Intervention de Xavier Bertrand

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 22 septembre 2020 à 9h10
Audition de M. Xavier Bertrand ancien ministre des solidarités et de la santé

Xavier Bertrand, ancien ministre des solidarités et de la santé :

Monsieur Husson, on a beaucoup entendu l'État parler de l'articulation maire-préfet. C'est une évidence, puisque la commune est la cellule de base de la démocratie, mais d'autres niveaux de collectivités peuvent aussi apporter leur concours.

Si l'on parle de la continuité de l'État, il faut prendre en compte non seulement la dimension sanitaire, mais aussi les dimensions économique et sociale. Les élus ont apporté un concours remarquable. Le rôle des maires a été salué, mais il ne faut pas oublier toutes celles et ceux qui se sont bénévolement engagés pour distribuer des repas, faire des courses... En France, c'est toujours le système D. Les liens humains, c'est ce qui fait la différence entre notre pays et les autres. À tous ceux qui disent qu'il y a trop de communes en France, on peut rétorquer qu'heureusement que les élus, bénévoles de la République, étaient là ! Il faut aussi évoquer les associations, les voisins, les parents... Quand les élus allaient dépanner leurs administrés, ils avaient aussi peur de ramener ce satané virus chez eux.

L'articulation peut se faire au travers des compétences existantes, mais les collectivités doivent être considérées comme des partenaires. On a parfois le sentiment que l'accès à l'information est compliqué. Si le département ne sait pas ce qui se passe dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), il ne peut pas apporter l'aide nécessaire.

Les collectivités locales sont-elles vraiment considérées comme des partenaires à part entière, et pas comme des empêcheurs de tourner en rond ? Dans les plans stratégiques que nous devrons mettre en place dans les mois et les années à venir, il faut davantage intégrer les différents niveaux de collectivités locales. Si l'on veut établir des règles sanitaires dans les collèges, il est préférable d'en discuter avec les départements, plutôt que de les laisser découvrir au dernier moment la notice qui a été établie. Sur la date de réouverture des classes, le dialogue a parfois été musclé, car je voulais qu'on puisse organiser.

Que ce soit par temps calme ou par tempête, les Français veulent être protégés. C'est la mission première de l'État. S'est posée la question des masques et des équipements. Encore aujourd'hui, dans un centre hospitalier du Pas-de-Calais, une notice a été envoyée pour indiquer qu'il fallait faire attention à la consommation de gants. J'ai fait remonter le problème hier au préfet et à l'ARS, mais cela fait déjà quelques semaines que j'avais signalé ces questions.

Nous devons nous doter de stocks stratégiques suffisants. Personne ne veut revenir au système D qui a conduit à utiliser des sacs poubelle ! On doit penser à tous les éléments, et pas seulement aux masques : surblouses, blouses, gants, visières...

C'est la culture de la confiance qui est, selon moi, la clé.

Monsieur Henno, oui, l'État a baissé la garde, mais la France n'est pas la seule. Si Taïwan et la Corée du Sud s'en sont bien sortis, l'Allemagne qu'on nous donne beaucoup en exemple a connu des difficultés. Son système industriel lui a permis de s'adapter très vite. Nous avons mobilisé l'industrie pour les respirateurs, mais pourquoi ne l'avons-nous pas fait pour la confection de masques ? Heureusement qu'on a eu le système D avec des couturières improvisées ou professionnelles. Dans ma région, on a lancé une filière avec les masques Résilience. Toyota et Valeo en ont produit également. Il nous manque une culture de la prévention et du risque. L'anticipation n'est pas toujours dans l'ADN des décideurs politiques, et plus largement publics. On s'est souvent moqué de mon ancien métier d'assureur. C'est pourtant un très beau métier, et l'assureur doit aussi prévoir et garantir le pire.

Sur la question de la politique européenne en matière de coopération et de recherche, il ne faut pas se marcher sur les pieds pour le vaccin. Si l'on parle de l'accès aux frontières, on reste dans la dimension régalienne. J'ai rencontré mes homologues européens, mais pas seulement - chinois, américain. En politique, vous pouvez reprendre les bonnes idées des autres, il n'y a pas de droits d'auteur à payer !

M. Paccaud a raison : la santé fait partie des missions régaliennes. On dit toujours que le régalien, c'est la sécurité, la justice, la défense, le respect de la laïcité, mais l'éducation et la santé font aussi partie des priorités régaliennes.

L'articulation avec les collectivités est indispensable. Elle se fait dans certains secteurs et il faut l'étendre. En cas de risque nucléaire, ce sont les collectivités qui sont chargées de la distribution des pastilles d'iode.

Madame Jasmin, je me souviens m'être rendu dans les Alpes-Maritimes après l'épisode du chikungunya pour expliquer que la situation que La Réunion avait connue pouvait aussi survenir en métropole. Les acteurs doivent être les collectivités locales. Il faut clairement dire qui fait quoi : définition par l'État, articulation avec les collectivités. En matière d'anticipation, c'est la question du vaccin covid qui est maintenant le sujet important.

Madame Meunier, on m'a beaucoup reproché pendant mes différentes fonctions de m'appuyer sur les médecins généralistes. Mais ce sont les médecins de famille en qui on a confiance. Notre système de santé est tourné vers les défis et les besoins de l'hôpital public. Mais comment faire sans les médecins ? Personne ne souhaite qu'il y ait une deuxième vague de la même ampleur, mais il faudra alors davantage s'appuyer sur les établissements privés et sur les médecins qui ne demandaient que cela.

Madame Préville, les anciens ont été insuffisamment protégés, mais ce n'est pas tout à fait nouveau : souvenez-vous de la canicule de 2003. J'ai eu à gérer l'épisode de canicule en 2006, et nous avons pu mesurer les progrès qui avaient été faits. La situation s'explique aussi par le regard que porte la société sur les anciens. Depuis combien de temps parle-t-on d'une réforme de la dépendance ? La solidité et l'honneur d'une société tiennent à l'attention qu'elle porte à l'aube et au crépuscule de la vie. Il faut que ces questions soient des priorités de l'État. Se pose aussi la question des moyens, notamment humains.

Monsieur Sol, les commissions parlementaires doivent s'assurer du suivi. La fonction de contrôle - pas de censeur ou de critique - légitime totalement le rôle d'une commission comme la vôtre.

On a essayé à un moment donné - je ne suis dupe de rien - de me faire porter le chapeau du changement de doctrine et de stratégie. J'ai de nombreux défauts, mais je ne suis pas naïf. La commission d'enquête à l'Assemblée nationale m'a permis de rétablir la vérité. Je ne voudrais exonérer personne de ses responsabilités, mais quand j'ai quitté mes fonctions ce n'est ni le ministère de la santé ni la ministre qui a voulu changer la doctrine. Je répondrai avant le 7 octobre prochain aux questions écrites que vous m'avez posées. Entre le fait que la culture du risque et de l'anticipation n'a pas toujours été la marque de fabrique de notre pays et les logiques budgétaire et systémique, on comprend pourquoi on en est arrivé là.

Il faut que des professeurs, comme MM. Derenne, Bricaire, Raoult - quand il a fait son rapport -, et des acteurs publics et politiques prennent ce dossier à bras-le-corps. Sinon on n'est pas préparé et l'État n'assure pas sa mission première, qui est de protéger les citoyens. En 2013, le SGDSN prend la décision de changer de doctrine et la fait avaliser. Ce n'est pas un ministre qui prend cette décision : aucun n'accepterait d'endosser la responsabilité de faire des économies en protégeant moins nos concitoyens. On peut penser ce qu'on veut des politiques, mais ils cherchent plutôt à bien faire qu'à mal faire.

Se pose la question des consignes claires. Nous devons rompre avec cette tradition où c'est l'État qui agit en matière de sécurité civile et de sécurité sanitaire. Il ne faut pas en arriver au chacun pour soi, mais regarder comment l'État se prépare, anticipe et protège et quelle part peut être demandée à chacun - collectivités locales comme individus. Des pays savent le faire, le Japon notamment pour un certain nombre de risques comme les tremblements de terre. Nous devons l'envisager sous toutes ses formes, par rapport à la panoplie des risques qui peuvent exister. Les masques que nous portons aujourd'hui, ce ne sont pas des masques FFP2. Le changement de doctrine dont il est question avait pour objet non pas de diminuer le nombre de masques, mais de déterminer ce qui était le plus adapté aux uns et aux autres. On a fait une confusion terrible entre les masques FFP2 et les masques chirurgicaux. On m'avait dit qu'on en avait trop fait parce qu'à l'époque nous avions prévu également des masques pour les caissières, les routiers, les forces de sécurité... Au final, il y avait non pas 600 millions de masques, mais 1,4 milliard !

Nous avons voulu nous doter de capacités de production pour nous mettre à l'abri de la dépendance vis-à-vis des Chinois. Le ministre de la santé chinois m'avait dit que son pays en produisait beaucoup pour nous, mais que si l'épidémie les touchait, nous passerions après eux, qu'il ne fallait pas lui reprocher puisque nous ferions exactement la même chose. Il avait raison ! On a la mémoire courte : la grande distribution a démarché les producteurs locaux et nationaux pour être fournie. Puis, dès que la première vague a été derrière nous, on a repris l'habitude d'acheter moins cher, en Asie. Y a-t-il ou non une préférence nationale ? La grande distribution n'est pas tenue par les règles des marchés publics : elle peut acheter un peu plus cher. Des fabricants se sont engagés et se retrouvent avec des stocks.

C'est de la responsabilité de l'État de définir les stocks dont nous aurons besoin, épidémie ou pas. Les pics de pollution que nous pourrons connaître dans certaines grandes métropoles nous conduiront à changer notre rapport au masque : on en aura à la maison, dans la voiture... Nous aurons ce réflexe. J'ai voulu lancer l'opération « Un masque pour chacun » dans la région pour que chacun ait une première dotation. Avec des masques qui coûtent 30 à 50 centimes l'unité, le coût pose problème à certaines familles nombreuses. Même les masques en tissu ne sont pas éternels. La logique de protection de l'État n'empêche pas la responsabilisation des citoyens. Il faut changer de culture.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion