Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies

Réunion du 23 septembre 2020 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • communication
  • masque
  • scientifique
  • virus
  • étaient

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Nous consacrons cette audition à la communication, élément déterminant en période de crise. Je vous prie d'excuser le président Milon, retenu dans son département.

Nous allons entendre Mme Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement, ainsi que M. Yves Sciama, président de l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information (AJSPI). Le bureau avait souhaité convier à cette audition la Direction de l'information de Santé publique France afin de mieux comprendre comment se déroulait le continuum entre l'épidémiologie, l'analyse scientifique et la production des messages à destination du grand public. Il s'est avéré que personne n'était véritablement chargé de ces questions au sein de Santé publique France, au démarrage de la crise notamment. L'agence nous a cependant indiqué que l'ensemble des messages était discuté avec le Service d'information du Gouvernement (SIG). Vous aurez l'occasion, madame la ministre, de nous préciser la situation.

Nous ne sommes pas ici pour faire un florilège de déclarations qui, dans le contexte actuel, pourraient apparaître incongrues. Nous sommes ici pour comprendre le processus de production de ces déclarations, en fonction de l'évolution de la maladie. Madame Ndiaye, nous attendons de vous non pas que vous mesuriez l'impact ou l'adéquation de la situation, tâche qui reviendra à M. Sciama, mais plutôt que vous nous éclairiez sur la stratégie du gouvernement d'alors.

S'agissant d'un virus inconnu, la connaissance n'a pu être qu'évolutive et le discours officiel a dû s'adapter. Nous avons parfois eu le sentiment que le gouvernement envoyait des signaux contradictoires ou flottants, mais aussi qu'il s'adaptait aux capacités disponibles, notamment en ce qui concerne les équipements de protection. Madame la ministre, il faudra répondre à ces questions.

La communication gouvernementale intervenait dans un climat général de grand désordre du fait notamment des désaccords publics entre les scientifiques et du foisonnement des expressions des uns et des autres sur les plateaux de télévision.

Conformément à la procédure des commissions d'enquête, je vous rappelle que tout témoignage mensonger est passible d'une amende pouvant aller jusqu'à 75 000 euros et d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à cinq ans.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Sibeth NDiaye et M. Yves Sciama prêtent serment.

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Je vous remercie de l'opportunité que vous me donnez de venir éclairer la représentation nationale sur la communication mise en oeuvre par le gouvernement à l'occasion de la terrible crise sanitaire que nous avons vécue et que, malheureusement, force est de le constater, nous continuons à vivre.

Ayant quitté le gouvernement le 3 juillet dernier, je ne serai évidemment en capacité de m'exprimer que sur la période où j'ai été en fonctions quant à l'organisation de la communication institutionnelle et politique du gouvernement.

Cette crise a été inédite tant par sa violence que par son ampleur et sa durée. Elle marquera durablement notre pays. En tant que citoyenne profondément attachée au service public et au fonctionnement de l'État, j'espère qu'elle permettra d'améliorer nos capacités de gestion de situations de crise complexes.

Quel est le rôle exact du porte-parole du gouvernement, fonction que j'ai occupée pendant ces premiers mois de crise ? Conformément à un décret d'attribution qui a peu évolué depuis la création du poste à la fin des années 1960, le porte-parole du gouvernement est chargé de deux missions principales. Il doit, chaque semaine, rendre compte des travaux du conseil des ministres, et plus généralement exercer une mission d'information sur les activités du gouvernement. Dans ce cadre, nous participons en tant que de besoin aux réunions d'arbitrage interministérielles, et nous recevons de la part de nos collègues ministres toutes les informations susceptibles de contribuer à l'exercice de notre mission d'information. C'est ainsi que nous portons la voix du gouvernement sur l'ensemble de ses domaines d'action et des sujets d'actualité, en appui de nos collègues ministres.

À l'occasion de la crise du coronavirus, j'ai participé à la quasi-totalité des conseils de défense à vocation sanitaire et à de nombreuses réunions animées par le Premier ministre ou le Président de la République, avec les élus locaux, les parlementaires, les organisations syndicales et patronales ainsi que les fédérations professionnelles. Grâce à ces réunions et aux informations fournies par mes collègues ministres chargés de la gestion opérationnelle de la crise, j'ai pu contribuer à expliciter l'action et la stratégie du gouvernement, ses adaptations au fur et à mesure de l'évolution des connaissances sur le virus, dans le but d'éclairer le mieux possible nos concitoyens.

J'ai pu disposer du Service d'information du Gouvernement, dont je salue le professionnalisme, la réactivité et la disponibilité. J'ai bénéficié de moyens techniques et logistiques, par exemple pour l'enregistrement de vidéos à caractère pédagogique à destination des réseaux sociaux. J'ai également pu disposer de l'analyse de l'état de l'opinion, ce qui nous a permis d'adapter notre stratégie de communication. Les analyses relatives aux réseaux sociaux ont été particulièrement utiles en ce qui concerne les fake news : nous aurons certainement l'occasion d'y revenir au cours de nos échanges.

Compte tenu de mon expérience professionnelle antérieure comme conseillère en communication, j'ai eu l'occasion de donner des avis et des conseils au cabinet du Premier ministre sur la stratégie de communication institutionnelle préconisée par le SIG.

Depuis la fin des années 1960, le rôle du porte-parole du gouvernement a peu évolué. En revanche, le contexte dans lequel s'exercent ses missions a radicalement changé. L'environnement médiatique s'est considérablement enrichi, en particulier avec la création des chaînes d'information continue. Dans le même temps, l'exigence de transparence et d'horizontalité de nos concitoyens à l'égard de la prise de décision publique s'est largement accrue. L'émergence des réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook a aussi largement bouleversé la donne. Désormais, chacun peut être vecteur d'information sans avoir à répondre aux impératifs déontologiques de la profession de journaliste. Chacun peut donner son avis et tous les avis se valent. Chacun donne à chaque instant son opinion, et chacun entend disposer d'une information instantanée et d'un commentaire de cette information qui soit immédiat.

À titre personnel, je retiens de cette période l'extraordinaire mobilisation de nos compatriotes, des services publics qui ont tenu debout dans des conditions difficiles. Je retiens aussi la capacité d'adaptation que notre pays a su mettre en oeuvre face à une crise protéiforme.

Debut de section - Permalien
Yves Sciama, président de l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information

AJSPI). - Nous ne sommes pas des scientifiques qui feraient du journalisme, de temps en temps, mais des journalistes professionnels qui couvrent la science. Notre association compte près de 300 membres qui travaillent aussi bien pour des médias spécifiquement scientifiques que pour des quotidiens, des radios ou des télévisions. Cette crise sanitaire a été un séisme pour notre profession, car nous faisons tous le constat d'un fiasco en matière d'information et de communication.

Que ce soit dans le courrier de nos lecteurs, sur les réseaux sociaux ou dans notre vie quotidienne, la défiance se généralise, notamment à l'égard des médias, de la science et de ses institutions, pour ne rien dire du politique. Nous voyons se propager, y compris dans des milieux sociaux éduqués, un flux ininterrompu de fausses informations, dont beaucoup sont même rocambolesques. Nous voyons apparaître de prétendus experts et notamment des médecins qui défendent avec aplomb des points de vue à mille lieues de ce que dit la science, et qui trouvent facilement des auditoires importants. Et enfin, nous percevons un grand désarroi parmi nos concitoyens les plus raisonnables devant l'état chaotique et souvent violent de l'information qu'ils reçoivent sur la pandémie.

Ce désastre nous interpelle d'autant plus qu'il y a une réelle soif de connaissances, d'informations et de science dans le public. Cette pandémie, en faisant surgir un ennemi commun, microbien de surcroît, aurait pu permettre à notre pays de faire bloc et de se convaincre de la valeur d'au moins une partie de ses élites ; c'est l'inverse qui s'est produit.

Comme toute crise de communication sanitaire, celle que nous vivons résulte des actions de trois parties - le monde médical, le monde politique et les médias -, qui ont toutes leur part de responsabilité. Du point de vue médical, le principal problème a été l'irruption du professeur Raoult qui, dès le début de la pandémie, a promu agressivement, sur la base de ses seules convictions, un traitement initialement non prouvé. Il a continué à le faire alors même que les preuves de son inefficacité avaient été fournies.

Ce problème aurait sans doute pu se limiter à l'apparition d'un pseudo-traitement miracle si les autorités scientifiques et médicales étaient intervenues fermement dès le début pour arrêter cette fuite en avant. Mais l'institution médicale, en particulier l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), l'ordre des médecins, l'Académie nationale de médecine et la Haute Autorité de santé (HAS) sont restées silencieux, ouvrant ainsi la boîte de Pandore. Un nombre croissant de médecins, souvent issus des sommets de l'institution, se sont sentis autorisés à prendre la parole et à donner des avis sur la base de leur seule conviction. Cette attitude s'est ensuite propagée au point qu'il est devenu admissible dans la profession médicale de dénigrer les responsables de santé publique et les mesures qu'ils préconisent, ce qui a rendu inaudibles de nombreux excellents médecins qui s'exprimaient sur la base des études existantes. Cette situation perdure.

