Les questions sont extrêmement nombreuses et, à vrai dire, je ne sais par où commencer. Je reviendrai ultérieurement sur la question internationale, madame Deroche, puis sur celle des masques. Je dirai d'abord un mot du dépistage, puis je parlerai de l'appareil d'État.
Pourquoi la France n'a-t-elle pas envisagé de dépistage en janvier et février ? Je me suis posé la question en préparant cette audition devant la commission d'enquête et je vous ferai une réponse de médecin, sans avoir de preuve. Cette réponse est hypothétique parce que la question ne s'est posée à aucun moment. Lorsque j'étais ministre, jusqu'au 15 février, on parlait de détecter les cas et l'on était en phase pré-épidémique. Dans les plans pandémie qui sont notre outil habituel de réflexion, comme le plan pandémie grippale, lorsque l'on arrive en phase épidémique, on arrête de tester : les symptômes suffisent. On ne se met jamais en situation de faire un dépistage de la grippe à large échelle. Aucun laboratoire de ville ne fait une PCR grippale lors d'une épidémie de grippe en phase épidémique. Quand les gens sont malades, les médecins le signalent. Le plan pandémie grippale ne prévoit pas de dépistage.
Dans les modèles SRAS et MERS-CoV, qui sont les deux autres coronavirus épidémiques connus, les personnes sont très malades, et ces virus sont très mortels - à 50 %, 80 % et 30 %. Tout le monde est malade : il n'y a pas de cas asymptomatique du SRAS. Pour ces deux épidémies, à ma connaissance, un dépistage à large échelle n'a pas été envisagé. Avec la covid-19, la situation est intermédiaire : il y a un virus très grave, que l'on ne connaît pas, et beaucoup de cas asymptomatiques. Le temps de réaliser tout cela et d'admettre l'idée d'un dépistage à large échelle, on était en mars et la phase 3 avait commencé.
Je ne vois pas à partir de quel signal on aurait pu envisager un dépistage à large échelle en février. Peut-être les experts allemands y ont-ils pensé, mais je n'ai eu aucune note, aucun mail, aucune demande, aucun échange international, aucune recommandation contenant l'idée d'un tel dépistage. C'est ma réponse intuitive de médecin que je vous livre.
Un article d'un journal du soir bien connu a laissé penser que l'appareil d'État ne s'était pas mis en route. C'est l'angle qu'a choisi la journaliste. Je n'ai pas pris la parole ensuite, au vu du flot de menaces et d'insultes que j'ai subies à partir de cette date. C'est l'occasion pour moi de vous dire à quel point l'appareil d'État s'est mis en branle à partir du 10 janvier. Je vais faire la liste ce que nous avons fait parce que je ne peux pas laisser dire que nous n'avons rien préparé. Je vous prie de m'excuser si c'est fastidieux et long, mais vous devez connaître la chronologie de ce que nous avons fait. Les Français ont le droit de savoir quelle a été l'action du Gouvernement au moment du démarrage de cette crise.
Je lis une alerte sur un blog anglo-saxon vers le 25 décembre et je l'envoie immédiatement au DGS. Le 1er janvier, les Chinois et l'OMS signalent.
Le 2 janvier, le DGS met en place une veille du Corruss de niveau 1, ce qui veut dire que l'on réceptionne et valide les signalements. Il y a une information systématique de la direction du cabinet sur tout ce qui concerne cet événement, un suivi et une gestion dans les établissements de santé des événements sensibles, la rédaction et la diffusion d'un bulletin, une astreinte le soir et le week-end. Nous sommes alors le 2 janvier.
Le mardi 7 janvier, les Chinois détectent qu'il s'agit d'un coronavirus de type SARS-CoV2. Le DGS ouvre immédiatement un suivi DGS, avec un point quotidien réalisé par le Corruss et adressé au cabinet.
