Intervention de Pierre Moscovici

Commission des affaires sociales — Réunion du 8 octobre 2020 à 10h30
Audition de Mm. Pierre Moscovici premier président et denis morin président de la sixième chambre de la cour des comptes sur le rapport annuel de la cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale et sur l'enquête de la cour des comptes sur les groupements hospitaliers de territoire

Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes :

Je vais poursuivre sur le contenu du RALFSS, dans lequel nous développons, outre les GHT, deux autres illustrations de l'action à mener pour agir sur les ressorts structurels de la dépense de santé.

La première concerne la simplification du système de financement des activités hospitalières, notamment les dotations dites « pour missions d'intérêt général et d'aides à la contractualisation » (Migac) et les fonds d'intervention régionaux (FIR) dont disposent les ARS pour financer des actions de santé publique d'intérêt régional.

Ces deux sources de financement représentaient en 2019 un total de près de 11 milliards d'euros, avec des chevauchements entre enveloppes financières et un empilement croissant de lignes budgétaires. La simplification de ces dispositifs et une répartition plus claire des responsabilités dans leur attribution entre l'administration centrale et les ARS sont à nos yeux indispensables.

La deuxième illustration sur laquelle nous avons travaillé a trait aux dispositifs médicaux. Ces derniers regroupent un vaste ensemble de produits et de services, allant du simple pansement au dispositif implantable de haute technologie. Ils sont utilisés dans le traitement d'un nombre croissant de maladies, avec une dépense correspondante évaluée à 15 milliards d'euros, qui progresse d'environ 4 % chaque année. Jusqu'à présent, les mesures de maîtrise ont principalement porté sur les prix de ces dispositifs. Il faut désormais, selon nous, agir en parallèle sur la pertinence de la prescription, sur l'optimisation des achats par les établissements de santé et sur la lutte contre les abus et les fraudes, en inscrivant ces actions dans un cadre pluriannuel.

Nous pensons qu'il est essentiel, dans la mise en oeuvre de ce type de mesures, de respecter une exigence de solidarité. Ce point est fondamental, car ces efforts doivent être adaptés à la situation de chacun, en particulier à celle de nos concitoyens défavorisés. Plusieurs chapitres du rapport illustrent ainsi la nécessité de mieux cibler certaines prestations de solidarité.

J'ai cité les choix faits dans la gestion des prestations familiales, qui ont été particulièrement clairs en faveur des familles défavorisées. Le montant du complément familial a par exemple augmenté de 39 % depuis 2013, avec une majoration supplémentaire pour les familles nombreuses les plus modestes.

En matière de retraites, plusieurs dispositions ont atténué les effets des réformes successives pour les faibles pensions, comme la majoration du minimum contributif au titre des trimestres cotisés en 2004 ou la mise en place, à partir de 2010, de mesures en faveur des carrières longues. Mais des mesures telles que l'indexation des salaires sur les prix utilisée pour le calcul de la retraite favorisent les assurés à carrière pleine et ascendante et peuvent pénaliser ceux ayant subi des périodes de chômage ou touché des salaires plus faibles.

Le calcul des pensions de retraite comporte cependant des dispositifs de minima, particulièrement importants pour nos concitoyens qui perçoivent une très petite retraite. Ces dispositifs interviennent en amont du minimum vieillesse et concernent aujourd'hui environ un nouveau retraité sur cinq. La majoration de pension qu'ils entraînent représente en moyenne 130 euros par mois. Ces minima représentaient au total 8,7 milliards d'euros de versements en 2018.

Nous avons toutefois observé que la finalité de ce dispositif avait évolué et devait faire l'objet d'une clarification. Conçu historiquement pour augmenter la retraite de salariés ayant accompli une carrière complète, le minimum contributif du régime général profite aujourd'hui principalement à des personnes ayant effectué des carrières à temps partiel ou incomplètes.

Enfin, la Cour a relevé la complexité des dispositifs de minima existants, qui conduit à ce que près d'un demi-million de personnes ayant pris leur retraite voient leur dossier rester durablement en attente de règlement définitif. Nous préconisons donc de procéder, dans les meilleurs délais, aux différentes harmonisations qui permettront de garantir à l'ensemble des bénéficiaires la perception définitive des montants qui leur sont dus.

L'exigence de solidarité implique aussi, du côté de la branche famille, d'accroître l'efficacité des dépenses d'action sociale. Au côté des prestations familiales, les CAF apportent en effet un soutien financier et technique au développement de services et d'équipements destinés aux familles, notamment des crèches et des centres de loisirs. Ce soutien est fondamental.

La branche famille n'a cependant pu atteindre l'objectif fixé de création de 100 000 places en crèche, le taux de réalisation étant de 63 % seulement. Par ailleurs, les inégalités territoriales persistent, faute notamment d'évaluation suffisamment fine des besoins. Au vu de l'importance des financements publics mobilisés - 5,8 milliards d'euros en 2019, soit 1 milliard d'euros de plus qu'en 2012 -, nous recommandons d'apporter à ces dispositifs les améliorations indispensables pour offrir aux familles un service de qualité sur l'ensemble du territoire.

Enfin, il faut faire progresser la qualité et l'efficience de la gestion des organismes de sécurité sociale. Il faut d'abord réduire le nombre et le montant des erreurs affectant le versement des prestations sociales. Dans le cadre de ses travaux de certification des branches du régime général, la Cour examine chaque année le degré de conformité des prestations versées aux règles de droit applicables.

Pour l'exercice 2019, ces travaux font état d'un montant d'erreurs à caractère définitif d'au moins 5 milliards d'euros toutes branches confondues. Ces erreurs peuvent être au détriment des finances sociales, comme c'est le cas par exemple pour 90 % de celles qui affectent les prises en charge de frais de santé. Mais elles peuvent aussi être au détriment des bénéficiaires des prestations, comme pour les deux tiers des erreurs qui affectent le versement des retraites. Ces anomalies résultent soit des données déclarées par les bénéficiaires, soit des opérations de gestion des caisses de sécurité sociale elles-mêmes.

Notons que la fréquence et la portée financière des erreurs sont en nette augmentation ces dernières années. Par exemple, la portée financière des erreurs liées aux données déclarées pour les prestations de la branche famille a atteint 3,4 milliards d'euros en 2018, contre 2 milliards d'euros en 2014.

La Cour recommande donc d'accroître l'automatisation des processus de gestion et de dématérialiser les déclarations. Il faut aussi fermer les possibilités systémiques de fraude et renforcer les actions de contrôle a posteriori.

Notre rapport évoque enfin, en présentant différentes recommandations à l'appui, la nécessité d'adapter l'organisation des branches du régime général et de moderniser la gestion du recouvrement social par le réseau des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf).

Face à la crise sanitaire, la priorité a été donnée au soutien de notre système de santé. C'était légitime. Mais il est impératif de remettre rapidement la sécurité sociale sur un chemin d'équilibre financier durable pour assurer la soutenabilité de la dette sociale, dès que les circonstances le permettront, et éviter de pénaliser les générations futures. La Cour n'a pas proposé de « tailler » dans les dépenses sociales, mais elle souhaite qu'à moyen terme la dette publique soit soutenable. Des adaptations en profondeur seront nécessaires pour atteindre cet objectif. Plus elles seront différées, plus elles seront difficiles à mettre en oeuvre.

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