Intervention de Charles Guené

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 14 octobre 2020 à 9h30
Proposition de loi constitutionnelle et proposition de loi organique pour le plein exercice des libertés locales — Examen du rapport et des textes proposés par la commission

Photo de Charles GuenéCharles Guené, rapporteur pour avis de la commission des finances :

Merci pour votre accueil. Deux mesures ont justifié que la commission des finances se saisisse pour avis : la révision des modalités de compensation des charges transférées aux collectivités territoriales avec la consécration du principe « qui décide paie » et la redéfinition du périmètre des ressources propres des collectivités territoriales.

En cas de transferts de charges, les règles constitutionnelles et organiques n'imposent de compenser intégralement les collectivités territoriales des dépenses mises à leur charge que dans deux cas : lorsqu'une compétence leur est transférée par l'État et lorsque les conditions d'exercice d'une compétence obligatoire sont modifiées par un acte réglementaire qui ne présente par le caractère d'une mesure générale. Ainsi, une compétence transférée entre collectivités territoriales n'ouvrira pas droit au versement d'une compensation intégrale par l'État et l'augmentation du point d'indice de la fonction publique non plus. Ensuite, sous réserve qu'elle présente un caractère obligatoire, la création, l'extension ou la modification des conditions d'exercice d'une compétence par voie législative n'impose que de verser une compensation dont la nature et le montant ne soient pas incompatibles avec les principes d'autonomie financière et de libre administration. Enfin, rien n'oblige l'État à réévaluer le montant des compensations compte tenu de l'évolution du coût d'exercice d'une compétence.

Cependant, nombre de collectivités territoriales ont le sentiment de faire face, du fait des décisions de l'État, à des charges croissantes sans les ressources nécessaires. C'est ce qui a conduit nos collègues Philippe Bas et Jean-Marie Bockel à proposer d'inscrire dans la Constitution deux principes nouveaux : d'une part, celui selon lequel tout transfert, création, extension ou modification des conditions d'exercice de compétence décidé par l'État et supporté par les collectivités territoriales doit faire l'objet d'une compensation intégrale - c'est le « qui décide paie » ; d'autre part, celui d'une réévaluation régulière du montant de ces compensations.

Je souscris entièrement au principe « qui décide paie », mais je pense que le dispositif de réévaluation peut être amélioré et qu'une actualisation régulière en loi de finances du montant des compensations n'est pas la méthode la plus satisfaisante. Ce qu'il faut chercher à construire, c'est une gouvernance nouvelle par laquelle l'adéquation des ressources et des charges des collectivités territoriales serait régulièrement réinterrogée. La réévaluation financière des compensations ne serait alors que l'une des options possibles et on pourrait imaginer également de redimensionner certaines compétences.

Nous avons échangé sur ce point avec les deux rapporteurs de la commission des lois. Nous sommes d'accord pour que la Constitution impose un réexamen régulier des compensations, plutôt qu'une réévaluation régulière. Il reviendra au législateur organique de préciser - d'inventer - cette nouvelle forme de gouvernance.

S'agissant des ressources propres, la Constitution dispose qu'elles représentent une part déterminante de l'ensemble des ressources des collectivités territoriales. C'est le principe d'autonomie financière.

Une loi organique de 2004 est venue préciser deux points centraux. D'abord, la nature de ces ressources propres ; ensuite, la notion de part déterminante.

Les ressources propres telles qu'elles sont définies par la loi organique présentent un caractère plutôt extensif. Sur le plan fiscal, il s'agit des recettes sur lesquelles les collectivités territoriales exercent un pouvoir de taux ou d'assiette, mais également celles sur lesquelles elles n'en exercent pas, c'est-à-dire la fiscalité affectée - par exemple la taxe foncière ou les droits de mutation à titre onéreux, ou encore la fraction de TVA affectée aux régions et la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques.

Les ressources propres interviennent dans la détermination des ratios d'autonomie financière qui ne sont rien de plus que le rapport entre les ressources propres et l'ensemble des ressources des collectivités territoriales. Lorsque l'on dit que ces ressources propres doivent représenter une « part déterminante », on indique, en réalité, que le niveau des ratios d'autonomie financière doit demeurer supérieur à un certain seuil.

Ce seuil est fixé par la loi organique et correspond à la situation constatée en 2003. Sur le plan juridique, le fait que les ratios d'autonomie financière demeurent bien supérieurs à leur valeur de 2003 présente un caractère impératif. En effet, si une mesure législative devait les conduire en dessous des planchers, le juge constitutionnel censurerait. De même, si ces ratios demeuraient en dessous des planchers plus de deux ans, le législateur serait contraint d'adopter des mesures correctives en loi de finances sous peine de censure par le Conseil constitutionnel. Toutefois, ces ratios sont très hauts : 71,4 % pour les communes, 74,4 % pour les départements et 77,4 % pour les régions - avec une définition aussi extensive de la notion de ressources propres, il pouvait difficilement en être autrement. Comme l'indiquait notre collègue député Charles de Courson : « Supprimons toute la fiscalité locale et remplaçons-la par des prélèvements sur les impôts nationaux et le taux d'autonomie financière progressera encore. »

C'est dans ce contexte que les deux propositions de loi excluent du périmètre des ressources propres toutes les recettes fiscales sur lesquelles les collectivités n'exercent aucun pouvoir de taux ou d'assiette.

Je suis parfaitement d'accord avec la nécessité de faire la vérité sur cette question alors que les réformes de la taxe professionnelle, de la taxe d'habitation et - bientôt - des impôts de production ont profondément modifié la physionomie de la fiscalité locale. Toutefois, si l'on retenait la définition proposée, les ratios d'autonomie financière se contracteraient à court terme. Mais quelle serait la dynamique de cette contraction, compte tenu des réformes de la taxe d'habitation et de celle des impôts de production, qui substituent des impôts nationaux à des impôts locaux ? Pour information, nos collègues proposent d'actualiser les planchers des ratios d'autonomie financière en référence à la situation constatée en 2020 en appliquant la définition proposée.

En tenant compte de ces paramètres, une fois la réforme de la taxe d'habitation achevée, le ratio d'autonomie financière du bloc communal s'établirait 5,4 points en dessous du plancher et celui des départements 21,4 points en dessous. Ainsi, les ressources vraiment « propres » des départements représenteraient environ 33 % de l'ensemble.

La définition proposée met à jour l'érosion du pouvoir fiscal des collectivités territoriales, mais elle nous place devant une situation difficile. Si les ratios d'autonomie financière ne sont pas conformes aux planchers de la loi organique, alors le législateur est tenu de prendre les mesures de correction qui s'imposent. En pratique, le législateur devra territorialiser des impôts nationaux ou créer de nouveaux impôts locaux pour un montant de l'ordre de 21,6 milliards d'euros après la réforme de la taxe d'habitation.

Or, nous savons combien il est difficile d'augmenter la pression fiscale, de trouver la bonne formule pour territorialiser la base d'un impôt national ou, encore, de réduire les inégalités de richesse fiscale entre les collectivités.

Dès lors, faut-il continuer de travailler avec un instrument - les ressources propres - qui ne représente plus grand-chose, ou bien accepter la nouvelle définition, mais en s'interrogeant sur ses conséquences ? Je plaide pour la seconde option.

En lien avec vos deux rapporteurs, la commission des finances a accepté la proposition tendant à exclure du champ des ressources propres les recettes fiscales sur lesquelles les collectivités n'exercent aucun pouvoir de taux ou d'assiette. Toutefois, il est souhaitable d'amender la règle selon laquelle ces ressources propres représentent une part déterminante de l'ensemble de ressources des collectivités. Nous préférons qu'à l'avenir elles représentent une part significative de l'ensemble des ressources des collectivités territoriales. Cette notion n'est pas définie par les textes en vigueur, ce qui signifie qu'il reviendra au législateur organique de consulter et de trancher pour en définir la nature et la portée. Pour mémoire, en 2003, le Sénat avait proposé un seuil minimal de 33 %. Cela ne préjuge en rien de la solution qui sera retenue, mais montre que le choix de ratios fixés en référence à une année particulière n'a rien d'évident et peut être remis en cause.

Enfin, et à titre personnel, je crois nécessaire d'accompagner cette réflexion sur le renforcement du pouvoir fiscal des collectivités d'un travail d'ampleur sur la péréquation.

La péréquation est le corolaire essentiel du pouvoir fiscal et elle ne peut pas être discutée après la réforme fiscale ou dans l'urgence. Elle doit, au contraire, être discutée de concert en tant qu'elle est la condition de succès d'une réforme du pouvoir fiscal des collectivités territoriales.

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