Intervention de Yves Sciama

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 23 septembre 2020 à 9h30
Table ronde sur la communication de crise : mme sibeth ndiaye ancienne porte-parole du gouvernement et m. yves sciama président de l'association des journalistes scientifiques de la presse d'information ajspi

Yves Sciama, président de l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information :

AJSPI). - Nous ne sommes pas des scientifiques qui feraient du journalisme, de temps en temps, mais des journalistes professionnels qui couvrent la science. Notre association compte près de 300 membres qui travaillent aussi bien pour des médias spécifiquement scientifiques que pour des quotidiens, des radios ou des télévisions. Cette crise sanitaire a été un séisme pour notre profession, car nous faisons tous le constat d'un fiasco en matière d'information et de communication.

Que ce soit dans le courrier de nos lecteurs, sur les réseaux sociaux ou dans notre vie quotidienne, la défiance se généralise, notamment à l'égard des médias, de la science et de ses institutions, pour ne rien dire du politique. Nous voyons se propager, y compris dans des milieux sociaux éduqués, un flux ininterrompu de fausses informations, dont beaucoup sont même rocambolesques. Nous voyons apparaître de prétendus experts et notamment des médecins qui défendent avec aplomb des points de vue à mille lieues de ce que dit la science, et qui trouvent facilement des auditoires importants. Et enfin, nous percevons un grand désarroi parmi nos concitoyens les plus raisonnables devant l'état chaotique et souvent violent de l'information qu'ils reçoivent sur la pandémie.

Ce désastre nous interpelle d'autant plus qu'il y a une réelle soif de connaissances, d'informations et de science dans le public. Cette pandémie, en faisant surgir un ennemi commun, microbien de surcroît, aurait pu permettre à notre pays de faire bloc et de se convaincre de la valeur d'au moins une partie de ses élites ; c'est l'inverse qui s'est produit.

Comme toute crise de communication sanitaire, celle que nous vivons résulte des actions de trois parties - le monde médical, le monde politique et les médias -, qui ont toutes leur part de responsabilité. Du point de vue médical, le principal problème a été l'irruption du professeur Raoult qui, dès le début de la pandémie, a promu agressivement, sur la base de ses seules convictions, un traitement initialement non prouvé. Il a continué à le faire alors même que les preuves de son inefficacité avaient été fournies.

Ce problème aurait sans doute pu se limiter à l'apparition d'un pseudo-traitement miracle si les autorités scientifiques et médicales étaient intervenues fermement dès le début pour arrêter cette fuite en avant. Mais l'institution médicale, en particulier l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), l'ordre des médecins, l'Académie nationale de médecine et la Haute Autorité de santé (HAS) sont restées silencieux, ouvrant ainsi la boîte de Pandore. Un nombre croissant de médecins, souvent issus des sommets de l'institution, se sont sentis autorisés à prendre la parole et à donner des avis sur la base de leur seule conviction. Cette attitude s'est ensuite propagée au point qu'il est devenu admissible dans la profession médicale de dénigrer les responsables de santé publique et les mesures qu'ils préconisent, ce qui a rendu inaudibles de nombreux excellents médecins qui s'exprimaient sur la base des études existantes. Cette situation perdure.

Le dysfonctionnement de l'institution médicale a été aggravé par l'attitude du monde politique. La désastreuse affaire du mensonge sur les masques a durablement discrédité la parole gouvernementale. Alors même que les recommandations du ministère de la santé étaient devenues conformes à l'état du savoir, l'ensemble de l'échiquier politique a continué de soutenir le professeur Raoult, jusqu'au Président de la République qui est allé lui rendre visite.

Ces soutiens ont crédibilisé le dénigrement de l'institution médicale et renforcé l'idée que toutes les opinions sont légitimes en santé publique et que tout le monde est compétent pour en parler. Les réseaux sociaux n'ont fait qu'aggraver la tendance et les médias ont aussi eu leur part de responsabilité.

Un journaliste de moins de trente ans, sans expérience des questions médicales, débordé et multitâche, travaillant de surcroît sur un média formaté par la recherche de l'audience à tout prix ne peut que faire les frais d'une telle confusion, échouant à identifier les bons messages et les bons interlocuteurs.

Dans l'ensemble, les journalistes scientifiques de ce pays ont remarquablement couvert la maladie. Relisez les pages « Sciences » du Monde et du Figaro, les magazines scientifiques, écoutez les émissions telles que La méthode scientifique, vous y trouverez très peu d'erreurs, même au moment où les incertitudes étaient les plus grandes.

En revanche, les médias qui ne disposaient pas de journalistes spécialisés, et particulièrement les télévisions d'information continue, n'ont pas su résister à la tentation de faire de l'audience à tout prix, et ils continuent de véhiculer des messages scientifiques erronés, voire absurdes, entretenant ainsi la défiance à l'égard de l'institution médicale. C'est une faute éthique.

Je note également que certains médias disposant de services scientifiques compétents ont néanmoins massivement promu dans leurs pages « Opinions » des points de vue scientifiques infondés.

L'actuel projet de loi de programmation de la recherche prévoit la mise en place d'une maison de la science et des médias, dont l'objectif serait d'améliorer le traitement médiatique de la science, en fournissant aux médias des contenus scientifiques tout préparés, sur le modèle du Science Media Center britannique. Une telle institution risque d'être perçue comme une tentative de promouvoir une science officielle, ce qui aggraverait encore la défiance à l'égard des médias, mais aussi de la production scientifique. La crise actuelle appelle un réarmement scientifique des médias, qui doivent enfin investir ce champ essentiel qu'est la science. Pour cela, il faut recruter des journalistes spécialisés et leur donner davantage de poids face aux services politique et économique. On améliorerait ainsi l'information sur les grands enjeux de notre époque - le climat, l'énergie, l'agriculture -, des sujets qui ont tous une forte composante scientifique.

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