables ou jetables pour l'ensemble de la population. Nous n'aurons l'occasion de parler de ce virus au passé que quand nous aurons le vaccin contre la covid.
Vous avez déclaré début juillet à l'Assemblée nationale : « Tout un système s'est fait bouffer la tête par une logique court- termiste et budgétaire. » Avec votre expérience de ministre de la santé, j'aimerais que vous reveniez sur la question de la gestion des stocks et de la logique budgétaire. N'avez-vous pas le sentiment que nous payons aujourd'hui beaucoup plus cher les économies faites les années précédentes ?
Vous avez évoqué la nécessité d'une autorité de l'État qui soit transversale. En tant que président de région, que pensez-vous du pilotage par les ARS et les préfectures ?
Vous avez parlé de la nécessaire articulation entre la médecine de ville et l'hôpital qui n'a pas existé pendant la gestion de cette crise. J'aimerais aussi recueillir votre avis sur ce point.
Vous avez déclaré début juillet à l'Assemblée nationale : « Tout un système s'est fait bouffer la tête par une logique court- termiste et budgétaire. » Avec votre expérience de ministre de la santé, j'aimerais que vous reveniez sur la question de la gestion des stocks et de la logique budgétaire. N'avez-vous pas le sentiment que nous payons aujourd'hui beaucoup plus cher les économies faites les années précédentes ?
Vous avez évoqué la nécessité d'une autorité de l'État qui soit transversale. En tant que président de région, que pensez-vous du pilotage par les ARS et les préfectures ?
Vous avez parlé de la nécessaire articulation entre la médecine de ville et l'hôpital qui n'a pas existé pendant la gestion de cette crise. J'aimerais aussi recueillir votre avis sur ce point.
Sur l'articulation entre les ARS et les préfectures, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle perfectible ! En réalité, cela n'a pas marché. Lorsque j'étais ministre de la santé, mes interlocuteurs étaient les agences régionales de l'hospitalisation. J'étais membre du gouvernement qui a mis en oeuvre la réforme des ARS, et en étais donc à ce titre solidaire.
Cette réforme a posé un problème : elle a dépossédé le préfet de prérogatives en la matière. Selon moi, il devrait y avoir un représentant de l'État. J'irai même plus loin : l'éducation nationale ne devrait pas être gérée dans les régions, les départements et les académies sans rendre compte au préfet. Pour moi, le représentant de l'État dans un territoire, c'est le préfet.
Sur l'articulation entre les ARS et les préfectures, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle perfectible ! En réalité, cela n'a pas marché. Lorsque j'étais ministre de la santé, mes interlocuteurs étaient les agences régionales de l'hospitalisation. J'étais membre du gouvernement qui a mis en oeuvre la réforme des ARS, et en étais donc à ce titre solidaire.
Cette réforme a posé un problème : elle a dépossédé le préfet de prérogatives en la matière. Selon moi, il devrait y avoir un représentant de l'État. J'irai même plus loin : l'éducation nationale ne devrait pas être gérée dans les régions, les départements et les académies sans rendre compte au préfet. Pour moi, le représentant de l'État dans un territoire, c'est le préfet.
Le préfet de région et les préfets de département, mais au niveau d'une académie, d'un rectorat, le correspondant est le préfet de région, avec son équipe, les préfets de département. La base de tout, c'est le préfet.
La préfectorale est une institution qui tient dans ce pays : elle a non seulement le sens de l'État, mais aussi l'approche de terrain. On n'a pas beaucoup d'opérateurs de l'État comme cela : il faut non pas les affaiblir en leur enlevant des prérogatives, mais les renforcer.
Cela correspond davantage à ma vision. Je suis bien évidemment un fervent partisan de la décentralisation, mais la déconcentration a également du sens.
Le retrait de la compétence sanitaire du préfet a débouché sur une double commande. J'ai la chance d'avoir un écosystème assez particulier dans ma région, avec un directeur général d'ARS qui a aussi une expérience des rouages de l'État en tant qu'ancien directeur de cabinet du ministre, et un préfet de région exceptionnel. Nous avons eu un véritable dialogue entre nous, peut-être aussi parce que je suis un ancien ministre de la santé, même s'il n'y a qu'un ministre de la santé en exercice : Olivier Véran. Dans ma région, je suis resté dans ma logique de président de région. Notre dialogue nous a permis d'éviter une guerre de tranchées entre le public et le privé. Nous avons assisté à de réelles coopérations : à Saint-Quentin, pour l'accès aux urgences, la clinique était, avant même l'arrivée des patients covid, dans la cour de l'hôpital pour permettre un travail commun. Nous avons travaillé avec SOS médecins et les médecins libéraux tant qu'ils ont pu pratiquer.
Notre région a été la première touchée, avec le premier cluster. Je ne vous cache pas que je craignais le pire et que nous avons vraiment essayé d'anticiper au maximum. Même si ce n'était pas mon rôle, je suis venu, parfois à l'improviste, dans des cellules de crise de certains hôpitaux pour ensuite passer des messages. J'estimais que c'était mon rôle, sans prendre la place de qui que ce soit. Très vite, nous avons organisé dans la région une réunion bihebdomadaire, le lundi et le jeudi : une conférence stratégique zonale, avec le préfet de région, les cinq préfets de département, l'ARS, les présidents de département, le président de région, les présidents des associations des maires et bien évidemment les représentants de l'État, pour expliquer la situation afin que nous puissions faire remonter un certain nombre de points et y apporter des solutions. Nous sommes ensuite passés à un rythme hebdomadaire, et avons relancé les réunions depuis déjà quelques semaines.
Sans ce cadre de dialogue efficace, à qui s'adresser ? Vous savez comment les choses se passent : s'il y a deux pilotes, il n'y a pas de pilote. Je plaide pour que la sécurité sanitaire soit de nouveau placée sous l'autorité de l'État. Dans les conclusions de la commission d'enquête, il y aura certainement un pan sur le retour d'expérience et les évolutions à proposer s'agissant du rôle des ARS. Je travaille sur cette question, et des directeurs généraux d'ARS ont d'ailleurs des idées en la matière. Le système actuel, dans une crise comme celle-ci, ne fonctionne pas comme il le devrait.
S'agissant de l'autorité transversale, même si les États-Unis ne constituent pas pour moi un modèle pour de nombreuses raisons, il faut reconnaître que la FEMA - Federal Emergency Management Agency - est un modèle intéressant en termes de sécurité des personnes. Pour faire le plan, je m'étais rendu aux États-Unis et en Asie pour voir ce qui fonctionnait bien. La FEMA est un organisme transversal qui permet, à la fois, de prendre des décisions et d'assurer la partie logistique. C'est un Éprus « plus », alors qu'en France on a un Éprus « moins ». Même avec le soutien bienveillant du président Chirac, il était compliqué de mettre en place une telle structure ; nous avons donc créé l'Éprus. Il faut se pencher sur la FEMA, car cette agence est d'une opérationnalité remarquable. C'est ce type de structure qu'il aurait fallu faire, en donnant à l'Éprus une vision plus transversale.
J'espère que nous allons tirer des enseignements de tout ce qui s'est passé en termes de sécurité des personnes, notamment de sécurité civile et sanitaire. Il ne s'agit pas de se dire qu'on attend tout de l'État, mais on n'a pas donné aux Français les clés pour être dans la prévention sur les questions sanitaires et épidémiques ; on pourrait également parler des accidents de la vie courante, qui conduisent l'équivalent d'une ville un peu plus importante que ma ville de Saint-Quentin à disparaître chaque année, soit 60 000 décès. La prévention permettrait la responsabilisation, et d'éviter de tels drames dont on ne parle quasiment jamais.
Sur la logique de court-termisme, cela fait des années que nous sommes confrontés à des équations budgétaires particulièrement douloureuses. En 2004, je suis entré au gouvernement pour mener la réforme de l'assurance maladie. Il faut évoquer la toute-puissance de Bercy. Les fonctionnaires de Bercy disent qu'ils sont là pour « tenir la baraque », année après année, exercice budgétaire après exercice budgétaire, dans une vision court-termiste. Les dépenses supplémentaires qui présentent un caractère exceptionnel bousculent les fameux équilibres financiers. Il faut alors avoir soit des circonstances exceptionnelles - « quoi qu'il en coûte » -, soit un défi à relever - préparer le pays au risque pandémique -, soit le soutien du Président de la République lui-même, voire du Premier ministre.