Le dysfonctionnement de l'institution médicale a été aggravé par l'attitude du monde politique. La désastreuse affaire du mensonge sur les masques a durablement discrédité la parole gouvernementale. Alors même que les recommandations du ministère de la santé étaient devenues conformes à l'état du savoir, l'ensemble de l'échiquier politique a continué de soutenir le professeur Raoult, jusqu'au Président de la République qui est allé lui rendre visite.

Ces soutiens ont crédibilisé le dénigrement de l'institution médicale et renforcé l'idée que toutes les opinions sont légitimes en santé publique et que tout le monde est compétent pour en parler. Les réseaux sociaux n'ont fait qu'aggraver la tendance et les médias ont aussi eu leur part de responsabilité.

Un journaliste de moins de trente ans, sans expérience des questions médicales, débordé et multitâche, travaillant de surcroît sur un média formaté par la recherche de l'audience à tout prix ne peut que faire les frais d'une telle confusion, échouant à identifier les bons messages et les bons interlocuteurs.

Dans l'ensemble, les journalistes scientifiques de ce pays ont remarquablement couvert la maladie. Relisez les pages « Sciences » du Monde et du Figaro, les magazines scientifiques, écoutez les émissions telles que La méthode scientifique, vous y trouverez très peu d'erreurs, même au moment où les incertitudes étaient les plus grandes.

En revanche, les médias qui ne disposaient pas de journalistes spécialisés, et particulièrement les télévisions d'information continue, n'ont pas su résister à la tentation de faire de l'audience à tout prix, et ils continuent de véhiculer des messages scientifiques erronés, voire absurdes, entretenant ainsi la défiance à l'égard de l'institution médicale. C'est une faute éthique.

Je note également que certains médias disposant de services scientifiques compétents ont néanmoins massivement promu dans leurs pages « Opinions » des points de vue scientifiques infondés.

L'actuel projet de loi de programmation de la recherche prévoit la mise en place d'une maison de la science et des médias, dont l'objectif serait d'améliorer le traitement médiatique de la science, en fournissant aux médias des contenus scientifiques tout préparés, sur le modèle du Science Media Center britannique. Une telle institution risque d'être perçue comme une tentative de promouvoir une science officielle, ce qui aggraverait encore la défiance à l'égard des médias, mais aussi de la production scientifique. La crise actuelle appelle un réarmement scientifique des médias, qui doivent enfin investir ce champ essentiel qu'est la science. Pour cela, il faut recruter des journalistes spécialisés et leur donner davantage de poids face aux services politique et économique. On améliorerait ainsi l'information sur les grands enjeux de notre époque - le climat, l'énergie, l'agriculture -, des sujets qui ont tous une forte composante scientifique.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Vermeillet

Madame Ndiaye, le 11 mars 2020, lors d'une interview menée par Guillaume Durand, vous déclariez à propos de la fermeture des frontières : « Regardez l'Italie, premier pays à avoir fermé ses frontières en interdisant les vols en direction et en provenance de la Chine : le résultat, c'est que l'épidémie y est plus avancée qu'en France. On voit bien qu'un virus fait fi des frontières. » Êtes-vous certaine qu'il était opportun de critiquer ainsi la décision de l'Italie ?

Monsieur Sciama, vous avez dit que les autorités scientifiques étaient restées silencieuses. Croyez-vous que si l'une ou l'autre s'était exprimée plus fermement, cela aurait suffi à juguler les positions de certains scientifiques ou médias ?

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Il me semble que vous faites plutôt référence à une interview avec Guillaume Daret sur France 2.

(Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure, le conteste.)

Il m'est arrivé à deux reprises d'avoir à répondre publiquement à des questions comparant la situation française à celle d'autres pays européens, et à commenter les décisions prises. Le premier sujet concernait la fermeture des frontières qu'un certain nombre de responsables politiques réclamait en France, considérant que c'était un bon moyen de nous isoler et d'empêcher l'introduction du virus sur le sol national. L'autre sujet concernait la prise de température dans les aéroports, autre moyen de bloquer le virus. C'est dans le cadre d'un questionnement sur la stratégie française que j'ai été conduite à commenter ce qui se passait à l'étranger.

La fermeture des frontières faisait débat, à l'époque, la France n'ayant pas initialement choisi cette voie. Il faut se rappeler à quel état de la connaissance scientifique sur le virus nous en étions au tout début de la crise. Les premiers cas ont été rapportés à la fin de l'année 2019. Il a fallu attendre quasiment la fin du mois de janvier 2019 - la troisième semaine - pour avoir l'assurance d'une transmission inter-humaine, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) l'attestant précisément le 20 janvier. Et le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), organisme européen d'alerte sur les crises sanitaires, n'a pas tout de suite pointé le risque d'une introduction du virus sur le sol européen. D'où la décision de ne pas fermer les frontières en France. Mon propos ne faisait que dire que les pays qui avaient fait un autre choix n'étaient pas parvenus à empêcher l'introduction du virus sur leur sol.

L'une des difficultés à laquelle nous nous heurtions était dans la facilité à se déplacer à travers le monde : des gens pouvaient partir de Wuhan, faire escale à Singapour, se retrouver en Grande-Bretagne et arriver ensuite en France, dans un temps relativement court. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé aux Contamines-Montjoie, premier cluster en France provoqué par un Britannique qui revenait d'un congrès à Singapour.

Mon intention n'était en aucun cas de minorer l'action et le combat difficile que menaient nos amis italiens, mais d'établir le fait que la stratégie italienne n'avait pas empêché l'introduction du virus sur son sol.

Debut de section - Permalien
Yves Sciama, président de l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information

Je ne suis pas assez naïf pour croire qu'on peut arrêter la désinformation en période épidémique en tançant les personnes qui la véhiculent. Cependant, si les autorités médicales s'étaient exprimées plus fermement à mesure que les connaissances avançaient, cela aurait ralenti la tendance.

Debut de section - Permalien
Yves Sciama, président de l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information

J'ai cité l'ANSM, l'ordre des médecins et la HAS.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Nul ne détient la vérité dans le domaine scientifique, d'autant qu'il s'agit d'un virus que l'on ne connaît pas.

Debut de section - Permalien
Yves Sciama, président de l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information

Les connaissances se sont éclaircies sur les effets des traitements qui ont été proposés.

(M. René-Paul Savary, président, tempère.)

Les autorités médicales auraient dû prendre des positions plus fermes sur la base des études existantes. Elles auraient dû se concerter pour parler d'une seule voix. Le public aurait ainsi disposé d'un point de vue scientifique visible et identifiable plutôt que de se retrouver face à des points de vue dont on finissait par considérer qu'ils étaient tous également recevables, alors que ce n'était pas le cas.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Comme l'a dit le président, l'intérêt de cette audition n'est pas de revenir sur les déclarations qui se sont révélées fausses. Des bêtises ont été dites qui étaient liées à l'état de la connaissance ; d'autres en revanche relèvent d'une logique de communication politique sur laquelle il faut s'interroger.

Monsieur Sciama, la communication n'est que le reflet du non-dit, dans l'action que l'on mène. Vous avez souligné un point essentiel : le virus aurait dû nous permettre de faire bloc, et c'est l'inverse qui s'est produit. Une épidémie fonctionne comme une interaction entre un microbe et une société, et l'enjeu est dans la façon dont la société va se regrouper et se protéger collectivement. Le succès ou l'échec de la lutte contre l'épidémie dépendra des mécanismes que la société choisira de mettre en oeuvre.

À cet égard, je ne peux que m'interroger sur la communication des autorités gouvernementales au début de l'épidémie. J'ai été très marqué par la journée du 29 février. Le conseil des ministres était alors convoqué pour parler de la lutte contre l'épidémie, mobiliser notre pays, et encourager la société à faire bloc. Au lieu de cela, à la surprise générale, le Premier ministre décide d'engager la responsabilité du gouvernement sur le sujet le plus clivant du moment : la réforme des retraites. Cette conjonction était extrêmement malheureuse, car, plutôt que de se mettre en marche et nous rassembler pour lutter contre le virus, le gouvernement a choisi d'envoyer un message de fracture politique. Comment construire un édifice qui tienne debout sur des fondations aussi mal creusées ? N'y a-t-il pas eu là une erreur incompréhensible pour l'opinion publique qui a rendu impossible la création d'un lien de confiance entre les autorités et nos concitoyens ?

Madame la ministre, il y a selon vous une demande de « transparence et d'horizontalité ». Mais on ne gère pas une guerre dans la transparence et l'horizontalité. Comment comprendre que nos principaux responsables politiques soient entrés dans cette épidémie avec des messages aussi discordants ? Était-ce délibéré ? Y avait-il un défaut de préparation, ou de culture en santé publique ?

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

L'épidémie commence - avant même qu'on ne parle d'épidémie - lorsque la Chine signale des cas de pneumopathie atypique, le 31 décembre 2019. On s'interroge alors : de quoi il s'agit exactement ? Dès le 10 janvier, le ministère de la santé envoie des messages d'alerte aux agences régionales de santé (ARS) sur l'existence de cette pneumopathie. On ne sait pas à l'époque s'il y a transmission interhumaine. Dix jours plus tard, alors que l'OMS a confirmé la veille la transmission humaine, la ministre de la santé donne une première conférence de presse pour évoquer ce nouveau virus qui vient de Wuhan. Elle en fait donc ainsi un sujet de discussion politique. L'exécutif n'a donc fait preuve d'aucune légèreté, mais a lancé l'alerte avant même que l'OMS ne parle d'urgence de santé publique internationale ou même de pandémie. Quelques jours après cette conférence de presse, nous avons constaté un premier cas en France, qui était un cas importé.

