Intervention de Xavier Bertrand

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 22 septembre 2020 à 9h10
Audition de M. Xavier Bertrand ancien ministre des solidarités et de la santé

Xavier Bertrand, ancien ministre des solidarités et de la santé :

Le préfet de région et les préfets de département, mais au niveau d'une académie, d'un rectorat, le correspondant est le préfet de région, avec son équipe, les préfets de département. La base de tout, c'est le préfet.

La préfectorale est une institution qui tient dans ce pays : elle a non seulement le sens de l'État, mais aussi l'approche de terrain. On n'a pas beaucoup d'opérateurs de l'État comme cela : il faut non pas les affaiblir en leur enlevant des prérogatives, mais les renforcer.

Cela correspond davantage à ma vision. Je suis bien évidemment un fervent partisan de la décentralisation, mais la déconcentration a également du sens.

Le retrait de la compétence sanitaire du préfet a débouché sur une double commande. J'ai la chance d'avoir un écosystème assez particulier dans ma région, avec un directeur général d'ARS qui a aussi une expérience des rouages de l'État en tant qu'ancien directeur de cabinet du ministre, et un préfet de région exceptionnel. Nous avons eu un véritable dialogue entre nous, peut-être aussi parce que je suis un ancien ministre de la santé, même s'il n'y a qu'un ministre de la santé en exercice : Olivier Véran. Dans ma région, je suis resté dans ma logique de président de région. Notre dialogue nous a permis d'éviter une guerre de tranchées entre le public et le privé. Nous avons assisté à de réelles coopérations : à Saint-Quentin, pour l'accès aux urgences, la clinique était, avant même l'arrivée des patients covid, dans la cour de l'hôpital pour permettre un travail commun. Nous avons travaillé avec SOS médecins et les médecins libéraux tant qu'ils ont pu pratiquer.

Notre région a été la première touchée, avec le premier cluster. Je ne vous cache pas que je craignais le pire et que nous avons vraiment essayé d'anticiper au maximum. Même si ce n'était pas mon rôle, je suis venu, parfois à l'improviste, dans des cellules de crise de certains hôpitaux pour ensuite passer des messages. J'estimais que c'était mon rôle, sans prendre la place de qui que ce soit. Très vite, nous avons organisé dans la région une réunion bihebdomadaire, le lundi et le jeudi : une conférence stratégique zonale, avec le préfet de région, les cinq préfets de département, l'ARS, les présidents de département, le président de région, les présidents des associations des maires et bien évidemment les représentants de l'État, pour expliquer la situation afin que nous puissions faire remonter un certain nombre de points et y apporter des solutions. Nous sommes ensuite passés à un rythme hebdomadaire, et avons relancé les réunions depuis déjà quelques semaines.

Sans ce cadre de dialogue efficace, à qui s'adresser ? Vous savez comment les choses se passent : s'il y a deux pilotes, il n'y a pas de pilote. Je plaide pour que la sécurité sanitaire soit de nouveau placée sous l'autorité de l'État. Dans les conclusions de la commission d'enquête, il y aura certainement un pan sur le retour d'expérience et les évolutions à proposer s'agissant du rôle des ARS. Je travaille sur cette question, et des directeurs généraux d'ARS ont d'ailleurs des idées en la matière. Le système actuel, dans une crise comme celle-ci, ne fonctionne pas comme il le devrait.

S'agissant de l'autorité transversale, même si les États-Unis ne constituent pas pour moi un modèle pour de nombreuses raisons, il faut reconnaître que la FEMA - Federal Emergency Management Agency - est un modèle intéressant en termes de sécurité des personnes. Pour faire le plan, je m'étais rendu aux États-Unis et en Asie pour voir ce qui fonctionnait bien. La FEMA est un organisme transversal qui permet, à la fois, de prendre des décisions et d'assurer la partie logistique. C'est un Éprus « plus », alors qu'en France on a un Éprus « moins ». Même avec le soutien bienveillant du président Chirac, il était compliqué de mettre en place une telle structure ; nous avons donc créé l'Éprus. Il faut se pencher sur la FEMA, car cette agence est d'une opérationnalité remarquable. C'est ce type de structure qu'il aurait fallu faire, en donnant à l'Éprus une vision plus transversale.

J'espère que nous allons tirer des enseignements de tout ce qui s'est passé en termes de sécurité des personnes, notamment de sécurité civile et sanitaire. Il ne s'agit pas de se dire qu'on attend tout de l'État, mais on n'a pas donné aux Français les clés pour être dans la prévention sur les questions sanitaires et épidémiques ; on pourrait également parler des accidents de la vie courante, qui conduisent l'équivalent d'une ville un peu plus importante que ma ville de Saint-Quentin à disparaître chaque année, soit 60 000 décès. La prévention permettrait la responsabilisation, et d'éviter de tels drames dont on ne parle quasiment jamais.

Sur la logique de court-termisme, cela fait des années que nous sommes confrontés à des équations budgétaires particulièrement douloureuses. En 2004, je suis entré au gouvernement pour mener la réforme de l'assurance maladie. Il faut évoquer la toute-puissance de Bercy. Les fonctionnaires de Bercy disent qu'ils sont là pour « tenir la baraque », année après année, exercice budgétaire après exercice budgétaire, dans une vision court-termiste. Les dépenses supplémentaires qui présentent un caractère exceptionnel bousculent les fameux équilibres financiers. Il faut alors avoir soit des circonstances exceptionnelles - « quoi qu'il en coûte » -, soit un défi à relever - préparer le pays au risque pandémique -, soit le soutien du Président de la République lui-même, voire du Premier ministre.

J'ai bénéficié de cet écosystème : nous devions préparer le pays face à un risque aviaire qui était, sur le papier, terrifiant en termes de taux de létalité ; et le Président de la République estimait que les questions de santé ne devaient pas être traitées comme les autres - le rapport de Jacques Chirac à l'humain n'est plus à démontrer. Lors des passes d'armes avec le budget, j'ai toujours gagné grâce non pas à mon talent, mais à Jacques Chirac. Nicolas Sarkozy a suivi la même logique parce qu'il a compris les risques avec la grippe H1N1 et qu'il est dans l'anticipation. Mais si tout le monde ne se met pas en ligne, c'est Bercy qui l'emporte sur Ségur - le ministère de la santé n'a pas le même poids politique que le ministère des finances. Des conseillers budgétaires de Bercy sont présents dans chaque ministère, mais il n'y a pas des conseillers du ministère de la santé à Bercy ! C'est cette logique court-termiste qui l'a emporté. Chassez le naturel, il revient au galop. J'ai eu la chance de pouvoir mettre en place ce plan, et Roselyne Bachelot a disposé des moyens nécessaires pour faire face à H1N1. Les débats des commissions parlementaires à l'Assemblée nationale et au Sénat ont été mémorables : on lui a reproché d'avoir trop dépensé, d'en avoir trop fait... Cela a marqué les esprits : ne fallait-il pas réduire la voilure ?

On a donc une logique budgétaire, parce que l'argent n'est pas si facile que cela à trouver, une logique court-termiste, parce que les exercices se succèdent. Je plaide pour une loi pluriannuelle sur la sécurité sanitaire. La loi votée, c'est bien ; mais il faut aussi la faire respecter. J'avais fait inscrire une disposition aux termes de laquelle, chaque année, le ministre de la santé ou son représentant doit veiller à l'inscription dans le budget des crédits nécessaires au renouvellement des stocks de masques. C'est la loi, mais comment les choses se sont passées ensuite ? Se pose la question du contrôle qui, sur ces sujets, est indispensable. L'important, c'est d'éviter que de telles choses se reproduisent.

J'évoquerai la place du ministère de la santé : si la santé est ô combien importante pour nos concitoyens, elle n'a pas toujours bien placée dans la hiérarchie gouvernementale ou les priorités politiques. Quand nous avons préparé le plan et mis en place l'Éprus, en ayant carte blanche de Dominique de Villepin et de Jacques Chirac, cela a fait tousser. Nous avons travaillé de façon partenariale avec ce qui était à l'époque le Secrétariat général de la défense nationale (SGDN), mais certains étaient contents à notre départ que celui-ci reprenne sa place et joue un rôle transversal. En cas de crise sanitaire, la santé gère jusqu'à un certain point, puis c'est l'intérieur qui prend la main. Nous étions allés certainement au-delà du rôle traditionnel de la santé, au-delà des disponibilités budgétaires qui lui sont dévolues. Il fallait revenir à une certaine norme.

La maison Ségur n'a pas vu d'un oeil très bienveillant que l'Éprus ait son indépendance. Réintégrer l'Éprus s'est inscrit dans la même logique. Il ne s'agit pas seulement de question budgétaire et de court-termisme : il y a aussi le problème de la logique systémique, qui est très éloignée de l'efficience.

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