J'ai bénéficié de cet écosystème : nous devions préparer le pays face à un risque aviaire qui était, sur le papier, terrifiant en termes de taux de létalité ; et le Président de la République estimait que les questions de santé ne devaient pas être traitées comme les autres - le rapport de Jacques Chirac à l'humain n'est plus à démontrer. Lors des passes d'armes avec le budget, j'ai toujours gagné grâce non pas à mon talent, mais à Jacques Chirac. Nicolas Sarkozy a suivi la même logique parce qu'il a compris les risques avec la grippe H1N1 et qu'il est dans l'anticipation. Mais si tout le monde ne se met pas en ligne, c'est Bercy qui l'emporte sur Ségur - le ministère de la santé n'a pas le même poids politique que le ministère des finances. Des conseillers budgétaires de Bercy sont présents dans chaque ministère, mais il n'y a pas des conseillers du ministère de la santé à Bercy ! C'est cette logique court-termiste qui l'a emporté. Chassez le naturel, il revient au galop. J'ai eu la chance de pouvoir mettre en place ce plan, et Roselyne Bachelot a disposé des moyens nécessaires pour faire face à H1N1. Les débats des commissions parlementaires à l'Assemblée nationale et au Sénat ont été mémorables : on lui a reproché d'avoir trop dépensé, d'en avoir trop fait... Cela a marqué les esprits : ne fallait-il pas réduire la voilure ?
On a donc une logique budgétaire, parce que l'argent n'est pas si facile que cela à trouver, une logique court-termiste, parce que les exercices se succèdent. Je plaide pour une loi pluriannuelle sur la sécurité sanitaire. La loi votée, c'est bien ; mais il faut aussi la faire respecter. J'avais fait inscrire une disposition aux termes de laquelle, chaque année, le ministre de la santé ou son représentant doit veiller à l'inscription dans le budget des crédits nécessaires au renouvellement des stocks de masques. C'est la loi, mais comment les choses se sont passées ensuite ? Se pose la question du contrôle qui, sur ces sujets, est indispensable. L'important, c'est d'éviter que de telles choses se reproduisent.
J'évoquerai la place du ministère de la santé : si la santé est ô combien importante pour nos concitoyens, elle n'a pas toujours bien placée dans la hiérarchie gouvernementale ou les priorités politiques. Quand nous avons préparé le plan et mis en place l'Éprus, en ayant carte blanche de Dominique de Villepin et de Jacques Chirac, cela a fait tousser. Nous avons travaillé de façon partenariale avec ce qui était à l'époque le Secrétariat général de la défense nationale (SGDN), mais certains étaient contents à notre départ que celui-ci reprenne sa place et joue un rôle transversal. En cas de crise sanitaire, la santé gère jusqu'à un certain point, puis c'est l'intérieur qui prend la main. Nous étions allés certainement au-delà du rôle traditionnel de la santé, au-delà des disponibilités budgétaires qui lui sont dévolues. Il fallait revenir à une certaine norme.
La maison Ségur n'a pas vu d'un oeil très bienveillant que l'Éprus ait son indépendance. Réintégrer l'Éprus s'est inscrit dans la même logique. Il ne s'agit pas seulement de question budgétaire et de court-termisme : il y a aussi le problème de la logique systémique, qui est très éloignée de l'efficience.
Le préfet de région et les préfets de département, mais au niveau d'une académie, d'un rectorat, le correspondant est le préfet de région, avec son équipe, les préfets de département. La base de tout, c'est le préfet.
La préfectorale est une institution qui tient dans ce pays : elle a non seulement le sens de l'État, mais aussi l'approche de terrain. On n'a pas beaucoup d'opérateurs de l'État comme cela : il faut non pas les affaiblir en leur enlevant des prérogatives, mais les renforcer.
Cela correspond davantage à ma vision. Je suis bien évidemment un fervent partisan de la décentralisation, mais la déconcentration a également du sens.
Le retrait de la compétence sanitaire du préfet a débouché sur une double commande. J'ai la chance d'avoir un écosystème assez particulier dans ma région, avec un directeur général d'ARS qui a aussi une expérience des rouages de l'État en tant qu'ancien directeur de cabinet du ministre, et un préfet de région exceptionnel. Nous avons eu un véritable dialogue entre nous, peut-être aussi parce que je suis un ancien ministre de la santé, même s'il n'y a qu'un ministre de la santé en exercice : Olivier Véran. Dans ma région, je suis resté dans ma logique de président de région. Notre dialogue nous a permis d'éviter une guerre de tranchées entre le public et le privé. Nous avons assisté à de réelles coopérations : à Saint-Quentin, pour l'accès aux urgences, la clinique était, avant même l'arrivée des patients covid, dans la cour de l'hôpital pour permettre un travail commun. Nous avons travaillé avec SOS médecins et les médecins libéraux tant qu'ils ont pu pratiquer.
Notre région a été la première touchée, avec le premier cluster. Je ne vous cache pas que je craignais le pire et que nous avons vraiment essayé d'anticiper au maximum. Même si ce n'était pas mon rôle, je suis venu, parfois à l'improviste, dans des cellules de crise de certains hôpitaux pour ensuite passer des messages. J'estimais que c'était mon rôle, sans prendre la place de qui que ce soit. Très vite, nous avons organisé dans la région une réunion bihebdomadaire, le lundi et le jeudi : une conférence stratégique zonale, avec le préfet de région, les cinq préfets de département, l'ARS, les présidents de département, le président de région, les présidents des associations des maires et bien évidemment les représentants de l'État, pour expliquer la situation afin que nous puissions faire remonter un certain nombre de points et y apporter des solutions. Nous sommes ensuite passés à un rythme hebdomadaire, et avons relancé les réunions depuis déjà quelques semaines.
Sans ce cadre de dialogue efficace, à qui s'adresser ? Vous savez comment les choses se passent : s'il y a deux pilotes, il n'y a pas de pilote. Je plaide pour que la sécurité sanitaire soit de nouveau placée sous l'autorité de l'État. Dans les conclusions de la commission d'enquête, il y aura certainement un pan sur le retour d'expérience et les évolutions à proposer s'agissant du rôle des ARS. Je travaille sur cette question, et des directeurs généraux d'ARS ont d'ailleurs des idées en la matière. Le système actuel, dans une crise comme celle-ci, ne fonctionne pas comme il le devrait.
S'agissant de l'autorité transversale, même si les États-Unis ne constituent pas pour moi un modèle pour de nombreuses raisons, il faut reconnaître que la FEMA - Federal Emergency Management Agency - est un modèle intéressant en termes de sécurité des personnes. Pour faire le plan, je m'étais rendu aux États-Unis et en Asie pour voir ce qui fonctionnait bien. La FEMA est un organisme transversal qui permet, à la fois, de prendre des décisions et d'assurer la partie logistique. C'est un Éprus « plus », alors qu'en France on a un Éprus « moins ». Même avec le soutien bienveillant du président Chirac, il était compliqué de mettre en place une telle structure ; nous avons donc créé l'Éprus. Il faut se pencher sur la FEMA, car cette agence est d'une opérationnalité remarquable. C'est ce type de structure qu'il aurait fallu faire, en donnant à l'Éprus une vision plus transversale.
J'espère que nous allons tirer des enseignements de tout ce qui s'est passé en termes de sécurité des personnes, notamment de sécurité civile et sanitaire. Il ne s'agit pas de se dire qu'on attend tout de l'État, mais on n'a pas donné aux Français les clés pour être dans la prévention sur les questions sanitaires et épidémiques ; on pourrait également parler des accidents de la vie courante, qui conduisent l'équivalent d'une ville un peu plus importante que ma ville de Saint-Quentin à disparaître chaque année, soit 60 000 décès. La prévention permettrait la responsabilisation, et d'éviter de tels drames dont on ne parle quasiment jamais.
Sur la logique de court-termisme, cela fait des années que nous sommes confrontés à des équations budgétaires particulièrement douloureuses. En 2004, je suis entré au gouvernement pour mener la réforme de l'assurance maladie. Il faut évoquer la toute-puissance de Bercy. Les fonctionnaires de Bercy disent qu'ils sont là pour « tenir la baraque », année après année, exercice budgétaire après exercice budgétaire, dans une vision court-termiste. Les dépenses supplémentaires qui présentent un caractère exceptionnel bousculent les fameux équilibres financiers. Il faut alors avoir soit des circonstances exceptionnelles - « quoi qu'il en coûte » -, soit un défi à relever - préparer le pays au risque pandémique -, soit le soutien du Président de la République lui-même, voire du Premier ministre.