Le 26 janvier, une réunion interministérielle s'est tenue sur l'initiative du Premier ministre où étaient présents la ministre des armées, le ministre de l'intérieur, la ministre de la santé, et le porte-parole du gouvernement, ainsi que le directeur de cabinet du ministre des affaires étrangères. Le sujet central concernait le rapatriement éventuel de nos compatriotes qui se faisait alors sur la base du volontariat. Aucune donnée ne nous permettait alors d'envisager la nature de la crise qui se profilait.

Un mois plus tard, les interviews que je donnais étaient encore majoritairement consacrées au sujet de la réforme des retraites. La première question sur la crise m'a été posée dans une interview du 28 janvier, sous l'angle du rapatriement. Le sujet est ensuite monté en puissance dans les médias au cours du mois de janvier. L'actualité principale restait la réforme des retraites.

Lors du conseil des ministres que vous mentionnez, nous avons passé la majorité du temps à informer l'ensemble des membres du gouvernement sur la situation de ce début d'épidémie, sur les dispositions qui devaient être prises, et nous avons consacré un peu de temps, effectivement, mais moins important, à l'article 49-3. Il faut tenir compte de cette perception de la situation en contexte.

Je ne crois pas du tout qu'il ne puisse pas y avoir de transparence et d'horizontalité en temps de guerre. La maturation de la démocratie fait que désormais les citoyens n'ont plus le petit doigt sur la couture du pantalon pour obéir à des injonctions politiques. Il faut de la pédagogie et de la compréhension, et c'est grâce à la transparence que l'on crée l'adhésion. Cette transparence s'impose à nous quand bien même nous ne l'aurions pas, dans la mesure où des experts médicaux vont sur les plateaux de télévision, et où énormément de personnes prennent la parole sur les réseaux sociaux, chacun étant au fond son propre média. Nous ne pouvons pas l'ignorer et l'exécutif a le devoir de répondre à cette exigence de transparence. Pour autant, le conseil de défense sanitaire est couvert par le secret-défense. Même si tout n'est pas rendu public, le maximum doit l'être.

Nous sommes rentrés dans l'épidémie de manière concentrée, en sachant que nous marchions dans des sables mouvants. Quand nous interrogions les sachants, ils hésitaient, ils ne savaient pas complètement, car nous n'avions jamais été confrontés au virus.

Enfin, je crois que nous avons souffert, au cours de cette crise, d'un défaut d'acculturation scientifique de la population française. Quand nous expliquions qu'il fallait des semaines pour expérimenter la validité d'un traitement, les gens ne comprenaient pas, s'étonnant que ce ne soit pas oui ou non, blanc ou noir : « Comment, vous, qui êtes censés être l'élite politique et médicale, vous êtes incapable de nous dire si c'est maintenant ! Et vous nous expliquez que les hypothèses doivent être testées, qu'il faut que plusieurs bras expérimentaux sur les médicaments convergent pour donner la même réponse, et que c'est seulement à partir de là que vous pourrez donner une réponse définitive ! ».

Les difficultés que nous avons eues à expliquer cela tiennent sans doute au rapport que notre société a au temps : on veut d'un claquement de doigts toutes les réponses à toutes les questions qu'on se pose. Si un décideur politique argue qu'il faut prendre du temps et réfléchir, on l'accuse d'atermoiement. Rappelez-vous au moment du déconfinement ceux qui voulaient ouvrir tout de suite les parcs et jardins, alors qu'il restait des incertitudes sur les risques.

En aucun cas, le gouvernement n'a manqué de célérité, de concentration ou d'attention au moment d'entrer dans cette pandémie.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

On est en guerre, il faut de la transparence et de l'horizontalité : même le meilleur communicant aurait du mal à résoudre cette équation. Ces notions sont difficilement compatibles, d'autant que le conseil de défense siège en secret. L'opinion publique n'y comprend plus rien. D'un point de vue politique, cette oscillation de choix et de valeurs témoigne d'une impréparation collective.

Par ailleurs, l'ouverture ou la fermeture des parcs et jardins publics relève-t-elle bien du chef de l'État ? Tout le travail que nous menons depuis des mois démontre que, si la stratégie nationale est fondamentale, c'est au niveau des territoires qu'elle s'applique intelligemment.

Debut de section - Permalien
Yves Sciama, président de l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information

Nous avons tous ressenti la difficulté qu'il pouvait y avoir à agir et à s'exprimer en contexte d'incertitude. Comme journalistes, nous devions écrire des articles. Savoir que si les informations que nous y donnions étaient démenties, on pouvait nous le reprocher, rendait l'exercice difficile, mais pas impossible.

Peut-être sommes-nous habitués à une culture de la communication un peu autoritaire, qui ne laisse pas place à l'incertitude, en particulier du côté des autorités et des sachants ? Mais les gens peuvent comprendre l'incertitude. Ils peuvent comprendre la nécessité d'attendre les résultats de telle ou telle étude pour pouvoir trancher. Ils peuvent aussi comprendre que, dans l'intervalle, on doive quand même prendre des décisions. La communication gouvernementale a parfois été verticale, voire punitive, alors que le public aurait été parfaitement à même de comprendre les difficultés de la situation. L'institution médicale est également tombée dans ce travers d'une expression autoritaire. Le résultat est regrettable.

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Je ne crois pas que notre communication ait été autoritaire. Pour preuve, je ponctuais chacune de mes interventions par les termes « à ce stade », « compte tenu de nos informations » et « jusqu'à nouvel ordre ». Force est de constater que nos concitoyens n'ont pas entendu. Certaines de mes déclarations valaient un jour, mais pas forcément l'autre ; mais on ne s'est pas souvenu de mes précautions de langage. La difficulté est presque cognitive. Quand tout le monde a peur, chacun a besoin d'assurance, s'accrochant au moindre bout de phrase en ce sens. Et si cette phrase est relayée sur Twitter, la complexité du contexte où elle s'inscrit est complètement gommée.

L'articulation entre le local et le national est particulièrement difficile dès lors qu'il s'agit d'élaborer une stratégie nationale en intégrant les préconisations des sachants. Pour éviter les rassemblements à l'extérieur, comme on nous l'avait recommandé à un certain moment, il fallait fermer les parcs et les jardins. La question se pose inévitablement de savoir ce qui se décidait au niveau régional et au niveau local. Mais une décision nationale n'empêche pas des adaptations en fonction des territoires, par exemple en ouvrant les grandes plages de Bretagne dont les conditions de fréquentation n'ont bien sûr rien à voir avec celles du square Montholon, à Paris.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

J'ai été surpris par vos propos : vous parlez de transparence, de pédagogie et de compréhension. Mais vous n'avez pas employé ce mot qui serait pourtant simple et compris par tout le monde : « dire la vérité ». Vous préférez parler de « défaut d'acculturation scientifique » de la population. N'est-ce pas là la marque de la défiance des autorités par rapport à la population ?

Monsieur Sciama, vous avez parlé de verticalité et de communication punitive. Pouvez-vous nous donner quelques exemples précis ?

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

En temps de crise, il est effectivement primordial de dire la vérité sur ce que l'on sait et ce que l'on ne sait pas. C'est ce à quoi l'exécutif s'est collectivement attaché.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

En êtes-vous sûre, notamment par rapport aux masques ?

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Absolument. Nous avons dit ce que nous savions sur les masques. Nous avons établi une doctrine d'emploi, que nous avons rendue transparente. La priorité était donnée au personnel soignant dans les hôpitaux. Le ministre de la santé que vous auditionnerez demain aura l'occasion d'y revenir. À aucun moment on ne m'a demandé de mentir au sujet des masques, et je ne l'ai fait à aucun moment. Le 30 mars, l'OMS estimait que l'utilité du port du masque en population générale n'était pas prouvée. L'Académie de médecine n'a préconisé le masque en population générale qu'à compter du 3 avril, et je puis vous assurer qu'elle ne communiquait pas en fonction des desiderata du gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Et comment expliquer le manque de confiance des Français ?

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

La défiance des Français envers le politique ne date pas de cette crise et mine nos démocraties occidentales depuis longtemps. D'où l'émergence de mouvements populistes qui portent au pouvoir des dirigeants très autoritaires. Nous avons effectivement pâti pendant cette crise d'un manque de confiance envers les autorités au sens large, qu'elles soient politiques, médicales, voire médiatiques.

L'utilisation du terme d'« acculturation » n'a rien de méprisant pour nos concitoyens. Il s'agissait simplement de décrire certaines réactions auxquelles j'ai pu me heurter sur les plateaux de télévision ou bien au cours de mes déplacements. On me lançait : « Pourquoi vous ne savez pas tout de suite ? À quoi vous servez si vous ne savez pas tout de suite ? » Expliquer que des bras d'expérimentation étaient en cours dans le laboratoire du professeur Raoult, mais qu'il fallait les confronter avec d'autres expérimentations qui laissaient entrevoir des résultats différents à des stades précoces, avancés, ou préventifs de la maladie, n'avait rien d'évident, car, en l'absence de résultats, je ne pouvais rien dire. On nous accusait de nous opposer au professeur Raoult au prétexte qu'il était marseillais, ou bien encore d'attiser la guerre du peuple contre les élites. Il fallait gérer un maelström où se mêlaient lenteur du cheminement scientifique et considérations politiques. La situation était inextricable.