Le mercredi 8 janvier, il y a une quarantaine de cas à Wuhan et aucun mort. On inscrit cet événement en réunion de sécurité sanitaire, laquelle se tient de façon hebdomadaire tous les mercredis matin au ministère, en présence d'un membre du cabinet et sous l'égide du DGS, avec toutes les agences.
Le jeudi 9 janvier, je reçois le premier message d'alerte formelle du DGS, qui m'informe que 59 malades ont été identifiés à Wuhan et qu'il s'agit d'un coronavirus dans les poumons. À partir de cette date le DGS et moi échangeons quasiment de façon quotidienne de visu ou par téléphone.
Le vendredi 10 janvier, l'OMS publie des orientations techniques et des conseils pour détecter et prendre en charge les cas, et rappelle qu'il n'y a pas de transmission interhumaine ; si elle existe, elle doit être limitée. Nous prenons tout de même l'alerte au sérieux et nous montons le centre de crise. Nous élaborons une note du Corruss, actualisée et adressée au cabinet tous les jours. Le DGS organise une réunion du comité technique intersecteurs, c'est-à-dire tous les services, sur le sujet. Nous diffusons le premier message d'alerte de la DGS aux agences régionales de santé (ARS), aux sociétés savantes - urgentistes, réanimateurs, infectiologues, de santé publique. L'objectif de ce message est de repérer les cas sur la base de la définition de cas de l'OMS et de l'ECDC, et de leur indiquer la conduite à tenir en face de cas suspects.
Toujours le 10 janvier, nous mettons en place un dispositif de communication et d'information à l'attention de tous les passagers qui arrivent de Chine à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle par tous les vols directs.
Le samedi 11 janvier, j'apprends qu'il y a un premier mort en Chine. Je considère que le virus est potentiellement grave et je préviens le Président de la République et le Premier ministre.
Le lundi 13 janvier, un premier cas est détecté hors de Chine, en Thaïlande : un homme qui s'était rendu au marché aux poissons de Wuhan. À cette période, il est toujours question d'une zoonose transmise par un animal.
Le 14 janvier, nous diffusons le premier message d'alerte sanitaire aux établissements de santé et médico-sociaux. Nous envoyons également un signal DGS urgent à plus de 800 000 professionnels de santé libéraux. À cette époque, je le rappelle, il n'y a toujours pas de notion de transmission interhumaine et l'ECDC évalue le risque d'importation dans l'Union européenne comme « faible ».
Le mardi 21 janvier, le DGS me dit qu'il y a probablement une transmission interhumaine. Il y a alors 280 cas, 6 décès, 4 cas exportés hors de Chine. Pour moi, c'est la bascule en termes d'alerte. Je décide donc d'organiser une réunion de toutes les directions à la DGS, et de tenir une conférence de presse quotidienne au niveau du ministère et du DGS pour rendre compte aux Français de l'évaluation de la situation. Je demande ce jour-là au DGS combien de masques nous avons en stock. Je le redis, c'est la première fois que j'entends qu'il s'agit d'une transmission interhumaine.
L'OMS réunit ses experts les 22 et 23 janvier. Ils décident de ne pas déclarer l'USPPI. Ils ont envoyé des experts en Chine, qui nous disent que la transmission interhumaine est avérée, mais qu'ils ne connaissent pas l'ampleur de cette transmission.
Le 22 janvier, sur la base de cette confirmation par l'OMS, nous montons le niveau d'alerte du Corruss au niveau 2, ce qui correspond à un niveau renforcé : une équipe dédiée au sein du ministère, avec des astreintes le soir et le week-end, qui coordonne toutes les actions au niveau de la santé, suit les événements avec les ARS, priorise les informations, fait des points de synthèse quotidiens et projette des moyens si nécessaires.
Nous faisons une réunion inter-directions au ministère avec la direction de la communication et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) pour les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Nous demandons à Matignon l'autorisation que la DGS pilote la crise. Je demande que l'on me programme un échange avec la commissaire européenne Stella Kyriakides. Nous envoyons le deuxième message d'alerte ministère de la santé, aux ARS, aux établissements de santé et aux professionnels libéraux.