J'ai bénéficié de cet écosystème : nous devions préparer le pays face à un risque aviaire qui était, sur le papier, terrifiant en termes de taux de létalité ; et le Président de la République estimait que les questions de santé ne devaient pas être traitées comme les autres - le rapport de Jacques Chirac à l'humain n'est plus à démontrer. Lors des passes d'armes avec le budget, j'ai toujours gagné grâce non pas à mon talent, mais à Jacques Chirac. Nicolas Sarkozy a suivi la même logique parce qu'il a compris les risques avec la grippe H1N1 et qu'il est dans l'anticipation. Mais si tout le monde ne se met pas en ligne, c'est Bercy qui l'emporte sur Ségur - le ministère de la santé n'a pas le même poids politique que le ministère des finances. Des conseillers budgétaires de Bercy sont présents dans chaque ministère, mais il n'y a pas des conseillers du ministère de la santé à Bercy ! C'est cette logique court-termiste qui l'a emporté. Chassez le naturel, il revient au galop. J'ai eu la chance de pouvoir mettre en place ce plan, et Roselyne Bachelot a disposé des moyens nécessaires pour faire face à H1N1. Les débats des commissions parlementaires à l'Assemblée nationale et au Sénat ont été mémorables : on lui a reproché d'avoir trop dépensé, d'en avoir trop fait... Cela a marqué les esprits : ne fallait-il pas réduire la voilure ?
On a donc une logique budgétaire, parce que l'argent n'est pas si facile que cela à trouver, une logique court-termiste, parce que les exercices se succèdent. Je plaide pour une loi pluriannuelle sur la sécurité sanitaire. La loi votée, c'est bien ; mais il faut aussi la faire respecter. J'avais fait inscrire une disposition aux termes de laquelle, chaque année, le ministre de la santé ou son représentant doit veiller à l'inscription dans le budget des crédits nécessaires au renouvellement des stocks de masques. C'est la loi, mais comment les choses se sont passées ensuite ? Se pose la question du contrôle qui, sur ces sujets, est indispensable. L'important, c'est d'éviter que de telles choses se reproduisent.
J'évoquerai la place du ministère de la santé : si la santé est ô combien importante pour nos concitoyens, elle n'a pas toujours bien placée dans la hiérarchie gouvernementale ou les priorités politiques. Quand nous avons préparé le plan et mis en place l'Éprus, en ayant carte blanche de Dominique de Villepin et de Jacques Chirac, cela a fait tousser. Nous avons travaillé de façon partenariale avec ce qui était à l'époque le Secrétariat général de la défense nationale (SGDN), mais certains étaient contents à notre départ que celui-ci reprenne sa place et joue un rôle transversal. En cas de crise sanitaire, la santé gère jusqu'à un certain point, puis c'est l'intérieur qui prend la main. Nous étions allés certainement au-delà du rôle traditionnel de la santé, au-delà des disponibilités budgétaires qui lui sont dévolues. Il fallait revenir à une certaine norme.
La maison Ségur n'a pas vu d'un oeil très bienveillant que l'Éprus ait son indépendance. Réintégrer l'Éprus s'est inscrit dans la même logique. Il ne s'agit pas seulement de question budgétaire et de court-termisme : il y a aussi le problème de la logique systémique, qui est très éloignée de l'efficience.
Mes questions porteront sur votre ancienne fonction de ministre.
Vous avez évoqué la gouvernance en santé publique et sa confrontation à l'équation budgétaire. On est quand même marqué par le sous-investissement, très ancien, de notre pays sur la question. Il a fallu attendre 2016 pour que commence à émerger une agence nationale de santé publique, et le processus n'est pas achevé. Il est fondamental qu'un pays ait une culture de santé publique, pour être capable de répondre rapidement à une épidémie par exemple. Pouvez-vous développer votre revendication d'apporter une réponse régalienne en matière de santé publique ?
Cette crise a montré que l'efficacité était bien souvent dans la réponse territoriale, mais que l'égalité due à nos concitoyens devant toute situation et tout risque se joue au niveau de l'État. Notre réponse à l'épidémie n'a pas permis de conjuguer de façon satisfaisante efficacité et égalité républicaine. Quelles sont vos réflexions à ce sujet ?
Le conseil de défense est présenté comme le lieu où se pilote l'épidémie. Une ancienne ministre de la santé nous a dit crûment qu'il s'agissait surtout d'une instance permettant au chef de l'État d'assister aux réunions. Comment évaluez-vous ce mode de pilotage et son articulation avec une politique de santé publique ?
On brandit sans arrêt la question budgétaire, mais une fois qu'on a dit cela on en revient à l'équilibre des comptes publics, à l'endettement de la France... Quand les textes arrivent au Parlement, les voix ne manquent pas pour dire qu'il faut faire des économies. Lorsque vous étiez ministre, des décisions de sécurité sanitaire ont-elles été remises en cause par le ministère du budget ?
Mes questions porteront sur votre ancienne fonction de ministre.
Vous avez évoqué la gouvernance en santé publique et sa confrontation à l'équation budgétaire. On est quand même marqué par le sous-investissement, très ancien, de notre pays sur la question. Il a fallu attendre 2016 pour que commence à émerger une agence nationale de santé publique, et le processus n'est pas achevé. Il est fondamental qu'un pays ait une culture de santé publique, pour être capable de répondre rapidement à une épidémie par exemple. Pouvez-vous développer votre revendication d'apporter une réponse régalienne en matière de santé publique ?
Cette crise a montré que l'efficacité était bien souvent dans la réponse territoriale, mais que l'égalité due à nos concitoyens devant toute situation et tout risque se joue au niveau de l'État. Notre réponse à l'épidémie n'a pas permis de conjuguer de façon satisfaisante efficacité et égalité républicaine. Quelles sont vos réflexions à ce sujet ?
Le conseil de défense est présenté comme le lieu où se pilote l'épidémie. Une ancienne ministre de la santé nous a dit crûment qu'il s'agissait surtout d'une instance permettant au chef de l'État d'assister aux réunions. Comment évaluez-vous ce mode de pilotage et son articulation avec une politique de santé publique ?
On brandit sans arrêt la question budgétaire, mais une fois qu'on a dit cela on en revient à l'équilibre des comptes publics, à l'endettement de la France... Quand les textes arrivent au Parlement, les voix ne manquent pas pour dire qu'il faut faire des économies. Lorsque vous étiez ministre, des décisions de sécurité sanitaire ont-elles été remises en cause par le ministère du budget ?
Non.
Non.
L'argument budgétaire n'est donc pas si problématique... Il y a probablement autre chose : je pense à la place qu'occupe la santé dans notre gouvernance et dans les préoccupations de notre administration, notre personnel politique, etc.
Si vous aviez été ministre en octobre 2018, estimez-vous que votre directeur général de la santé aurait dû vous informer de ce qui était quasiment un changement de doctrine, en tout cas une décision lourde de conséquences, sur les masques ? Ou était-ce une décision de son ressort ?
L'argument budgétaire n'est donc pas si problématique... Il y a probablement autre chose : je pense à la place qu'occupe la santé dans notre gouvernance et dans les préoccupations de notre administration, notre personnel politique, etc.
Si vous aviez été ministre en octobre 2018, estimez-vous que votre directeur général de la santé aurait dû vous informer de ce qui était quasiment un changement de doctrine, en tout cas une décision lourde de conséquences, sur les masques ? Ou était-ce une décision de son ressort ?
Il aurait dû en informer la ministre, d'autant qu'il était l'auteur d'une note, quelques années auparavant, particulièrement alarmiste.
Je n'ai pas renoncé à des opérations pour des raisons budgétaires, mais j'ai bénéficié d'un alignement des planètes quasi exceptionnel : la préparation d'une épidémie H5N1, un Président de la République qui a totalement conscience de ce qu'il faut faire et qui me demande de faire au mieux et un Premier ministre, Dominique de Villepin, convaincu de l'importance des questions de santé. J'aurai d'ailleurs tout son soutien quand je réussirai à mettre en place l'interdiction de fumer dans les lieux publics. On a reproché aux gouvernements successifs d'en faire trop, mais pas d'en faire trop peu parce qu'il n'y avait pas de moyens. On n'a jamais manqué de masques, de matériels, de doses vaccinales...