Debut de section - Permalien
Yves Sciama, président de l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information

Le terme « punitif » était sans doute excessif. Je faisais référence aux interventions du ministre de l'intérieur, qui rappelait les sanctions en cas de non-obéissance aux règles sanitaires. Les sanctions sont normales, mais d'autres voies sont possibles, comme le montre l'exemple allemand. Là-bas, le professeur Drosten, éminent virologue, s'adressait très souvent à la population, en faisant preuve de beaucoup de pédagogie. Je trouve qu'on en a manqué en France, et qu'il aurait fallu plus d'espace pour expliquer et répondre aux questions de nos concitoyens, sans rien cacher des incertitudes de la situation. Nous avons essayé de le faire dans les médias, mais les autorités auraient aussi dû le faire.

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, a donné des conférences de presse quotidiennes quasiment sans limitation du nombre de questions qui pouvaient lui être posées. Le Premier ministre et le ministre de la santé ont eux-mêmes donné des conférences de presse dont les niveaux d'audience reflètent l'appétence de nos concitoyens pour la pédagogie. Le Service d'information du Gouvernement a constitué un hub sur la page internet gouvernement.fr, avec des centaines de questions-réponses sur le coronavirus.

Concernant notre communication, avant de considérer qu'elle ait pu apparaître comme verticale et punitive, il faut rappeler l'incertitude dans laquelle nous nous trouvions au tout début de la crise, tant sur la gravité de la maladie que sur ses modalités de propagation. Et cela a duré jusqu'à la veille des élections municipales, sans prise de conscience collective de la gravité de la situation : on avait alors du mal à imposer le respect des gestes barrières. Le SIG a diffusé des clips expliquant comment on se lave les mains, comment on se tient à distance, etc. Mais il fallait pour ainsi dire « saisir intellectuellement » les individus et déclencher une prise de conscience pour que notre communication soit efficace. D'où les nombreuses références, dans toutes mes interventions, à la responsabilité collective et à la responsabilité individuelle pour freiner la propagation du virus.

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Aucune entreprise humaine n'est parfaite, et il n'est pas question de nous donner un 20 sur 20 : nous ne sommes pas à l'école. Évidemment que certains aspects ont été moins bien réussis que d'autres - je l'ai reconnu.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Au fil de ces auditions, nous n'avons entendu aucune autocritique de la part des membres du gouvernement, ni de vous-même, madame la ministre, d'où la défiance. Certes, les connaissances sur le virus ont évolué, tout comme la situation. Mais jamais le gouvernement ne dit qu'à tel ou tel moment il a pu se tromper.

La semaine dernière, le professeur Delfraissy nous a dit entre les lignes que le conseil scientifique avait donné des avis compatibles avec la situation dans laquelle ils s'inscrivaient, notamment sur les tests ou sur les masques. La déclaration était implicite, mais nous avons tous compris la même chose.

La différence de résultats est très nette entre la France et l'Allemagne sur les tests. La semaine dernière, le professeur Flahault a rappelé que son collègue Raoult avait préconisé les tests dès le mois de janvier, mais qu'on ne l'avait pas écouté, car trop clivant. Le professeur Drosten disait pourtant exactement la même chose en Allemagne, mais de façon plus consensuelle. Il recommandait de tester dès le départ, et il avait raison.

Comment croire que les journalistes aient pu être unanimes dans leur vision de l'information concernant le virus, alors qu'ils ont des formations scientifiques différentes, et alors même que les médecins reconnaissent eux-mêmes s'être trompés à un moment ou à un autre, faute d'avoir suffisamment écouté les virologues et les épidémiologistes ?

Quelles ont été vos sources d'information ? La revue scientifique The Lancet a publié une étude bidon à la suite de laquelle le ministre de la santé a interdit un traitement. Comment travaillez-vous vos informations ? Des articles ont été publiés qui indiquaient que l'hydroxychloroquine ne fonctionnait pas, mais, dans le même temps, l'Agence européenne donnait l'autorisation de mise sur le marché du remdésivir, alors qu'il est encore à l'essai dans certains bras d'expérimentation clinique et qu'on a peu de preuves qu'il fonctionnera. Comment les journalistes scientifiques peuvent-ils rendre des verdicts aussi clairs sur les traitements, alors que les médecins sont dans l'incertitude ? Et comment pouvez-vous nous dire que vous avez tout bien fait pendant cette crise et que ce sont les autres qui ont eu tort ?

Quant à vous, madame la ministre, comment expliquez-vous que la communication parfois chaotique du gouvernement soit venue se superposer à celle du conseil scientifique, censé éclairer le politique, mais dont l'on ne suivait que certains des avis et pas d'autres ? N'avez-vous pas ainsi entretenu une confusion totale ? Est-ce que ce n'était pas une erreur que de confier au conseil scientifique une place si importante dans la sphère publique ?

Debut de section - Permalien
Yves Sciama, président de l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information

Ni moi ni ma profession ne prétendons à l'infaillibilité. Courant avril, j'avais écrit dans un article sur l'hydroxychloroquine que si l'on ne pouvait pas être sûr que le traitement ne marchait pas, on pouvait au moins être sûr que c'était au mieux un petit médicament, à l'effet modeste. Il est apparu depuis qu'il n'avait pas d'effet du tout.

Avant d'écrire nos articles, nous interviewons le plus grand nombre de spécialistes possible, en tout cas au moins trois. Cela nous permet de prendre le pouls et d'écrire des textes suffisamment nuancés pour ouvrir des pistes. De manière générale, je ne crois pas que nous ayons écrit des informations scandaleusement fausses, qui aient été démenties par la suite, de ces informations outrageantes comme il y en a eu beaucoup sur les chaînes d'information télévisées, notamment sur les masques et l'hydroxychloroquine. Nous avons surtout essayé de refléter le savoir tel qu'il était au moment où nous écrivions, sans plus de prétention que cela.

Nous nous sommes pour la plupart alignés sur les recommandations de l'OMS en ce qui concerne les tests : il faut « tester, tester, tester », recommandait-elle. Nous savons désormais qu'il faut prioriser la procédure, mais dans le fond, au début de l'épidémie, mieux valait tester que d'aller dans le brouillard.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

J'ai été médecin généraliste pendant trente ans, et je sais comme tel qu'il n'y a pas de petit médicament : un médicament qui redonne confiance est un grand médicament.

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

J'ai fait 90 apparitions médiatiques en six mois au plus fort de la crise. Je n'aurai jamais la prétention de dire que sur ces 90 apparitions je n'ai jamais fait d'erreur. Oui, j'ai eu des phrases maladroites, alambiquées, avec des exemples mal choisis, par exemple celle qui a lancé une polémique sur les enseignants. J'ai immédiatement reconnu mon erreur, comme doit faire tout responsable politique dans ces circonstances.

Ma mission comme porte- parole du gouvernement était de diffuser les décisions qu'avaient prises mes collègues ministres, dont j'étais parfaitement solidaire. Pour autant, je n'ai jamais eu la prétention d'être omnisciente. Les stratégies mises en oeuvre par le gouvernement m'ont été expliquées. Elles m'ont paru valables d'un point de vue intellectuel. Je les ai relayées en parfaite solidarité politique avec mes collègues.

Quant aux avis du conseil scientifique, je ne sais pas comment ils ont été construits, car je ne fais partie de cette instance. Les membres de ce conseil disposaient des outils d'information sur la situation sanitaire du pays pour se forger une opinion. Mais je n'en sais pas plus sur le processus d'élaboration de la décision.

Nous avons subi une très forte pression de la part de nombreux responsables politiques au tout début de la crise, pour que les avis du conseil scientifique soient rendus publics. C'était légitime, car nous avons toujours assumé d'appuyer nos décisions sur un rationnel scientifique et sanitaire. Pour autant, la décision finale revient au politique, car in fine nous sommes responsables devant la représentation nationale. Nous l'avons toujours assumé, y compris au moment du déconfinement où nous avons tenté de construire un équilibre entre les enjeux sanitaires, éducatifs, économiques et sociaux. C'est leur conjonction qui a déterminé la date du déconfinement. On peut toujours se demander si cette décision était bonne ou pas. Mais faire de la politique et gouverner, c'est choisir, et c'est parfois choisir la moins mauvaise des solutions.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Quel est votre avis de journaliste scientifique sur le fait que le conseil scientifique intervenait en même temps que le politique ? Êtes-vous d'accord avec cette notion de transparence voulue ? De qui venaient les pressions que vous avez reçues sur la publicité des avis du conseil ? De l'opinion publique, ou bien de responsables politiques ?

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

J'ai le souvenir qu'il s'agissait de responsables politiques, en particulier dans l'opposition. À titre personnel, je suis favorable à la publicité des avis du conseil scientifique.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Vous n'avez pas le nom des responsables politiques qui ont souhaité cette publicité ?

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Ma mémoire n'est pas forcément exacte, mais je crois me rappeler avoir eu à répondre à des interpellations de membres de l'opposition réclamant cette publicité.