Le jeudi 23 janvier, il n'y a toujours pas d'alerte déclarée par l'OMS. Il y a 580 cas en Chine et 17 décès. Nous décidons de distribuer des flyers en trois langues à la descente des avions venant de Chine. Nous ouvrons le centre de crise du MEAE pour répondre aux Français d'Asie. Nous mettons en place une foire aux questions grand public. Je prends la parole au Corruss à 14 heures pour expliquer tout cela. La DGS reçoit le premier point de Santé publique France sur l'évaluation des stocks, selon lequel nous avons 100 millions de masques. Au niveau international, nous apprenons dans la nuit du 23 au 24 janvier que la Chine ferme Wuhan.
Le vendredi 24 janvier, j'ai le premier retour de la DGS sur le nombre de masques : nous disposons de 33 millions de masques chirurgicaux pédiatriques et 66 millions de masques chirurgicaux adultes, et nous allons recevoir en février 10 millions de masques pédiatriques et 54 millions de masques adultes. Je demande immédiatement que de nouvelles commandes soient lancées. Le cabinet demande officiellement que le Secrétariat général de la défense nationale et de la sécurité nationale (SGDSN) soit saisi du sujet de la commande des masques. Je fais mon premier point sur Wuhan en conseil des ministres.
Le soir du 24 janvier, les trois premiers cas sont détectés en France. Nous envoyons dans la nuit un troisième message DGS urgent aux professionnels libéraux pour les aider à détecter les cas et leur donner la conduite à tenir : nous traçons tous les cas contacts et les mettons à l'isolement. Je préviens évidemment le Premier ministre et le Président de la République au sujet des cas. Le Premier ministre organise une réunion à Matignon durant le week-end. Il y a d'abord une réunion des services à Matignon le samedi matin, puis une réunion de ministres le dimanche. J'appelle la commissaire européenne à la Santé Stella Kyriakides et lui demande de convoquer un conseil des ministres européen. Elle me signale qu'elle n'en a pas le pouvoir et que c'est à la présidence croate de l'organiser.
J'appelle aussi, le soir du 24 janvier, le directeur général de l'OMS, M. Tedros Adhanom Ghebreyesus, pour l'informer des premiers cas européens et essayer de comprendre pourquoi il n'y a pas eu de déclenchement de l'USPPI. Il m'explique sa décision et me dit qu'il va se rendre en Chine durant le week-end pour se rendre compte lui-même de la situation.
Le samedi 25 janvier, il y a un peu plus de 1 000 cas en Chine et 41 décès. Je demande à mon directeur de cabinet de faire un point sur l'état du capacitaire en lits et des stocks mobilisables, notamment de respirateurs, dans les hôpitaux. Je demande de structurer la recherche, notamment la recherche clinique avec les antiviraux. Je demande à Santé publique France de me soumettre trois scénarios épidémiques pour la réunion des ministres du dimanche à Matignon. Je demande que l'on réunisse les professionnels hospitaliers, présidents de commission d'établissement (PCME) et directeurs d'hôpitaux.
Nous ouvrons également une page d'information grand public, gouvernement.fr/info-coronavirus. Je mets en place un dispositif d'accueil avec la réserve sanitaire pour tous les vols directs de retour de Chine, afin de prendre en charge les passagers inquiets ou malades. Cette réserve sanitaire est donc mobilisée officiellement le 25 janvier.
Nous diffusons un troisième message aux ARS et aux établissements de santé, en leur demandant d'organiser une cellule régionale de suivi des cas, et d'organiser des structures d'accueil au sein des hôpitaux et des services d'urgence.
Je décide le samedi après-midi d'appeler mon homologue allemand, Jens Spahn, pour échanger sur sa perception de la situation.
