Intervention de Pierre Moscovici

Commission des affaires sociales — Réunion du 8 octobre 2020 à 10h30
Audition de Mm. Pierre Moscovici premier président et denis morin président de la sixième chambre de la cour des comptes sur le rapport annuel de la cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale et sur l'enquête de la cour des comptes sur les groupements hospitaliers de territoire

Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes :

Madame la présidente, permettez-moi de vous adresser mes plus sincères et chaleureuses félicitations pour votre élection à la tête de cette commission. Tous mes voeux de succès vous accompagnent dans l'exercice de cette éminente fonction. Je souhaite également féliciter M. le rapporteur général pour sa réélection.

Je suis extrêmement attaché, en tant que Premier président, aux liens qui unissent la Cour des comptes au Parlement. Ces liens sont pour moi absolument prioritaires. Vous pourrez toujours compter sur le soutien et la disponibilité de notre institution. L'audition d'aujourd'hui m'offre d'ailleurs l'occasion d'illustrer notre mission d'assistance au Parlement, puisque le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale est établi dans ce cadre.

Ma présentation sera complétée par la communication relative aux groupements hospitaliers de territoire établie à la demande de votre commission. Je laisserai le président de la 6e chambre, Denis Morin, vous en exposer le contenu. J'ai également à mes côtés Michèle Pappalardo, la rapporteure générale de la Cour, Stéphane Seiller, conseiller maître, qui est le rapporteur général du RALFSS, et Antoine Imberti, auditeur et rapporteur général adjoint. Je les remercie chaleureusement, ainsi que la vingtaine d'autres rapporteurs qui ont aussi contribué au RALFSS, pour leur implication.

Cette année, ce travail a été réalisé dans un contexte exceptionnel, celui de la crise sanitaire sans précédent que nous traversons depuis mars. Je précise toutefois que le rapport n'aborde pas la gestion de la crise en elle-même. La Cour aura l'occasion d'y revenir.

Nous sommes aujourd'hui dans un contexte économique difficile, dans lequel nos transferts sociaux ont joué et continuent à jouer un rôle essentiel pour amortir les conséquences de cette crise pour nos concitoyens, notamment en comparaison d'autres pays.

La situation actuelle est exceptionnelle, et l'impact de la crise sur la trajectoire des comptes de la sécurité sociale est tout à fait considérable. En 2020, le déséquilibre des comptes sociaux atteindra des niveaux historiques, avec un déficit du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse s'élevant à 44,4 milliards d'euros. Il était, en comparaison, de 28 milliards d'euros en 2010 à la suite de la crise financière.

Cette situation a conduit l'été dernier à une nouvelle reprise de dette par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Cette reprise est inédite par son montant, qui s'élève à 136 milliards d'euros et a pour effet de prolonger l'existence de la Cades jusqu'en 2033. L'année 2020 est donc un exercice hors norme pour nos comptes sociaux.

Notre rapport cette année porte un message simple : si nous voulons sauvegarder notre système de sécurité sociale, nous devons reconstruire progressivement une nouvelle trajectoire de retour à l'équilibre des comptes sociaux. La sécurité sociale ne peut être durablement financée par l'emprunt, sauf à pénaliser les générations futures. Ce message n'est d'ailleurs que la déclinaison logique, dans le domaine de la sécurité sociale, de celui porté par la Cour en juin dernier dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques et de la position du Haut Conseil des finances publiques dans son dernier avis. La soutenabilité de la dette publique, qui comprend bien sûr la dette sociale, est un enjeu central.

Pour atteindre cet objectif, le contexte actuel de nos finances publiques ne nous laisse pas d'autre choix que d'agir sur la qualité et la sélectivité de la dépense sociale. La Cour formule en ce sens trois recommandations : d'abord, agir sur les ressorts structurels de la dépense de sécurité sociale, notamment dans le champ de l'assurance maladie, sans réduire la qualité de la prise en charge des patients ; ensuite, porter une attention plus grande aux publics défavorisés en ciblant mieux certaines prestations de solidarité et en prévenant les impacts, sur ces publics, des mesures générales de maîtrise de la dépense ; enfin, poursuivre les efforts pour améliorer la qualité et l'efficience de la gestion des organismes de sécurité sociale, afin d'offrir un meilleur service aux usagers à un meilleur coût.