Il existait deux médicaments pour la grippe aviaire. Je me suis rendu en Suisse pour rencontrer le PDG de Roche afin d'obtenir des livraisons de tamiflu. Comme tout ne pouvait pas nous être livré sous forme de gélules, j'ai obtenu que nous soyons livrés en vrac- c'est la pharmacie des armées qui a fait un remarquable travail de transformation. L'autre médicament était le relenza, produit par Glaxo. Il a fallu aussi sortir de l'orthodoxie et notre système en est capable : il faut rechercher l'efficacité.
Il aurait dû en informer la ministre, d'autant qu'il était l'auteur d'une note, quelques années auparavant, particulièrement alarmiste.
Je n'ai pas renoncé à des opérations pour des raisons budgétaires, mais j'ai bénéficié d'un alignement des planètes quasi exceptionnel : la préparation d'une épidémie H5N1, un Président de la République qui a totalement conscience de ce qu'il faut faire et qui me demande de faire au mieux et un Premier ministre, Dominique de Villepin, convaincu de l'importance des questions de santé. J'aurai d'ailleurs tout son soutien quand je réussirai à mettre en place l'interdiction de fumer dans les lieux publics. On a reproché aux gouvernements successifs d'en faire trop, mais pas d'en faire trop peu parce qu'il n'y avait pas de moyens. On n'a jamais manqué de masques, de matériels, de doses vaccinales...
Il existait deux médicaments pour la grippe aviaire. Je me suis rendu en Suisse pour rencontrer le PDG de Roche afin d'obtenir des livraisons de tamiflu. Comme tout ne pouvait pas nous être livré sous forme de gélules, j'ai obtenu que nous soyons livrés en vrac- c'est la pharmacie des armées qui a fait un remarquable travail de transformation. L'autre médicament était le relenza, produit par Glaxo. Il a fallu aussi sortir de l'orthodoxie et notre système en est capable : il faut rechercher l'efficacité.
C'est une question de volontarisme. Il ne faut pas traverser dans les clous. Si l'on prend l'exemple des masques, on a pu les commander rapidement parce que nous avons été capables de bousculer l'ordre des choses. Mais en France on en est capable seulement quand on est au coeur de la crise ! Il faut aussi le faire pour éviter la crise, c'est le rôle de l'anticipation.
Sur le conseil de défense, il est en train de remplacer le conseil des ministres ! On a le sentiment que le conseil des ministres n'est plus là et que le conseil de défense décide de tout. Il faut respecter les institutions.
Sur la question de la gouvernance et du rôle de l'État, jusqu'où le ministère de la santé est-il compétent ? À partir de quand faut-il passer le relais au ministère de l'intérieur, qui est mieux « staffé » ? Se posent également des questions liées à l'ordre public, à la préfectorale... Le monde de la santé est là pour organiser les soins, mais à un moment donné on entre dans une logique sociétale, et il est normal que le ministre de l'intérieur pilote le tout.
L'Éprus et la question de la réserve sanitaire doivent relever de la gouvernance de l'État, avec une déclinaison territoriale qui devrait être organisée par les préfets. Mais pour ne pas se réfugier derrière l'État qui s'occuperait de tout, il faut une articulation avec les autres acteurs, notamment médicaux mais aussi territoriaux.
Si je n'ai renoncé à rien, je peux vous dire que Bercy était clairement opposé à la création de l'Éprus. En effet, cette création nous permettait d'éviter la question des plafonds d'emplois.
C'est une question de volontarisme. Il ne faut pas traverser dans les clous. Si l'on prend l'exemple des masques, on a pu les commander rapidement parce que nous avons été capables de bousculer l'ordre des choses. Mais en France on en est capable seulement quand on est au coeur de la crise ! Il faut aussi le faire pour éviter la crise, c'est le rôle de l'anticipation.
Sur le conseil de défense, il est en train de remplacer le conseil des ministres ! On a le sentiment que le conseil des ministres n'est plus là et que le conseil de défense décide de tout. Il faut respecter les institutions.
Sur la question de la gouvernance et du rôle de l'État, jusqu'où le ministère de la santé est-il compétent ? À partir de quand faut-il passer le relais au ministère de l'intérieur, qui est mieux « staffé » ? Se posent également des questions liées à l'ordre public, à la préfectorale... Le monde de la santé est là pour organiser les soins, mais à un moment donné on entre dans une logique sociétale, et il est normal que le ministre de l'intérieur pilote le tout.
L'Éprus et la question de la réserve sanitaire doivent relever de la gouvernance de l'État, avec une déclinaison territoriale qui devrait être organisée par les préfets. Mais pour ne pas se réfugier derrière l'État qui s'occuperait de tout, il faut une articulation avec les autres acteurs, notamment médicaux mais aussi territoriaux.
Si je n'ai renoncé à rien, je peux vous dire que Bercy était clairement opposé à la création de l'Éprus. En effet, cette création nous permettait d'éviter la question des plafonds d'emplois.
Quel est votre avis sur l'inclusion de l'Éprus dans Santé publique France ?
Quel est votre avis sur l'inclusion de l'Éprus dans Santé publique France ?
C'est une erreur. On pense faire des économies d'échelle en noyant les structures dans de très grandes organisations. Sur les questions des fonctions support, il est possible de s'organiser différemment, mais il ne faut pas nier la spécificité de tel ou tel acteur.
Au moment du mediator, j'avais eu la tentation de créer une agence qui aurait tout regroupé. Certains m'en ont dissuadé en montrant que l'on risquait de perdre un certain nombre de spécificités.
C'est une erreur. On pense faire des économies d'échelle en noyant les structures dans de très grandes organisations. Sur les questions des fonctions support, il est possible de s'organiser différemment, mais il ne faut pas nier la spécificité de tel ou tel acteur.
Au moment du mediator, j'avais eu la tentation de créer une agence qui aurait tout regroupé. Certains m'en ont dissuadé en montrant que l'on risquait de perdre un certain nombre de spécificités.
Vous avez évoqué la vaccination saisonnière de la grippe. Pensez-vous que l'on devrait reprendre le schéma d'une vaccination collective adopté en 2009 pour la grippe H1N1 dans la cadre d'une éventuelle pandémie ? Il serait important de réaliser une telle vaccination à la fois pour des raisons sanitaires, mais aussi pour faire en quelque sorte une répétition d'une future grande vaccination contre le covid.
Vous avez évoqué la vaccination saisonnière de la grippe. Pensez-vous que l'on devrait reprendre le schéma d'une vaccination collective adopté en 2009 pour la grippe H1N1 dans la cadre d'une éventuelle pandémie ? Il serait important de réaliser une telle vaccination à la fois pour des raisons sanitaires, mais aussi pour faire en quelque sorte une répétition d'une future grande vaccination contre le covid.
Dans votre esprit, cette vaccination serait-elle obligatoire ?
Dans votre esprit, cette vaccination serait-elle obligatoire ?
Nous sommes engagés dans une politique préventive contre le virus : nous portons des masques, nous limitons les rassemblements, nous appliquons les gestes barrières, même s'il y a eu des atermoiements.
En tant qu'ancien ministre de la santé, quelles failles avez-vous pu constater dans la politique de prévention ? Quels manques identifiez-vous aujourd'hui ? Quelles seraient les évolutions possibles pour demain ?
Vous avez beaucoup insisté sur la place des territoires dans la mise en oeuvre de la politique sanitaire. Vous avez affirmé la prééminence de l'État en ce qui concerne la sécurité sanitaire. Mais sur la politique sanitaire, vous estimez que nous pourrions avoir une politique beaucoup mieux articulée avec les territoires pour être efficiente. Quelles sont les collectivités qui sont pour vous au coeur du dispositif ?
Nous sommes engagés dans une politique préventive contre le virus : nous portons des masques, nous limitons les rassemblements, nous appliquons les gestes barrières, même s'il y a eu des atermoiements.
En tant qu'ancien ministre de la santé, quelles failles avez-vous pu constater dans la politique de prévention ? Quels manques identifiez-vous aujourd'hui ? Quelles seraient les évolutions possibles pour demain ?