Debut de section - Permalien
Yves Sciama, président de l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information

Pour ce qui nous concerne, nous ne considérons pas que la transparence augmente la confusion. Nous avons donc été favorables dès le début de la crise à des délibérations publiques. Cela fait partie d'un processus démocratique normal.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Vermeillet

Puisque l'on en est à parler de transparence et que vous avez rappelé les recommandations de l'OMS sur le port du masque en population générale, pourquoi Agnès Buzyn a-t-elle décidé de commander des masques le 30 janvier ?

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Par précaution, il valait mieux augmenter le stock de masques par rapport à ce qu'il était à cette époque-là. Une première commande de masques FFP2 a été réalisée le 30 janvier, puis des commandes de masse, notamment après la première semaine d'accélération de la crise dans le Grand Est. Je crois que la consommation de masques était alors vingt fois plus importante à ce dont on aurait eu besoin en cas de virus aéroporté.

Il y avait alors une pénurie mondiale de masques.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

D'où les controverses suscitant l'incompréhension de la population. Comment soutenir, d'un côté, que le port du masque ne sert à rien, et en commander en masse de l'autre côté ?

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

La doctrine d'emploi visait à ce que le personnel soignant puisse à tout instant bénéficier de masques et d'équipements de protection. Quant à l'OMS, elle affirmait à ce moment-là que l'utilité du port du masque en population générale n'était pas prouvée. On ne peut pas tantôt tenir compte de ses recommandations, tantôt en faire fi.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

L'OMS disait aussi qu'il fallait « tester, tester, tester ».

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Cela figure dans une déclaration du directeur de l'OMS, en date du 16 mars. Et le 21 mars, Olivier Véran, ministre de la santé, indiquait qu'il souhaitait faire monter en puissance nos capacités de test.

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Le directeur de l'OMS a fait une déclaration en ce sens le 16 mars, et le 21 mars, de mémoire, Olivier Véran indiquait que nous allions augmenter notre capacité de test.

Debut de section - PermalienPhoto de Damien Regnard

Je vous remercie de vos propos liminaires. Vous venez de prêter serment devant notre commission d'enquête de dire toute la vérité. Ma question est très simple : le gouvernement a-t-il menti aux Français, notamment concernant la question du port du masque et celle de la gestion des stocks ? Sur une note plus légère, je note qu'aujourd'hui le port du masque n'a plus aucun secret pour vous, et je m'en réjouis. (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Vous avez indiqué qu'à un certain moment le sujet de la pandémie commençait à monter dans l'actualité. Mais est-ce le rôle du gouvernement, et donc le vôtre, en tant que porte-parole, de suivre les événements ? Votre rôle n'est-il pas d'anticiper ? Vous semblez au contraire aller dans le sens de l'eau.

Vous soulignez la difficulté de résumer une pensée en quelques tweets. Il n'est pas question de cela, mais du rôle d'un gouvernement et de son porte-parole. Votre tâche est lourde, car vous avez aussi à gérer les couacs de vos collègues.

On peut toutefois comprendre la défiance de l'opinion publique. Mme Buzyn affirme le 18 mars dans Le Monde qu'elle avait prévenu le gouvernement dès janvier d'un risque de contagion. Tous vos propos à partir de cette date sont obligatoirement remis en cause à la lumière des manques, des imprécisions, voire des mensonges qui ont suivi.

Nous vous interrogeons, non pas pour souligner ce que le gouvernement a mal fait, mais pour comprendre ce qu'il faudrait faire dès aujourd'hui pour corriger le tir.

Ma deuxième question porte sur le professeur Raoult. Je n'ai rien en sa faveur ni en sa défaveur, et je ne suis pas scientifique, mais il me semble que, à un moment où l'opinion publique était troublée à juste titre, le feu qui a été porté contre le professeur Raoult a aggravé les choses en accentuant la défiance des Françaises et des Français, mais aussi des parlementaires, sur fond de scandales sanitaires tels que celui du médiator.

Monsieur Sciama, vous avez évoqué l'idée d'une maison de la science et des médias. Si je partage vos réserves, je pense aussi que le manque de formation de certains journalistes, mais surtout, le manque notoire de financement de la recherche entraîne des difficultés, notamment en matière de communication et d'indépendance. Quel est votre point de vue sur ces questions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

Madame Ndiaye, aviez-vous une zone d'autonomie suffisante qui vous permettait d'effectuer des réajustements dans vos propos, ou faire évoluer les éléments de langage, notamment pour faire suffisamment de pédagogie ? Avez-vous remis en cause votre propre fonctionnement au sein du Gouvernement ?

Monsieur Sciama, vous avez évoqué des incohérences et des carences dans les propos du professeur Raoult. Je ne suis pas son porte-parole, mais il me semble qu'il y avait eu une certaine constance, une certaine cohérence dans ses propos. De nombreux scientifiques sont intervenus dans les médias, mais tout le monde s'est focalisé sur le professeur Raoult, jusqu'au Président de la République qui lui a rendu visite en personne, et c'est aussi ce qui lui a donné une certaine crédibilité. Mais s'il ne représentait pas une certaine menace pour vous, pourquoi avoir autant parlé de lui ?

Par ailleurs, la maison des sciences est sans doute une très bonne idée, mais dans le contenu que vous envisagez de lui donner, une telle structure serait antidémocratique. Si j'ai bien compris, vous proposez que les scientifiques réalisent des interviews préenregistrées, qui seront ensuite éventuellement transmises aux médias. Pensez-vous réellement que ce soit démocratique ? Je ne le crois pas.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Paccaud

René-Paul Savary a insisté sur le mot « vérité ». Nous sommes réunis pour comprendre ce qui s'est passé, pourquoi nous n'avons pas su faire face et pourquoi nous avons un bilan de 32 000 morts à ce jour, l'objectif étant que cela ne se reproduise pas. Nous espérons donc pouvoir formuler des préconisations utiles.

Dans cette crise, la communication a eu plus qu'un rôle clé, puisque le monde entier a été confiné et a donc « hypercommuniqué ». Nous avons connu un tsunami de communication, avec bien souvent des informations contradictoires, ce qui a produit l'effet totalement inverse de ce qui était recherché. Pour qu'une communication soit efficace en temps de crise, ne faut-il pas qu'elle soit quasi unique ? N'aurait-il mieux pas valu qu'il n'y ait qu'un seul communicant, par exemple le ministre de la santé, qui était a priori le plus compétent pour communiquer ? Je le dis sans malice, mais le porte-parolat du gouvernement n'a-t-il pas nui à la communication de crise ?

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Il faut distinguer la communication institutionnelle, proposée par le SIG et validée par le Premier ministre - les messages diffusés à la télévision, à la radio, sur les réseaux sociaux, les spots conçus par le SIG, le hub d'information gouvernementale sur le site gouvernement.fr, etc. - et la communication politique portée par les membres du gouvernement.

S'agissant de la communication politique, cette crise a la particularité de ne malheureusement pas avoir été qu'une crise sanitaire. Aurait-il été compréhensible que face à la recrudescence de violences intrafamiliales, les ministres chargés de ces sujets n'interviennent pas ? Dans une crise qui conduit à confiner la population, il me paraît légitime que le ministre de l'intérieur, chargé de s'assurer de la bonne mise en oeuvre de ce confinement d'un point de vue sécuritaire, s'exprime pour donner des explications sur la stratégie qui est la sienne. De même, nous avons eu énormément de questions sur l'annulation d'événements sportifs ou sur l'entraînement des sportifs de haut niveau. Le fait que la ministre des sports s'exprime de manière ciblée sur ces sujets était attendu.

J'étais conseillère ministérielle sous un autre quinquennat qui a vu se dérouler des attentats de sinistre mémoire. Nous avons opté à l'époque pour une communication resserrée autour des ministres régaliens, car nous faisions face à une crise qui était exclusivement sécuritaire. Dans cette crise que j'ai qualifiée de « protéiforme » dans mon propos introductif, des questions se posaient quasiment sur la totalité des champs de l'action publique.

Il est vrai que l'on observe une forme d'« infodémie », qui est un corollaire de l'évolution de nos démocraties. Il nous faudra sans doute faire en sorte de rationaliser la parole, mais je me vois mal imposer à une chaîne d'information de réduire le temps consacré au traitement de la crise du coronavirus ou d'inviter de bons experts versus des experts qui seraient moins bons...

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Je maintiens que le ministre de la santé ne pouvait pas assurer seul la communication de crise, car celle-ci avait des impacts qui étaient hors du champ sanitaire.

Au tout début de la crise, nous avons mis en place une task force interministérielle pour faire face au covid. Le SIG, qui avait vocation à traiter des sujets liés à la communication, ainsi que mon propre cabinet y étaient associés. Nous avons donc pu ajuster la communication institutionnelle, voire politique en nous appuyant sur les analyses de l'état de l'opinion et sur des outils qui nous permettaient de connaître les principales questions posées sur les réseaux sociaux.

J'ai eu l'occasion de rappeler un certain nombre de dates qui apportent la démonstration que, dès les premiers cas de pneumopathie à la fin de l'année 2019, la machine ministérielle étatique s'est mise en branle. Il est assez rare qu'on mette en place des task force interministérielles pour traiter d'un sujet ; or ce fut le cas dès la fin du mois de janvier. Le Premier ministre a organisé une réunion interministérielle le 26 janvier, et le ministère de la santé a reçu les représentants des professionnels de santé le 6 février. La prise en compte opérationnelle de cette crise a été extrêmement précoce, et elle a été adaptée au fur et à mesure de son évolution.