Le dimanche 26 janvier se tient la première réunion de ministres autour du Premier ministre à Matignon pour faire le point sur l'épidémie et sur la situation des Français en Chine. Nous décidons de rapatrier les Français de Chine, notamment ceux de Wuhan. Je présente les trois scénarios épidémiques qui ont été élaborés par Santé publique France : le premier est un contrôle rapide « SRAS like », qualifié de « peu probable » ; le deuxième est une pandémie avec un impact sanitaire et sociétal significatif, qualifié de « plus probable » ; le troisième est une pandémie avec un impact majeur sanitaire et sociétal, qualifié de « très peu probable ». Je crains malheureusement que nous n'ayons vécu le dernier scénario.
Je décide d'appeler de nouveau la commissaire européenne à la santé pour essayer de comprendre pourquoi je n'ai pas de nouvelles des Croates quant à l'organisation d'un conseil des ministres européen. Elle pense que la majorité des pays de l'Union n'y est pas favorable. J'apprendrai plus tard par le Quai d'Orsay que seuls 3 pays sur 27 souhaitent ce conseil des ministres. J'appelle donc le ministre de la santé croate, qui me dit qu'il va l'organiser dans la semaine, malgré le peu d'appétence des pays européens.
Le lundi 27 janvier, l'OMS n'a toujours pas déclenché l'USPPI. Selon le risk assessment de l'ECDC, la probabilité d'importer des cas dans l'UE est modérée et la probabilité qu'un cas détecté dans l'UE entraîne des cas secondaires est faible. Je décide malgré tout, le lundi 27 janvier, de monter le niveau du Corruss au niveau 3, soit le centre de crise renforcée, mis en place par exemple lors attentats multisites ou lors d'un accident NRBC. Ce centre de crise assure les relations interministérielles, pilote les établissements de santé et médico-sociaux, suit la crise et la gère avec les ARS, projette des moyens humains. Il organise une cellule de décision, une cellule de situation, une cellule de communication et un pôle technique.
Ce lundi 27 janvier, nous arbitrons sur l'usage de l'article du code de la santé publique qui permet d'obliger les cas contacts à rester à domicile, et qui s'appliquera également aux futurs rapatriés de Wuhan. Je demande à la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) si elle peut étendre la définition des indemnités journalières à ces personnes obligées de rester chez elle pendant 14 jours, et qui n'auront pas de revenus. À cette date, l'institut Pasteur nous annonce que le test de diagnostic par RT-PCR est prêt et peut être déployé. Nous le déployons dans les centres hospitaliers universitaires (CHU). J'envoie un message au directeur général de l'OMS, de retour de Chine, pour avoir ses impressions. J'adresse un message au Premier ministre et au Président de la République pour faire un point de situation et propose d'en parler au prochain conseil des ministres.
Surtout, je me bats, parce que je suis inquiète, aux côtés de Jérôme Salomon, pour obtenir un élargissement de la définition des cas contacts. À cette date étaient considérées comme « à risque » des personnes qui avaient séjourné à Wuhan. Nous considérons qu'au vu de l'étendue de l'épidémie en Chine - 4 500 cas et 100 décès - il faudrait élargir la zone géographique au moins à la région de Hubei, voire à toute la Chine. Nous trouvons aussi que les symptômes retenus, les seuls symptômes respiratoires, sont trop restrictifs. Nous savons que le premier malade de Bichat, le touriste chinois de 80 ans, avait d'abord eu des symptômes digestifs : nous demandons donc un élargissement aux symptômes digestifs.
Le mardi 28 janvier, nous envoyons un quatrième message aux ARS pour leur demander d'anticiper, via des remontées d'informations, les stocks de matériels - respirateurs, équipements de protection - pour les prises en charge possibles et pour éviter les ruptures. C'est la traduction officielle, par un message de la DGS aux ARS, de ma demande au directeur de cabinet du 25 janvier, visant à savoir quel était notre capacitaire dans les hôpitaux et si nous étions armés.
