Cette communication est le fruit d'un travail de contrôle mené avec Jean Bizet, dans les conditions tout à fait particulières que vous connaissez.
Dès le déclenchement de la crise sanitaire, nous avons fait le choix de réaliser un suivi des mesures d'urgence prises dans le domaine de la recherche. Nous avons d'emblée pu constater la grande réactivité des pouvoirs publics et des acteurs de la recherche face à la crise. REACTing, le consortium de recherche publique sur les maladies infectieuses émergentes, piloté par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), s'est mobilisé sur la question dès la mi-janvier 2020. Les ministères de la recherche et de la santé l'ont rapidement doté de moyens supplémentaires permettant notamment au début du mois de mars le préfinancement à hauteur de 1 million d'euros de vingt projets de recherche prioritaires.
L'Agence nationale de la recherche (ANR) a quant à elle lancé un premier appel à projets dit « Flash Covid » dès le 6 mars. Ce dispositif a connu un certain succès : 258 projets ont été déposés et 108 sélectionnés. L'enveloppe, d'un montant initial de 3 millions d'euros, a été portée à 17,7 millions d'euros grâce à des contributions du ministère de la recherche, de la Fondation pour la recherche médicale, de la Fondation de France et des régions.
De nombreux autres appels à projets ont suivi, lancés successivement par l'Agence de l'innovation de défense, Bpifrance, l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS), ainsi que par plusieurs régions.
Le ministère de la recherche a également mis en place un fonds d'urgence doté de 50 millions d'euros afin de financer à très court terme toute une gamme d'actions : projets de recherche vaccinale prioritaires, petits projets hors appels à projets existants, contribution française à l'appel EDCTP (European and Developing countries Clinical Trials Partnership) en faveur de la recherche sur la Covid-19 dans les pays du Sud, etc.
Nous avons aussi pu noter la grande variété des projets retenus. Au-delà de la recherche thérapeutique et vaccinale, on trouve également de la recherche fondamentale visant à mieux comprendre le virus ainsi que des études épidémiologiques, qui me paraissent indispensables. Je pense par exemple au projet OBEPINE, doté de 3 millions d'euros, qui vise le déploiement d'un réseau de surveillance du virus dans les eaux usées. On relèvera aussi l'attention donnée aux projets de recherche en sciences humaines et sociales, qui représentent à ce jour environ 20 % des financements octroyés à ce jour par l'ANR dans le cadre de ses appels à projets « Covid ». Sans nier ce que celles-ci peuvent apporter dans la réponse à la crise, cela semble tout de même constituer une spécificité française par rapport à l'Allemagne ou aux États-Unis, qui ont concentré leurs efforts sur le volet biomédical.
Parmi les axes d'amélioration du fonctionnement des appels à projets, le ministère de la recherche a relevé la nécessité de réduire les temps de décision et de lancement des projets. Nous en relevons un second : le prisme parfois très académique des critères de sélection, qui exclut souvent de facto la plupart des projets issus de la recherche privée.
Cette réactivité et ce foisonnement du monde de la recherche doivent être salués, mais ils ont un revers : le risque d'une dispersion des moyens publics en temps de crise et d'un certain désordre. En effet, les crédits proviennent de toute part : du programme d'investissements d'avenir (PIA), du ministère de la recherche, du ministère de la santé, mais aussi du ministère de la défense, ou encore de l'Agence française de développement (AFD). Au total, quelque 180 millions d'euros ont été mobilisés par l'État pour la recherche de crise. Ces moyens ont été dégagés grâce à des prélèvements sur les réserves et des redéploiements, sans ouverture de crédits supplémentaires.
Dans l'ensemble, nous avons assisté à un éclatement des capacités de décision et de financement en matière de recherche alors que, pour être efficace, la gestion de la crise aurait dû être centralisée et interministérielle. C'est d'ailleurs un constat que l'on fait toujours sur les crédits de recherche : ils proviennent de différents ministères, et c'est parfois difficile d'identifier un pilote dans l'avion ! Le consortium REACTing a certes pu jouer un précieux rôle de coordination, et l'installation du Comité d'analyse, de recherche et d'expertise (CARE), instance ad hoc créée fin mars, a permis de clarifier les priorités, mais chaque financeur a conservé la main sur ses processus de sélection des projets et d'attribution des financements. Les essais cliniques constituent un exemple de saupoudrage : pas moins d'une centaine d'essais ont été lancés et ont ainsi dû se partager un stock de patients en diminution, ce dont on pouvait bien sûr se réjouir par ailleurs. Il aurait été préférable d'inclure un maximum de cohortes dans un nombre plus restreint d'essais.
Nous gagnerions sans doute à nous inspirer de l'exemple américain, où la fixation des priorités fédérales de recherche et les décisions de financement relèvent de la seule BARDA (Biomedical Advanced Research and Development Authority), qui a concentré des moyens colossaux - près de 12 milliards de dollars - sur seulement 63 projets, tous domaines confondus.
Le ministère de la recherche nous a indiqué que des réflexions étaient en cours concernant l'élargissement du champ d'action de l'ANRS, avec notamment une intégration de REACTing, pour en faire une agence de recherche en maladies infectieuses émergentes qui définirait d'une seule voix les priorités en la matière. Cela va dans le bon sens, mais ne paraît pas remettre fondamentalement en cause la dispersion des guichets de financement.
S'agissant des perspectives financières pour la recherche médicale, le Président de la République s'est engagé, dans le cadre de la LPPR (loi de programmation pluriannuelle de la recherche), à augmenter de 1 milliard d'euros le budget de la recherche dans le domaine du vivant et de la santé. Cet effort est d'autant plus nécessaire que les moyens qui lui sont alloués, certes importants - environ 1,2 milliard d'euros annuels -, n'ont guère évolué depuis environ dix ans. Il convient de le mener dans les meilleurs délais, et la période de programmation actuellement envisagée - qui nous amène jusqu'en 2030 - paraît un peu longue. Nous serons attentifs au respect de cet engagement.