Vous avez beaucoup insisté sur la place des territoires dans la mise en oeuvre de la politique sanitaire. Vous avez affirmé la prééminence de l'État en ce qui concerne la sécurité sanitaire. Mais sur la politique sanitaire, vous estimez que nous pourrions avoir une politique beaucoup mieux articulée avec les territoires pour être efficiente. Quelles sont les collectivités qui sont pour vous au coeur du dispositif ?
On a le sentiment que l'État a baissé la garde sur la pandémie. Est-ce pour des raisons accidentelles, conjoncturelles, budgétaires, structurelles ? N'a-t-on pas sous-estimé le risque de pandémie ?
Aviez-vous des échanges lorsque vous étiez ministre avec vos homologues européens ? Une politique européenne de la santé fait-elle sens ? Quel pourrait être son périmètre ?
On a le sentiment que l'État a baissé la garde sur la pandémie. Est-ce pour des raisons accidentelles, conjoncturelles, budgétaires, structurelles ? N'a-t-on pas sous-estimé le risque de pandémie ?
Aviez-vous des échanges lorsque vous étiez ministre avec vos homologues européens ? Une politique européenne de la santé fait-elle sens ? Quel pourrait être son périmètre ?
Vous avez insisté sur la mission régalienne protectrice de l'État et sur le rôle des collectivités. Dans les Hauts-de-France, la région, les départements et les communes ont eu un rôle essentiel. Je vais prendre un exemple qu'on ne cite jamais : c'est l'aide qui a été apportée aux personnes âgées isolées pour les approvisionner. Ce sont d'ailleurs souvent des élus qui se sont mis au travail.
Vous avez également insisté sur le retour d'expérience et sur l'évaluation. Effectivement, il faut tirer des leçons ! Nous avons entendu les ambassadeurs de Corée du Sud et de Taïwan, deux États qui ont su tirer des leçons des diverses pandémies qu'ils ont eu à affronter en mettant en place des plans très précis. En Corée, il y a eu 350 morts ; à Taïwan, moins de 10 morts.
Quel rôle peuvent jouer les collectivités dans un plan de lutte contre une pandémie ? On ne peut pas faire sans elles. Certes, il y a le préfet, mais les collectivités, parce qu'elles sont au plus proche, ont un rôle à jouer.
Vous avez insisté sur la mission régalienne protectrice de l'État et sur le rôle des collectivités. Dans les Hauts-de-France, la région, les départements et les communes ont eu un rôle essentiel. Je vais prendre un exemple qu'on ne cite jamais : c'est l'aide qui a été apportée aux personnes âgées isolées pour les approvisionner. Ce sont d'ailleurs souvent des élus qui se sont mis au travail.
Vous avez également insisté sur le retour d'expérience et sur l'évaluation. Effectivement, il faut tirer des leçons ! Nous avons entendu les ambassadeurs de Corée du Sud et de Taïwan, deux États qui ont su tirer des leçons des diverses pandémies qu'ils ont eu à affronter en mettant en place des plans très précis. En Corée, il y a eu 350 morts ; à Taïwan, moins de 10 morts.
Quel rôle peuvent jouer les collectivités dans un plan de lutte contre une pandémie ? On ne peut pas faire sans elles. Certes, il y a le préfet, mais les collectivités, parce qu'elles sont au plus proche, ont un rôle à jouer.
Vous avez parlé de l'Éprus et des actions que vous avez menées contre la dengue et le chikungunya, lesquels ont touché particulièrement les outre-mer. Les collectivités doivent être en première ligne pour ce type de crise, puisqu'elles s'occupent de la prévention. Pour les maladies que je viens de citer, il faut éliminer les moustiques et les gîtes larvaires. Comment appréciez-vous, au regard de l'expérience qui a été la vôtre, la réponse apportée aujourd'hui à la pandémie dans les différents territoires d'outre-mer ? Avez-vous des conseils à nous donner, puisque l'épidémie est toujours là ?
Vous avez parlé de l'Éprus et des actions que vous avez menées contre la dengue et le chikungunya, lesquels ont touché particulièrement les outre-mer. Les collectivités doivent être en première ligne pour ce type de crise, puisqu'elles s'occupent de la prévention. Pour les maladies que je viens de citer, il faut éliminer les moustiques et les gîtes larvaires. Comment appréciez-vous, au regard de l'expérience qui a été la vôtre, la réponse apportée aujourd'hui à la pandémie dans les différents territoires d'outre-mer ? Avez-vous des conseils à nous donner, puisque l'épidémie est toujours là ?
Vous avez parlé de logique sanitaire systémique, mais avouez qu'il y a quand même des absents dans ce système : les médecins de ville ont été très peu sollicités et le sont maintenant tardivement. Quand vous étiez ministre de la santé, vous aviez fait en sorte que les médecins libéraux soient au centre des préoccupations sanitaires. Que s'est-il passé entre 2006 et 2020 ?
Vous avez parlé de logique sanitaire systémique, mais avouez qu'il y a quand même des absents dans ce système : les médecins de ville ont été très peu sollicités et le sont maintenant tardivement. Quand vous étiez ministre de la santé, vous aviez fait en sorte que les médecins libéraux soient au centre des préoccupations sanitaires. Que s'est-il passé entre 2006 et 2020 ?
Les personnes âgées ont payé un lourd tribut durant cette pandémie. Vous avez insisté sur la fonction régalienne et protectrice de l'État. Estimez-vous que nous les avons suffisamment protégées ? À cette même question, un professeur que nous avons auditionné la semaine dernière me répondait, lorsque je faisais la comparaison avec l'Allemagne, qui a eu avec quatre fois moins de décès de personnes âgées, qu'il existait dans ce pays une priorité absolue. Avez-vous des solutions qui nous permettraient d'améliorer la protection de ces personnes ?
Les personnes âgées ont payé un lourd tribut durant cette pandémie. Vous avez insisté sur la fonction régalienne et protectrice de l'État. Estimez-vous que nous les avons suffisamment protégées ? À cette même question, un professeur que nous avons auditionné la semaine dernière me répondait, lorsque je faisais la comparaison avec l'Allemagne, qui a eu avec quatre fois moins de décès de personnes âgées, qu'il existait dans ce pays une priorité absolue. Avez-vous des solutions qui nous permettraient d'améliorer la protection de ces personnes ?
Je suis tout à fait d'accord avec vous : nous n'avons pas de culture de l'évaluation en France. Cela ne pourrait-il pas changer si nous sortions de cette culture de contraintes, avec la certification et les normes qui tombent sur les épaules de nos professionnels de santé ?
Je suis tout à fait d'accord avec vous : nous n'avons pas de culture de l'évaluation en France. Cela ne pourrait-il pas changer si nous sortions de cette culture de contraintes, avec la certification et les normes qui tombent sur les épaules de nos professionnels de santé ?
Monsieur Rapin, je ne pense pas qu'il faille rendre la vaccination obligatoire. Il y a de plus en plus de réticences sur la question des vaccins. Je continue à croire en une pédagogie non infantilisante, démontrant l'intérêt de la vaccination, pour qu'il n'y ait pas de confusion entre la grippe saisonnière et la covid. Le Gouvernement a dû y penser. Il faudrait diffuser très rapidement des spots pédagogiques. La campagne vaccinale doit commencer mi-octobre. Quand arrivent les vaccins ? Comment la campagne de vaccination va-t-elle être organisée ?
J'ai dit ce que je pensais de la façon dont l'affaire des masques avait été « gérée ». Mais on n'a pas le droit de se louper sur le vaccin covid ! L'épidémie ne sera terminée que lorsqu'il y aura un traitement, et le traitement c'est le vaccin. Je ne suis pas non plus favorable à rendre obligatoire le vaccin covid. Il faut inciter, expliquer. On nous dit qu'un vaccin sera disponible en 2021. Comme nous sommes un grand pays, nous devons être servis en premier, d'autant que nous avons des laboratoires pharmaceutiques sur notre territoire. Mais il faut préparer la logistique de la vaccination. Dans les ministères, des équipes devraient déjà être dans la prospective et l'anticipation sur la question du vaccin.