On me demande d'arbitrer sur une demande chinoise transmise par le MEAE. Les Chinois veulent qu'on leur envoie, par le vol qui va chercher les rapatriés à Wuhan, des équipements de protection individuelle. Je refuse, considérant que les stocks risquent d'être tendus en France.
À cette date, une délégation est envoyée par l'OMS en Chine et l'Italie suspend ses vols vers la Chine, sans se concerter avec les autres pays européens. J'alerte Jean-Yves Le Drian et nous discutons de la nécessité de fermer ou non les vols.
Le mercredi 29 janvier, l'OMS annonce qu'elle convoque son comité d'urgence le lendemain. J'obtiens par Santé publique France l'autorisation d'élargir la définition des cas à une zone géographique plus large et à des symptômes plus nombreux. Cet élargissement de la définition des cas est fait en France contre les avis de l'OMS, de l'ECDC et du Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) américain. Nous sommes donc les seuls à élargir, à ma demande, la définition des cas. Je demande aussi que le tracing des cas contacts démarre avant les symptômes parce que nous commençons à saisir que les patients sont asymptomatiques, mais contagieux.
À cette même date, le Premier ministre convoque la deuxième réunion de ministres à Matignon pour organiser le rapatriement de Wuhan. À ma demande se tient une réunion entre le DGS et le SGDSN sur les mesures d'anticipation, notamment au sujet des stocks d'équipements de protection individuelle. Le MAE prend la main sur la tenue d'un conseil des ministres européen extraordinaire, voyant que rien n'arrive du côté de la Croatie. C'est la première consultation informelle du MEAE sur la convocation d'un tel conseil à Bruxelles. C'est alors que me revient l'information selon laquelle seuls 3 pays acceptent.
Le jeudi 30 janvier, nous commandons, pour la première fois des masques FFP2 et des surblouses pour équiper le personnel en première ligne, en attendant les remontées de nos hôpitaux sur l'état de leurs stocks. Nous envoyons un troisième message aux établissements de santé pour élargir la définition des cas et les circuits de signalement.
Nous envoyons un quatrième message aux professionnels libéraux, et un cinquième message aux ARS. Je visite l'hôpital Bichat et rencontre toutes les équipes pour discuter du cas hospitalisé. Je demande alors que l'on rétrograde le niveau d'exigence pour faire les tests en laboratoire P2. Je rencontre le professeur Yazdan Yazdanpanah. Je demande à REACTing de me soumettre des scénarios et de me proposer des protocoles de recherche clinique testant les antiviraux, pour le cas où l'épidémie arriverait. C'est seulement à cette date que l'OMS déclare l'USPPI.
Le vendredi 31 janvier, nous devons gérer le Brexit et nous ne sommes plus en lien avec Matthew Hancock, secrétaire d'État anglais à la santé, avec lequel nous avions des échanges réguliers. Il y a en Chine 213 décès et 9 000 cas. Je vais accueillir les rapatriés de Wuhan à Carry-le-Rouet. Nous mettons en place un numéro vert pour tous les Français qui le souhaitent et qui sont inquiets, de façon à décharger les centres 15. Nous adressons un sixième message aux ARS sur l'éviction à domicile, la quarantaine et les indemnités journalières.
À cette date, je demande au DGS de réquisitionner tous les internes de santé publique pour qu'ils viennent nous aider dans les ARS et au centre de crise du ministère, dans l'hypothèse où il faudrait tracer beaucoup de cas contacts et où l'on aurait besoin de nombreux médecins. Je m'énerve, car il n'y a toujours pas de Conseil européen de la santé. Je demande que l'on me prépare un courrier « niveau ministre » visant à solliciter de nouveau la présidence croate pour la tenue de ce conseil, et je rappelle le ministre croate de la santé. C'est seulement à cette date que l'ECDC élargit la définition des cas à toute la Chine.