Il convient de distinguer ce sujet du questionnement d'un journaliste sur un plateau de télévision. Il a pu m'arriver de susciter une question en indiquant à un journaliste que tel ou tel sujet était important pour nous, mais le journaliste était parfaitement libre de poser la question ou non.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

La question de Laurence Cohen portait sur votre rôle d'anticipation, non pas des questions des journalistes, mais dans la gestion de la crise.

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

J'ai apporté des éléments de réponse à cette question au travers notamment des différentes réunions que j'ai citées, et qui témoignent d'une prise en compte précoce des éléments liés à cette crise.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Non, ce sont les limites de l'exercice, même sous serment.

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Le professeur Raoult a été nommé à la tête de l'institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée en raison de ses compétences. Nous recherchions un traitement, et il n'était pas question d'écarter une solution, fût-elle portée par quelqu'un d'un peu iconoclaste. Le déplacement du Président de la République auprès du professeur Raoult, comme, du reste, auprès d'autres scientifiques, témoigne de la volonté qui était la nôtre de ne négliger aucune piste, tout en prenant des précautions quant à la qualité du travail scientifique. Nous avons très vite autorisé des essais cliniques à l'IHU de Marseille et dans d'autres hôpitaux sur l'hydroxychloroquine comme sur d'autres molécules.

Vous évoquiez la défiance qui s'est installée sur les sujets sanitaires en raison des scandales passés. Je ne peux que souscrire à vos propos, car ces scandales minent petit à petit la confiance dans l'autorité. Je crois toutefois que nous avons aujourd'hui des institutions solides, et que l'existence de commissions d'enquête telles que celle que vous portez permet une recherche de vérité et de transparence susceptible d'améliorer la manière dont nous gérons ces crises, et peut-être, de lutter contre cette défiance.

Le sénateur Regnard m'interrogeait sur le sujet du mensonge en général. Je souhaite que les choses soient très claires : devant cette commission, je dis la vérité - je l'ai juré. J'assume les décisions politiques prises par le gouvernement auquel j'appartenais.

Sur la question de la transparence, la France a été l'un des pays qui a fait le plus d'efforts pour mesurer et communiquer le nombre de décès à l'hôpital et dans les établissements d'hébergement pour les personnes âgées dépendantes (Ehpad). Nous avons élaboré avec le SIG des tableaux de bord permettant à tout un chacun de suivre de manière transparente l'évolution de toute une série de données, aussi bien sanitaires qu'économiques. J'ai communiqué le nombre de masques chirurgicaux disponibles le 20 mars dans une interview sur BFM TV. Nous n'avons eu de cesse d'apporter au grand public toutes les informations dont nous disposions.

Permettez-moi de rebondir sur votre note d'humour sur le port du masque, car c'est un sujet important. Notre pays n'avait pas forcément la culture du masque au début de cette crise. Cette culture a été acquise après des années de pratique dans d'autres pays. Vous constatez sans doute comme moi dans la rue ou le métro que le port du masque est parfois un peu bizarre : on l'enlève, on le met dans sa poche, on le remet. Quand on porte des lunettes, cela crée de la buée, j'espère, pour ma part, avoir les bons gestes...

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Pardonnez-moi, mais vous n'avez pas les bons gestes, parce que le fait de croiser les élastiques comme vous le faites permet aux gouttelettes de s'échapper latéralement.

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Sans cela, je n'y vois rien !

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Quoi qu'il en soit, je reconnais que ma formule était maladroite. J'aurais peut-être dû m'exprimer moins simplement.

Debut de section - PermalienPhoto de Damien Regnard

Vous venez d'admettre que votre formulation était maladroite ; c'est un premier élément d'autocritique, et je vous en remercie, car l'objectif de cette commission d'enquête est de rectifier à l'avenir ces erreurs de communication.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Permettez-moi d'insister sur la cacophonie qui a résulté du fait que, d'un côté, on n'avait pas de traitement, et que, de l'autre côté, on comptait tous les jours les morts. C'était un peu anxiogène. Si nous nous permettons d'insister, ce n'est pas pour vous ennuyer, mais parce que nous voulons que les travaux de cette commission d'enquête aboutissent à des préconisations.

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Je pense que vous vous souvenez de la polémique qu'il y a eu sur les décès en Ehpad. Si nous n'avions pas communiqué le nombre de morts, on nous aurait accusés de dissimuler la réalité de la crise. Les injonctions sont parfois contradictoires, et, entre deux maux, on choisit le moindre ; en l'occurrence, je crois que le moindre mal était la transparence.

Debut de section - Permalien
Yves Sciama, président de l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information

Sur la maison de la science et des médias, je crois qu'il y a eu un malentendu, car je voulais plutôt exprimer mon opposition à cette idée.

Je partage vos propos relatifs au financement de la recherche. Je me suis entretenu avec le principal spécialiste structurel des coronavirus en France, Bruno Canard, qui m'a confié qu'il avait demandé à plusieurs reprises des financements pour étudier les coronavirus en prévision d'une possible pandémie.

Depuis le SRAS en 2002, il était couramment admis dans les milieux scientifiques que le risque pandémique le plus grand était celui d'un virus respiratoire, probablement de la famille des coronavirus. Les travaux sur les structures des coronavirus n'ont été financés ni par la France ni par la Commission européenne, à laquelle Bruno Canard avait demandé des crédits. Or une fois que la pandémie était là, on lui a proposé de lui ouvrir toutes les lignes de crédit nécessaires. C'était dix ans trop tard...

La question de la préparation pandémique est fondamentale, car d'autres virus, peut-être plus méchants encore, peuvent apparaître. Ce sujet est régulièrement débattu au sein de la communauté scientifique.

J'entends vos remarques sur le professeur Raoult, mais je pense tout de même qu'il a joué un rôle particulier dans cette crise. Il ne s'est pas contenté de tester un traitement sur lequel il avait une intuition - c'est parfaitement respectable -, mais il a pris des postures d'oracle, disant que le covid était terminé, puis que ce virus avait simplement touché deux ou trois Chinois, ou encore qu'il n'y aurait pas de deuxième vague. Mais son attaque la plus ravageuse, reprise par le professeur Perronne, fut d'accuser tous ses adversaires de conflits d'intérêts avec les laboratoires pharmaceutiques. C'est peut-être le signe qu'il faudrait que notre institution médicale révise son rapport aux laboratoires pharmaceutiques, car cela la rend extrêmement vulnérable à la critique et à ce type d'attaque démagogique.

Notre corps médical a aussi un problème de mandarinat. Ce n'est pas nouveau, mais nous avons payé un peu cher l'intouchabilité des sommets de l'institution médicale, leur conviction d'infaillibilité et leur habitude des arguments d'autorité. Dans le fonctionnement ordinaire de la médecine, ce n'est peut-être pas tragique, mais en l'occurrence, le coût en termes de santé publique a été important.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Je voudrais revenir sur la question de la confiance, qui se posera de nouveau lorsque le vaccin arrivera.

Le 26 janvier, Mme Buzyn, alors ministre, déclare qu'il n'y a pas de pénurie de masques. Le 4 mars, madame Ndiaye, vous indiquez qu'on ne doit pas acheter de masques et que vous avez donné des consignes aux pharmacies. Le 17 mars, Olivier Véran, alors ministre de la santé, affirme que nous avons assez de masques pour les soignants et les malades, alors qu'au même moment, les soignants, notamment les chefs de service qui sont reçus sur les plateaux de télévision, mais aussi les organisations professionnelles de soignants, pointent du doigt ce qu'ils appellent un scandale sanitaire, c'est-à-dire l'absence de matériel, notamment de masques, pour les soignants hospitaliers et de ville. À l'issue du conseil des ministres du 17 mars, vous indiquez que les Français ne pourront pas acheter de masques dans les pharmacies, car ce n'est pas nécessaire si l'on n'est pas malade.

Je voudrais rapprocher l'ensemble de ces propos des propos que l'on vous a prêté lors de votre prise de fonctions au cabinet du Président de la République. Vous auriez alors déclaré que vous assumiez de mentir pour protéger le Président de la République. Ma question est donc très simple : avez-vous menti pour protéger le Président de la République dans cette période ?

Debut de section - PermalienPhoto de Angèle Préville

Le confinement à Wuhan et dans trois grandes villes du Hubei est intervenu le 23 janvier. La prise de conscience par le gouvernement de la gravité de la situation n'a-t-elle pas été trop tardive ? Les membres du gouvernement n'ont-ils pas eux aussi été sujets à l'acculturation scientifique que vous évoquiez ? Est-ce que vous n'y avez simplement pas cru ?

La communication a certes été chaotique - je rappelle que le chaos est un désordre d'ordre supérieur. Est-ce qu'elle n'aurait pas dû être plus sobre, plus corsetée et plus bienveillante ?