Depuis les années 1990, à l'exception d'une brève période au tout début des années 2000, la sécurité sociale connaît une situation déficitaire. Avant la récession de 2009, son déficit s'élevait à 9 milliards d'euros. Au plus fort de la crise de 2010, il a atteint un niveau inédit de près de 30 milliards d'euros. Il a ensuite été réduit de manière continue, de sorte que l'équilibre a presque été atteint en 2018 et en 2019. Cette trajectoire de redressement s'est infléchie par la suite - la loi de financement de ma sécurité sociale pour 2020, votée à l'automne 2019, prévoyait un déficit de 5,4 milliards d'euros. La rupture de la tendance régulière de retour à l'équilibre des comptes sociaux est donc antérieure à la crise sanitaire, qui a par ailleurs profondément dégradé leurs perspectives.

En 2020, le déficit des comptes sociaux atteindrait un niveau inédit de 44,4 milliards d'euros. Ce montant historique résulte essentiellement d'un choc sur les principales recettes de la sécurité sociale lié aux conséquences du confinement, et dans une moindre mesure de dépenses supplémentaires.

Les recettes chuteraient de 27,3 milliards d'euros par rapport à la prévision pour 2020 de la dernière loi de financement de la sécurité sociale. La masse salariale du secteur privé diminuerait en effet de près de 8 % en 2020, contre une prévision de croissance de 2,8 % dans la LFSS 2020, ce qui entraînerait près de 22 milliards d'euros de pertes de recettes.

S'agissant ensuite des dépenses, elles sont pour la plupart directement liées à la crise sanitaire et provoquent une progression de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) de 7,6 %, contre une prévision de 2,45 % dans la LFSS de 2020. Ce niveau est le plus élevé depuis la mise en place de l'Ondam en 1997. Selon la commission des comptes de la sécurité sociale, l'assurance maladie supporterait un surcroît de 15 milliards d'euros de dépenses du fait de la crise. Ces dépenses comprennent, par exemple, des dotations supplémentaires à Santé publique France, notamment pour l'achat de masques, et aux établissements hospitaliers et aux services médico-sociaux, mais aussi des dépenses exceptionnelles d'indemnisation d'arrêt de travail, de réalisation de tests ou de compensation des pertes d'activité des professions libérales. Ce surcroît de dépenses est compensé à hauteur de 4,5 milliards d'euros par une baisse très forte d'une part de l'activité des professionnels de ville et de la consommation courante de médicaments et de dispositifs médicaux.

Il reste que l'impact de la chute brutale des recettes et de l'augmentation des dépenses sur la dette sociale est massif. Au titre de la seule année 2020, la dette augmenterait en effet d'environ 30 milliards d'euros pour atteindre 145 milliards d'euros. Dans ce contexte, l'horizon d'extinction de la dette sociale a été reporté d'une décennie et demeure assez incertain. La décision de transfert de dette à la Cades a été prise sans visibilité précise sur la trajectoire financière de la sécurité sociale. Or la crise sanitaire pourrait avoir une empreinte durable sur les comptes sociaux.

Dans ce contexte d'incertitude élevée, nous pensons que la définition d'une nouvelle trajectoire de référence du produit intérieur brut (PIB) au travers d'une loi de programmation des finances publiques est indispensable. Distinguer le conjoncturel du structurel et l'exceptionnel de l'ordinaire est plus que jamais une nécessité pour la bonne gestion de nos finances publiques. Les dépenses de réponse à la crise sanitaire ne sont pas discutées - elles sont nécessaires -, mais les dépenses pérennes appellent un effort accru de sélectivité pour en améliorer la qualité et la pertinence. À défaut, elles risqueraient d'accentuer l'écart structurel entre le niveau des recettes et celui des dépenses à financer. De la même manière, il sera important que les mesures de régulation des dépenses annoncées en 2021 à hauteur de 3,5 milliards d'euros soient plus amplement documentées et fassent l'objet d'un suivi rigoureux dans leur mise en oeuvre.