Le samedi 1er février, j'ai la confirmation que la technique de PCR sera disponible dans tous les établissements de référence lors de la première semaine de février. L'ensemble des Français rapatriés de Chine, arrivés la veille au soir, sont testés : ils sont tous négatifs. J'apprends que le ministre de la santé croate a été limogé dans la semaine, ce qui explique l'absence de réaction aux demandes de la France. On attend la nomination d'un nouveau ministre pour l'organisation du Conseil emploi, politique sociale, santé et consommateurs. Les autorités chinoises demandent l'aide internationale. Les États-Unis suspendent leurs vols vers la Chine. J'appelle de nouveau mon homologue allemand Jens Spahn, avec lequel j'ai de très bonnes relations, pour envisager une harmonisation des décisions au niveau de l'espace Schengen sur les mesures aux frontières. Nous actons que nous nous verrons rapidement. Les États-Unis proposent ce jour-là un G7 santé, qui s'organise pour la semaine suivante.
Le dimanche 2 février, il y a 146 cas exportés hors de Chine, mais toujours aucun cas de transmission interhumaine ou de chaîne de transmission ou de foyer épidémique rapporté hors de Chine. Notre troisième réunion de ministres se tient autour du Premier ministre à Matignon : nous faisons un point sur l'épidémie, les rapatriements et les mesures à prendre. Je décide de constituer un stock d'État de masques FFP2 pour les soignants. Je vous rappelle qu'il n'y avait pas de stock d'État pour ces masques depuis les circulaires de 2013. Je reçois une note du DGS m'expliquant la difficulté de modélisation de l'épidémie, du fait que nous manquons d'informations sur le nombre de personnes ayant une immunité préexistante, de personnes asymptomatiques, de personnes asymptomatiques et contagieuses, de cas graves, etc.
Le lundi 3 février, il y a le premier décès hors de Chine. La Chine fait des efforts d'endiguement : plus de 100 millions de personnes sont confinés, quasiment toute la région de Hubei. Le MAE déconseille les déplacements non indispensables en Chine. À la DGS se tient une réunion avec tous les centres de crise des ministères. Lors de cette réunion, le SGDSN fait un état des lieux sur les stocks et la doctrine sur les masques. Il rappelle qu'il n'y a pas de lieu de porter de masques en population générale, et que les masques sont de la responsabilité des employeurs.
À cette date, nous saisissons le Haut Conseil de la santé publique pour former un groupe de travail sur la covid. La première réunion téléphonique du G7, au niveau des ministres, porte essentiellement sur les mesures aux frontières et la quarantaine des rapatriés, parce que nous faisons tous des choses différentes. Nous envoyons un projet de conclusions du Conseil Epsco aux Allemands et aux Croates. Il porte sur des achats groupés de matériels, notamment les masques, et sur les éventuelles pénuries de médicaments.
Toujours à cette date, l'OMS nous demande simplement d'aider les pays ayant un système de santé fragile à déployer leur réponse. Nous n'avons pas de recommandation particulière sur les frontières.
Le mardi 4 février, j'organise une conférence téléphonique avec tous les directeurs généraux d'ARS. Nous envoyons le quatrième message d'alerte aux établissements. Le ministre allemand de la santé vient me voir à Paris. Nous déjeunons ensemble et nous actons que nous sommes d'accord pour la tenue d'un conseil des ministres européen. Nous faisons un point presse pour le dire.
Je veux rappeler les déclarations du directeur général de l'OMS à cette date : il demande à tous les pays de ne pas imposer de restrictions qui interféreraient de façon non nécessaire avec les voyages internationaux et avec le commerce international. Il leur demande de ne pas fermer les frontières et de ne pas arrêter les vols, car ces restrictions auraient pour effet d'augmenter la peur et la stigmatisation, avec peu d'efficacité en termes de bénéfice pour le public. (M. Bernard Jomier s'impatiente.)
Mercredi 5 février... Je suis désolée d'être un peu longue, monsieur le rapporteur, mais je crois que c'est important, car on ne peut pas laisser dire que nous n'avons rien fait.