Vous avez évoqué le rôle du Service d'information du Gouvernement et l'usage des analyses de l'opinion, mais si l'on ne pose pas les bonnes questions, on n'a pas forcément certaines réponses. Pourquoi n'avez-vous pas tenu compte du sentiment de distorsion que ressentaient les Français entre ce qui se passait en Chine et ce qui se faisait en France ? Une grande partie des Français étaient prêts à porter le masque et à observer des gestes leur permettant de se protéger de la pandémie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Sol

Madame Ndiaye, ne pensez-vous pas que la stratégie de communication institutionnelle et politique que vous avez mise en place a davantage inquiété que rassuré les Français ? Ne s'est-elle pas télescopée avec un certain nombre d'ordres et de contre-ordres tenus par différents ministres, notamment sur les thèmes des masques, des rassemblements, des écoles, de l'hôpital, de la reprise du travail alors que le slogan « Restez chez vous » était affiché partout, des nationalisations, des risques de pénuries, de l'enterrement des morts ? J'aimerais avoir votre avis sur toutes ces questions ont été de nature à perturber bon nombre de nos concitoyens.

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Durant la campagne présidentielle et législative, le futur président de la République souhaitait faire une partie de tennis un jour de week-end électoral sans y convier de journalistes. Un journaliste s'en est aperçu et m'a vivement interpellée, ce à quoi j'ai répondu que j'assumais parfaitement de mentir quand il s'agissait de protéger un moment de vie privée, qui n'avait rien à voir avec le moment politique dans lequel nous étions. Compte tenu du contexte dans lequel ces propos ont été tenus, vous comprendrez qu'ils n'avaient rien à voir avec une éventuelle velléité de mentir sur les décisions que pourrait prendre le gouvernement. Au cours de la crise du coronavirus, j'ai systématiquement relayé les informations qui étaient à ma disposition ainsi que les décisions qui ont été prises par mes collègues du gouvernement, dont, je le répète, je suis parfaitement solidaire.

Il faut prendre garde aux lectures rétrospectives. Si certaines informations comme la séquence ARN du virus nous ont été communiquées très facilement par la Chine, ce n'est pas le cas de toutes. En tout état de cause, je peux vous dire avec certitude que de manière très précoce, dès lors que nous avons eu une alerte sur cette nouvelle pneumopathie, nous avons anticipé cette crise, à tel point que nous avons procédé à l'évacuation des ressortissants français depuis Wuhan, dispositif relativement rare et souvent réservé aux zones de guerre. Le rapatriement de nos compatriotes a été organisé en quelques jours malgré les difficultés que nous avons rencontrées, notamment pour les conjoints de Français qui n'étaient pas de nationalité française. Il montre que nous avions pleinement conscience de la nécessité d'agir.

Vous avez indiqué que la communication n'était pas suffisamment bienveillante. La communication de crise a connu trois grandes phases. Entre la fin du mois de janvier et jusqu'au confinement, l'objectif de la communication institutionnelle était d'expliquer ce qu'était le coronavirus et de faire en sorte que les Français adaptent leurs comportements - mettre des distances physiques entre eux, se laver les mains. Pour motiver le changement de comportement, notre communication a consisté à dramatiser l'enjeu au fur et à mesure. Il fallait que chacun comprenne qu'une évolution individuelle des comportements était nécessaire au bien-être collectif.

La deuxième phase de la communication gouvernementale institutionnelle a consisté dans le fameux slogan « Restez chez vous ». Pour freiner la propagation de l'épidémie, il fallait que les gens aient le moins d'interactions physiques avec d'autres personnes. C'est là que les choses se corsent, parce qu'il faut en même temps assurer la continuité de la vie économique, et donc, que des gens sortent de chez eux. Le message est très simple, mais il faut expliquer pourquoi il admet des nuances.

La troisième phase de la communication gouvernementale commence au moment du déconfinement. Notre message est alors qu'il faut rester prudent, car, si l'épidémie commençait à décroître, nous étions extrêmement préoccupés par le fait que le virus circulait toujours et qu'il pouvait circuler de manière de plus en plus active. Il fallait donc préserver l'acquis comportemental.

Par cette communication institutionnelle, nous avons à chaque fois essayé d'expliquer de manière pédagogique dans quelle phase nous étions et pourquoi nous devions adapter nos comportements. Certaines injonctions ont parfois été contradictoires, mais elles devaient l'être, par exemple quand la plupart devaient rester chez eux, mais que certains devaient continuer à travailler.

Concernant les écoles, le consensus scientifique a évolué. Au départ, on a pensé que les enfants étaient en quelque sorte des super-contaminateurs et qu'il fallait fermer les écoles. Puis la connaissance a évolué, et il semblerait aujourd'hui que l'on pense l'inverse. Face à l'inconnu, la décision politique s'adapte, y compris pour des sujets aussi lourds que l'ouverture ou la fermeture des écoles.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Monsieur Sciama, quel regard portez-vous sur la campagne de vaccination à venir ?

Debut de section - Permalien
Yves Sciama, président de l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information

Mon inquiétude principale est de savoir si les vaccins qui seront mis sur le marché seront correctement évalués et si la procédure ne sera pas précipitée par les pressions politiques, notamment des États-Unis, voire par le désir des laboratoires pharmaceutiques d'être les premiers. Viendront ensuite les problèmes d'approvisionnement, mais aussi de consentement vaccinal que nous devrons gérer. Il faudra particulièrement soigner la communication. Il faudra également bien choisir les publics cibles, car il ne sera pas possible de vacciner tout le monde.

Debut de section - Permalien
Yves Sciama, président de l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information

Nous nous y efforcerons.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

La campagne de vaccination grippale va commencer, et ça n'interpelle personne, mais on déplore chaque année entre 7 000 et 10 000 morts en rapport avec la grippe...

Debut de section - Permalien
Yves Sciama, président de l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information

La vaccination grippale jouera un rôle très important cette année.

Debut de section - PermalienPhoto de Angèle Préville

Avez-vous tenu compte de l'infantilisation ressentie par la population ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Sol

Comment expliquer aux Français qu'ils doivent rester chez eux alors qu'on autorise des matchs réunissant plus de 3 000 supporters ?

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Les Français voient bien qu'il y a une reprise de l'épidémie, et parallèlement, on leur explique qu'on va assouplir les mesures dans les écoles. C'est toute de même d'une complexité extraordinaire !

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Nous avons rencontré ce type de situation à de très nombreuses reprises et sur une infinité de sujets, notamment sur la question des transports en commun. Pour les transports scolaires, les recommandations étaient parfois inapplicables, comme celle de conserver le groupe classe dans les transports scolaires en milieu rural.

Nous avons observé une aspiration très forte à des mesures toujours plus dures et plus coercitives. La France a été l'un des pays où on a mesuré le plus fort taux d'inquiétude sur le coronavirus, la nature de la maladie et sa contagiosité.

De plus, nous devions imposer des changements comportementaux. Le confinement est presque consubstantiellement une forme d'infantilisation. À l'inverse, sur d'autres sujets, nous avons fait le choix de la confiance et de la responsabilité individuelle, par exemple pour l'auto-quarantaine des personnes testées positives. Le sujet de l'infantilisation a été un vrai problème, et nous avons dû construire toute la communication institutionnelle avec ce problème.

Sur la question des rassemblements occasionnés par les matchs, je vous renvoie au ministre de la santé.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Madame Ndiaye, aviez-vous une relation privilégiée avec Santé publique France, dont nous avons appris qu'elle ne disposait pas de service de communication ?

Monsieur Sciama, quelles sont, selon vous, les informations à faire passer aujourd'hui de manière prioritaire compte tenu de ce que nous savons de cette crise ?

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Madame Ndiaye, vous avez indiqué que votre communication pendant cette crise a reposé sur les deux piliers que sont la pédagogie et la transparence. Il me semble qu'il y a un troisième, la cohérence.

Le gouvernement s'est beaucoup abrité derrière les avis du conseil scientifique pour prendre des décisions. Le professeur Raoult, qui faisait partie du conseil scientifique, l'a quitté fin mars d'une façon assez médiatisée. Or quelques jours après, le Président de la République est venu lui rendre visite, donnant le sentiment qu'il voulait s'approprier un peu de la popularité du professeur Raoult. Pensez-vous qu'il était justifié que le Président de la République fasse ce déplacement lui-même ? N'est-il pas incohérent de s'abriter derrière le conseil scientifique, tout en valorisant l'un de ses anciens membres qui a claqué la porte avec pertes et fracas ? Est-ce un conseil de communication qui a été donné au Président de la République ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jocelyne Guidez

Le mot « transparence » a été énormément évoqué, mais quand il y a trop de contradictions, y compris au sein du monde médical, il ne faut pas s'étonner qu'une méfiance, mais aussi une grande peur, s'installe dans la population. Dans ce cas, ne vaut-il pas mieux respirer profondément et ne rien dire plutôt que de faire de la communication alors qu'on ne sait pas ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Lancé par le Service d'information du Gouvernement le 30 avril 2020, le service « Désinfox coronavirus » a finalement été retiré quelques jours plus tard parce que fortement critiqué par les journalistes. Monsieur Sciama, quelle est, à votre avis, la bonne façon de lutter contre les fake news dans une crise sanitaire comme celle-ci ? L'outil proposé par le gouvernement était-il pertinent ?

Debut de section - Permalien
Yves Sciama, président de l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information

Je pense qu'il faut vraiment attirer l'attention de nos concitoyens sur le fait que le virus est toujours là et qu'il est en progression. Il ne s'agit pas de dramatiser, mais de rester mobilisés.