Face à la hausse des dépenses, l'augmentation nette des recettes affectées au financement de la sécurité sociale apparaît peu envisageable. Les prélèvements obligatoires ont atteint en France 44,1 % du PIB en 2019. C'est un niveau plus élevé que chez nos principaux partenaires européens. Il n'apparaît pas davantage souhaitable, compte tenu de la trajectoire budgétaire dégradée de l'État, de l'amputer de certaines de ses recettes pour les affecter à la sécurité sociale ou de lui faire porter la charge de nouvelles dépenses.

Pour remettre les finances sociales sur la voie de l'équilibre structurel, nous n'avons donc pas d'autres options que de définir une nouvelle trajectoire de dépenses qui permettrait de maîtriser la hausse de notre dette sociale.

Le Parlement a arrêté l'été dernier le principe d'un désendettement de la sécurité sociale à hauteur des déficits cumulés sur la période 2020-2023, en limitant ce désendettement à 92 milliards d'euros. La Cour relève toutefois que la trajectoire de solde figurant au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 conduirait à ce qu'apparaisse un nouvel endettement cumulé de l'ordre de 29 milliards d'euros à la fin de l'année 2023 et de près de 50 milliards d'euros à la fin de l'année 2024. Or le financement permanent de la sécurité sociale par la dette n'est pas souhaitable.

Il faut donc identifier les leviers qui permettent de remettre les comptes de la sécurité sociale sur la voie de l'équilibre en agissant sur la qualité de la dépense. Nous avons étudié les résultats obtenus ces dernières années dans la maîtrise de leurs dépenses par les différentes branches. Ils sont globalement positifs, mais ils ne sont pas suffisants et, surtout, ils diffèrent beaucoup entre branches.

En ce qui concerne la branche famille, la maîtrise des dépenses a été facilitée par l'inflexion de la natalité depuis 2014, mais aussi par des mesures reposant sur des choix clairs, qui ont visé à aider en priorité les familles les moins favorisées. Les pouvoirs publics ont donc visé un double objectif de rigueur et d'équité.

Le système des retraites a, de son côté, connu entre 1993 et 2014 cinq réformes d'ampleur touchant les régimes de base. En plus des hausses de cotisations, ces réformes ont agi sur l'âge de départ à la retraite, sur la durée de cotisation et sur le niveau des pensions. Elles ne suffisent pas à assurer à l'horizon de la fin de la décennie l'équilibre du système, mais elles ont ramené l'évolution des dépenses à un rythme proche de celui du PIB.

Enfin, les dépenses d'assurance maladie ont vu leur progression significativement ralentie. L'Ondam rapporté au PIB a été stabilisé à champ constant autour de 8,3 % ces dernières années et son respect, avant la crise sanitaire, était assuré depuis 2010. La progression de l'Ondam depuis 2016 a toutefois été desserrée au-delà de l'objectif de 2,3 % pourtant prévu par la loi de programmation des finances publiques 2018-2022. Après un premier relèvement en 2019 au titre de la stratégie « Ma santé 2022 », la crise des urgences puis la crise hospitalière ont conduit en 2020, avant l'épidémie, à fixer un taux de 2,45 %. Le PLFSS pour 2021 entérine une révision majeure de progression de l'Ondam pour 2020, qui est portée à 7,6 %.

Pour la Cour, ces évolutions soulignent les limites de la maîtrise des dépenses de santé reposant seulement sur l'Ondam. Ce dernier reste bien sûr indispensable, mais ce pilotage ne peut suffire à organiser une maîtrise durable des dépenses de santé. En clair, la contrainte financière seule, sans rénovation du système, ne suffit pas.

Le retour sur un chemin d'équilibre de l'assurance maladie nécessite donc des actions structurelles. La Cour a déjà fourni un certain nombre de pistes par le passé. Elle développe trois grandes illustrations cette année.

L'une concerne les groupements hospitaliers de territoire (GHT), sujet sur lequel vous aviez sollicité notre assistance. Je vais céder la parole à Denis Morin pour qu'il vous présente les conclusions du rapport réalisé par la Cour à la demande de votre commission.

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