Monsieur Rapin, je ne pense pas qu'il faille rendre la vaccination obligatoire. Il y a de plus en plus de réticences sur la question des vaccins. Je continue à croire en une pédagogie non infantilisante, démontrant l'intérêt de la vaccination, pour qu'il n'y ait pas de confusion entre la grippe saisonnière et la covid. Le Gouvernement a dû y penser. Il faudrait diffuser très rapidement des spots pédagogiques. La campagne vaccinale doit commencer mi-octobre. Quand arrivent les vaccins ? Comment la campagne de vaccination va-t-elle être organisée ?
J'ai dit ce que je pensais de la façon dont l'affaire des masques avait été « gérée ». Mais on n'a pas le droit de se louper sur le vaccin covid ! L'épidémie ne sera terminée que lorsqu'il y aura un traitement, et le traitement c'est le vaccin. Je ne suis pas non plus favorable à rendre obligatoire le vaccin covid. Il faut inciter, expliquer. On nous dit qu'un vaccin sera disponible en 2021. Comme nous sommes un grand pays, nous devons être servis en premier, d'autant que nous avons des laboratoires pharmaceutiques sur notre territoire. Mais il faut préparer la logistique de la vaccination. Dans les ministères, des équipes devraient déjà être dans la prospective et l'anticipation sur la question du vaccin.
M. Rapin évoquait aussi l'idée de « s'entraîner » en organisant une vaccination collective contre la grippe.
M. Rapin évoquait aussi l'idée de « s'entraîner » en organisant une vaccination collective contre la grippe.
Pour organiser une vaccination collective, il faut avoir suffisamment de doses. Je ne sais pas combien de doses ont été commandées, auprès de qui et à quel moment elles seront disponibles...
Pour organiser une vaccination collective, il faut avoir suffisamment de doses. Je ne sais pas combien de doses ont été commandées, auprès de qui et à quel moment elles seront disponibles...
La grande différence entre la maxi-vaccination de 2009 et la vaccination grippale aujourd'hui, c'est qu'on a aujourd'hui de l'unidose en seringue pour la vaccination grippale, alors que les doses étaient en flacons pour H1N1. Peut-on aujourd'hui reproduire la même chose ?
La grande différence entre la maxi-vaccination de 2009 et la vaccination grippale aujourd'hui, c'est qu'on a aujourd'hui de l'unidose en seringue pour la vaccination grippale, alors que les doses étaient en flacons pour H1N1. Peut-on aujourd'hui reproduire la même chose ?
Monsieur Husson, on a beaucoup entendu l'État parler de l'articulation maire-préfet. C'est une évidence, puisque la commune est la cellule de base de la démocratie, mais d'autres niveaux de collectivités peuvent aussi apporter leur concours.
Si l'on parle de la continuité de l'État, il faut prendre en compte non seulement la dimension sanitaire, mais aussi les dimensions économique et sociale. Les élus ont apporté un concours remarquable. Le rôle des maires a été salué, mais il ne faut pas oublier toutes celles et ceux qui se sont bénévolement engagés pour distribuer des repas, faire des courses... En France, c'est toujours le système D. Les liens humains, c'est ce qui fait la différence entre notre pays et les autres. À tous ceux qui disent qu'il y a trop de communes en France, on peut rétorquer qu'heureusement que les élus, bénévoles de la République, étaient là ! Il faut aussi évoquer les associations, les voisins, les parents... Quand les élus allaient dépanner leurs administrés, ils avaient aussi peur de ramener ce satané virus chez eux.
L'articulation peut se faire au travers des compétences existantes, mais les collectivités doivent être considérées comme des partenaires. On a parfois le sentiment que l'accès à l'information est compliqué. Si le département ne sait pas ce qui se passe dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), il ne peut pas apporter l'aide nécessaire.
Les collectivités locales sont-elles vraiment considérées comme des partenaires à part entière, et pas comme des empêcheurs de tourner en rond ? Dans les plans stratégiques que nous devrons mettre en place dans les mois et les années à venir, il faut davantage intégrer les différents niveaux de collectivités locales. Si l'on veut établir des règles sanitaires dans les collèges, il est préférable d'en discuter avec les départements, plutôt que de les laisser découvrir au dernier moment la notice qui a été établie. Sur la date de réouverture des classes, le dialogue a parfois été musclé, car je voulais qu'on puisse organiser.
Que ce soit par temps calme ou par tempête, les Français veulent être protégés. C'est la mission première de l'État. S'est posée la question des masques et des équipements. Encore aujourd'hui, dans un centre hospitalier du Pas-de-Calais, une notice a été envoyée pour indiquer qu'il fallait faire attention à la consommation de gants. J'ai fait remonter le problème hier au préfet et à l'ARS, mais cela fait déjà quelques semaines que j'avais signalé ces questions.
Nous devons nous doter de stocks stratégiques suffisants. Personne ne veut revenir au système D qui a conduit à utiliser des sacs poubelle ! On doit penser à tous les éléments, et pas seulement aux masques : surblouses, blouses, gants, visières...
C'est la culture de la confiance qui est, selon moi, la clé.
Monsieur Henno, oui, l'État a baissé la garde, mais la France n'est pas la seule. Si Taïwan et la Corée du Sud s'en sont bien sortis, l'Allemagne qu'on nous donne beaucoup en exemple a connu des difficultés. Son système industriel lui a permis de s'adapter très vite. Nous avons mobilisé l'industrie pour les respirateurs, mais pourquoi ne l'avons-nous pas fait pour la confection de masques ? Heureusement qu'on a eu le système D avec des couturières improvisées ou professionnelles. Dans ma région, on a lancé une filière avec les masques Résilience. Toyota et Valeo en ont produit également. Il nous manque une culture de la prévention et du risque. L'anticipation n'est pas toujours dans l'ADN des décideurs politiques, et plus largement publics. On s'est souvent moqué de mon ancien métier d'assureur. C'est pourtant un très beau métier, et l'assureur doit aussi prévoir et garantir le pire.
Sur la question de la politique européenne en matière de coopération et de recherche, il ne faut pas se marcher sur les pieds pour le vaccin. Si l'on parle de l'accès aux frontières, on reste dans la dimension régalienne. J'ai rencontré mes homologues européens, mais pas seulement - chinois, américain. En politique, vous pouvez reprendre les bonnes idées des autres, il n'y a pas de droits d'auteur à payer !
M. Paccaud a raison : la santé fait partie des missions régaliennes. On dit toujours que le régalien, c'est la sécurité, la justice, la défense, le respect de la laïcité, mais l'éducation et la santé font aussi partie des priorités régaliennes.
L'articulation avec les collectivités est indispensable. Elle se fait dans certains secteurs et il faut l'étendre. En cas de risque nucléaire, ce sont les collectivités qui sont chargées de la distribution des pastilles d'iode.
Madame Jasmin, je me souviens m'être rendu dans les Alpes-Maritimes après l'épisode du chikungunya pour expliquer que la situation que La Réunion avait connue pouvait aussi survenir en métropole. Les acteurs doivent être les collectivités locales. Il faut clairement dire qui fait quoi : définition par l'État, articulation avec les collectivités. En matière d'anticipation, c'est la question du vaccin covid qui est maintenant le sujet important.
Madame Meunier, on m'a beaucoup reproché pendant mes différentes fonctions de m'appuyer sur les médecins généralistes. Mais ce sont les médecins de famille en qui on a confiance. Notre système de santé est tourné vers les défis et les besoins de l'hôpital public. Mais comment faire sans les médecins ? Personne ne souhaite qu'il y ait une deuxième vague de la même ampleur, mais il faudra alors davantage s'appuyer sur les établissements privés et sur les médecins qui ne demandaient que cela.
Madame Préville, les anciens ont été insuffisamment protégés, mais ce n'est pas tout à fait nouveau : souvenez-vous de la canicule de 2003. J'ai eu à gérer l'épisode de canicule en 2006, et nous avons pu mesurer les progrès qui avaient été faits. La situation s'explique aussi par le regard que porte la société sur les anciens. Depuis combien de temps parle-t-on d'une réforme de la dépendance ? La solidité et l'honneur d'une société tiennent à l'attention qu'elle porte à l'aube et au crépuscule de la vie. Il faut que ces questions soient des priorités de l'État. Se pose aussi la question des moyens, notamment humains.
Monsieur Sol, les commissions parlementaires doivent s'assurer du suivi. La fonction de contrôle - pas de censeur ou de critique - légitime totalement le rôle d'une commission comme la vôtre.
