La préparation aux crises sanitaires fait partie des critères de certification des établissements de santé : depuis 2010, la certification des hôpitaux comporte un critère consistant à vérifier que les hôpitaux ont des plans et savent les utiliser pour se préparer. Des exercices de crise ont lieu en permanence au ministère, avec les ARS, les préfets et les établissements. Des exercices de crise sanitaire, il y en a tous les trimestres dans toutes les régions. Seulement, la problématique du stock n'est pas apparue dans la certification : je ne puis que le déplorer, comme 65 millions de Français.
Quand nous avons commandé des masques FFP2, il était déjà trop tard, non pas parce que nous aurions passé la commande trop tard - nous l'avons passée très tôt -, mais parce que tout s'arrêtait et que les lignes de production étaient très difficiles à monter.
Nous avons une commission d'enquête nationale, ce qui est normal, mais d'autres pays ont aussi manqué de masques. La crise a touché en termes de masques tous les pays qui n'avaient pas de stocks suffisants. Par ailleurs, des hôpitaux ont retrouvé des stocks qu'ils ne pensaient pas avoir et il y a eu des vols par milliers.
Madame Préville, vous me demandez quelle latitude j'ai eue. Je pense que le Premier ministre a été totalement à l'écoute, tous les jours, de ce que je lui disais. Je n'ai senti à aucun moment, ni chez lui ni chez le Président de la République, une sous-estimation du problème. J'ai eu de la latitude, parce que, je le pense, ils me faisaient totalement confiance.
Oui, monsieur Henno, la politique est l'art de l'exécution, mais elle consiste aussi à être en phase avec un pays. Or ce que j'ai ressenti, et qui explique peut-être le sentiment que vous avez pu avoir d'une forme de délais trop longs entre les commandes passées et l'exécution, c'est que, globalement, il y avait une sous-évaluation du risque par les experts.
S'agissant des experts internationaux, je rappelle que, à l'OMS, on estimait encore très tardivement que la Chine pouvait endiguer l'épidémie et qu'on pourrait être protégé. La pandémie n'a été déclarée que le 11 mars... Nous n'avions donc pas l'appui suffisant des instances internationales pour mettre tout le monde en alerte.
Tout le monde a été absolument bouleversé par le confinement. J'entends autour de moi des amis qui disent : personne ne l'a vu venir. J'avoue ne pas comprendre. Comment, quand l'Italie explose et que la Chine confine 100 millions de personnes, peut-on encore être surpris de ce qui nous arrive ?
La ministre a beaucoup de pouvoirs, mais quand la France entière pense que les Chinois ne savent pas soigner des gens, que c'est un pays sous-développé et que, s'il y a des morts, c'est parce qu'ils ne savent pas utiliser des respirateurs... C'est ce que j'ai entendu : chez nous, on sait faire de la réanimation. Bref, il y a eu une sorte de déni.
Je ne puis pas ne pas vous rappeler ce que disaient certains collègues, parce que cela peut expliquer l'esprit qui dominait même dans les administrations et les hôpitaux ou chez les médecins. Je ne devrais peut-être pas, mais je vous livrerai peut-être un échange téléphonique que j'ai eu le 12 février, la veille de mon départ, avec un membre du collectif inter-hôpitaux. Nous avions programmé une réunion le mercredi suivant, dans le contexte de la grève administrative des chefs de service - il se trouve que c'est Olivier Véran qui a participé à cette réunion.
Dans le train, à Bruxelles, je disais donc à mon interlocuteur, entre deux wagons : arrêtez votre grève, nous avons besoin que vous répondiez aux mails parce qu'un tsunami arrive, vous devez vous mettre en ordre de marche, les hôpitaux doivent se préparer, arrêtez cette grève, allez aux réunions et répondez aux directeurs. Je sentais bien qu'il y avait un blanc...
Voyez les journaux : c'est seulement en mars que le JDD a fait son premier article sur la menace de l'épidémie. Avant, c'était : qu'est-ce qui se passe à Wuhan ?
Voyez aussi nos experts sur les plateaux télé. Le vendredi 6 mars, Philippe Juvin, chef de service des urgences de réanimation de l'Hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), déclarait : « il faut relativiser les choses, pas de panique ». Éric Caumes, le 25 février : « Au jour d'aujourd'hui, on peut difficilement parler d'épidémie, alors qu'on n'a même pas de nouveaux cas en France. Il ne faut pas aller plus vite que la musique. » Il est vrai que nous n'avons pas eu de cas pendant presque trois semaines en février : la pression s'est donc relâchée.
Des phrases d'experts de ce type, je pourrais en citer des dizaines. Patrick Pelloux, le 6 mars : « J'engage le Gouvernement à faire très attention à ne pas déstabiliser toute la société ni tout le pays. Elle ne sera pas forcément plus grave que la grippe saisonnière. On essaie de contenir les choses. » Christophe Prudhomme, urgentiste et président de syndicat, porte-parole santé de la CGT : « On est un certain nombre de médecins à penser que la surréaction des politiques va être plus grave que la maladie. Tous les jours, c'est six à huit morts sur les routes, tous les jours une épidémie de grippe, l'épidémie de grippe saisonnière, c'est 5 000 morts depuis le début. On sait maintenant avec le recul qu'on a, notamment des retours de Chine, que le virus est relativement peu mortel et touche principalement les personnes âgées. » Du genre, ce n'est pas grave...
Ces propos datent du 6 mars et je pars le 15 février : que voulez-vous que je vous dise ?...
Le moins que l'on puisse dire, c'est que la DGS, le Premier ministre et le Président de la République, nous étions préparés en mode combat. J'ai déclenché le plan ORSAN-REB le 14 février, la veille de mon départ. Seulement, quand un pays est dans le déni, c'est très compliqué.
C'est pourquoi je faisais des points presse quotidiens : il s'agissait de faire monter progressivement la conscience de la menace dans l'opinion publique. Si, le 21 janvier, j'avais fait état de mon intuition, qui n'était partagée par quasiment personne, on m'aurait traitée de folle. En revanche, je pensais que, en livrant tous les jours aux Français l'état des lieux de ce qui arrive, l'opinion se préparerait. Force est de constater qu'elle ne s'est pas préparée.
On ne peut pas dire que les établissements et les Ehpad n'ont pas été prévenus. De nombreux messages d'alerte ont été envoyés aux professionnels libéraux, aux ARS, aux établissements. Comment ont-elles été traitées au niveau des commissions médicales d'établissement, je ne puis pas vous le dire. Mais je me souviens de cette conversation du 12 février que je vous ai rapportée - je ne veux pas citer mon interlocuteur pour ne pas le mettre en difficulté. Je disais simplement qu'il fallait prendre conscience du risque et se mettre en mode combat.
Madame Guillemot, pourriez-vous me rappeler votre question sur l'expertise de 2018 ?