Intervention de Christophe-André Frassa

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 14 octobre 2020 à 9h30
Proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la république — Examen du rapport et du texte proposé par la commission

Photo de Christophe-André FrassaChristophe-André Frassa, rapporteur :

Nos collègues Philippe Bas, Bruno Retailleau et Hervé Marseille ont déposé en février dernier une proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République. Son examen, qui était initialement prévu en mars, a été repoussé du fait du confinement. Je salue d'ailleurs notre ancienne collègue Catherine Troendlé, à qui je succède en tant que rapporteur.

La société tend aujourd'hui à se fragmenter face à la montée du communautarisme. Pour reprendre les mots de Robert Badinter, le « communautarisme, c'est la mort de la République. Si nous devions avoir des communautés qui négocient leur adhésion ou leur participation, ce serait fini. Ce serait un autre type de République. » Dans le même esprit, le politologue Jérôme Fourquet décrit la France comme un « archipel d'îles » s'ignorant entre elles. Cette fragmentation remet en cause notre pacte social, fondé sur l'indivisibilité de la République, la souveraineté nationale et l'unité du peuple.

Sur le terrain, les coups de boutoir du communautarisme se font de plus en plus pressants, comme l'a démontré notre récente commission d'enquête sur la radicalisation islamiste. Je tiens d'ailleurs à saluer le travail fourni, sous la présidence de Nathalie Delattre, par son rapporteur, notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, dont chacun connaît l'engagement sur ce dossier.

Le communautarisme défie la République dans tous les secteurs de la vie quotidienne, en particulier dans les services publics, les entreprises et le monde sportif. Ce phénomène, longtemps nié par certains, est abondamment documenté.

Dans leur ouvrage intitulé Inch'allah, l'islamisation à visage découvert, les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme décrivent par exemple les refus de soins, le mari d'une patiente s'exclamant : « ma femme peut crever, mais au moins je suis en paix avec Dieu. »

Le vivre-ensemble est également remis en cause à l'école : dans le rapport de la commission d'enquête sénatoriale, un recteur admet « qu'il est difficile d'enseigner Voltaire dans certaines classes ». « L'absentéisme sélectif » est aussi une réalité, par exemple pour éviter les cours de natation ou de SVT.

S'agissant des entreprises, 65 % des salariés observent des faits religieux sur leur lieu de travail et 55 % des managers déclarent ne pas disposer des ressources nécessaires pour gérer d'éventuelles situations conflictuelles.

La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite « loi El Khomri », a constitué une première étape. Elle clarifie le fait que le règlement intérieur de l'entreprise peut contenir des dispositions restreignant la manifestation des convictions des salariés. Elle reste toutefois peu mise en oeuvre : seuls 32 % des entreprises ont complété leur règlement en ce sens.

Dernier exemple, le monde du sport. Le sociologue Médéric Chapitaux mentionne plusieurs situations concrètes, comme un club de football portant le nom de Maccabi et refusant de jouer le vendredi et le samedi soir ou des professeurs de clubs de boxe refusant la participation de boxeuses, car elles ne seraient pas suffisamment habillées.

Le communautarisme dépasse donc la problématique de la laïcité : la question n'est plus d'organiser les relations entre les Églises et l'État mais, plus largement, de préserver l'unité nationale dans une société laïque.

Les croyants en sont les premières victimes. Comme l'a écrit notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, « la majorité des musulmans est attachée au modèle républicain. Aspirant à l'anonymat, elle est aujourd'hui prisonnière d'une minorité qui revendique une pratique rigoriste, radicalisée et visible ».

Les femmes paient également un lourd tribut au communautarisme. Nadia Remadna, présidente de la Brigade des mères, a par exemple avoué qu'elle n'aurait jamais pensé « devoir se battre ici, dans ce pays, pour boire de l'alcool ou fumer une cigarette ».

Face à ces difficultés, le Président de la République enchaîne les discours : discours aux Bernardins, à Mulhouse, au Panthéon, aux Mureaux, etc. Les actes tardent toutefois à venir, malgré l'annonce d'un projet de loi pour la fin de l'année. L'action des cellules départementales de lutte contre l'islamisme mériterait également d'être évaluée plus en profondeur.

Nous pourrons débattre de la notion de « séparatisme », qui peut paraître trop étroite pour rendre compte de la réalité du communautarisme. Sur le terrain, des groupes comme les Frères musulmans ne cherchent pas à vivre en marge de la société mais, au contraire, à y répandre leur mode de vie dans une logique d'entrisme.

Le texte que nous examinons aujourd'hui poursuit un objectif très clair : réaffirmer la prééminence des lois de la République.