On a essayé à un moment donné - je ne suis dupe de rien - de me faire porter le chapeau du changement de doctrine et de stratégie. J'ai de nombreux défauts, mais je ne suis pas naïf. La commission d'enquête à l'Assemblée nationale m'a permis de rétablir la vérité. Je ne voudrais exonérer personne de ses responsabilités, mais quand j'ai quitté mes fonctions ce n'est ni le ministère de la santé ni la ministre qui a voulu changer la doctrine. Je répondrai avant le 7 octobre prochain aux questions écrites que vous m'avez posées. Entre le fait que la culture du risque et de l'anticipation n'a pas toujours été la marque de fabrique de notre pays et les logiques budgétaire et systémique, on comprend pourquoi on en est arrivé là.
Il faut que des professeurs, comme MM. Derenne, Bricaire, Raoult - quand il a fait son rapport -, et des acteurs publics et politiques prennent ce dossier à bras-le-corps. Sinon on n'est pas préparé et l'État n'assure pas sa mission première, qui est de protéger les citoyens. En 2013, le SGDSN prend la décision de changer de doctrine et la fait avaliser. Ce n'est pas un ministre qui prend cette décision : aucun n'accepterait d'endosser la responsabilité de faire des économies en protégeant moins nos concitoyens. On peut penser ce qu'on veut des politiques, mais ils cherchent plutôt à bien faire qu'à mal faire.
Se pose la question des consignes claires. Nous devons rompre avec cette tradition où c'est l'État qui agit en matière de sécurité civile et de sécurité sanitaire. Il ne faut pas en arriver au chacun pour soi, mais regarder comment l'État se prépare, anticipe et protège et quelle part peut être demandée à chacun - collectivités locales comme individus. Des pays savent le faire, le Japon notamment pour un certain nombre de risques comme les tremblements de terre. Nous devons l'envisager sous toutes ses formes, par rapport à la panoplie des risques qui peuvent exister. Les masques que nous portons aujourd'hui, ce ne sont pas des masques FFP2. Le changement de doctrine dont il est question avait pour objet non pas de diminuer le nombre de masques, mais de déterminer ce qui était le plus adapté aux uns et aux autres. On a fait une confusion terrible entre les masques FFP2 et les masques chirurgicaux. On m'avait dit qu'on en avait trop fait parce qu'à l'époque nous avions prévu également des masques pour les caissières, les routiers, les forces de sécurité... Au final, il y avait non pas 600 millions de masques, mais 1,4 milliard !
Nous avons voulu nous doter de capacités de production pour nous mettre à l'abri de la dépendance vis-à-vis des Chinois. Le ministre de la santé chinois m'avait dit que son pays en produisait beaucoup pour nous, mais que si l'épidémie les touchait, nous passerions après eux, qu'il ne fallait pas lui reprocher puisque nous ferions exactement la même chose. Il avait raison ! On a la mémoire courte : la grande distribution a démarché les producteurs locaux et nationaux pour être fournie. Puis, dès que la première vague a été derrière nous, on a repris l'habitude d'acheter moins cher, en Asie. Y a-t-il ou non une préférence nationale ? La grande distribution n'est pas tenue par les règles des marchés publics : elle peut acheter un peu plus cher. Des fabricants se sont engagés et se retrouvent avec des stocks.
C'est de la responsabilité de l'État de définir les stocks dont nous aurons besoin, épidémie ou pas. Les pics de pollution que nous pourrons connaître dans certaines grandes métropoles nous conduiront à changer notre rapport au masque : on en aura à la maison, dans la voiture... Nous aurons ce réflexe. J'ai voulu lancer l'opération « Un masque pour chacun » dans la région pour que chacun ait une première dotation. Avec des masques qui coûtent 30 à 50 centimes l'unité, le coût pose problème à certaines familles nombreuses. Même les masques en tissu ne sont pas éternels. La logique de protection de l'État n'empêche pas la responsabilisation des citoyens. Il faut changer de culture.
Monsieur Husson, on a beaucoup entendu l'État parler de l'articulation maire-préfet. C'est une évidence, puisque la commune est la cellule de base de la démocratie, mais d'autres niveaux de collectivités peuvent aussi apporter leur concours.
Si l'on parle de la continuité de l'État, il faut prendre en compte non seulement la dimension sanitaire, mais aussi les dimensions économique et sociale. Les élus ont apporté un concours remarquable. Le rôle des maires a été salué, mais il ne faut pas oublier toutes celles et ceux qui se sont bénévolement engagés pour distribuer des repas, faire des courses... En France, c'est toujours le système D. Les liens humains, c'est ce qui fait la différence entre notre pays et les autres. À tous ceux qui disent qu'il y a trop de communes en France, on peut rétorquer qu'heureusement que les élus, bénévoles de la République, étaient là ! Il faut aussi évoquer les associations, les voisins, les parents... Quand les élus allaient dépanner leurs administrés, ils avaient aussi peur de ramener ce satané virus chez eux.
L'articulation peut se faire au travers des compétences existantes, mais les collectivités doivent être considérées comme des partenaires. On a parfois le sentiment que l'accès à l'information est compliqué. Si le département ne sait pas ce qui se passe dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), il ne peut pas apporter l'aide nécessaire.
Les collectivités locales sont-elles vraiment considérées comme des partenaires à part entière, et pas comme des empêcheurs de tourner en rond ? Dans les plans stratégiques que nous devrons mettre en place dans les mois et les années à venir, il faut davantage intégrer les différents niveaux de collectivités locales. Si l'on veut établir des règles sanitaires dans les collèges, il est préférable d'en discuter avec les départements, plutôt que de les laisser découvrir au dernier moment la notice qui a été établie. Sur la date de réouverture des classes, le dialogue a parfois été musclé, car je voulais qu'on puisse organiser.
Que ce soit par temps calme ou par tempête, les Français veulent être protégés. C'est la mission première de l'État. S'est posée la question des masques et des équipements. Encore aujourd'hui, dans un centre hospitalier du Pas-de-Calais, une notice a été envoyée pour indiquer qu'il fallait faire attention à la consommation de gants. J'ai fait remonter le problème hier au préfet et à l'ARS, mais cela fait déjà quelques semaines que j'avais signalé ces questions.
Nous devons nous doter de stocks stratégiques suffisants. Personne ne veut revenir au système D qui a conduit à utiliser des sacs poubelle ! On doit penser à tous les éléments, et pas seulement aux masques : surblouses, blouses, gants, visières...
C'est la culture de la confiance qui est, selon moi, la clé.
Monsieur Henno, oui, l'État a baissé la garde, mais la France n'est pas la seule. Si Taïwan et la Corée du Sud s'en sont bien sortis, l'Allemagne qu'on nous donne beaucoup en exemple a connu des difficultés. Son système industriel lui a permis de s'adapter très vite. Nous avons mobilisé l'industrie pour les respirateurs, mais pourquoi ne l'avons-nous pas fait pour la confection de masques ? Heureusement qu'on a eu le système D avec des couturières improvisées ou professionnelles. Dans ma région, on a lancé une filière avec les masques Résilience. Toyota et Valeo en ont produit également. Il nous manque une culture de la prévention et du risque. L'anticipation n'est pas toujours dans l'ADN des décideurs politiques, et plus largement publics. On s'est souvent moqué de mon ancien métier d'assureur. C'est pourtant un très beau métier, et l'assureur doit aussi prévoir et garantir le pire.
Sur la question de la politique européenne en matière de coopération et de recherche, il ne faut pas se marcher sur les pieds pour le vaccin. Si l'on parle de l'accès aux frontières, on reste dans la dimension régalienne. J'ai rencontré mes homologues européens, mais pas seulement - chinois, américain. En politique, vous pouvez reprendre les bonnes idées des autres, il n'y a pas de droits d'auteur à payer !
M. Paccaud a raison : la santé fait partie des missions régaliennes. On dit toujours que le régalien, c'est la sécurité, la justice, la défense, le respect de la laïcité, mais l'éducation et la santé font aussi partie des priorités régaliennes.
L'articulation avec les collectivités est indispensable. Elle se fait dans certains secteurs et il faut l'étendre. En cas de risque nucléaire, ce sont les collectivités qui sont chargées de la distribution des pastilles d'iode.
Madame Jasmin, je me souviens m'être rendu dans les Alpes-Maritimes après l'épisode du chikungunya pour expliquer que la situation que La Réunion avait connue pouvait aussi survenir en métropole. Les acteurs doivent être les collectivités locales. Il faut clairement dire qui fait quoi : définition par l'État, articulation avec les collectivités. En matière d'anticipation, c'est la question du vaccin covid qui est maintenant le sujet important.
Madame Meunier, on m'a beaucoup reproché pendant mes différentes fonctions de m'appuyer sur les médecins généralistes. Mais ce sont les médecins de famille en qui on a confiance. Notre système de santé est tourné vers les défis et les besoins de l'hôpital public. Mais comment faire sans les médecins ? Personne ne souhaite qu'il y ait une deuxième vague de la même ampleur, mais il faudra alors davantage s'appuyer sur les établissements privés et sur les médecins qui ne demandaient que cela.
Madame Préville, les anciens ont été insuffisamment protégés, mais ce n'est pas tout à fait nouveau : souvenez-vous de la canicule de 2003. J'ai eu à gérer l'épisode de canicule en 2006, et nous avons pu mesurer les progrès qui avaient été faits. La situation s'explique aussi par le regard que porte la société sur les anciens. Depuis combien de temps parle-t-on d'une réforme de la dépendance ? La solidité et l'honneur d'une société tiennent à l'attention qu'elle porte à l'aube et au crépuscule de la vie. Il faut que ces questions soient des priorités de l'État. Se pose aussi la question des moyens, notamment humains.
Monsieur Sol, les commissions parlementaires doivent s'assurer du suivi. La fonction de contrôle - pas de censeur ou de critique - légitime totalement le rôle d'une commission comme la vôtre.
On a essayé à un moment donné - je ne suis dupe de rien - de me faire porter le chapeau du changement de doctrine et de stratégie. J'ai de nombreux défauts, mais je ne suis pas naïf. La commission d'enquête à l'Assemblée nationale m'a permis de rétablir la vérité. Je ne voudrais exonérer personne de ses responsabilités, mais quand j'ai quitté mes fonctions ce n'est ni le ministère de la santé ni la ministre qui a voulu changer la doctrine. Je répondrai avant le 7 octobre prochain aux questions écrites que vous m'avez posées. Entre le fait que la culture du risque et de l'anticipation n'a pas toujours été la marque de fabrique de notre pays et les logiques budgétaire et systémique, on comprend pourquoi on en est arrivé là.
Il faut que des professeurs, comme MM. Derenne, Bricaire, Raoult - quand il a fait son rapport -, et des acteurs publics et politiques prennent ce dossier à bras-le-corps. Sinon on n'est pas préparé et l'État n'assure pas sa mission première, qui est de protéger les citoyens. En 2013, le SGDSN prend la décision de changer de doctrine et la fait avaliser. Ce n'est pas un ministre qui prend cette décision : aucun n'accepterait d'endosser la responsabilité de faire des économies en protégeant moins nos concitoyens. On peut penser ce qu'on veut des politiques, mais ils cherchent plutôt à bien faire qu'à mal faire.
Se pose la question des consignes claires. Nous devons rompre avec cette tradition où c'est l'État qui agit en matière de sécurité civile et de sécurité sanitaire. Il ne faut pas en arriver au chacun pour soi, mais regarder comment l'État se prépare, anticipe et protège et quelle part peut être demandée à chacun - collectivités locales comme individus. Des pays savent le faire, le Japon notamment pour un certain nombre de risques comme les tremblements de terre. Nous devons l'envisager sous toutes ses formes, par rapport à la panoplie des risques qui peuvent exister. Les masques que nous portons aujourd'hui, ce ne sont pas des masques FFP2. Le changement de doctrine dont il est question avait pour objet non pas de diminuer le nombre de masques, mais de déterminer ce qui était le plus adapté aux uns et aux autres. On a fait une confusion terrible entre les masques FFP2 et les masques chirurgicaux. On m'avait dit qu'on en avait trop fait parce qu'à l'époque nous avions prévu également des masques pour les caissières, les routiers, les forces de sécurité... Au final, il y avait non pas 600 millions de masques, mais 1,4 milliard !
Nous avons voulu nous doter de capacités de production pour nous mettre à l'abri de la dépendance vis-à-vis des Chinois. Le ministre de la santé chinois m'avait dit que son pays en produisait beaucoup pour nous, mais que si l'épidémie les touchait, nous passerions après eux, qu'il ne fallait pas lui reprocher puisque nous ferions exactement la même chose. Il avait raison ! On a la mémoire courte : la grande distribution a démarché les producteurs locaux et nationaux pour être fournie. Puis, dès que la première vague a été derrière nous, on a repris l'habitude d'acheter moins cher, en Asie. Y a-t-il ou non une préférence nationale ? La grande distribution n'est pas tenue par les règles des marchés publics : elle peut acheter un peu plus cher. Des fabricants se sont engagés et se retrouvent avec des stocks.
C'est de la responsabilité de l'État de définir les stocks dont nous aurons besoin, épidémie ou pas. Les pics de pollution que nous pourrons connaître dans certaines grandes métropoles nous conduiront à changer notre rapport au masque : on en aura à la maison, dans la voiture... Nous aurons ce réflexe. J'ai voulu lancer l'opération « Un masque pour chacun » dans la région pour que chacun ait une première dotation. Avec des masques qui coûtent 30 à 50 centimes l'unité, le coût pose problème à certaines familles nombreuses. Même les masques en tissu ne sont pas éternels. La logique de protection de l'État n'empêche pas la responsabilisation des citoyens. Il faut changer de culture.
La stratégie d'envoi de kits de protection pendant la grippe H5N1 n'a-t-elle pas été contreproductive par rapport à votre volonté affichée de responsabiliser nos concitoyens ? Peut-on en tirer comme conclusion qu'il faut territorialiser les stocks plutôt que d'avoir des stocks nationalisés ?
La stratégie d'envoi de kits de protection pendant la grippe H5N1 n'a-t-elle pas été contreproductive par rapport à votre volonté affichée de responsabiliser nos concitoyens ? Peut-on en tirer comme conclusion qu'il faut territorialiser les stocks plutôt que d'avoir des stocks nationalisés ?
Cette fameuse doctrine concernait les stocks stratégiques et les stocks tactiques. C'était une bonne idée pour avoir une disponibilité plus rapide, mais à l'époque les masques n'étaient pas concernés. Ceux-ci restaient du ressort du national parce que c'était stratégique. Le vrai changement, c'est quand il a été décidé en 2013 que chaque employeur devait assurer la fourniture de masques. Mais qui est l'employeur des médecins libéraux ? À l'époque, en tant que ministre de la santé, j'ai eu l'idée de fournir un premier kit d'urgence aux professionnels.
En 2013, le SGDSN prévoit que dorénavant les employeurs paieront. Qui a effectué le contrôle ?
L'Académie de médecine a supposé qu'une circulaire interministérielle avait indiqué aux professionnels de santé libéraux et aux responsables d'établissements de santé qu'il leur incombait de se doter de masques FFP2 pour la protection des professionnels susceptibles d'être exposés.
Cette fameuse doctrine concernait les stocks stratégiques et les stocks tactiques. C'était une bonne idée pour avoir une disponibilité plus rapide, mais à l'époque les masques n'étaient pas concernés. Ceux-ci restaient du ressort du national parce que c'était stratégique. Le vrai changement, c'est quand il a été décidé en 2013 que chaque employeur devait assurer la fourniture de masques. Mais qui est l'employeur des médecins libéraux ? À l'époque, en tant que ministre de la santé, j'ai eu l'idée de fournir un premier kit d'urgence aux professionnels.
En 2013, le SGDSN prévoit que dorénavant les employeurs paieront. Qui a effectué le contrôle ?
L'Académie de médecine a supposé qu'une circulaire interministérielle avait indiqué aux professionnels de santé libéraux et aux responsables d'établissements de santé qu'il leur incombait de se doter de masques FFP2 pour la protection des professionnels susceptibles d'être exposés.
Prendre des décisions, c'est bien ; s'assurer de leur exécution, c'est bien aussi.
Prendre des décisions, c'est bien ; s'assurer de leur exécution, c'est bien aussi.
Merci d'avoir participé à cette audition.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 30.
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