Intervention de Agnès Buzyn

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 23 septembre 2020 à 15h00
Audition de Mme Agnès Buzyn ancienne ministre des solidarités et de la santé

Agnès Buzyn, ancienne ministre des solidarités et de la santé :

Malheureusement, il n'est jamais bon d'avoir raison trop tôt. Je pense qu'il s'est passé en Europe exactement ce qui s'est passé en France.

Pourquoi ai-je eu cette intuition ? Médecin spécialiste de maladies très graves, j'ai passé ma vie à anticiper pour mes malades immunodéprimés de possibles complications. Mon travail de médecin pendant trente ans a été d'anticiper, de préparer des malades très immunodéprimés à des complications infectieuses. Par ailleurs, j'ai géré de nombreuses crises : Fukushima en tant que président de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), la crise des prothèses mammaires PIP comme présidente de l'Institut national du cancer (INCa), puis toutes les crises au ministère - Irma, Lubrizol, levothyrox et j'en passe. Je suis donc préparée à cela.

Mes collègues ministres, n'étant pas médecins, dépendent totalement de leurs experts. Les politiques sont en phase avec leur pays. Je pense que je n'étais pas, moi, en phase avec le pays : c'est d'ailleurs ce qui m'a permis de nous préparer aussi bien, forte de la confiance du Premier ministre. J'ai toujours été inquiète, et il m'a toujours écoutée ; il a toujours considéré qu'il y avait un risque important, parce qu'il me faisait confiance.

Sur l'Europe, j'ai été très déçue, vous l'avez compris, et j'ai un peu perdu mes nerfs. Reste que la pandémie n'a été déclenchée que le 11 mars : peut-on en vouloir aux autres pays ? Certains étaient bien préparés, d'autres moins, ou sur certains points mieux que sur d'autres.

Il est d'ailleurs possible - je vous dis mon sentiment de médecin - que cette commission d'enquête survienne un peu tôt : dans un an ou deux, nous verrons qui aura vraiment pris les bonnes décisions au bon moment.

Par ailleurs, on oublie la place des facteurs culturels dans la gestion de crise. Je vous livre une anecdote personnelle. Olivier Véran a interdit les poignées de main, comme je l'avais espéré, une dizaine de jours avant l'élection municipale : de fait, quand vous êtes en campagne, vous serrez des milliers de mains, ce qui n'est vraiment pas raisonnable en cas d'épidémie. Deux jours avant l'élection, sur un marché, les gens m'engueulaient : un politique qui ne veut pas serrer des mains ? Je leur disais : il y a une épidémie, je vous passe le coude...

Des pays sont plus disciplinés que d'autres. Il y a des pays latins où l'on s'embrasse et se serre dans les bras et d'autres, comme la Corée, où les gens ne se touchent jamais. Tout cela joue sur la façon dont l'épidémie se répand.

J'entends qu'il soit important de trouver les dysfonctionnements de l'État - c'est le rôle de votre commission d'enquête. Mais peut-être pouvons-nous aussi avoir un regard un peu distancié sur notre société. Notre société n'a pas cru qu'il était possible de mourir en France : les gens pensaient que c'était en Chine et qu'à Wuhan, somme toute, ils ne savent pas soigner les gens, qu'il n'y a pas d'hôpitaux...

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion