Intervention de Inger Andersen

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 25 février 2020 à 18h34
Audition de Mme Inger Andersen sous-secrétaire générale des nations unies et directrice exécutive du programme des nations unies pour l'environnement

Inger Andersen, sous-secrétaire générale des Nations Unies et directrice exécutive du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) :

Merci pour ces remarques. Madame Tocqueville, sur la compensation carbone, nous essayons de promouvoir un marché mondial, comme cela est stipulé dans l'article 6 de l'accord de Paris. C'est très compliqué. Nous avons commencé à discuter des règles à Marrakech, où les discussions n'ont pas abouti, non plus qu'à Bonn, à Katowice ou à Madrid. Pourquoi ? À l'évidence, il y a des intérêts économiques et des incitations de part et d'autre. Pour autant, nous ne pouvons pas nous permettre d'échouer sur la clarification de l'article 6 de l'Accord de Paris et du fonctionnement du marché carbone. Nous ne pouvons plus attendre : il faut avancer avant Glasgow.

Il y a aujourd'hui 2 milliards d'hectares de terres forestières dégradées. Chaque seconde, nous perdons l'équivalent d'un terrain de football de forêts tropicales. Les calculs sont simples : nous perdons énormément de forêts. Que faire ? Sur ce sujet, l'action de la secrétaire exécutive française de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, Mme Monique Barbut, a été très volontariste. C'est à présent la tâche d'un collègue mauritanien, très volontariste aussi. Les forces politiques tirent dans différentes directions, et des élections ont eu lieu dans les différents pays auxquels vous avez fait allusion. Pour les pays qui sont les poumons de la planète, avec leurs forêts tropicales, il y aura un financement, afin que la richesse de la planète soit préservée. En effet, difficile de dire à un agriculteur très pauvre en République démocratique du Congo d'arrêter de couper des arbres : il a besoin de terres cultivables pour faire vivre sa famille. Mais la richesse des forêts tropicales est quelque chose dont nous avons tous besoin pour préserver l'air que nous respirons. À chacun de s'assurer que ce qu'il achète ne provient pas de ces forêts tropicales. L'huile de palme, dans le savon ou le shampooing que nous utilisons, ou dans les biscuits, savons-nous d'où elle vient ? Les produits que l'on achète ne doivent pas provenir des zones de déforestation. Les parlements doivent se saisir de ce sujet. Planter des arbres est devenu de plus en plus populaire. Pour autant, planter des eucalyptus à perte de vue n'est pas bon, car cet arbre retire certains éléments nutritionnels du sol. Il faut replanter intelligemment. C'est ce que nous devons faire en Éthiopie et dans de nombreux pays du Sahel.

Les entreprises du secteur pétrolier procèdent beaucoup à des compensations par la plantation d'arbres, ce qui a effectivement des effets pervers. Il nous faut décarboner notre économie. Pour cela, planter des arbres peut faire partie de la solution, mais cela ne suffira pas si dans le même temps nous ne faisons pas diminuer la courbe du carbone.

Monsieur Fouché, de quels moyens de pression disposons-nous ? Les pays sont souverains - et la France est attachée à cette idée - et nous sommes donc limités dans notre action. Mais le multilatéralisme, l'engagement, la solidarité dans le financement, ou en termes de transferts technologiques et d'innovation, doivent faire partie de la solution. C'est à cela qu'oeuvre le système des Nations Unies, tout comme l'aide au développement française ainsi que votre ministère des affaires étrangères et vos diplomates.

Mme Préville a dit que des réformes structurelles profondes étaient nécessaires. Toutes les émissions se valent, je suis d'accord. C'est pourquoi nous devons passer aux énergies renouvelables le plus rapidement possible. Les innovations s'y multiplient, ce qui en fera baisser le prix. Dans certaines économies, et même aux États-Unis, les investissements dans les énergies renouvelables ont dépassé de très loin ceux dans les énergies fossiles. Le stockage de carbone n'est pas une panacée mais une solution temporaire pour la biodiversité, qui peut nous aider.

L'AFD a créé un club de financement extraordinaire pour le développement, l'International Development Finance Club (IDFC), qui rassemble 24 banques nationales, régionales et bilatérales de développement et totalise 2 trillions d'euros par an. Un peu avant Glasgow, l'AFD convoquera ce groupe d'investisseurs, auquel nous apportons une participation extrêmement active. L'un de mes prédécesseurs avait aussi lancé une initiative financière concernant les banques du secteur privé. Le secteur de l'assurance est aussi concerné, tout comme les fonds de pension. Nous essayons de tirer parti de la volonté de changement parmi leurs actionnaires.

M. Bigot, vous avez mentionné l'appel à la désobéissance civile lancé par des scientifiques. Les opportunités d'action au niveau local existent, mais nous avons besoin d'un plan national. Les contributions déterminées au niveau national (CDN) existent, même si elles ont été rédigées de manière assez rapide. J'espère qu'en 2020, quand elles seront soumises, les pays prendront un engagement réel vis-à-vis de la communauté internationale, qu'il faudra décliner au niveau régional, local et également dans le monde de l'entreprise.

L'engagement que nous pouvons prendre, outre le fait de décarboner notre secteur des transports et de préserver la nature, c'est de mieux comprendre l'économie circulaire et comment nous produisons actuellement des biens que nous jetons dès qu'ils ont été utilisés. Nous oeuvrons sur ce sujet avec le panel sur les ressources mondiales au sein du PNUE.

M. Gillé a souligné que beaucoup tirent dans des directions différentes, allant parfois à l'encontre de ce qui est bon pour la planète. C'est vrai. Les scientifiques du Stockholm Resilience Centre ont mentionné que nous étions maintenant dans l'anthropocène. C'est maintenant nous, l'espèce humaine, qui déterminons le destin de notre planète. Cela n'a jamais été le cas auparavant. Notre impact est devenu déterminant. La bonne nouvelle, c'est que de plus en plus de personnes en sont conscientes. La mauvaise nouvelle, c'est que nous n'agissons pas assez vite.

Votre invitation à venir vous parler et votre degré d'influence me remplissent d'espoir, comme des discussions similaires que j'ai à Bruxelles, tout comme l'interpellation de jeunes - certains n'ont que quinze ans, ils ne voteront que dans quelques années - ou les préoccupations exprimées par des chefs d'entreprise à Davos.

Le PIB n'est plus l'indicateur le plus adapté. Les quinze ODD qui sous-tendent l'accord de Paris ne portent pas seulement sur la richesse, mais aussi sur l'éducation, l'accès à l'eau, la liberté d'expression ou encore le droit à la santé.

Le rapport sur l'écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions formule des recommandations sur le nucléaire. C'est une question complexe qui couvre celle de la sécurité et celle de la gestion des déchets. Elle diffère selon les pays et nous ne pouvons pas considérer que le nucléaire demeure une option pour tous. Ce n'est pas exactement notre champ d'expertise, puisqu'une autre agence onusienne en est chargée, mais nous travaillons à la réduction des émissions et nous envisageons toutes les options possibles, pays par pays.

Je remercie vraiment votre commission pour votre travail.

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