Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis tout à la fois intimidée et fière d'être ici. J'ai été la première surprise que l'on me propose ce poste ; je n'avais jamais pensé une seconde l'occuper un jour et j'escomptais plutôt terminer tranquillement ma carrière au Canard Enchaîné. C'est pourquoi j'ai longtemps réfléchi avant d'accepter. Pour autant, au regard de ma vie professionnelle, cette proposition m'apparaît comme un aboutissement.
En effet, mon premier « travail sérieux », c'était au sein de l'administration pénitentiaire. En tant qu'éducatrice, je me suis occupée de tous les lieux placés, aujourd'hui, sous la houlette du Contrôleur général, à commencer par les prisons, quand j'avais échoué à remettre les personnes dans le droit chemin ou quand je préparais leur sortie.
À cet égard, je mentionnerai ce rapport du Sénat intitulé Prisons : une humiliation pour la République, qui a fait date par son extrême sévérité. Oui, le nombre de malades mentaux en prison est une catastrophe ! La prison se met à jouer le rôle asilaire des vieux asiles d'antan : on a fermé des lits en psychiatrie, en caressant le rêve de « remettre le fou dans la cité », mais les centres d'accueil de jour dont on avait besoin n'ont pas été créés en nombre suffisant, et des personnes, laissées sans soins, se retrouvent ainsi dans les box d'accusés, souvent en comparution immédiate. C'est un fait que j'avais en tête, déjà, lorsque je travaillais dans l'administration pénitentiaire, et j'observe qu'Adeline Hazan et Jean-Marie Delarue ont eu parmi leurs préoccupations premières de visiter les hôpitaux psychiatriques.
Je suis impressionnée par le travail qui se profile, mais, si je suis nommée, je m'y consacrerai entièrement.
Je connais également les centres de rétention. À une certaine époque, il était plus facile d'y entrer qu'aujourd'hui. Je me faisais passer pour une proche d'un retenu et je pouvais observer ce qui s'y passait. J'ai arrêté de procéder ainsi, car je n'aime pas mentir, mais, quand je dépose des demandes officielles, elles sont refusées.
J'aurai également à coeur de m'occuper des geôles de garde à vue et des palais de justice. J'ai vu tant de personnes sortir de garde à vue dans des états préoccupants. Je me souviens d'un bûcheron de l'est de la France venu manifester à Paris avec son fils : il avait passé deux jours de garde à vue à Aubervilliers ; en racontant l'état de la cellule et les conditions de sa garde à vue, il en pleurait. Non seulement ces situations peuvent être choquantes du point de vue de la dignité, mais il est en plus difficile d'aller se défendre devant des juges quand on sent mauvais ou que l'on n'a plus de ceinture à son pantalon. Au palais de justice de Paris, pourtant tout neuf et tout beau, il y aurait eu des dérives en termes de maltraitance au niveau du dépôt. Cela prouve l'attention qu'il faut porter à ces endroits.
J'aurai tout autant à coeur de m'occuper des centres éducatifs fermés. Combien d'enfants ai-je reçus dans mon bureau ou vus présenter en comparution immédiate qui avaient été jetés à la rue par leurs parents, placés dès leur plus tendre enfance, baladés de familles d'accueil en foyers. Certains s'en sortent, mais la plupart ne s'en sortent pas - en serions-nous capables ? - et on les retrouve sur les bancs de la correctionnelle. Alors, on entend le juge égrener ce qu'ils ont vécu et l'on a tendance à passer sur cette partie de leur vie, sans doute déterminante... Il faudrait peut-être s'y intéresser un peu plus.
Je n'ai jamais pu aller en zone d'attente, mais j'irai. Je citerai juste cette anecdote : des amis touristes tellement sûrs d'eux dans la vie qu'ils étaient convaincus de ne jamais connaître un jour de zone d'attente ou de centre de rétention qu'ils en ont négligé de renouveler leur visa en France et ont eu, de ce fait, l'occasion de me raconter les choses de l'intérieur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'essaierai de remplir cette lourde tâche avec le plus d'honnêteté, d'impartialité et d'acharnement possible, si, bien sûr, vous acceptez d'entériner ma nomination.