Il vise à inscrire, à l'article 1er de la Constitution, le principe selon lequel « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s'exonérer du respect de la règle commune ». Il s'agit d'un acte politique pour donner un coup d'arrêt au communautarisme. J'observe d'ailleurs que cet objectif semble faire consensus.

Dans son discours de Mulhouse prononcé le 18 février dernier, le Président de la République a affirmé qu'on « ne doit jamais accepter que les lois de la religion puissent être supérieures aux lois de la République ». Le recteur de la Grande mosquée de Paris a également déclaré que « la loi de ce pays doit être nécessairement le cadre commun ».

Juridiquement, la proposition de loi constitutionnelle conforte des garanties qui relèvent aujourd'hui de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et notamment de ses décisions de 1999 et de 2004. Il s'agit de graver dans le marbre cette jurisprudence, mais également de l'étendre.

Le texte couvre les relations entre les collectivités publiques et les particuliers, ce qui correspond à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais également les interactions collectives dans le secteur privé. La notion de « règle commune » intègre, en effet, les lois et règlements de la République, mais aussi les règlements intérieurs des services publics, des entreprises et des associations.

Ce texte s'adresse ainsi aux acteurs de terrain, pour leur donner les moyens juridiques de réagir face aux revendications communautaristes. Je pense notamment aux maires, aux chefs d'entreprise, aux enseignants, aux médecins...

Pour le professeur Dominique Chagnollaud, le texte comporte « une règle de conciliation constitutionnelle », permettant de répondre aux coups de boutoir du communautarisme par des règles claires. Jean-Éric Schoettl, conseiller d'État honoraire, partage cette analyse. Il affirme que « la République a besoin de repères simples à formuler et à respecter. Non, les règles actuelles ne suffisent pas, tant est grande la confusion des esprits. »

L'affaire de la crèche associative Baby Loup illustre ces difficultés : il a fallu plus de cinq ans pour déterminer le droit applicable, la crèche ayant dû, dans l'intervalle, suspendre ses activités puis déménager dans une commune voisine. Il en est de même pour les procédures de licenciement engagées pour prosélytisme religieux, qui sont très difficiles à mener.

La proposition de loi constitutionnelle ne remet pas en cause la conception française de la laïcité. Elle n'affecte pas, notamment, la possibilité, pour les collectivités publiques, de financer la rénovation de lieux de culte dans une logique patrimoniale. De même, les régimes de l'Alsace-Moselle et de la Guyane ne seraient pas remis en cause. Je tiens à rassurer nos collègues issus de ces territoires.

Je rappelle enfin que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) accepte des limitations portées à la liberté religieuse, dès lors qu'elles respectent trois critères cumulatifs : être prévues par la loi, poursuivre un but légitime et être proportionnées au but poursuivi. Dans une jurisprudence de 2017, la CEDH précise par exemple que les croyances religieuses ne justifient pas que des écolières soient exemptées de cours de natation.

J'en viens maintenant au second article de la proposition de loi constitutionnelle. Il impose aux partis et groupements politiques de respecter le principe de laïcité, au même titre que les principes de souveraineté nationale et de démocratie. Il apporte ainsi une nuance à l'article 4 de la Constitution, qui dispose que les partis « se forment et exercent leur activité librement ».

L'objectif est ainsi de lutter contre les partis communautaristes, qui prônent l'application de règles différentes en fonction de l'origine ou de la religion des citoyens. À l'inverse, cette disposition ne concerne pas les partis se revendiquant d'une tradition religieuse, mais respectant l'unité du peuple français, comme les partis issus de la démocratie chrétienne.

Sur le plan opérationnel, le texte donnerait une base constitutionnelle pour interdire le financement des partis communautaristes, voire pour envisager leur dissolution. Là encore, la jurisprudence de la CEDH ne s'oppose pas à de telles mesures.

En conclusion, je vous propose d'adopter sans modification la proposition de loi constitutionnelle de Philippe Bas, Bruno Retailleau et Hervé Marseille. Elle permet de réaffirmer la prééminence des lois de la République dans un contexte où les coups de boutoir du communautarisme remettent en cause notre vivre ensemble.

1 commentaire :

Le 04/12/2020 à 17:03, aristide a dit :

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" Aspirant à l'anonymat, elle est aujourd'hui prisonnière d'une minorité qui revendique une pratique rigoriste, radicalisée et visible "

Le problème, c'est surtout d'être visible, n'est-ce pas ? Pourtant la constitution dit bien "sans distinction de religion", comme elle dit "sans distinction de race ou d'origine..." Vous allez interdire aux enfants d'aller à l'école parce que vous voyez la couleur de leur peau ? Non, bien sûr, et donc pour la religion, c'est pareil : si vous pouvez déduire la religion de l'enfant parce qu'il porte une kippa ou une croix, il vous faudra l'accepter avec, parce que telle est la constitution.

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