Le service « Désinfox coronavirus » ne m'est pas apparu très opportun. Le gouvernement semblait faire le tri entre les bons et les mauvais articles.

En matière de lutte contre les fake news, le rapport de mars 2018 commandé par la Commission européenne au High level Group on fake news and online disinformation est une référence. Il n'y a pas de solution simple, et la censure n'en est pas une.

Début avril, une étude avait montré que le volume de transmission des posts des deux ou trois principaux complotistes sur internet représentait quatre fois le volume de transmission des posts des six principaux médias français. Une étude de Science a montré que les posts mensongers circulent plus vite, plus loin et touchent plus de gens que les posts véridiques sur les réseaux sociaux, pour la simple raison qu'ils apparaissent comme nouveaux et surprenants.

Le rapport de mars 2018 préconise de donner le statut d'éditeur aux plateformes internet. C'est un combat juridique complexe qui doit se mener à l'échelle européenne et qui pose des problèmes géopolitiques. Nous en prenons très doucement le chemin, et c'est absolument essentiel.

Par ailleurs, il est important que, en face de cette masse de désinformation, des médias nombreux aient le temps de bien travailler, c'est-à-dire qu'ils soient dans une situation économique pas trop désastreuse. Il faut que, dans leur diversité, ils soient en mesure d'offrir un pôle de référence. Cela passe par le soutien à la presse et par une politique d'entrave à sa concentration excessive.

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Dans la gestion de cette crise, mon cabinet s'est appuyé sur le centre de communication de crise du ministère de la santé. Notre idée était de ne pas démultiplier les portes d'entrée dans toutes les agences sanitaires diverses et variées, au risque de produire de la confusion. Nous avions un interlocuteur intégré au centre de crise du ministère de la santé qui validait les messages d'un point de vue scientifique et sanitaire.

Nous travaillions également avec le Service d'information du Gouvernement qui, dans le cadre de la foire aux questions publiée sur le site gouvernement.fr, effectuait les vérifications auprès des ministères compétents. Plusieurs niveaux de validation étaient prévus afin de garantir qu'on ne publie rien de mensonger ou de faux.

Certains éléments de notre stratégie de gestion de la crise, et donc, de notre communication pouvaient paraître antinomiques. Les slogans « Restez chez vous » et pour certains « Allez travailler » étaient antinomiques, et pourtant ils étaient tous deux justifiés. La cohérence non seulement à un instant T, mais aussi dans le temps a été un enjeu de cette communication de crise.

Par exemple, on a découvert récemment que la transmission du coronavirus ne faisait pas seulement par les gouttelettes et de manière manuportée, mais également par aérosol. Cela a des implications, notamment sur les gestes barrières. Or les gens pourront se dire à bon droit qu'il y a deux ou trois mois, on leur avait dit autre chose.

De par mon métier de communicante, je suis assez convaincue qu'on arrive rarement à s'approprier la popularité des autres. J'étais ministre, et non plus conseillère du Président de la République lorsqu'il a rendu visite au professeur Raoult, mais c'est ce que j'aurais dit si l'on m'avait interrogée. Je crois que le Président de la République a simplement souhaité comprendre tous les points de vue, montrer que nous n'étions pas un camp contre un autre et que nous donnions les moyens aux personnalités scientifiques qui proposaient des solutions de les tester.

Dans une situation de très forte pression médiatique, je considère qu'il vaut mieux être présent dans les médias et admettre ce que l'on ne sait pas plutôt que de laisser dire que le gouvernement se cache et refuse de venir parler devant les Français de la gestion de la plus grande crise sanitaire que nous ayons connue de manière contemporaine. La nature ayant horreur du vide, l'espace serait vite rempli par les complotistes et les fake news.

Cette crise a été caractérisée par une inflation absolument dantesque des fausses informations, dont un nombre non négligeable était à caractère médical, depuis le conseil de boire de l'eau de javel jusqu'à l'utilisation de racines de gingembre. C'était au point que nous avons identifié un vrai risque de santé publique.

Nous avons mis en place, par exemple sur WhatsApp, des messageries de Chatbot qui permettaient de poser des questions et d'avoir des réponses automatiques sur des sujets clairs. Nous avons mené un gros travail avec les plateformes de réseaux sociaux, dont j'ai réuni les représentants à trois ou quatre reprises avec le ministre chargé de la protection de l'enfance et le ministre chargé du numérique. Nous avons mené un travail en bonne intelligence, car il y a eu une prise de conscience de leur responsabilité particulière. Le SIG a notamment travaillé sur les moyens d'identifier des sources fiables, et les plateformes ont mis en avant des messages de santé publique relatifs au coronavirus.

Enfin, je dois avouer que la page du Gouvernement a été une maladresse. Compte tenu du flot de fausses informations auquel nous étions confrontés, nous avons voulu donner aux Français une information fiable et vérifiée. La page du Gouvernement consacrée au coronavirus était un des hubs majeurs de recherche de l'information puisqu'elle recevait plus de 750 000 visiteurs uniques par jour. Nous avons donc essayé de fournir ce qu'on appelle le debunking d'une information, c'est-à-dire sa vérification. Le SIG, qui était porteur de ce projet, avait fait très attention à ne pas aller dans la zone grise, c'est-à-dire éviter les sujets sur lesquels il n'y avait pas de vérité admise, par exemple l'hydroxychloroquine. En revanche, nous savions qu'il ne fallait pas ingérer d'eau de javel.

Notre objectif n'était pas du tout de trier les bons et les mauvais journalistes, les bons et les mauvais médias, les bonnes ou les mauvaises informations. Dès lors qu'il s'agissait de sujets factuels, et non d'opinions, nous renvoyions vers des articles de plusieurs fact checkers sur une même information.

Force est de reconnaître que cette initiative n'a pas été comprise, et c'est la raison pour laquelle le Service d'information du Gouvernement a fait le choix de retirer cette page. Notre intention n'a pas été comprise, mais je veux redire qu'elle n'était pas malveillante à l'égard des médias.

Le sujet de la fausse information est majeur, car il peut miner les fondements de la démocratie. C'est à mes yeux l'un des sujets sur lesquels il faut travailler pour la gestion des crises à venir.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

C'est en effet dans cette zone grise que l'on peut friser la censure. Déconseiller de boire de l'eau de javel, en revanche, cela s'entend.

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Oui. C'est pourquoi je répète que la page Désinfox du Gouvernement était exclusivement consacrée à passer des messages aussi évidents que celui concernant la nocivité de l'eau de javel...

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Mais vous ne vous doutiez pas que cette position serait incomprise ?

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

En fait, les choses se sont passées ainsi. Le SIG n'a informé de la naissance du site Désinfox du Gouvernement que les journalistes responsables des rubriques de lutte contre les fake news des différents organes de presse. Ces derniers pouvaient d'ailleurs y voir un nouvel espace d'affichage de leurs propres articles. Le SIG n'a cependant pas pensé à en avertir les patrons de presse. Certains ont manifesté leur mécontentement. Cette erreur de synchronisation s'est transformée en incompréhension, qui a été montée en épingle.

Debut de section - Permalien
Yves Sciama, président de l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information

Face aux fausses nouvelles sur internet, il est important de réagir rapidement. Surveiller les réseaux et identifier ce à quoi il faut répondre dans l'instant est à l'évidence une mission utile. Elle est certes peu visible car, une fois l'éclairage apporté, la fausse information continue de se propager, avec cependant une moindre force d'impact. Il est toutefois maladroit de le faire sous l'étiquette du gouvernement. Une telle mission gagnerait à être conduite par un partenaire académique, comme une université ou l'Institut Pasteur, afin de ne pas apparaître comme une entreprise de récupération.

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Vous n'avez pas répondu à ma question, madame la ministre. Était-il cohérent, en termes de communication, que le Président de la République se montre en compagnie du Pr Raoult alors qu'il venait de quitter le conseil scientifique, derrière les avis duquel le gouvernement n'a cessé de s'abriter ?

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Le Président de la République a rencontré d'autres scientifiques, certes moins médiatiques : les équipes de recherche de la Pitié-Salpêtrière, de l'Institut Pasteur...

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Votre réponse est factuelle ; la question portait sur la cohérence de cette action.

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

La stratégie de communication du Président de la République n'entrait alors pas dans mes attributions, mais voici ce qui me semble cohérent : que le chef de l'État, tandis que des opinions scientifiques différentes s'expriment, accorde une attention à chacune - quitte à ce que l'éventail des hypothèses ouvertes se referme ultérieurement, ainsi que doivent y conduire les essais cliniques.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

En somme, vous ne pensez pas que cela a brouillé le message ?

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Non.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

La question de Mme Jourda porte sur le conseil scientifique, cité en permanence comme la référence. Dans la mesure où le Pr Raoult s'en est éloigné, le fait d'aller le voir ne le fragilisait-il pas ?

Debut de section - Permalien
Sibeth Ndiaye, ancienne porte-parole du gouvernement

Le conseil scientifique est composé d'éminents représentants de leurs disciplines respectives, qui n'en sont toutefois pas les seuls représentants. Le chef de l'État ne s'est pas rendu dans leurs laboratoires, et il a également contacté le médecin français de Wuhan qui s'est trouvé au coeur de la première vague. Il n'y a donc pas d'incohérence ; tous ces éclairages ont aidé à forger la décision politique.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Nous vous remercions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 15.